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26/12/2007

ROURE, ROUBION: LA CAVALCADE DU DIABLE

Roure apparaît au terme d’une route qui entasse les lacets de son étroit ruban sur dix kilomètres, depuis Saint-Sauveur-sur-Tinée, avec au-dessus du village, la chapelle décorée de Saint Sébastien et Saint Bernard. Là s’étale sur les murs, douze scènes de la « Légende dorée », ainsi qu’une étonnante «diablerie », datées de 1510 et signées par Andrea de Cela. A gauche, au-dessus des tourments de l’Enfer, figurent six scènes de Saint Sébastien, à droite six scènes de Saint Bernard. Dans l’une d’elles, Saint Bernard exorcise à l’aide d’un seau d’eau bénite, une ville enserrée dans ses remparts, d’où s’échappent deux diables noirs gambadant dans le ciel. Dans une niche voisine en trompe l’œil, Saint Bernard tient un autre diable enchaîné à ses pieds. La fresque dite des Vices est exceptionnelle par ses détails réalistes. Des diables noirs s’y montrent très actifs. Si l’un chevauche sans vergogne une femme nue, un autre joue du galoubet et du tambourin pour stimuler la folle sarabande, alors qu’un troisième tirant une langue gourmande, s’empare de l’auréole d’un pauvre pécheur ! Cette scène a été mise en rapport avec un fait divers qui aurait précédé la commande de la fresque. Le péché de chair ayant été commis à Roure entre Delphine, femme de Jean Bovis et l’abbé Pierre Blanqui, la communauté, dans un but moralisateur, aurait demandé à Andrea de Cela de représenter le châtiment réservé à ceux qui ont fauté par la chair. Un kilomètre avant de parvenir au village de Roubion, en venant de Saint Sauveur, se dresse la chapelle Saint Sébastien, destinée à éloigner les dangers de la peste. Les fresques qui la décorent sont datées de 1513. Sur les côtés intérieurs s’alignent les vices et les vertus, avec la gueule béante de l’Enfer, ainsi que douze scènes de la légende de Saint Sébastien. Ces peintures rustiques et naïves présentent là encore les gesticulations de diables harcelant la lamentable caravane des vices. On notera qu’ici la Luxure s’adapte au terroir en chevauchant un chamois et que la Colère est montée sur un étrange dragon ailé bipède. D’une manière générale, les représentations du Mal dans les retables et peintures murales des Alpes Maritimes ne se limitent pas au Diable, mais concernent  aussi des monstres divers dont triomphent Saint Michel, Saint Georges et Sainte Marthe ou qu’exorcise Saint Jean. L’horreur et la répulsion, inspirée par ces images hideuses, devaient suffire à convaincre ceux qui pouvaient encore se laisser aller à succomber à la tentation.

Le vestige d’une inscription de la chapelle Saint Sébastien de Roubion : « O Tu que passes…Sabes » résume la vertu pédagogique dégagée par ces fresques.

 

 D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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24/11/2007

LE SINISTRE FESTIN DE ROCCASPARVIERA

Roccasparviera, village ruiné perdu au fond de la vallée du Paillon au dessus de Coaraze, reste un site marqué de funestes légendes. Quelques pans de murs gris accrochés au rocher, un peu à l’écart sur un piton une modeste chapelle dédiée à Saint Michel exorciseur du Démon, c’est tout ce qui subsiste de ce lieu riche en récits tragiques mêlant meurtre et trahison. Ici, l’imaginaire retrouve la brutale réalité d’un décor lugubre, propre à raviver la mémoire de ces conteurs de jadis, évoquant dans leurs relations le sang du crime, la malédiction et la vengeance. Peu connue et en rapport avec la tradition orale, l’histoire suivante est due à Paul Canestrier qui sut s’intéresser au destin dramatique de ce malheureux village. Le seigneur de Roccasparvièra avait deux fils, Antonio et Paolo, qui s’éprirent de la plus jolie demoiselle, fille d’un baron voisin. Le seigneur de Roccasparvièra mourut et la demoiselle préféra Antonio, l’aîné, parce qu’il héritait du fief de son père. Paolo dévorait sa rage en silence. La noce fut célébrée en grande pompe, en présence de tous les châtelains de la région. Dans la grande salle du château, on mangea beaucoup de venaison arrosée de vins généreux. Quatre serviteurs posèrent sur la table un sanglier rôti qu’entouraient des marcassins enrobés de pâte dorée. Paolo leva sa coupe, en l’honneur de la jeune épousée, rayonnante de joie. « Belle sœur, dit-il je compte vous rendre un jour ce repas de noces ». Puis il disparut. La tradition rapporte qu’il avait pris soin de ferrer son cheval à rebours pour que l’on ne sût de quel côté il était parti. Le bonheur régnait au château de Roccasparvièra, trois fils comblaient les vœux les plus chers d’Antonio. Son aîné avait 20 ans, quand un jour, au retour de la chasse, Antonio apprit que les Sarrasins du Fraxinet de saint Hospice dévastaient la vallée du Paillon et s’étaient approchés de Coaraze. Ils avaient à leur tête un homme de haute taille qui se distinguait  par son acharnement féroce contre les malheureux villageois. Il portait l’armure de fer des chevaliers chrétiens, et on l’avait surnommé le renégat. Antoine fit barrer les deux portes du village où aboutissaient les deux sentiers en zigzag dans le rocher. Des hommes postés au bord de l’abîme tout autour du village étaient prêts à rouler des blocs sur les assaillants. Par une nuit noire, orageuse, les Sarrasins s’insinuèrent dans un souterrain, connu seulement du châtelain, et parvinrent au manoir. L’homme à l’armure de fer dirigea le massacre. Il égorgea lui même le seigneur de Roccasparvièra et se penchant sur sa victime, lui murmura quelques mots à l’oreille. Le mourant le regarda avec effroi et rendit l’âme. L’homme à l’armure de fer entra dans les appartements de la châtelaine. - Madame, lui dit-il je suis Paolo votre beau-frère et je viens vous rendre votre repas de noce, selon ma promesse. A ce moment, un sarrasin entra et annonça « Monseigneur est servi. » Paolo offrit le bras à la châtelaine apeurée, tremblante. Sur la table de la grande salle, un plat immense était recouvert d’un voile. Paolo le fit découvrir. Alors apparurent les cadavres ensanglantés du seigneur de Roccasparvièra et de ses deux fils. - Madame ajouta Paolo, plat pour plat : Voici le sanglier et les marcassins. N’ai-je pas tenu parole ! La châtelaine jeta un grand cri et s’évanouit. Quand elle eut repris ses sens, elle était folle et ne cessait de chanter une vieille complainte qui prédisait la ruine du château.

Vai, ô rocca, roquina

Va, roche, rochette
Un, aultre temp sara Un jour viendra
que sobre te reina Où sur tes ruines
Plu noun li cantera Ne chantera plus
Le gal ni la gallina Le coq ni la poule,
Ma les crôos, los sparviers, Mais les corbeaux et les éperviers
El altre aosels salvagiere Et autres oiseaux de proies

Elle mourut quelques jours après. Heureusement, le plus jeune fils d’Antonio se trouvait dans la montagne, chez un paysan qui l’entraînait à chasser le chamois. Paolo s’installa au château de Roccasparvièra avec des sarrasins. Il se livrait à l’orgie, au meurtre, au pillage et terrorisait les habitants. Une fois, il s’en alla très loin, dans un val qu’il ne connaissait point, à la poursuite d’une harde de chamois et s’égarât à la tombée de la nuit. Il rencontra un jeune chasseur vêtu comme un gentilhomme. « Manant, cria-t-il, ramène-moi à Roccasparvièra et tu auras une bonne récompense. » Monseigneur répondit le jeune homme, nous en sommes à plus de huit heures de marche ; la nuit descend et les sentiers sont très dangereux. Venez vous reposer dans mon pavillon de chasse, à quelques pas d’ici ; je vous recevrai de mon mieux et au petit jour, je vous accompagnerai ! Paolo le suivit sans méfiance dans une chaumière spacieuse, bien tenue. Le jeune homme l’installa devant un bon feu, le laissa quelques instants et revint. - Sa seigneurie est servie ! prononça-t-il d’une voix profonde et calme. A ces mots, Paolo tressaillit. Il suivit le jeune homme dans la pièce voisine. Un voile recouvrait un objet volumineux placé au centre de la table. Monseigneur, dit le jeune homme, je ne puis vous offrir ni sanglier ni marcassin, je le regrette, mais chacun fait selon son pouvoir ...

Il souleva le voile. Un cercueil vide apparut. Deux hommes embusqués sous la table saisirent Paolo et le couchèrent dans la bière qu’ils descendirent dans un caveau.

Toutes les nuits, à l’heure où Paolo avait égorgé son père et deux de ses frères, le justicier ouvrait la trappe du caveau et montrait au prisonnier des quartiers de sangliers. « Monseigneur est servi. » Le douzième jour, Paolo mourut de faim et de rage. Le jeune seigneur de Roccasparvièra se mit à la tête des habitants et chassa les sarrasins du village. Puis il mit le feu au château qui avait été le théâtre de tant de forfaits. Ayant ainsi vengé sa famille, il s’en alla en pèlerinage à Jérusalem.

Edmond ROSSI

D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage dédicacé de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55.

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07/11/2007

ENTRAUNES : LA BETE DU CHAUDAN

«homo homini  lupus » (l’homme est un loup pour l’homme), Plaute

Durant la guerre 39-45, la découverte du cadavre d’un malheureux accidenté dans le vallon du Chaudan, au-dessus d’Entraunes, près des sources du Var, remit en mémoire une étrange histoire qui alimentait autrefois les veillées. Ces assemblées de parents et d’amis, regroupés dans la douce chaleur de l’étable, permettaient à chaque conteur de broder habilement sur une trame souvent ressassée, pour le plus grand plaisir de l’auditoire. Voici une version de cette légende, reprise d’après une relation de René Liautaud, chantre du Val d’Entraunes. Nous étions en août, au creux de l’été 1514 lorsque j’arrivais épuisé devant le presbytère. Venant d’Arles, j’avais marché sans relâche depuis huit jours, pressé de revoir mon oncle, prêtre à Entraunes. Ce brave homme avait tout fait pour me faire étudier et m’encourageait à préparer la prêtrise. D’un coup de tête je venais de tout abandonner. Absorbé par mes pensées, soucieux de l’accueil et des reproches sévères qu’il n’allait pas manquer de m’adresser, j’avançais à grand pas sans rien voir. Après une courte hésitation, je frappais à la porte. Mon oncle apparut, je le reconnus à peine, tant son visage avait changé. De grosses rides barraient son front. Amaigri, la mine triste et le regard inquiet, il s’avança vers moi sans marquer la moindre surprise. Il m’invita simplement à rentrer et à me reposer. Trop heureux de m’en tirer à si bon compte, j’allais m’étendre jusqu’à l’heure du souper. Alors que je décidais de m’expliquer, il m’interrompit presque aussitôt : « Tu es là, as-tu fais bon voyage ? Tant mieux. Dommage que tu arrives à un pareil moment. Ici nous tremblons tous, le malheur est sur le pays. – Pourquoi ? ». Tout en mangeant, il me raconta l’objet de sa contrariété. Cela avait débuté à la fin juin, là-haut sur le chemin du Col le plus fréquenté de la région. Chaque jour, allant et venant de Colmars, bêtes et gens y circulaient, montant ou descendant tout au long des interminables lacets. Mon oncle ajouta : « Nos gens n’osent plus s’y aventurer seuls, ils soutiennent que l’endroit est ensorcelé. – Ensorcelé ? – Oui, ils estiment que le Diable s’est rendu maître du passage depuis que quatre hommes y sont morts, tous au même lieu. Quatre voyageurs solides et vigoureux ! ». L’oncle précisa que les traces de pas des malheureux indiquaient qu’ils avaient tous abandonné le sentier pour dévaler dans un grand pré pentu, finissant sans prévenir sur une falaise dominant la gorge. On n’aurait pas mieux fait si on avait voulu s’y précipiter. Tout cela me paraissait incroyable. Mon oncle poursuivit : « Pour le premier, chacun supposa qu’il s’agissait d’un accident. Prenant un raccourci le pauvre homme avait dû courir et manquer le rebord avant de s‘écraser sur les rochers au fond du vallon. Mais trois jours plus tard, un second mort fut retrouvé à moins d’un pas des traces sanglantes de l’autre ! ». C’en était trop, refusant d’écouter les sages paroles du prêtre qui prêchait le bon sens, les esprits échauffés imputèrent ces crimes au Diable et à ses maléfices. Deux semaines s’écoulèrent ainsi en vains et superstitieux bavardages. Hochant tristement la tête, l’oncle poursuivit : « J’aurais peut-être réussi à ramener le calme, mais hélas, coup sur coup deux autres infortunés chutèrent à leur tour au même endroit…Cela te semble impossible ! Pourtant, quatre déjà qui ont dégringolé dans des circonstances identiques sans raison apparente. C’est à n’y rien comprendre, s’ils avaient suivi le chemin bien tracé et en bon état, rien n’aurait pu leur arriver. Depuis et plus que jamais, le Malin a la part belle. Je n ‘en dors plus, j’en suis malade, il m’arrive même de douter. Pour un prêtre c’est un comble ! ». Le jour suivant, je m’étais assoupi à l’heure chaude, en feuilletant un vieux traité sur l’exorcisme, je fus réveillé par des éclats de voix. Deux villageois venaient prévenir mon oncle : un nouveau corps avait été aperçu dans le vallon maudit, toujours au même endroit. Très vite, nous nous sommes retrouvés quelques-uns, franchissant le passage de la Porte. Personne ne parlait. Plus que jamais, chacun rasait le rocher. Le grand Césaire qui ouvrait la marche, semblait hésitant, l’oncle le dépassa, je le suivis. Brusquement, je vis le cadavre tout en bas, au fond d’une cuvette creusée par les eaux dans les marnes grises. Quelqu’un sembla reconnaître une femme. Malgré l’absence de touffes de genêts ou de buis pour nous accrocher, nous nous sommes lancés dans la pente raide. C’était Amélie Giloux, la nièce d’Angelin de la Frache, une jeune et jolie fille en âge de se marier qui était placée chez le notaire de Colmars. Personne raisonnable et pieuse, habituée des lieux, elle ne pouvait s’être suicidée à la veille de ses noces et encore moins avoir un accident en pareil endroit. Alors plus que jamais, on reparla du Diable. Comme mon oncle s’approchait du corps mutilé pour dire quelques prières avant de l’emporter, on remarqua une longue entaille marquant le cou, de la nuque à la gorge. « Elle a été attaquée et blessée avec un couteau », remarqua quelqu’un. « Elle s’est même défendue », ajouta un autre en retirant une poignée de poils roux des doigts recroquevillés de la pauvre morte. « On croirait des poils de loup ! ». En un sens ces constatations macabres nous rassuraient. Si Amélie s’était battue contre quelque chose de vivant, une sorte de monstre velu qui pouvait se toucher et s’attraper, la menace ne venait plus d’un insaisissable sortilège du Malin. Le soir même, baile et consuls réunis, décidèrent d’organiser de vastes battues aux alentours, depuis le vallon du Bourguet en passant par le Drouit et, de là, vers le Col, la Bouisse jusqu’à l’Aiglières. Les trois jours suivants, tous les hommes valides d’Entraunes, accompagnés des meilleurs chiens de chasse, visitèrent chaque recoin de la montagne sans aucun résultat. Il fallait se rendre à l’évidence, la bête se méfiait et paraissait douée d’astuce et de jugement, n’attaquant qu’à coup sûr, comme le prouvait le sort de ses malheureuses victimes. Aussi semblait-il impossible de la démasquer. Mon oncle me confia qu’il pouvait s’agir d’un loup-garou, moitié homme, moitié animal, comme il en avait entendu parler lorsqu’il débutait jeune prêtre dans les monts du Vivarais. « Ces sortes d’êtres sont insaisissables, car ils peuvent revêtir plusieurs aspects selon les circonstances…Nous n’en avons jamais rencontré par ici, mais qu’envisager d’autre ? ». Décidé comme lui à éclaircir ce mystère, je lui proposais mon idée : « Ici, je suis peu connu et puisqu’il semble en vouloir particulièrement aux voyageurs étrangers, je vais essayer de le débusquer. Etant prévenu du danger et suffisamment alerte, je saurai me défendre mieux qu’un autre ». Deux jours plus tard, après avoir quitté les dernières maisons du village, j’attaquais, appuyé sur un bâton, la rude montée qui mène au Col. Au-delà du passage de la Porte, je ne pus m’empêcher de penser à ceux qui avaient emprunté ce même chemin avant d’être précipités au fond de l’abîme. Attentif au moindre bruit suspect, observant chaque buisson qui pouvait cacher une menace, j’avançais d’un pas rapide, le cœur palpitant. Seul, gagné par la peur, je dus me raisonner plusieurs fois pour ne pas abandonner et faire demi-tour. Après avoir dépassé ces lieux funestes, une autre crainte m’assaillit : et si j’étais suivi ? Alors je pressais encore le pas, si bien que je parvint épuisé au sommet du Col ! Je m’assis enfin pour reprendre mon souffle et j’en profitais pour dénouer le carré de toile qui contenait un morceau de tome et une tranche de pain. Le soleil inondait déjà les crêtes de ses chauds rayons, seule une brume légère couvrait encore le fond de la vallée. Cette courte pause casse-croûte me permit de retrouver mes esprits. Je repartis à travers les prairies qui bordent le Col. Rassuré, je vis bientôt un important troupeau de moutons gardé par un grand escogriffe barbu et deux chiens noirs. Accueilli et escorté par des aboiements rageurs difficilement apaisés, je saluais l’homme qui s’enquit de savoir qui j’étais : « Je suis le neveu du curé, il m’envoie à Colmars pour y chercher quelques médecines…– Bon voyage ! Et retournez avant la nuit, les chemins sont peu sûrs ces temps-ci et moi-même, j’aurais peur sans mes chiens. ». Après l’avoir quitté, j’abordais le col frontière où commençait la descente sur le versant du Verdon à travers la forêt de sapins et de mélèzes. Au milieu de l’après-midi, je remontais, ragaillardi par un déjeuner dans une bonne auberge où j’avais plaisanté avec quelques jeunes qui m’avaient fait oublier le motif de mon voyage. Parvenu au Col, je ne retrouvais plus le troupeau et son berger qui s’était sans doute déplacé vers Chastelonnette. Le soleil baissait et l’ombre gagnait déjà le fond de la vallée. Je hâtais le pas pour arriver avant le crépuscule au passage dangereux. Me sentant léger, je descendais rapidement, coupant les lacets du sentier à travers prés et talus. Dévalant de la sorte, j’atteignis très vite le lieu maudit. Parvenu là, je m’arrêtais anxieux, pendant un long moment pour récupérer mon souffle. Attentif à ce qui pouvait se produire, je me remis en route, en suivant prudemment le chemin. Prêt à toute éventualité, sans quitter mon bâton ferré, je pris mon poignard dans l’autre main. J’avançais lentement, scrutant chaque buisson. Bientôt, je fus arrêté par un étrange barrage constitué de fagots de bois sec coupant le chemin sur une cinquantaine de pas. Curieux ? L’obstacle n’était pas là le matin et, pour l’éviter, il ne me restait plus qu’à descendre droit vers la pente, pour reprendre le sentier plus bas. En quelques enjambées dans la pierraille, j’atteignis mon but. J’allais repartir lorsqu’une énorme bête déboula de sa tanière. Epouvanté, je trébuchais contre une motte d’herbe, me redressant tout aussitôt pour m’enfuir devant l’animal qui, déjà me talonnait. Bondissant en courant, je descendais toujours plus vite pour échapper à la bête, oubliant l’autre danger tout aussi terrifiant : le précipice ! Je réalisais soudain que j’allais parvenir au saut de la mort. J’étais perdu, j’entendais la respiration sifflante du monstre. Les jambes coupées par la peur, je vacillais et perdis l’équilibre roulant déjà vers l’abîme. Dans un ultime sursaut, je plantais mon bâton et me remis sur pieds. Surpris dans sa course, l’autre me dépassa pour s’arrêter plus bas avec difficulté. En un clin d’œil, la situation s’inversait. Armé de mon poignard, je dominais l’énorme bête couverte d’une abondante fourrure rousse. Je remarquais sa grosse tête de loup, sans rapport avec la longueur et le volume de ses pattes. Malgré son aspect inquiétant, ce n’était pas une mauvaise bête, je compris vite que l’horrible accoutrement ne cachait qu’un homme. Cette découverte me rassura, si sa stature était imposante, j’avais l’avantage de la position. Je l’interpellais en m’avançant vers lui. Il resta muet debout sur ces pattes. D’un bond, il plongea dans mes jambes, me renversant sur le sol, j’eus le réflexe de frapper avec mon poignard qui s’enfonça dans l’épaisse fourrure. Le monstre poussa un cri de douleur. Il essaya de m’écraser de tout son poids, je n’arrivais plus à me dégager. Encore une fois, je réussis à plonger la lame dans la masse qui m’étouffait. Entravé dans sa fourrure, soufflant de plus en plus fort, perdant son sang, soudain il se redressa pour s’enfuir. J’essayais de le retenir mais, épuisé, haletant, je suis retombé. A demi-inconscient, j’entendis alors des éclats de voix et je vis sortir d’un peu partout des hommes armés, parmi lesquels je reconnus mon oncle. Déconcerté par cette apparition, le monstre s’élança vers le bas du champ, d’où il sauta sans hésiter dans le gouffre. Lorsque je me suis réveillé dans ma chambre, mon oncle assis près de la fenêtre, lisait son bréviaire. M’entendant bouger, il s’approcha : « Mon pauvre enfant, tu m’as fait peur. Heureusement que nous avions tout combiné avec le baile. Depuis le midi, nous étions tous accroupis dans les buissons au-dessus du chemin. C’est là que nous avons vu le berger barrer le passage avec du bois, nous avons alors compris le piège et ses  intentions. Si nous étions intervenus, il aurait prétendu vouloir arrêter ses bêtes. Nous avons donc attendu son retour. Lui seul avait le temps de mettre chaque fois un barrage et de se tenir à l’affût des malheureux. Tu ne peux imaginer le souci que je me faisais en te voyant descendre le sentier et après quand je l’ai vu t’attaquer !  – Crois moi j’ai cru mon dernier moment arriver ! » Dis-je en riant. «  Mais pourquoi tous ces crimes inutiles ? – Vas savoir ce qui peut traverser l’esprit d’un homme solitaire, perdu dans la montagne ! …Mais j’ai mon idée. Nous en reparlerons demain après l’enterrement », murmura mon oncle en se levant. La cérémonie rassembla tout le village. L’inquiétude persistait encore quand on eut enterré le pâtre au fond du cimetière dans le carré des hérétiques, des mort-nés et des suicidés. La foule commentait encore  ces événements troublants en voyant dans le défunt un serviteur patenté du Démon. Lorsque nous fûmes de retour au presbytère, mon oncle m’entraîna à l’écart dans son jardin, loin des oreilles indiscrètes. Parvenu sous le grand mûrier il me confia : « Pendant la longue attente de ton retour, là-haut sur le chemin, j’ai eu tout le temps de réfléchir. Cet homme ne tuait pas pour voler, il n’agissait pas davantage par vengeance puisque ses victimes étaient presque toutes  étrangères au pays. Quel dessein pouvait alors animer son comportement ? Le plaisir de tuer d’un être sans divertissement ? Et pourquoi dans ce lieu déjà nommé le « Saut du Diable » ? Je me suis souvenu que mon père racontait qu’au temps jadis, le vallon du Chaudan servait de lieu de culte aux populations primitives qui peuplaient la vallée. Pour apaiser les forces occultes de la nature, chaque année, au solstice d’été, on y sacrifiait d’innocentes créatures en les précipitant dans le vide. Notre sainte religion a heureusement mis un terme à ces mœurs barbares, nées du paganisme des premiers âges. Vois-tu ce berger inculte n’a fait que reprendre, en digne serviteur de l’obscurantisme, les pratiques d’un temps où le Malin  régnait en maître sur les consciences. – Au fond, ajoutais-je, « Le Saut du Diable » mérite toujours son nom.                          

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