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21/12/2006

RENCONTRE AVEC LE LOUP DANS LA VALLEE DE LA VESUBIE

LE MULETIER DE LANTOSQUE

  La route qui reliait la côte niçoise au Piémont avant le XVI ème siècle passait par la tortueuse vallée de la Vésubie, avant d'escalader les cols de Cerise ou de la Madone de Fenêtre à quelques 2500 mètres. Voie capitale puisqu'elle réunissait les terres alpines et maritimes de la maison de Savoie.

Le transport s 'y pratiquait à dos de mulets par des sentiers vertigineux, pendant les seuls mois de l'année où la neige n'obstruait pas les cols. Parmi les denrées acheminées, le sel, substance rare et contingentée, constituait une part essentielle du trafic, d'où le nom donné à cette route.

Un après midi de novembre, Félicien Borriglione, muletier de Lantosque, revenait d'Entracque par le vallon de Fenestre lorsqu'il fut pris par la tourmente.

Très vite, 1'homme et la bête, aveuglés, s'enfoncèrent dans la neige épaisse qui s'accumulait sous leurs pas. Bientôt le ciel d'un noir d'encre vira à la nuit. Dans l'obscurité, arc-bouté sous l'assaut des rafales chargées de neige, le muletier tirant son animal par la bride chercha refuge au pied d'un gros mélèze solitaire. Piètre abri, car l'arbre déjà privé de ses aiguilles n'offrait comme seule protection que ses branches dénudées qui ralentissaient tout de même la chute de la neige. Enroulé dans une toile de sac, fataliste, Félicien s'installa dans l'attente. Au milieu de la nuit une courte accalmie le décida à rassembler quelques brindilles sèches qu'il réussit à allumer. Revigoré par les flammes 1 'homme, après avoir dégagé son mulet, entreprit avec une torche de résineux de reprendre la descente vers St Martin. Alors qu'il se remettait à marcher s'enfonçant jusqu'à la taille, en poussant des «Hue! Dia!» rageurs, tous deux glissèrent soudain dans la pente en roulant sous l'avalanche provoquée par l'instabilité de la neige. Nageant, au bord de l'asphyxie, il réussit à émerger de la masse blanche cherchant aussitôt à dégager son compagnon à demi enfoui. Pour ce dernier il était malheureusement trop tard, renversé, pattes en l'air, l'animal était mort étouffé.

Maintenant il faisait jour, une clarté laiteuse descendait du gris du ciel. Décidé à sortir de ce naufrage, Borriglione, les jambes entourées dans des morceaux de toile fixés par des bouts de ficelle, progressait à nouveau à pas comptés. Après deux heures il repérait le toit de la cabane du Devensé qu'il rejoignait en jouant des bras et des jambes. De nouveau la neige s'était mise à tomber effaçant partiellement les traces du malheureux Félicien épuisé par l'effort. A l'abri, I 'homme s'écroula dans le foin et s'endormit. Lorsqu'il se réveilla tard dans le milieu de la journée, l'estomac tiraillé par la faim, une couche de deux pans de neige s'était accumulée devant la porte. Le silence blanc étouffait tout. Un calme étrange régnait, rompu parfois par la chute d'un paquet de neige tombant des branches d'un arbre.

Félicien fit le point. Il n'était pas question de repartir sans avoir mangé quelque chose, comme il n'avait plus rien, après avoir avalé la veille le morceau de pain et les deux tranches de tomme qu'il portait sur lui, il ne restait qu'une seule ressource: son mulet! C'est ainsi qu'il rebroussa chemin pour parvenir au pied de l'avalanche. Quelle ne fut pas alors sa surprise de constater qu'il avait été précédé sur les lieux par une meute de loups s'acharnant à dépecer la dépouille de la bête de somme.

Si, à son approche, certains s'enfuirent vers la forêt en traînant un quartier de viande, un seul resta sur place en grondant, décidé à ne pas lâcher sa proie, c'était une femelle. Il fallait partager avec elle !

Félicien sortant son couteau, le bâton dans l'autre main, s'avança vers l'animal en lui parlant :«Oh là ma toute belle! Tu ne vas pas me laisser à l'écart du festin, il est un peu à moi ce mulet ! ».

L'autre observait en retroussant ses babines sanglantes, s'efforçant d'interpréter les intentions de l 'homme. A demi rassurée elle poursuivit son repas en grognant, un oeil sur l'adversaire. «Ecoute on va s'arranger, si tu veux, un morceau chacun d'accord ?». La bête baissa les oreilles tout en mâchonnant dans la neige souillée de sang, puis recula permettant au muletier de découper une partie de la carcasse. Ensuite Félicien respecta le pacte tacite prenant une part et lançant l'autre au fauve: «Un morceau à toi, un morceau à moi».

La louve assise suivait les gestes du muletier attrapant chaque fois avec vivacité le morceau qui lui était destiné. La scène se poursuivit pendant un long moment. Lorsque l’homme se leva et rebroussa chemin, sa besace bien remplie, la bête fit quelques pas pour l'accompagner, avant de se résoudre à rejoindre les siens.

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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18/12/2006

LA LEGENDE DE ROLAND A NICE

LE SORTILEGE DU VALLON OBSCUR

Au Nord de l’agglomération niçoise, à l’extrémité du quartier Saint Sylvestre, s’ouvre une gorge profonde et étroite qui passe à juste titre pour une remarquable curiosité naturelle.

Lorsqu’on parcourt ce site à pied sec, il n’y coule qu’un mince filet d’eau, le jour ne s’entrevoit qu’au sommet resserré des parois. Ces murailles géantes sont tapissées de lichens et de capillaires diaphanes, adaptés à l’humidité ambiante et à l’absence de lumière.

Ce lieu solitaire et sauvage, d’une mystérieuse beauté est connu sous le nom de « Vallon obscur ».

Après avoir subi les invasions barbares, les Alpes-Maritimes s’étaient placées sous la domination franque, espérant enfin pouvoir connaître une ère de paix et de prospérité. Mais d’autres redoutables ennemis vinrent troubler leur quiétude. Battus par Charles Martel, les Maures se replient en Provence et brûlent Cimiez et Lérins en 734.

Les raids sarrasins se poursuivent sur la Provence et Nice en 813. La période la plus terrible se situera entre 884 et 972 où les Infidèles s’installent à Saint Jean Cap Ferrat (le Petit-Fraxinet) et Eze. De là, ils ravageront toute la région : Nice, Cimiez, La Turbie, Vence. C’est au début de cette période trouble en 777 que se situe la visite de l’Empereur Charlemagne à Nice.

Venant de Rome où l’avait appelé le Pape Adrien, menacé par les Lombards, l’Empereur se rendait en Espagne pour y accomplir sa campagne mémorable qui s’achèvera par le désastre de Roncevaux et la mort de Roland. Cette entreprise visait à purger la Provence et les contrées ibériques de la présence et du joug pesant des Sarrasins. Menée comme une véritable guerre sainte, elle s’appuyait à Nice sur un brillant capitaine Guido Guerra de Vintimille et son fils Odon.

A l’occasion de son passage, Charlemagne logeait à l’abbaye de Saint Pons, alors que l’armée franque campait à l’extérieur des murs de la ville.

Un soir, Guido Guerra invita sous sa tente les douze pairs et les nobles niçois à un festin d’apparat. A cette occasion, une troupe de saltimbanques, prétendant venir de Sicile, sollicita l’honneur de se produire devant les convives. Le Comte de Vintimille y consentit volontiers pour divertir ses hôtes.

Les jongleurs, équilibristes et musiciens rivalisèrent de prouesses, jusqu’à ce qu’un étrange troubadour entreprit de bercer les convives en chantant une douce mélopée rythmée par un curieux instrument à cordes.

Les paroles en langue d’oc évoquaient avec mélancolie les malheurs d’une infortunée princesse, victime d’un affreux génie, qui l’avait attachée avec ses propres cheveux dans une caverne profonde dont nul ne connaissait la place. Pour la libérer, il fallut qu’un courageux chevalier se munisse d’un puissant talisman pour parvenir jusqu’à sa prison.

Toute l’assistance se laissait captiver par ce récit lorsque soudain des bruits confus entremêlés de clameurs retentirent. Les Sarrasins attaquaient le camp. Entraînés par le fougueux Roland, les chevaliers se précipitèrent, lançant leur célèbre cri de guerre : « Montjoie et Charlemagne ! ».

Alors qu’il quittait la tente, Roland vit une ombre se dresser face à lui et reçut un violent coup d’estoc. Le coup homicide s’amortit sans dommage sur sa côte de mailles, le preux chevalier eut juste le temps de reconnaître le chanteur sicilien, avant de le voir s’écrouler, le crâne fendu par la francisque d’Olivier.

En effet, la troupe d’artistes siciliens n’était qu’une escouade de sarrasins déguisés qui, par cette ruse, avait réussi à investir le camp. La riposte vigoureuse des Francs écarta le péril ; très vite, les ennemis s’enfuirent en débandade, abandonnant sur place morts et blessés.

Acharné dans la poursuite des fuyards, Roland se retrouva bientôt isolé dans la nuit, à l’écart de la troupe. Las, perdu dans la campagne, il replaça sa chère Durandal dans son fourreau, s’allongea sur l’herbe et portant son regard vers la voûte étoilée, il décida de s’endormir jusqu’au lever du jour.

Il venait juste d’abaisser ses paupières, qu’une voix douce troubla le silence de la nuit. Prêtant l’oreille, il reconnut distinctement en écho le refrain de la chanson interprétée par le perfide troubadour :

« Dedans sa prison souterraine

Iseult la belle se morfond,

Bon chevalier finit sa peine,

Amour et gloire en sortiront. »

La litanie, inlassablement reprise, résonnait dans la tête du malheureux Roland, tout autre que lui se serait effrayé d’être l’objet d’un pareil sortilège. Se préparant à affronter quelque diable malicieux, le preux chevalier saisit sa merveilleuse épée qu’il fit tournoyer dans les airs au-dessus de sa tête. L’arme étincelante dessina une large auréole lumineuse, lui permettant de découvrir et reconnaître la contrée.

Une colline, détachée d’une montagne plus importante, masquait l’horizon, la voix parvenait du côté opposé, dominé par cette proéminence.

Roland s’avança dans sa direction, grimpa au sommet pour parcourir l’autre versant, il s’aperçut alors que l’étrange voix lui parvenait du lieu qu’il avait quitté !

Il retourna ainsi plusieurs fois sur ses pas, exaspéré par l’implacable voix, répétant sans répit son agaçant refrain comme une ironique et provocante bravade.

Pris enfin d’une rage impuissante, Roland se saisit à deux mains de sa lourde épée pour en asséner un coup magistral du tranchant sur le bord de la colline.

Un terrible et fulgurant éclair s’ensuivit, la terre trembla dans ses profondeurs, alors qu’un craquement ébranla le sol et qu’une fracture s’ouvrit, laissant échapper des entrailles de la terre un puissant cri de délivrance.

Une profonde galerie, éclairée par une inexplicable lueur phosphorescente, s’offrait à la curiosité du preux chevalier qui s’y engagea hardiment.

Avançant dans cet antre où régnait une odeur putride, il piétina d’horribles créatures croupissant infectes dans leur bave, il heurta d’effrayants volatiles affolés, battant l’air de leurs ailes glacées, croisa des reptiles repoussants accrochés aux parois, toute une faune agressive, emmêlées dans cet infernal vestibule, sifflant et soufflant leur haine gueule ouverte, sans réussir à amoindrir son courage.

Puis, sans raison, comme par enchantement, la faible lueur s’éteignit, plongeant ce corridor de l’horreur dans la nuit totale. Simultanément, les flancs de la montagne se resserrèrent sur Roland, assailli de plus par une grêle de pierres. S’estimant à nouveau victime d’une ruse des Sarrasins, il hurla : « Ah ! Sorciers maudits, que ne sommes nous face à face ! Vous n’auriez pas si facilement raison de moi ! ».

Il s’agenouilla, serrant tout contre lui sa chère Durandal et attendit résigné que vienne la mort. Mais l’affreux piège l’épargna, les parois s’immobilisèrent, comme stoppées par quelque miracle. Roland s’était abandonné au sommeil, il ne fut réveillé que le lendemain par le son du cor d’Olivier parti à sa recherche.

Extrait du fond de l’abîme, il raconta son étrange équipée à son compagnon d’arme et voulut lui faire visiter le fantastique défilé. Mais Roland et son inséparable épée, véritable talisman, avaient brisé le sortilège. A sa grande surprise, là où il n’ avait vu que reptiles hideux et monstres repoussants, ils n’aperçurent plus que des touffes légères et gracieuses de cette plante délicate, baptisée capillaire par les botanistes et cheveux de Vénus par les poètes. L’infortunée princesse s’était dissipée ne laissant là que ces seuls indices.

D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage dédicacé de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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12/12/2006

LE DIABLE INTERVIENT A L'ESCARENE AU NORD DE NICE

A L’ESCARENE : LE DIABLE CHEZ

 LES « COUPEURS DE BOURSES » 

Au nord de Nice, l’Escarène bourg fortifié, sur l’ancienne « Route Royale », connut son heure de gloire au XVII ème siècle lorsque transitait entre Nice et Turin toutes sortes de marchandises, en particulier le sel, transporté surtout à dos de mulet. 30000 y circulaient parfois en même temps, pour acheminer vers les bourgades alpines «la plus noble des nourritures » selon Plutarque, récoltée dans les salines d’Hyères ou d’Istres et débarquée aux ports de Nice et de Villefranche.

Les gens de l’Escarène auraient, selon la légende, joué un bon tour au Diable qui, un soir, débarqua en anonyme voyageur dans leur bourgade. Pourquoi cette visite dans un village si tranquille ?

Lucifer avait rencontré en Enfer bon nombre d’ « Escarenenscs » venus y expier leurs forfaits.

Aussi décida-il d’aller y voir de plus près. En effet étape importante et indispensable sur la route de Tende entre le col de Nice et celui de Braus, l’Escarène voyait défiler chaque jour voyageurs, pèlerins, marchands et notables de toute sorte, circulant entre Nice et Turin.

Nés de cette nécessité, les services fournis sur place dépassaient souvent par leur prix les normes en usage. Aubergistes, maréchaux-ferrants, bourreliers, charrons profitaient tous de la rente de situation constituée par cette halte privilégiée, pour étriller le client.

Très vite le renom de «tailla-boursa » (coupeur de bourse) dépassa les frontières. Ils ne devaient pas l’emporter au paradis, à la grande satisfaction du Malin !

Sitôt descendu de la diligence, Lucifer s’était dirigé à «l’Auberge de l’Ecu d’or », tenue par « Maistre » Barelli. Très à l’aise dans cette chaude ambiance, le Diable provoqua de bruyantes parties à «l’amora » défiant muletiers et cochers. Passionnés, les malheureux finirent par se mesurer en s’empoignant par le col. Il faut dire que le repas avait été copieux et bien arrosé. Satisfait du trouble produit, il demanda après avoir commandé une dernière tournée, à regagner sa chambre.

C’est alors qu’il remarqua, tout excité, la jeune et jolie servante, la bien nommée Patchoulette. Après l’avoir lutinée, il lui murmura à l’oreille des propos à faire rougir un diable !

Grimpant à l’étage, celle-ci qui en avait entendu d’autres, suivait son hôte dans les escaliers une bougie à la main. Quelle ne fut pas alors sa stupeur en voyant dépasser de la houppelande de l’entreprenant personnage une queue poilue qui semblait en dire long sur ses intentions. Tremblante d’émotion, Patchoulette réussit tout de même à trouver le trou de la serrure et ouvrir la porte de la chambre. Puis prétextant qu’elle avait oublié de bassiner le lit, elle s’esquiva en promettant à Lucifer tout échauffé de revenir aussitôt. En un éclair, la découverte de la servante fit le tour des cuisines et du cabaret. « Maistre » Barelli, homme avisé, la rassura : un homme normalement constitué ne pouvait posséder un tel appendice, pas de doute c’était bien le Diable en personne ! On court réveiller le curé. Mais, déjà, l’aubergiste a son idée. Un client comme celui-là qui savait si bien faire  tinter ses pièces d’or en commandant son vin, n’allait pas lui échapper si vite. Un peu sorcière, sa femme prépara en un tour de main une infusion détonnante de fleurs de belladone et de digitale dans un vin chaud propre à terrasser un bœuf.

Barelli montant avec son bol fumant jusqu’à la chambre, apaisa son hôte, qu’il  ne s’impatiente pas, Patchoulette s’apprêtait, elle n’allait pas tarder. Ses soupçons se confirmèrent quand il vit l’autre avaler d’un trait le breuvage brûlant, c’était bien le Diable !

Bientôt assommé par la préparation soporifique qui avait déjà servi en d’autres occasions, Lucifer s’endormit, ronflant, allongé en travers du lit. Il ne restait plus qu’à lui voler sa bourse, c’est ce que fit lestement l’aubergiste. Lorsque le curé parvint enfin à l’auberge, encadré de ses deux enfants de chœur ensommeillés, il put à souhait asperger le Diable d’eau bénite. Sous l’effet de la sainte douche, Lucifer s’éveilla et se tordit de douleur. Sautant par la fenêtre en hurlant, il s’enfuit à toute jambe vers le col de Nice. « Vade retro Satanas ! » lui lança encore le prêtre.

Après cet épisode, il ne réapparut plus à l’Escarène, mais à Berre quelques jours plus tard. Mais ceci est une autre Histoire…

 D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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