14/08/2009
LE LOUP ET L’ÉGLISE: CROYANCES ET POUVOIRS MAGIQUES
Selon le pape Paul VII,. il existait dans les temps anciens de sulfureuses prières destinées à se protéger des loups, ce qui offusquaient fort l’Eglise. Voici l’une d’elles :
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, loups et louves, je vous conjure et charme, je vous conjure au nom de la très-sainte et sur-sainte, comme Notre-Dame fut enceinte, que vous n'ayez à prendre, ni écarter, aucune bête de mon troupeau, soit agneau, soit mouton, ni leur porter tort.
Loup, louve et louvinet, je te conjure de la part du Dieu vivant. Tu n'auras aucun pouvoir sur moi ni sur mes bêtes pas plus que le Grand Diable n'en a sur les prêtres, lors qu'ils donnent la messe. Que le bon saint Georges te ferme la gorge. Que le bon saint Jean te casse les dents.
Après avoir crié ces néfastes abjurations, les bonnes gens n'oubliaient pas de réciter les patenôtres suivantes, uniquement au lever du soleil.
Sainte Agathe, liez-lui les pattes,
Saint Remo, serrez-lui les boyaux,
Saint Gesippe, serrez-lui les tripes,
Saint Grégoire, serrez-lui la mâchoire,
Saint Loup, tordez-lui le cou
Après ces invectives, difficile au loup de ne pas vivre caché au plus profond des bois afin d'éviter la mise en oeuvre de semblables menaces et malédictions.
Ainsi, les bons croyants pensaient se libérer quelque peu du poids de leurs écrasants fardeaux de vieilles terreurs, en apostrophant les loups pour en écarter la menace.
En les accusant d'être des mécréants de la pire espèce, les églises chrétiennes ont avili les loups, à défaut de les détruire intégralement, en leur forgeant une détestable renommée.
A contre-courant de cette infâme manœuvre, on découvre parfois des témoignages réputés véridiques. Aussi des anecdotes romanesques émanant de saints ou de nobles personnages qui ont en commun de ne pas avoir été en parfaite odeur de sainteté, épisodiquement ou constamment, durant leur existence. Certains ont même exhalé une forte odeur de soufre et n'ont été réhabilités que d'extrême justesse.
Ainsi la filleule de Louis XI, Jeanne Laisne qui allait devenir célèbre sous le nom de Jeanne Hachette, tomba dans une embuscade tendue par le duc de Bourgogne, elle en fut sauvée par les loups...
En 1472, elle se vengea du duc, au siège de Beauvais. Charles le Téméraire, lui, périt devant Nancy et fut en retour, justement dévoré par les loups.
Saint Colomban, au terme d'un long voyage, s'arrêta à Luxeuil, où il fonda un monastère au VI siècle, pour s'y retirer. On dit qu'il se fraya un passage au milieu des loups qui étaient très nombreux en cet endroit sauvage. Au lieu de se montrer fort méchants et fort mécréants, ceux-ci se changèrent en dévoués auxiliaires de la Foi.
Au VII siècle, c'est St Déodat qui arriva dans les Vosges, dévastées par de nombreuses invasions. Il n'y avait âme qui vive en cette contrée. Ce furent les loups qui lui apportèrent, jour après jour, sa pitance.
St Florent, à la même époque, mais à Strasbourg, apprivoisa les loups qui saccageaient les potagers, conclut un accord avec eux, comme St -François avec le loup de Gubbio et en fit ses gardiens afin de préserver sa retraite.
Vers l'an mil, St Odon, attaqué dit-on par des renards, aurait été sauvé par des loups.
Mais d'autres saints hommes n'hésitèrent pas à faire accomplir aux loups toutes sortes de besognes.
Saint Gentius laboura curieusement ses champs. On rapporte qu'aux côtés d'un bœuf, un loup tirait bravement la charrue.
Saint-Malo ayant eu son âne dévoré par des loups, entreprit de convaincre un de ceux-ci pour remplacer le pauvre domestique. Ce que le loup fit pendant bien des années, fort fidèlement.
Saint Norbert obligea un loup à relâcher et à épargner sa proie, une gentille brebis jeune et appétissante. Pour le punir d'avoir voulu la croquer, il le força à veiller sur elle... Edifiant n'est-ce pas ?
En dépit de ces charitables exceptions aux tortures et aux tueries, l'Eglise condamne de plus belle l'animal le plus diabolique de la création : le moins enclin, prétend-elle, à la contrition parmi toutes les créatures terrestres. Elle tance, révoque, exclut les esprits faibles ou pervers qui s'évertuent à conduire le loup au repentir et au rachat des fautes commises ou, sur le point de l'être.
Décidément, malgré ses contradictions, I'Eglise s'en tire toujours à son avantage... Bien entendu aux dépens des autres.
On ne peut que se perdre en conjectures devant le fatras mystificateur élaboré par l'Eglise pour nier l'évidence de l'âme animale. Certains théologiens et philosophes ont voulu restreindre l'intelligence et l'affectivité non-humaines, au simple instinct. En contestant le "droit à l'âme" des animaux, ils ont ouvert la porte à tous les débordements, toutes les violences criminelles. Si l'animal n'est qu'un objet, les pires atrocités deviennent licites, de la vivisection aux combats de coqs armés de lames de rasoir. Les horreurs des arènes romaines ou espagnoles où seul le trépas apporte la délivrance, nous le démontrent encore, hélas ! N'est-il pas significatif de voir le torero revêtu de son habit de lumière, faire le signe de croix avant de pénétrer dans l'amphithéâtre ? Ce signe est révélateur de la responsabilité de l'Eglise envers les animaux suppliciés.
Descartes conçut péniblement une théorie absurde qui assimilait les animaux à des machines. Une grande partie du clergé et de la noblesse suivit aveuglément la thèse du nouveau maître à penser et se livra à des pratiques abominables sur les animaux. il ne faut pas oublier que les impitoyables jansénistes, du fond de leur monastère de Port-Royal, furent les ancêtres de nos vivisecteurs.
En assurant que les animaux étaient dépourvus d'âme et n'étaient que des sortes d'automates, Descartes coupa définitivement les ponts entre l'homme occidental et la Nature. L'animal pouvait être livré à la géhenne. S'il faisait preuve d'intelligence ou de sentiments, il ne pouvait s'agir que de satanisme.
On ne compte plus les procès d'animaux intentés par l'Eglise. Procès qui se terminaient toujours par des condamnations aux tourments du feu, de l'écartèlement ou de la pendaison.
C'est une curieuse histoire que celle de Saint-Hubert. Un jour qu'il se livrait à son plaisir favori, la chasse, ce jeune débauché, issu d'une riche famille d'Aquitaine, aurait vu une croix lumineuse, briller sur l'animal qu'il allait tuer. Le choc fut tel que le chasseur féroce se transforma en brebis et se convertit séance tenante.
D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55
Le loup est de retour en France et plus exactement près de nous, dans le Parc du Mercantour et les Alpes du Sud.
Ce « grand méchant loup », cauchemar de nos nuits d’enfant, traînant dans la mémoire collective des générations de « mères-grand » et de « chaperons » dévorés tout cru, revient cette fois sur notre territoire nanti du statut intouchable d’espèce protégée par le Conseil National de la protection de la nature et la Convention de Berne.
Réhabilité et qualifié de « prédateur indispensable à la chaîne alimentaire et aux rétablissements des équilibres naturels », le voici blanchi de tous ses crimes passés et à venir et toléré aux portes de nos villages.
L’homme encore une fois a décidé du destin de la bête avec sa propre logique.
Pourtant, les souvenirs laissés dans la mémoire de nos aïeux ne sont pas tendres et méritent qu’on s’y arrête.
Les Alpes Maritimes ou « Pays d’Azur », nées de la rencontre des Alpes et de la Provence, offrent un cadre exceptionnel fait de vallées aux forêts sauvages et de villages perchés aux traditions vivaces.
Edmond Rossi, auteur niçois de différents ouvrages sur le passé et mémoire de sa région, présente ici une trentaine de récits recueillis dans les annales de la Provence orientale et du Comté de Nice.
Témoignages authentifiés touchants de vérité, ces textes évoquent les péripéties du loup, dans ce vaste territoire.
Parfois issus d’une tradition orale qui se perpétuait jadis aux veillées, ces contes portaient le plus souvent sur des faits réels, auxquels nos anciens se trouvaient mêlés.
Partons sur la piste mystérieuse de ce grand perturbateur que l’imagination populaire a toujours travesti familièrement de ses propres fantasmes.
A travers les « Histoires de loups au Pays d’Azur » retrouvez les contes de jadis, cette vieille magie des mots qui vous emmène au pays du rêve et de l’insolite.
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26/07/2009
SAORGE : LE DISPARU DU VAL D’ENFER
Cette année, pour la première fois, le jeune Vincent se voyait confier la charge du troupeau familial. C’est lui qui conduirait et garderait les bêtes là-haut à l’alpage pendant l’été.
Avant son départ, il avait été l’objet de mille recommandations de la part de son père.
Les vieux de Saorge qui connaissaient bien les redoutables dangers du Val d’Enfer, lui avaient conseillé d’éviter à tout prix la tentation de faire paître le troupeau sur ces terres maudites : « Ne passe pas les crêtes, tiens-toi toujours sur le versant du Caïros, sinon il pourrait t’arriver malheur ! ».
Les semaines passèrent. Un jour, négligeant toutes ces mises en garde, Vincent en jugea autrement.
Au début de l’après-midi, après avoir grassement nourri ses bêtes sur ces terres maudites, fier de lui, il entreprit de diriger son troupeau vers un lac pour qu’il se désaltère avant le retour. Il n’avait pas remarquer quelques nuages accrochés sur les cimes, annonciateurs du mauvais temps.
Bientôt les choses se précipitèrent. Très vite les nuées s’amoncelèrent sur le sommet du Bégo, obscurcissant la vallée. Alors éclata un terrible orage, éclairs fulgurants, coups de tonnerre répercutés en échos par la montagne, pluie torrentielle.
Subitement, le « menoun » (bélier meneur), saisi par la panique, court se précipiter dans les eaux profondes du lac, entraînant avec lui la totalité des bêtes qui s’y noient.
Cris, aboiements du chien, Vincent tente de s’opposer à la folie suicidaire de l’animal devenu la proie d’un étrange maléfice.
Bousculé, entraîné loin de la rive, le pauvre pâtre perd pied et s’engloutit lui aussi dans les eaux sombres et glacées du lac.
Depuis ce funeste événement, le lac a conservé le nom de l’origine du jeune imprudent : « le lac Saorgino ».
D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55
Où mieux rencontrer le Diable que dans les Alpes Maritimes, sur ces terres chargées de contrastes où s’opposent mer et montagne, au carrefour de la Provence et de l’Italie ?
Ici, le Diable est aussi à l’aise sur la Côte d’Azur où s’étalent d’outrageantes richesses que vers l’intérieur où se cachent une humilité austère.
Puits du Diable, Château du Diable, Cime du Diable, longue est la liste des sites, marqués par la forte empreinte de celui qualifié par Bernanos de « Singe de Dieu ».
De Nice, à la Vallée des Merveilles, devenue son « domaine réservé », le Diable hante les villages, plastronne sur les murs des chapelles et persiste à enflammer l’imaginaire de ses habitants.
Il fallait raconter l’extraordinaire aventure du Diable dans les Alpes Maritimes. Grâce à Edmond Rossi, auteur niçois de plusieurs ouvrages sur l’histoire et la mémoire de son pays, cette lacune est aujourd’hui comblée.
Laissons-nous entraîner, à travers les siècles, sur la piste attrayante et mouvementée, de l’éternel et fascinant tourmenteur du cœur et de l’âme.
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03/06/2009
A BREIL SUR ROYA : LA VENGEANCE DE LA MASCA
Il était notoire que la brûlante Malvina, une brune au teint de lait et aux yeux verts, connue comme une redoutable sorcière et crainte pour cela par les gens de la vallée de la Roya, fréquentait sans vergogne son promis, Hippolyte, un solide gaillard de Breil.
C’est ainsi que chaque soir, sa journée finie, l’homme en soupirant assidu, quittait le village pour grimper vers le vallon de la Maglia rejoindre une maisonnette nichée dans les oliviers où demeurait sa fiancée, la masca à la chevelure de jais.
Hippolyte s’attablait alors pour souper avec la belle hôtesse qu’il trouvait chaque fois un peu plus fascinante dans la douce lumière de la lampe à huile.
Le menu variait à chaque occasion et avait de quoi faire rêver plus d’un gourmet ! Tagliarini faits main, boursottes farcies de poireaux frits, d’épinards, de blettes, de riz, d’anchois et de fromage ! Le tout dans une pâte croustillante, tourtes de courgettes, de blettes ou de tomates, suggeri, et, pour finir la crechente, délicate brioche parfumée d’anis et de raisins secs. Captivé comme un papillon par les reflets exaltant les mets et l’objet de ses désirs, le fiancé avait tenté d’approcher d’avantage Malvina, sous le prétexte de ne pouvoir résister aux effets aphrodisiaques de sa cuisine, mais chaque fois en vain.
Econduit, le malheureux garçon connaissait par cœur l’implacable réplique repoussant ses élans amoureux : « Non, pas ce soir, tu me plais bien, mais sois patient, j’ai à faire avec des gens d’importance qui n’accepteraient pas ta présence ». Rien n’y faisait, ni la courtoisie, ni l’insistance brutale.
Rejeté, Hippolyte reprenait alors, la tête basse, le sinueux sentier descendant dans la nuit vers les lumières scintillantes du village.
Parfois, il en vint à regretter les plats moins élaborés des modestes cordons bleus de Breil, mais presque aussitôt l’image envoûtante des yeux verts de sa diabolique amie écartait ces rêveries d’une vie plus sage.
Un soir, désirant en avoir le cœur net, il se dissimula dans un taillis proche de la maison de la belle. Les heures passaient, au douzième coup de minuit, Malvina sortit vêtue d’une étincelante robe blanche à longue traîne, la chevelure gonflée encadrant son visage outrageusement maquillé, puis saisissant un balai de genêt, posé près de la porte, elle l’enfourcha comme une véritable sorcière et glissa plus qu’elle ne marcha en direction du pont d’Ambo.
« Fille du Diable » murmura son fiancé, puis aussi agile qu’un chamois, il s’élança sautant les restanques à grandes enjambées pour suivre l’aérienne Malvina et parvenir enfin aux abords d’une vaste prairie.
Là, la masca retrouvait une assemblée de spectres échevelés, visage décharné, vêtus d’habits d’un autre temps.
Hommes et femmes se lançaient alors dans une folle farandole rythmée par le son des fifres et des tambours d’un orchestre invisible. Entraînée dans cette danse effrénée où les corps s’entremêlaient sans retenue, Malvina s’offrait tour à tour à chacun, se laissant enlacer dans ce tumultueux sabbat. Cris, rires accompagnaient les tourbillons des danseurs emportés par les échos interminables d’une musique répétitive.
Ne pouvant supporter d’avantage le spectacle de son infortune, fou de douleur, Hippolyte hurle alors sa peine et sa rage attirant l’attention de sa belle.
Surexcitée, Malvina se jette alors sur lui prunelles révulsées, ongles en avant semblable à une panthère en furie : « Tu as voulu m’espionner, puisqu’il en est ainsi je romps mes fiançailles, disparais à jamais de ma vie. »
Puis s’adressant à ses compagnons de sabbat : « Occupez-vous de lui, débarrassez-moi de ce pénible fardeau ! ».
En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, le malheureux Hippolyte fut soulevé du sol et tel un fétu de paille emporté dans les airs par une puissante tornade jusqu’au lit de la Roya voisine, pour être plongé dans la rivière.
Suffoqué, manquant de se noyer, entraîné par le courant, se débattant, il réussit à s’accrocher à la branche d’un arbre surplombant la rive. Il parvint ainsi à sortir de ce mauvais pas et à rejoindre le village endormi.
Dès le lendemain, emportant ses quelques affaires dans une toile nouée aux quatre coins, il chargeait son âne et quittait Breil, sans mot dire, par la porte de Gênes, bien décidé à fuir les maléfices de celle qu’il avait pourtant choisie pour sa beauté et ses qualités ménagères.
A Breil, chacun s’étonna de la promptitude du départ de cet enfant du pays, quelqu’un affirma qu’il avait sans doute trouvé une bonne place sur la côte, comme bien d’autres avant lui.
Le silence de Malvina sur ce départ précipité n’intrigua pas outre mesure, ici on avait pris, depuis longtemps, le parti d’accepter les comportements étranges de celle qu’on appelait la masca.
Il fallut une nouvelle affaire plus sérieuse, pour que s’affiche publiquement la nature vindicative et destructrice de l’inquiétante sorcière de la Maglia.
Nous avons vu que la passion de la danse entraînait Malvina à passer des nuits blanches, aussi ne pouvait-elle manquer le bal du festin de Breil. C’est au cœur de l’été, sur la place du village qu’en cette occasion filles et garçons se retrouvaient pour y danser le quadrille.
Malvina, tenue à l’écart de la première figure, trouva place prise pour la seconde par la mignonne Flora qui prétendait poursuivre jusqu’à la cinquième. Désinvolte, Flora lui avait répondu par un sourire en la renvoyant à son danseur attitré qui, dans les bals précédents, n’était autre que le bel Hippolyte. Ce qui poussa l’exaspération de la brune à son comble !
« Danse Flora », lui répliqua-t-elle d’une voix acide, « Danse, sur la pointe des pieds. Saute, lève les jambes et ton joli jupon, danse, danse Flora ! ».
A cette invective, les amis de Flora tremblèrent, redoutant quelque sort funeste pour cette jeune écervelée. Flora, écartant toute menace de cette nature, ne prit même pas la peine de conjurer ces possibles maléfices, en se rendant le jour suivant à la chapelle de Saint Antoine, pour y réciter quelques oraisons.
Au lieu de ça, conduite par on ne sait quelle idée saugrenue, Flora s’engagea d’un pas alerte sur le chemin du Casté, sans s’attarder aux Crottes, pour grimper jusqu’aux ruines de Crivella. Parvenue là, elle monta au sommet de la Tour, attirée en ce lieu singulier comme un oiseau fasciné par un serpent.
Puis, entraînée par une musique guillerette apportée par la brise, elle se mit à danser, sautillante et gaie au rythme du fifre et du tambourin. Les paroles de Malvina résonnaient lancinantes dans sa tête : « Danse, danse, Flora, danse sur la pointe des pieds, lève les jambes, soulève ton jupon, danse, danse. ».
Sans aucune appréhension, la malheureuse jeune fille se laissa aller à des entrechats vertigineux sur le bord d’un créneau, avant de s’élancer soudain dans le vide sous le regard effrayé des gens de Breil. Le sortilège était évident, c’en était trop ! Malvina, après avoir envoûté la pauvre Flora, l’avait poussée vers la mort par la seule force de son pouvoir diabolique.
Malgré les recherches, on ne parvint pas à retrouver le corps de Flora.
On fouilla vainement les broussailles au pied de la falaise, pour n’y découvrir que son fichu d’indienne et l’un de ses escarpins vernis.
Après cet événement tragique, on s’interrogea sur la disparition d’Hippolyte qui ne pouvait être, elle aussi que le fait de quelques maléfices de la masca de la Maglia, il fallait qu’elle s’explique.
Capturée et chargée sur une charrette tirée par un âne rouge, solidement ligotée, elle apparut les cheveux sur le visage, le bonnet et le corsage à l’envers, traversant le village sous les lazzi et les cris de haine : « A mort ! Noyons-la ! A la potence ! »
Le regard de la sorcière affrontait celui des pieuses femmes qui se signaient.
Grimaçante, elle tira la langue à d’autres qui se sentaient alors défaillir.
Le cortège aboutit au parvis de l'église où un tribunal interrogea la sorcière.
Celle-ci dégagea habillement sa responsabilité dans la disparition d’Hippolyte, comme dans la chute de Flora, pour cette dernière, comment aurait-elle pu intervenir, alors qu’elle était chez elle occupée à trier des olives ?
Quant à Hippolyte, il était parti de son plein gré, libre de ses mouvements. Comment pouvait-elle être victime d’accusations gratuites, sans l’ombre d’une preuve ?
Quant au corps de Flora, il fallait insister, les taillis et les fourrés devaient conserver ses restes, elle n’avait pu disparaître, ce n’était pas son affaire.
Sa conviction l’emporta sur la passion de la foule et après délibération, le verdict tomba, on retint le trouble à l’ordre public passible du bannissement.
Elle serait désormais assignée à résidence dans le village voisin d’Airole, au sud de Breil. La sentence était immédiatement exécutoire.
Malvina, suivie par les gens de Breil soucieux de s’assurer de son départ en exil, quitta le village en se permettant encore un ultime pied de nez, accompagné de quelques paroles rageuses : « Sachez que je reviendrai vous voir avant mon trépas, maudites gens ! On se reverra… »
Un demi-siècle plus tard, au crépuscule d’une belle journée d’hiver, pénétrait dans Breil, par cette même porte de Gênes, une louve enragée, l’œil saignant et la gueule baveuse. Un homme d’arme, chargé de surveiller l’accès du bourg, tenta de s’opposer à son passage avant d’être assailli et égorgé.
Après cette attaque, la bête épargna les habitants fuyant devant la menace, elle franchit la Roya pour poursuivre sa quête vers une campagne où un berger regroupait ses moutons.
Le troupeau apeuré se serra autour de l’homme, mais la louve ne se souciait guère du bétail, en voulant avant tout au berger.
Le maître du troupeau n’était autre qu’Hippolyte. Devenu un vieillard chenu mais robuste, il s’était retiré au pays après avoir couru le monde.
Comprenant les intentions du féroce animal, il l’attendit de pied ferme. Lorsque la louve bondit sur lui la gueule ouverte, il lui enfonça de toutes se forces entre les mâchoires sa houlette ferrée jusqu’aux entrailles.
Quand il reconnut soudain, dans les prunelles révulsées, les reflets verts qui l’avaient fasciné jadis, son bras ne faiblit pas.
Cette impression fugitive ramenait le vieil Hippolyte à ses années de jeunesse.
Il murmura simplement : « Il était écrit que l’un de nous deux périrait par l’autre ! »
Un jour plus tard, un muletier d’Airole apprit aux habitants de Breil le décès de leur compatriote exilée.
D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55
Où mieux rencontrer le Diable que dans les Alpes Maritimes, sur ces terres chargées de contrastes où s’opposent mer et montagne, au carrefour de la Provence et de l’Italie ?
Ici, le Diable est aussi à l’aise sur la Côte d’Azur où s’étalent d’outrageantes richesses que vers l’intérieur où se cachent une humilité austère.
Puits du Diable, Château du Diable, Cime du Diable, longue est la liste des sites, marqués par la forte empreinte de celui qualifié par Bernanos de « Singe de Dieu ».
De Nice, à la Vallée des Merveilles, devenue son « domaine réservé », le Diable hante les villages, plastronne sur les murs des chapelles et persiste à enflammer l’imaginaire de ses habitants.
Il fallait raconter l’extraordinaire aventure du Diable dans les Alpes Maritimes. Grâce à Edmond Rossi, auteur niçois de plusieurs ouvrages sur l’histoire et la mémoire de son pays, cette lacune est aujourd’hui comblée.
Laissons-nous entraîner, à travers les siècles, sur la piste attrayante et mouvementée, de l’éternel et fascinant tourmenteur du cœur et de l’âme.
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