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03/06/2009

A BREIL SUR ROYA : LA VENGEANCE DE LA MASCA

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Il était notoire que la brûlante Malvina, une brune au teint de lait et aux yeux verts, connue comme une redoutable sorcière et crainte pour cela par les gens de la vallée de la Roya, fréquentait sans vergogne son promis, Hippolyte, un solide gaillard de Breil.

C’est ainsi que chaque soir, sa journée finie, l’homme en soupirant assidu, quittait le village pour grimper vers le vallon de la Maglia rejoindre une maisonnette nichée dans les oliviers où demeurait sa fiancée, la masca à la chevelure de jais.

Hippolyte s’attablait alors pour souper avec la belle hôtesse qu’il trouvait chaque fois un peu plus fascinante dans la douce lumière de la lampe à huile.

Le menu variait à chaque occasion et avait de quoi faire rêver plus d’un gourmet ! Tagliarini faits main, boursottes farcies de poireaux frits, d’épinards, de blettes, de riz, d’anchois et de fromage ! Le tout dans une pâte croustillante, tourtes de courgettes, de blettes ou de tomates, suggeri, et, pour finir la crechente, délicate brioche parfumée d’anis et de raisins secs. Captivé comme un papillon par les reflets exaltant les mets et l’objet de ses désirs, le fiancé avait tenté d’approcher d’avantage Malvina, sous le prétexte de ne pouvoir résister aux effets aphrodisiaques de sa cuisine, mais chaque fois en vain.

Econduit, le malheureux garçon connaissait par cœur l’implacable réplique repoussant ses élans amoureux : « Non, pas ce soir, tu me plais bien, mais sois patient, j’ai à faire avec des gens d’importance qui n’accepteraient pas ta présence ». Rien n’y faisait, ni la courtoisie, ni l’insistance brutale.

Rejeté, Hippolyte reprenait alors, la tête basse, le sinueux sentier descendant dans la nuit vers les lumières scintillantes du village.

Parfois, il en vint à regretter les plats moins élaborés des modestes cordons bleus de Breil, mais presque aussitôt l’image envoûtante des yeux verts de sa diabolique amie écartait ces rêveries d’une vie plus sage.

Un soir, désirant en avoir le cœur net, il se dissimula dans un taillis proche de la maison de la belle. Les heures passaient, au douzième coup de minuit, Malvina sortit vêtue d’une étincelante robe blanche à longue traîne, la chevelure gonflée encadrant son visage outrageusement maquillé, puis saisissant un balai de genêt, posé près de la porte, elle l’enfourcha comme une véritable sorcière et glissa plus qu’elle ne marcha en direction du pont d’Ambo. 

« Fille du Diable » murmura son fiancé, puis aussi agile qu’un chamois, il s’élança sautant les restanques à grandes enjambées pour suivre l’aérienne Malvina et parvenir enfin aux abords d’une vaste prairie.

Là, la masca retrouvait une assemblée de spectres échevelés, visage décharné, vêtus d’habits d’un autre temps.

Hommes et femmes se lançaient alors dans une folle farandole rythmée par le son des fifres et des tambours d’un orchestre invisible. Entraînée dans cette danse effrénée où les corps s’entremêlaient sans retenue, Malvina s’offrait tour à tour à chacun, se laissant enlacer dans ce tumultueux sabbat. Cris, rires accompagnaient les tourbillons des danseurs emportés par les échos interminables d’une musique répétitive.

Ne pouvant supporter d’avantage le spectacle de son infortune, fou de douleur, Hippolyte hurle alors sa peine et sa rage attirant l’attention de sa belle.

Surexcitée, Malvina se jette alors sur lui prunelles révulsées, ongles en avant semblable à une panthère en furie : « Tu as voulu m’espionner, puisqu’il en est ainsi je romps mes fiançailles, disparais à jamais de ma vie. »

Puis s’adressant à ses compagnons de sabbat : « Occupez-vous de lui, débarrassez-moi de ce pénible fardeau ! ».

En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, le malheureux Hippolyte fut soulevé du sol et tel un fétu de paille emporté dans les airs par une puissante tornade jusqu’au lit de la Roya voisine, pour être plongé dans la rivière.

Suffoqué, manquant de se noyer, entraîné par le courant, se débattant, il réussit à s’accrocher à la branche d’un arbre surplombant la rive. Il parvint ainsi à sortir de ce mauvais pas et à rejoindre le village endormi.

Dès le lendemain, emportant ses quelques affaires dans une toile nouée aux quatre coins, il chargeait son âne et quittait Breil, sans mot dire, par la porte de Gênes, bien décidé à fuir les maléfices de celle qu’il avait pourtant choisie pour sa beauté et ses qualités ménagères.

A Breil, chacun s’étonna de la promptitude du départ de cet enfant du pays, quelqu’un affirma qu’il avait sans doute trouvé une bonne place sur la côte, comme bien d’autres avant lui.

Le silence de Malvina sur ce départ précipité n’intrigua pas outre mesure, ici on avait pris, depuis longtemps, le parti d’accepter les comportements étranges de celle qu’on appelait la masca.

Il fallut une nouvelle affaire plus sérieuse, pour que s’affiche publiquement la nature vindicative et destructrice de l’inquiétante sorcière de la Maglia.

Nous avons vu que la passion de la danse entraînait Malvina à passer des nuits blanches, aussi ne pouvait-elle manquer le bal du festin de Breil. C’est au cœur de l’été, sur la place du village qu’en cette occasion filles et garçons se retrouvaient pour y danser le quadrille.

Malvina, tenue à l’écart de la première figure, trouva place prise pour la seconde par la mignonne Flora qui prétendait poursuivre jusqu’à la cinquième. Désinvolte, Flora lui avait répondu par un sourire en la renvoyant à son danseur attitré qui, dans les bals précédents, n’était autre que le bel Hippolyte. Ce qui poussa l’exaspération de la brune à son comble !

« Danse Flora », lui répliqua-t-elle d’une voix acide, « Danse, sur la pointe des pieds. Saute, lève les jambes et ton joli jupon, danse, danse Flora ! ».

A cette invective, les amis de Flora tremblèrent, redoutant quelque sort funeste pour cette jeune écervelée. Flora, écartant toute menace de cette nature, ne prit même pas la peine de conjurer ces possibles maléfices, en se rendant le jour suivant à la chapelle de Saint Antoine, pour y réciter quelques oraisons.

Au lieu de ça, conduite par on ne sait quelle idée saugrenue, Flora s’engagea d’un pas alerte sur le chemin du Casté, sans s’attarder aux Crottes, pour grimper jusqu’aux ruines de Crivella. Parvenue là, elle monta au sommet de la Tour, attirée en ce lieu singulier comme un oiseau fasciné par un serpent.

Puis, entraînée par une musique guillerette apportée par la brise, elle se mit à danser, sautillante et gaie au rythme du fifre et du tambourin. Les paroles de Malvina résonnaient lancinantes dans sa tête : « Danse, danse, Flora, danse sur la pointe des pieds, lève les jambes, soulève ton jupon, danse, danse. ».

Sans aucune appréhension, la malheureuse jeune fille se laissa aller à des entrechats vertigineux sur le bord d’un créneau, avant de s’élancer soudain dans le vide sous le regard effrayé des gens de Breil. Le sortilège était évident, c’en était trop ! Malvina, après avoir envoûté la pauvre Flora, l’avait poussée vers la mort par la seule force de son pouvoir diabolique.

Malgré les recherches, on ne parvint pas à retrouver le corps de Flora.

On fouilla vainement les broussailles au pied de la falaise, pour n’y découvrir que son fichu d’indienne et l’un de ses escarpins vernis.

Après cet événement tragique, on s’interrogea sur la disparition d’Hippolyte qui ne pouvait être, elle aussi que le fait de quelques maléfices de la masca de la Maglia, il fallait qu’elle s’explique.

Capturée et chargée sur une charrette tirée par un âne rouge, solidement ligotée, elle apparut les cheveux sur le visage, le bonnet et le corsage à l’envers, traversant le village sous les lazzi et les cris de haine : « A mort ! Noyons-la ! A la potence ! »

Le regard de la sorcière affrontait celui des pieuses femmes qui se signaient.

Grimaçante, elle tira la langue à d’autres qui se sentaient alors défaillir.

Le cortège aboutit au parvis de l'église où un tribunal interrogea la sorcière.

Celle-ci dégagea habillement sa responsabilité dans la disparition d’Hippolyte, comme dans la chute de Flora, pour cette dernière, comment aurait-elle pu intervenir, alors qu’elle était chez elle occupée à trier des olives ?

Quant à Hippolyte, il était parti de son plein gré, libre de ses mouvements. Comment pouvait-elle être victime d’accusations gratuites, sans l’ombre d’une preuve ?

Quant au corps de Flora, il fallait insister, les taillis et les fourrés devaient conserver ses restes, elle n’avait pu disparaître, ce n’était pas son affaire.

Sa conviction l’emporta sur la passion de la foule et après délibération, le verdict tomba, on retint le trouble à l’ordre public passible du bannissement.

Elle serait désormais assignée à résidence dans le village voisin d’Airole, au sud de Breil. La sentence était immédiatement exécutoire.

Malvina, suivie par les gens de Breil soucieux de s’assurer de son départ en exil, quitta le village en se permettant encore un ultime pied de nez, accompagné de quelques paroles rageuses : « Sachez que je reviendrai vous voir avant mon trépas, maudites gens ! On se reverra… »

Un demi-siècle plus tard, au crépuscule d’une belle journée d’hiver, pénétrait dans Breil, par cette même porte de Gênes, une louve enragée, l’œil saignant et la gueule baveuse. Un homme d’arme, chargé de surveiller l’accès du bourg, tenta de s’opposer à son passage avant d’être assailli et égorgé.

Après cette attaque, la bête épargna les habitants fuyant devant la menace, elle franchit la Roya pour poursuivre sa quête vers une campagne où un berger regroupait ses moutons.

Le troupeau apeuré se serra autour de l’homme, mais la louve ne se souciait guère du bétail, en voulant avant tout au berger.

Le maître du troupeau n’était autre qu’Hippolyte. Devenu un vieillard chenu mais robuste, il s’était retiré au pays après avoir couru le monde.

Comprenant les intentions du féroce animal, il l’attendit de pied ferme. Lorsque la louve bondit sur lui la gueule ouverte, il lui enfonça de toutes se forces entre les mâchoires sa houlette ferrée jusqu’aux entrailles.

Quand il reconnut soudain, dans les prunelles révulsées, les reflets verts qui l’avaient fasciné jadis, son bras ne faiblit pas.

Cette impression fugitive ramenait le vieil Hippolyte à ses années de jeunesse.

Il murmura simplement : « Il était écrit que l’un de nous deux périrait par l’autre ! »

Un jour plus tard, un muletier d’Airole apprit aux habitants de Breil le décès de leur compatriote exilée.

 D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

Où mieux rencontrer le Diable que dans les Alpes Maritimes, sur ces terres chargées de contrastes où s’opposent mer et montagne, au carrefour de la Provence et de l’Italie ?

Ici, le Diable est aussi à l’aise sur la Côte d’Azur où s’étalent d’outrageantes richesses que  vers l’intérieur où se cachent une humilité austère.

Puits du Diable, Château du Diable, Cime du Diable, longue est la liste des sites, marqués par la forte empreinte de celui qualifié par Bernanos de « Singe de Dieu ».

De Nice, à la Vallée des Merveilles, devenue son « domaine réservé », le Diable hante les villages, plastronne sur les murs des chapelles et persiste à enflammer l’imaginaire de ses habitants.

Il fallait raconter l’extraordinaire aventure du Diable dans les Alpes Maritimes. Grâce à Edmond Rossi, auteur niçois de plusieurs ouvrages sur l’histoire et la mémoire de son pays, cette lacune est aujourd’hui comblée.

Laissons-nous entraîner, à travers les siècles, sur la piste attrayante et mouvementée, de l’éternel et fascinant tourmenteur du cœur et de l’âme.

 

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

10:58 Publié dans MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

c beau come histoire

Écrit par : reynaud | 02/11/2010

non seulement l'histoire est belle mais l'illustration est sublime

Écrit par : camping | 12/04/2011

Les commentaires sont fermés.