06/05/2006
L'ALCHIMISTE DE SAINT AUBAN
LE SECRET DU FAISEUR D'OR ( 1ère partie )
C'est à Bargemon vers 1673 que naquit Jean Troin, le héros de cette authentique histoire plus romanesque que bien des oeuvres de fiction. Issu d'une modeste famille de laboureurs, n'ayant reçu aucune instruction, il sera berger jusqu'à l'âge de dix ans, développant ainsi sa sensibilité au contact de la nature. Ces premières relations avec les réalités d'un monde merveilleux flatteront chez lui le goût de l'imaginaire. Quelques vieux pâtres l'initièrent sans doute à une lecture originale de cet univers, où l 'homme vibre au rythme des saisons.
Il rentre ensuite à la forge du village comme apprenti maréchal, où il devient en cinq ans l' armurier-serrurier «le plus habile qui ait jamais paru». Adroit, vigoureux, séduisant, ce bon catholique épouse une fille de son pays, sa voie semble alors toute tracée. Bargemon, situé à proximité de la grande voie transversale reliant la Provence du Rhône au Var, conduira souvent Jean Troin au contact des équipages pour une ferrure dans un des relais voisins. A la fin du XVIlème siècle, la famine se répand dans la région avec son cortège d'émeutes et de pillages, Jean Troin a vingt ans. La fraude s'installe face à un gouvernement qui pressure le pays déjà exsangue, elle porte sur le tabac, le sel et les poudres. Au début du XVIIIème siècle, le pouvoir, à court d'argent, entreprend de réformer les monnaies anciennes dans un sens favorable à l'émission. La fausse réforme s'installe en Provence orientale à Grasse, Glandèves, dans les châteaux et mêmes les presbytères. Bargemon placé au centre de ces fabriques de fausses monnaies, doté d'un habile artisan forgeron capable d 'un délicat travail d ' orfèvre ne put rester à l’écart de ce vaste trafic. Jean Troin reçut-il l'appel flatteur et alléchant de la part d'un mystérieux émissaire en quête d'un homme apte à diriger un atelier de fausse monnaie ? Rien ne l’a jamais prouvé en dépit d 'une condamnation à mort par contumace.
Son destin change brusquement lorsqu'il se rend à Nice en 1701 pour y livrer des «platines de fusils» qu'il a trempées. Jean Troin y rencontre à l'hostellerie du «Chapeau Rouge», un étrange personnage italien prénommé Denis qui sera à l' origine de son «art». Il pilote son nouvel ami jusqu'à Avignon où celui-ci l'initie à la transmutation des métaux, lui apprenant à «faire de l'or» à partir du plomb et du fer. L'alchimiste transalpin était-il un aventurier recherché par la police de son pays, désireux de s 'abriter dans le comtat, alors terre d'asile de louches personnages ? Rien ne le prouve.
Dans la cité papale, Jean Troin apprend les rudiments de son art en prenant part aux manipulations de l'Italien. Dupe ou complice ? Il part herboriser sur l’ordre du maître, la fabrication de l’or et de l’argent exigeant deux variétés de «lunaires» la major et la minor poussant près de Sisteron. Sans études spéciales et de manière empirique, Jean Troin acquiert ainsi le savoir de son maître.
Puis il disparaît après huit mois de séjour à Avignon. Repéré par l'évêque de Glandèves, en mars 1705, au village du Mas, il est signalé au Contrôleur des Finances comme un «homme déguisé» sous le nom de DE L 'lSLE, sans domicile fixe, hôte volant de divers gentilshommes. Condamné à mort par contumace, pour crimes de «fausse réforme de monnaies» il aurait réussi à échapper aux recherches de l'été 1704. L'Intendant de Provence Lebret repère De l'Isle en août 1705 à la Palud près de Moustiers où il est hébergé par le seigneur. Le 29 août une embuscade est tendue dans la chapelle, mais le seigneur et sa famille mettent hors de combat les six hommes venus pour arrêter le contumace.
Jean Troin devenu désormais De l'Isle, exploite maintenant à son compte les secrets de l'Italien, mystérieusement disparu après un séjour de quelques mois au Mas. L'apprenti sorcier, devenu sorcier lui-même, fait fabriquer de l'or et de l'argent aux sceptiques qui doutent de son pouvoir, on comprend qu'il ait des amis! Furieux, Lebret reprend sa chasse. Conscient du danger, De l'Isle manœuvre alors pour obtenir de la Cour, un sauf -conduit en bonne et due forme. Allant de château en château, près de 200 personnes assistent convaincues à ses troublantes expériences. Un lingot, ayant été fabriqué chez le chevalier de Glandèves, sera soumis au sieur Lange de Ricard «savant éclairé sur les faits» qui assurera que l'or était bon. L'affaire est portée à la connaissance de M. de Ressons, Contrôleur Général des Finances, ami de M. de Glandèves. En dépit des allégations de Lebret, le Ministre des Finances, assailli de graves soucis d'argent, ne peut rester insensible aux exploits du «faiseur d'or». Vers la Noël 1706, De l'Isle obtient du Contrôleur Général des Finances un sauf-conduit de quinze mois.
Néanmoins prudent, De l'Isle s'installe à Saint Auban, un village d'accès difficile proche des Etats de Savoie. Quinze mois durant, De l'Isle va pouvoir travailler en toute quiétude dans ce nid d'aigle où il est l 'hôte du seigneur et du curé du village. Tissant un réseau de relations, il doit avouer dans une lettre à Lebret du 21 février 1708 que ses recherches n'ayant pas abouti (celles-ci dépendant du «soleil» et non de sa propre volonté), il serait utile de renouveler son sauf -conduit sans limitation de date. De l'Isle s'occupant aussi de médecine devait en effet herboriser près de Grenoble et acquérir des plantes médicinales à Montpellier. Son projet sera prêt à la fin de l'été, il compte alors se rendre à Paris en compagnie de l'abbé de Saint Auban, pour fournir à sa Majesté toutes les preuves de ses capacités. M. de Chamillard, secrétaire d'Etat au Département de la Guerre, contacté par M. de Coutardière gouverneur d'Entrevaux écrit à Lebret pour donner satisfaction à De l'Isle.
Un émissaire mystérieux débarque alors à Paris, se faisant nommer Troin, il se présente chez M. de Pontchartrain, Ministre de la Marine, se disant valet de De l'Isle, il confirme avoir vu son maître réussir la transmutation des métaux (!). Cette manœuvre de De l'Isle devait lui permettre de connaître, par l'intermédiaire d'un parent, quel serait le comportement des grands à son égard en cas de refus du sauf-conduit qui tardait à venir. Troin est dirigé vers M. de Grignan, gouverneur de Provence, avec mission «d'espier» son maître et de le localiser. Nous étions en juillet 1706, De l'Isle averti de ces intentions équivoques, gagne aussitôt la «campagne». En échappant à ses poursuivants, il casse la bouteille contenant ses précieux trésors, d'où un nouveau retard dans ses expériences. Nouvelle lettre à Lebret pour réclamer plus de quiétude: «il faut ou que j'abandonne mon travail, ou que je sois en sécurité». Les troupes de Grignan rôdant autour de Saint Auban, De l'Isle vivait toujours «en alarme». Lebret, exécutant les ordres de Paris, délivre enfin le fameux sauf-conduit.
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27/04/2006
DES FAUSSAIRES ATROCEMENT PUNIS
FAUX MONNAYAGE
Entre 1704 et 1709, sur la fin du règne de Louis XIV, la Provence connut une prolifération considérable des entreprises de faux monnayage. On signale dans la région, à Antibes, Cannes, Grasse, Cagnes, Carros et Nice, le commerce ou la fabrication de fausses monnaies. Ces activités illicites se pratiquaient presque au grand jour, et certains seigneurs locaux n 'hésitaient pas à se flatter ouvertement de battre monnaie à 1 'instar des souverains. Les enquêtes aboutissaient rarement, étouffées le plus souvent par la complicité et la protection des hauts personnages impliqués dans ce trafic. Le pouvoir central informé de cette situation pernicieuse par l'intendant Lebret décida d'intervenir pour y mettre un terme. Il fut aidé dans sa tâche par un officier célèbre, gouverneur à Grasse: le comte d'Artagnan. Un spectaculaire coup de filet envoya aux cachots de l'île Sainte Marguerite seize personnes accusées de faux monnayage. Cette opération s'avéra très vite infructueuse, les véritables coupables ayant réussit à se défiler à la faveur de leurs relations avec les indicateurs. Le 5 avril 1710, le gouverneur de Grasse sera plus heureux dans sa perquisition au Château de Cagnes où le marquis de Grimaldi sera arrêté. Puis avec le concours de M. de Saint Maurice, chargé d'instruire ces affaires devant un tribunal spécial siégeant à Cannes, le bilan va s'étoffer, les condamnations prononcées par la cour qu'il préside en témoignent :
- 15 condamnations à mort suivies d'exécution, précédées de tortures,
- 5 condamnations aux galères à perpétuité,
- 3 aux galères à temps,
- 2 au bannissement perpétuel,
- 6 au bannissement à temps,
et enfin un grand nombre d'amendes variant de 2000 à 1000 livres. Les condamnations à mort et aux galères s'accompagnent le plus souvent de la saisie et de la confiscation des biens des condamnés.
Les séances de torture étaient telles qu'il fallut pour un condamné attendre son rétablissement avant de l'envoyer aux galères. Des femmes impliquées dans ces affaires furent attachées deux heures durant à un carcan dressé sur la place de Cannes un jour de marché, puis «fustigées» à nu sur les épaules «par les rues et carrefours accoutumés de la ville, avant d'être bannies».
Un prêtre faux monnayeur, soumis à la question ordinaire puis extraordinaire avec des mèches allumées entre les doigts, s'exclamait:
«Ah! Mon Dieu, ne me tourmentez pas, j’ay dit la vérité et je n'en diray pas davantage». Condamné à mort il fut pendu sur la place d'Antibes. On rasa sa bastide d ' Annot et sur les décombres on dressa un poteau portant une plaque de cuivre avec le texte de sa condamnation.
La cour jugea même un mort ! Il s'agissait d'un taillandier en or de Draguignan qui avait péri dans les geôles de l'évêque de Fréjus. Suicide ou accident ? On décida que «la mémoire de l'accusé demeurerait condamnée, éteinte et supprimée à perpétuité, son cadavre attaché serait traîné sur une claye, la teste en bas et la face contre terre, par les rues de Cannes, jusqu'à la place dudit lieu où il serait pendu par les pieds à une potence et jeté à la voirie, après avoir été exposé pendant deux heures».
Rares seront les foyers de faux monnayages qui subsisteront après septembre 1710. 66 fabriques de fausses monnaies avaient été détruites, la mission de M. de saint Maurice s'achevait par un succès indéniable.
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21/04/2006
UN VILLAGE MAL FREQUENTE
Les gens de l'Escarène auraient, selon la légende, joué un bon tour au Diable qui un soir débarqua en anonyme voyageur dans leur bourgade. Pourquoi cette visite dans un village si tranquille ? Lucifer avait rencontré en Enfer bon nombre «d'Escarenascs» venus y expier leurs forfaits.
Aussi, il décida d'aller y voir de plus près.
En effet, étape importante et indispensable sur la route de Tende entre le col de Nice et celui de Braus, l'Escarène voyait défiler chaque jour voyageurs, pèlerins, marchands et notables de toute sorte circulant entre Nice et Turin.
Nés de cette nécessité, les services offerts sur place dépassaient souvent par leurs prix les normes en usage. Aubergistes, bourreliers, charrons, maréchaux-ferrants profitaient tous de cette halte privilégiée pour étriller le client. Très vite leur renom de «tailla boursa» (tire-laine) dépassa les frontières. I1s ne devaient pas l'emporter au paradis, à la grande satisfaction du Malin. Sitôt descendu de la diligence, Lucifer s'était dirigé à l'auberge de l'Ecu d'or tenue par Maistre Barelli. Très à l'aise dans cette chaude ambiance, le Diable provoqua de nombreuses parties à «1' amora» défiant muletiers et cochers, les malheureux finirent par se mesurer jusqu'à s'empoigner par le col! Il faut dire que le repas avait été copieux et bien arrosé. Satisfait du trouble produit, il demanda après avoir commandé une dernière tournée à regagner sa chambre.
C'est alors qu'il remarqua, tout excité, la jeune et jolie servante, la bien nommée Patchoulette.
Après l'avoir lutinée, il lui murmura à l'oreille des propos à faire rougir un diable ! Grimpant à l'étage, celle-ci qui en avait entendu d'autres, suivait son hôte dans les escaliers une bougie à la main. Quelle ne fut pas alors sa stupeur en voyant dépasser de la houppelande de son entreprenant ami une queue poilue qui semblait en dire long sur ses intentions. Tremblante d'émotion, Patchoulette réussit tout de même à trouver le trou de la serrure et ouvrir la porte de la chambre. Puis prétextant qu'elle avait oublié de bassiner le lit, elle s'esquiva en promettant à Lucifer tout échauffé de revenir aussitôt. En un éclair, la découverte de la malheureuse fit le tour des cuisines et du cabaret. Maistre Barelli, homme avisé, la rassura: un homme normalement constitué ne pouvait posséder un tel appendice, pas de doute c'était bien le Diable en personne! On courut réveiller le curé. Mais déjà l'aubergiste avait son idée. Un client comme celui-là qui savait si bien faire tinter ses pièces d'or en commandant son vin n'allait pas lui échapper si vite. Un peu sorcière, sa femme prépara en un tour de main une infusion détonante de fleurs de belladone et de digitale dans un vin chaud propre à terrasser un bœuf.
Barelli, montant avec son bol fumant jusqu'à la chambre, apaisa son hôte: qu'il ne s'impatiente pas, Patchoulette s'apprêtait, elle n'allait pas tarder. Ses soupçons se confirmèrent quand il vit l'autre avaler d'un trait le breuvage brûlant, c'était bien le Diable !
Bientôt assommé par la préparation soporifique, qui avait déjà servi en d'autres occasions, Lucifer s'endormit ronflant, allongé en travers du lit. Il ne lui restait plus qu'à lui voler sa bourse, 'c'est ce que fit lestement l'aubergiste.
Lorsque le curé parvint enfin à l'auberge, encadré de ses deux enfants de chœur ensommeillés, il put à souhait asperger le Diable d'eau bénite. Sous l'effet de la sainte douche, Lucifer s'éveilla et se tordit de douleur. Sautant par la fenêtre en hurlant, il s'enfuit à toutes jambes vers le col de Nice.
Il ne réapparut plus à l'Escarène, mais à Berre quelques jours plus tard. Mais ceci est une autre histoire...
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