21/04/2006
UN VILLAGE MAL FREQUENTE
Les gens de l'Escarène auraient, selon la légende, joué un bon tour au Diable qui un soir débarqua en anonyme voyageur dans leur bourgade. Pourquoi cette visite dans un village si tranquille ? Lucifer avait rencontré en Enfer bon nombre «d'Escarenascs» venus y expier leurs forfaits.
Aussi, il décida d'aller y voir de plus près.
En effet, étape importante et indispensable sur la route de Tende entre le col de Nice et celui de Braus, l'Escarène voyait défiler chaque jour voyageurs, pèlerins, marchands et notables de toute sorte circulant entre Nice et Turin.
Nés de cette nécessité, les services offerts sur place dépassaient souvent par leurs prix les normes en usage. Aubergistes, bourreliers, charrons, maréchaux-ferrants profitaient tous de cette halte privilégiée pour étriller le client. Très vite leur renom de «tailla boursa» (tire-laine) dépassa les frontières. I1s ne devaient pas l'emporter au paradis, à la grande satisfaction du Malin. Sitôt descendu de la diligence, Lucifer s'était dirigé à l'auberge de l'Ecu d'or tenue par Maistre Barelli. Très à l'aise dans cette chaude ambiance, le Diable provoqua de nombreuses parties à «1' amora» défiant muletiers et cochers, les malheureux finirent par se mesurer jusqu'à s'empoigner par le col! Il faut dire que le repas avait été copieux et bien arrosé. Satisfait du trouble produit, il demanda après avoir commandé une dernière tournée à regagner sa chambre.
C'est alors qu'il remarqua, tout excité, la jeune et jolie servante, la bien nommée Patchoulette.
Après l'avoir lutinée, il lui murmura à l'oreille des propos à faire rougir un diable ! Grimpant à l'étage, celle-ci qui en avait entendu d'autres, suivait son hôte dans les escaliers une bougie à la main. Quelle ne fut pas alors sa stupeur en voyant dépasser de la houppelande de son entreprenant ami une queue poilue qui semblait en dire long sur ses intentions. Tremblante d'émotion, Patchoulette réussit tout de même à trouver le trou de la serrure et ouvrir la porte de la chambre. Puis prétextant qu'elle avait oublié de bassiner le lit, elle s'esquiva en promettant à Lucifer tout échauffé de revenir aussitôt. En un éclair, la découverte de la malheureuse fit le tour des cuisines et du cabaret. Maistre Barelli, homme avisé, la rassura: un homme normalement constitué ne pouvait posséder un tel appendice, pas de doute c'était bien le Diable en personne! On courut réveiller le curé. Mais déjà l'aubergiste avait son idée. Un client comme celui-là qui savait si bien faire tinter ses pièces d'or en commandant son vin n'allait pas lui échapper si vite. Un peu sorcière, sa femme prépara en un tour de main une infusion détonante de fleurs de belladone et de digitale dans un vin chaud propre à terrasser un bœuf.
Barelli, montant avec son bol fumant jusqu'à la chambre, apaisa son hôte: qu'il ne s'impatiente pas, Patchoulette s'apprêtait, elle n'allait pas tarder. Ses soupçons se confirmèrent quand il vit l'autre avaler d'un trait le breuvage brûlant, c'était bien le Diable !
Bientôt assommé par la préparation soporifique, qui avait déjà servi en d'autres occasions, Lucifer s'endormit ronflant, allongé en travers du lit. Il ne lui restait plus qu'à lui voler sa bourse, 'c'est ce que fit lestement l'aubergiste.
Lorsque le curé parvint enfin à l'auberge, encadré de ses deux enfants de chœur ensommeillés, il put à souhait asperger le Diable d'eau bénite. Sous l'effet de la sainte douche, Lucifer s'éveilla et se tordit de douleur. Sautant par la fenêtre en hurlant, il s'enfuit à toutes jambes vers le col de Nice.
Il ne réapparut plus à l'Escarène, mais à Berre quelques jours plus tard. Mais ceci est une autre histoire...
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08:30 Publié dans Découverte du Pays d'Azur | Lien permanent | Commentaires (0)
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