03/04/2006
UNE GLORIEUSE FEMME DU PEUPLE
CATHERINE SEGURANE,
HEROINE NICOISE
En 1538, la duchesse de Savoie meurt à Nice, laissant comme successeur son jeune fils Emmanuel Philibert. Charles Quint est maître de l'Italie. Pour l'y déloger, François 1er décide alors de s'allier avec le Sultan, celui-ci lui accordant l'aide de plusieurs milliers d 'hommes commandés par l'émir Barberousse. Pris dans la tenaille de ses puissants voisins, le Comté de Nice dépendant de la maison de Savoie allait devoir jouer serré pour sauvegarder son indépendance.
Selon un chroniqueur de l'époque, le Roi de France en se liant aux Infidèles «introduisait dans sa vigne la bête la plus sauvage qui fût au monde».
Conscient de cette alliance avec le Diable, le Pape Paul III essaiera de réconcilier le Roi et l'Empereur, il viendra même à Nice pour organiser une rencontre. Méfiants, les Niçois, désireux d'éviter l'entrée des troupes des deux camps dans leur ville, empêcheront cette entrevue de la dernière chance.
Charles Quint à Villefranche et François 1er à Villeneuve Loubet n'accepteront qu'une trêve provisoire qui durera quatre ans. En 1568, un socle pyramidal portant une croix de marbre qui donnera son nom à une rue de Nice, commémorera l'infructueuse visite du pape.
Les hostilités reprennent en 1542. Le Duc refusant de s'allier au Roi, celui-ci décide d'occuper la ville de Nice pour marcher vers l'Italie. L'armée de terre est commandée par le duc d'Enghien, et le 5 juillet la flotte ottomane de Barberousse mouille en rade de Villefranche. L'armada turque se compose de 110 galères, 40 fustes et 4 pesantes mahonnes, disposant de bombardes et de couleuvrines. Les Français alignent 22 galères, 18 naves et 4 unités florentines, sous les ordres du capitaine Paulin de la Garde. L'effectif total regroupe quelques 14 000 hommes. En face, 600 mercenaires suisses et allemands défendent la ville dominée par la citadelle.
Un bombardement destructeur de la cité débute le 11 août, le gouverneur Monfort, en dépit d'une situation désespérée, refuse de se rendre, engageant un des combats les plus disproportionnés de l'Histoire. Assaut suprême le 15 août, après une nouvelle canonnade de 12 galères. Les janissaires montent à l'attaque du château le 17 août en poussant leurs cris de guerre, le peuple de Nice se mêle alors à la quelque centaine de soldats défendant les remparts.
Repoussés, les musulmans opèrent des razzias dans la vallée du Paillon, enlevant 600 personnes, d'autant plus qu'il fallait combler les vides laissés par le typhus dans leurs chiourmes. Cette nécessité ne freinait pourtant pas les Turcs dans la pratique de la torture par le fer et le feu à laquelle s'ajoutaient les multiples viols et pillages des populations des pauvres villages autour de Nice.
Un court répit permet aux Niçois de placer les cloches des églises en lieu sûr, et de renforcer la défense de la ville haute. Le 23 août la ville basse est occupée par les franco-turcs. Le jour suivant les «bouches inutiles» quittent la citadelle, les Turcs bastionnent leurs positions et accumulent des bottes de paille pour se protéger, les défenseurs les incendient et les harcèlent du haut de leurs plates-formes édifiées à la hâte.
Les assiégeants se découragent bientôt devant la résistance des Niçois et les Infidèles se retirent sur leurs galères le 8 septembre après un ultime saccage. Le 9, la ville brûle, enfin le 2 septembre les Impériaux sont à Villefranche, l’héroïque siège se termine enfin, la citadelle et le ville haute sont restées inviolées.
Si dans ces circonstances, certains nobles niçois collaborèrent avec l'ennemi (leurs biens seront confisqués), le petit peuple niçois participera sans hésitation à la défense de la ville. Parmi ces humbles, un nom surnage, entré dans la légende, celui de la «bugadière» (lavandière en niçois) Catherine Ségurane.
Armée de son battoir, elle repoussa courageusement les assaillants turcs à la tête d'une troupe de commères. Après avoir arraché à l'ennemi son oriflamme vert décoré du croissant en criant en niçois «A mort les païens! » elle le narguera en soulevant ses jupes et en lui présentant ses fesses! Les Turcs épouvantés (ils en avaient pourtant vu bien d'autres !) s'enfuirent en débandade devant la virago.
Vous retrouverez Catherine Ségurane, non pas dans la rue qui porte son nom, mais au sommet de la ruelle Saint Augustin. Là, au pied de l'ancien bastion Sincaire, un bas relief digne de la Marseillaise de Rude, représente la bugadière armée de son battoir dans la main droite, la gauche brandissant un drapeau. A ses pieds une inscription: «A Caterina Segurana éroïna nissarda». Chaque année une délégation de Niçois se recueille devant le monument, après une messe souvenir célébrée en niçois dans l'église voisine.
Plus loin, dans le centre du vieux Nice, vous découvrirez encore un boulet tiré par la flotte de Barberousse, toujours là, enchâssé dans le mur d'angle de la rue Droite et de la rue de la Loge. La Vierge Mère aurait arrêté son effet dévastateur en le recueillant délicatement dans les plis de son bleu manteau. Là encore l'Histoire rejoint la légende dans la mémoire collective.
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31/03/2006
LEGENDE D'EN-HAUT
A ENTRAUNES : LE SAUT DU
DIABLE (2 ème partie)
Il fallait se rendre à l’évidence, la bête se méfiait et paraissait douée d’astuce et de jugement, n’attaquant qu’à coup sûr, comme le prouvait le sort de ses malheureuses victimes. Aussi semblait-il impossible de la démasquer.
Mon oncle me confia qu’il pouvait s’agir d’un loup-garou, moitié homme, moitié animal, comme il en avait entendu parler lorsqu’il débutait jeune prêtre dans les monts du Vivarais. « Ces sortes d’êtres sont insaisissables, car ils peuvent revêtir plusieurs aspects selon les circonstances…Nous n’en avons jamais rencontré par ici, mais qu’envisager d’autre ? ».
Décidé comme lui à éclaircir ce mystère, je lui proposais mon idée : « Ici, je suis peu connu et puisqu’il semble en vouloir particulièrement aux voyageurs étrangers, je vais essayer de le débusquer. Etant prévenu du danger et suffisamment alerte, je saurai me défendre mieux qu’un autre ».
Deux jours plus tard, après avoir quitté les dernières maisons du village, j’attaquais, appuyé sur un bâton, la rude montée qui mène au Col.
Au-delà du passage de la Porte, je ne pus m’empêcher de penser à ceux qui avaient emprunté ce même chemin avant d’être précipités au fond de l’abîme.
Attentif au moindre bruit suspect, observant chaque buisson qui pouvait cacher une menace, j’avançais d’un pas rapide, le cœur palpitant. Seul, gagné par la peur, je dus me raisonner plusieurs fois pour ne pas abandonner et faire demi-tour. Après avoir dépassé ces lieux funestes, une autre crainte m’assaillit : et si j’étais suivi ? Alors je pressais encore le pas, si bien que je parvint épuisé au sommet du Col ! Je m’assis enfin pour reprendre mon souffle et j’en profitais pour dénouer le carré de toile qui contenait un morceau de tome et une tranche de pain. Le soleil inondait déjà les crêtes de ses chauds rayons, seule une brume légère couvrait encore le fond de la vallée. Cette courte pause casse-croûte me permit de retrouver mes esprits.
Je repartis à travers les prairies qui bordent le Col. Rassuré, je vis bientôt un important troupeau de moutons gardé par un grand escogriffe barbu et deux chiens noirs. Accueilli et escorté par des aboiements rageurs difficilement apaisés, je saluais l’homme qui s’enquit de savoir qui j’étais : « Je suis le neveu du curé, il m’envoie à Colmars pour y chercher quelques médecines…– Bon voyage ! Et retournez avant la nuit, les chemins sont peu sûrs ces temps-ci et moi-même, j’aurais peur sans mes chiens. ».
Après l’avoir quitté, j’abordais le col frontière où commençait la descente sur le versant du Verdon à travers la forêt de sapins et de mélèzes. Au milieu de l’après-midi, je remontais, ragaillardi par un déjeuner dans une bonne auberge où j’avais plaisanté avec quelques jeunes qui m’avaient fait oublier le motif de mon voyage. Parvenu au Col, je ne retrouvais plus le troupeau et son berger qui s’était sans doute déplacé vers Chastelonnette.
Le soleil baissait et l’ombre gagnait déjà le fond de la vallée. Je hâtais le pas pour arriver avant le crépuscule au passage dangereux. Me sentant léger, je descendais rapidement, coupant les lacets du sentier à travers prés et talus.
Dévalant de la sorte, j’atteignis très vite le lieu maudit. Parvenu là, je m’arrêtais anxieux, pendant un long moment pour récupérer mon souffle.
Attentif à ce qui pouvait se produire, je me remis en route, en suivant prudemment le chemin. Prêt à toute éventualité, sans quitter mon bâton ferré, je pris mon poignard dans l’autre main.
J’avançais lentement, scrutant chaque buisson. Bientôt, je fus arrêté par un étrange barrage constitué de fagots de bois sec coupant le chemin sur une cinquantaine de pas. Curieux ? L’obstacle n’était pas là le matin et, pour l’éviter, il ne me restait plus qu’à descendre droit vers la pente, pour reprendre le sentier plus bas. En quelques enjambées dans la pierraille, j’atteignis mon but.
J’allais repartir lorsqu’une énorme bête déboula de sa tanière. Epouvanté, je trébuchais contre une motte d’herbe, me redressant tout aussitôt pour m’enfuir devant l’animal qui, déjà me talonnait. Bondissant en courant, je descendais toujours plus vite pour échapper à la bête, oubliant l’autre danger tout aussi terrifiant : le précipice ! Je réalisais soudain que j’allais parvenir au saut de la mort. J’étais perdu, j’entendais la respiration sifflante du monstre. Les jambes coupées par la peur, je vacillais et perdis l’équilibre roulant déjà vers l’abîme.
Dans un ultime sursaut, je plantais mon bâton et me remis sur pieds. Surpris dans sa course, l’autre me dépassa pour s’arrêter plus bas avec difficulté. En un clin d’œil, la situation s’inversait. Armé de mon poignard, je dominais l’énorme bête couverte d’une abondante fourrure rousse. Je remarquais sa gosse tête d’ours, sans rapport avec la longueur et la minceur de ses pattes.
Malgré son aspect inquiétant, ce n’était pas une mauvaise bête, je compris vite que l’horrible accoutrement ne cachait qu’un homme. Cette découverte me rassura, si sa stature était imposante, j’avais l’avantage de la position. Je l’interpellais en m’avançant vers lui. Il resta muet debout sur ces pattes. D’un bond, il plongea dans mes jambes, me renversant sur le sol, j’eus le réflexe de frapper avec mon poignard qui s’enfonça dans l’épaisse fourrure.
Le monstre poussa un cri de douleur. Il essaya de m’écraser de tout son poids, je n’arrivais plus à me dégager. Encore une fois, je réussis à plonger la lame dans la masse qui m’étouffait. Entravé dans sa fourrure, soufflant de plus en plus fort, perdant son sang, soudain il se redressa pour s’enfuir. J’essayais de le retenir mais, épuisé, haletant, je suis retombé.
A demi-inconscient, j’entendis alors des éclats de voix et je vis sortir d’un peu partout des hommes armés, parmi lesquels je reconnus mon oncle.
Déconcerté par cette apparition, le monstre s’élança vers le bas du champ, d’où il sauta sans hésiter dans le gouffre.
Lorsque je me suis réveillé dans ma chambre, mon oncle assis près de la fenêtre, lisait son bréviaire. M’entendant bouger, il s’approcha : « Mon pauvre enfant, tu m’as fait peur. Heureusement que nous avions tout combiné avec le baile. Depuis le midi, nous étions tous accroupis dans les buissons au-dessus du chemin. C’est là que nous avons vu le berger barrer le passage avec du bois, nous avons alors compris le piège et ses intentions.
Si nous étions intervenus, il aurait prétendu vouloir arrêter ses bêtes. Nous avons donc attendu son retour. Lui seul avait le temps de mettre chaque fois un barrage et de se tenir à l’affût des malheureux. Tu ne peux imaginer le souci que je me faisais en te voyant descendre le sentier et après quand je l’ai vu t’attaquer !
– Crois moi j’ai cru mon dernier moment arriver ! » Dis-je en riant. « Mais pourquoi tous ces crimes inutiles ? – Vas savoir ce qui peut traverser l’esprit d’un homme solitaire, perdu dans la montagne !…Mais j’ai mon idée. Nous en reparlerons demain après l’enterrement », murmura mon oncle en se levant.
La cérémonie rassembla tout le village. L’inquiétude persistait encore quand on eut enterré le pâtre au fond du cimetière dans le carré des hérétiques, des mort-nés et des suicidés. La foule commentait encore ces événements troublants en voyant dans le défunt un serviteur patenté du Démon.
Lorsque nous fûmes de retour au presbytère, mon oncle m’entraîna à l’écart dans son jardin, loin des oreilles indiscrètes. Parvenu sous le grand mûrier il me confia : « Pendant la longue attente de ton retour, là-haut sur le chemin, j’ai eu tout le temps de réfléchir. Cet homme ne tuait pas pour voler, il n’agissait pas davantage par vengeance puisque ses victimes étaient presque toutes étrangères au pays. Quel dessein pouvait alors animer son comportement ? Le plaisir de tuer d’un être sans divertissement ? Et pourquoi dans ce lieu déjà nommé le « Saut du Diable » ? Je me suis souvenu que mon père racontait qu’au temps jadis, le vallon du Chaudan servait de lieu de culte aux populations primitives qui peuplaient la vallée. Pour apaiser les forces occultes de la nature, chaque année, au solstice d’été, on y sacrifiait d’innocentes créatures en les précipitant dans le vide. Notre sainte religion a heureusement mis un terme à ces mœurs barbares, nées du paganisme des premiers âges. Vois-tu ce berger inculte n’a fait que reprendre, en digne serviteur de l’obscurantisme, les pratiques d’un temps où le Malin régnait en maître sur les consciences. – Au fond, ajoutais-je, « Le Saut du Diable » mérite toujours son nom.
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28/03/2006
LEGENDE D'EN-HAUT
A ENTRAUNES : LE SAUT DU
DIABLE (1ère partie)
Durant la guerre 39-45, la découverte du cadavre d’un malheureux accidenté dans le vallon du Chaudan, au-dessus d’Entraunes, près des sources du Var, remit en mémoire une étrange histoire qui alimentait autrefois les veillées.
Ces assemblées de parents et d’amis, regroupés dans la douce chaleur de l’étable, permettaient à chaque conteur de broder habilement sur une trame souvent ressassée, pour le plus grand plaisir de l’auditoire.
Voici une version de cette légende, reprise d’après une relation de René Liautaud, chantre du Val d’Entraunes.
Nous étions en août, au creux de l’été 1514 lorsque j’arrivais épuisé devant le presbytère. Venant d’Arles, j’avais marché sans relâche depuis huit jours, pressé de revoir mon oncle, prêtre à Entraunes. Ce brave homme avait tout fait pour me faire étudier et m’encourageait à préparer la prêtrise.
D’un coup de tête je venais de tout abandonner. Absorbé par mes pensées, soucieux de l’accueil et des reproches sévères qu’il n’allait pas manquer de m’adresser, j’avançais à grand pas sans rien voir.
Après une courte hésitation, je frappais à la porte. Mon oncle apparut, je le reconnut à peine, tant son visage avait changé. De grosses rides barraient son front. Amaigri, la mine triste et le regard inquiet, il s’avança vers moi sans marquer la moindre surprise. Il m’invita simplement à rentrer et à me reposer.
Trop heureux de m’en tirer à si bon compte, j’allais m’étendre jusqu’à l’heure du souper. Alors que je décidais de m’expliquer, il m’interrompit presque aussitôt : « Tu es là, as-tu fais bon voyage ? Tant mieux. Dommage que tu arrives à un pareil moment. Ici nous tremblons tous, le malheur est sur le pays.
– Pourquoi ? ». Tout en mangeant, il me raconta l’objet de sa contrariété.
Cela avait débuté à la fin juin, là-haut sur le chemin du col le plus fréquenté de la région. Chaque jour, allant et venant de Colmars, bêtes et gens y circulaient, montant ou descendant tout au long des interminables lacets.
Mon oncle ajouta : « Nos gens n’osent plus s’y aventurer seuls, ils soutiennent que l’endroit est ensorcelé. – Ensorcelé ? – Oui, ils estiment que le Diable s’est rendu maître du passage depuis que quatre hommes y sont morts, tous au même lieu. Quatre voyageurs solides et vigoureux ! ».
L’oncle précisa que les traces de pas des malheureux indiquaient qu’ils avaient tous abandonné le sentier pour dévaler dans un grand pré pentu, finissant sans prévenir sur une falaise dominant la gorge. On n’aurait pas mieux fait si on avait voulu s’y précipiter. Tout cela me paraissait incroyable.
Mon oncle poursuivit : « Pour le premier, chacun supposa qu’il s’agissait d’un accident. Prenant un raccourci le pauvre homme avait dû courir et manquer le rebord avant de s‘écraser sur les rochers au fond du vallon. Mais trois jours plus tard, un second mort fut retrouvé à moins d’un pas des traces sanglantes de l’autre ! ». C’en était trop, refusant d’écouter les sages paroles du prêtre qui prêchait le bon sens, les esprits échauffés imputèrent ces crimes au Diable et à ses maléfices.
Deux semaines s’écoulèrent ainsi en vains et superstitieux bavardages. Hochant tristement la tête, l’oncle poursuivit : « J’aurais peut-être réussi à ramener le calme, mais hélas, coup sur coup deux autres infortunés chutèrent à leur tour au même endroit…Cela te semble impossible ! Pourtant, quatre déjà qui ont dégringolé dans des circonstances identiques sans raison apparente. C’est à n’y rien comprendre, s’ils avaient suivi le chemin bien tracé et en bon état, rien n’aurait pu leur arriver. Depuis et plus que jamais, le Malin a la part belle. Je n ‘en dors plus, j’en suis malade, il m’arrive même de douter. Pour un prêtre c’est un comble ! ».
Le jour suivant, je m’étais assoupi à l’heure chaude, en feuilletant un vieux traité sur l’exorcisme, je fus réveillé par des éclats de voix. Deux villageois venaient prévenir mon oncle : un nouveau corps avait été aperçu dans le vallon maudit, toujours au même endroit. Très vite, nous nous sommes retrouvés quelques-uns uns, franchissant le passage de la Porte.
Personne ne parlait. Plus que jamais, chacun rasait le rocher. Le grand Césaire qui ouvrait la marche, semblait hésitant, l’oncle le dépassa, je le suivis.
Brusquement, je vis le cadavre tout en bas, au fond d’une cuvette creusée par les eaux dans les marnes grises. Quelqu’un sembla reconnaître une femme. Malgré l’absence de touffes de genêts ou de buis pour nous accrocher, nous nous sommes lancés dans la pente raide. C’était Amélie Giloux, la nièce d’Angelin de la Frache, une jeune et jolie fille en âge de se marier qui était placée chez le notaire de Colmars. Personne raisonnable et pieuse, habituée des lieux, elle ne pouvait s’être suicidée à la veille de ses noces et encore moins avoir un accident en pareil endroit. Alors plus que jamais, on reparla du Diable. Comme mon oncle s’approchait du corps mutilé pour dire quelques prières avant de l’emporter, on remarqua une longue entaille marquant le cou, de la nuque à la gorge.
« Elle a été attaquée et blessée avec un couteau », remarqua quelqu’un. « Elle s’est même défendue », ajouta un autre en retirant une poignée de poils roux des doigts recroquevillés de la pauvre morte. « On croirait des poils d’ours ! ». En un sens ces constatations macabres nous rassuraient. Si Amélie s’était battue contre quelque chose de vivant, une sorte de monstre velu qui pouvait se toucher et s’attraper, la menace ne venait plus d’un insaisissable sortilège du Malin.
Le soir même, baile et consuls réunis, décidèrent d’organiser de vastes battues aux alentours, depuis le vallon du Bourguet en passant par le Drouit et, de là, vers le Col, la Bouisse jusqu’à l’Aiglières. Les trois jours suivants, tous les hommes valides d’Entraunes, accompagnés des meilleurs chiens de chasse, visitèrent chaque recoin de la montagne sans aucun résultat.
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