25/03/2006
INSOLITE
EXCOMMUNICATIONS
( deuxième partie )
Par contre à Contes, au printemps 1508, tout ne fut pas aussi simple. Des chenilles coriaces désolaient la population par leurs ravages, n'épargnant aucune culture. Les moyens classiques n'avaient pas abouti. En dépit des feux allumés dans les champs et des séances d'exorcisme pratiquées par les curés, rien ne pouvait déloger les terribles prédateurs. Les séances du conseil communal se succédaient sans apporter une solution capable d'écarter le terrible fléau.
Là encore, le secours vint de l'église. D'éminents juristes niçois conseillèrent à la communauté d'intenter un procès en bonne et due forme aux chenilles, devant le tribunal diocésain. Avec le plus grand sérieux, une requête introductive fut déposée par le procureur Isnard Sismondi, auprès du révérend Barthélemy Caroli, président de l'officiel, docteur en décrets, juge et lieutenant du révérendissime seigneur Augustin Ferrari, évêque de Nice et Comte de Drap. La procédure mise en route aboutit à une information ouverte par un théologien délégué conduisant les chenilles à comparaître devant le tribunal. Des avis placardés dans les champs notifièrent aux intéressées cette grave décision. Ne négligeant rien, le tribunal désigna un défenseur des insectes inculpés en la personne du sieur Caravasquini. Brillant avocat, ce dernier essaya de gagner du temps en retardant la procédure. A l'ouverture du procès, et en l'absence des chenilles qui n'avaient pas daigné comparaître, Caravasquini prit habilement la défense de ses clientes dans une plaidoirie qui jeta la confusion dans le prétoire. «Ne craignez-vous pas, dit-il en substance, que ces créatures aient été envoyées par la Sainte Providence pour punir les habitants de Contes d'avoir éconduit sans pitié les pauvres qui mendiaient à leur porte ? Mes clientes ne peuvent encourir l'excommunication, ni en droit, ni en raison pour avoir servi les desseins du Seigneur». A ces paroles la stupeur s'installa dans la salle d'audience, désarçonnés les juges hésitèrent. Le procureur Sismondi rendit enfin la sentence. Verdict de clémence, puisque les chenilles se voyaient offrir le quartier de Pierrefeu pour y poursuivre leur détestable activité. «Zone peuplée de plusieurs espèces de bois, plantes et feuillages outre l'herbe, de l'autre côté du Paillon sur les pentes du Mont Macaron». Néanmoins si un mois après la publication du jugement les intéressées refusaient de quitter les terres cultivées, leur excommunication serait prononcée. Pour faire bonne mesure, les habitants de Contes, coupables de manque de générosité envers les affamés, furent condamnés, bien que plaignants, à un jeun rigoureux d'un mois. Enfin la petite communauté faisant preuve d'avarice se vit taxée d'une dîme extraordinaire en argent, payable à l'évêque de Nice. Craignant sans doute d'être rejetées du sein de l'Eglise, les chenilles prudentes décidèrent d'un commun accord de partir avant le délai fatidique. Cette belle réussite fut hélas entachée par les réflexions désabusées de quelques mécréants niant dans cette affaire l'intervention divine. Les affreuses larves n'auraient abandonné les champs qu'après avoir tout dévoré, cherchant alors ailleurs ce qu'elles ne trouvaient plus sur place. Mais où l'intervention du curé rejoint le plus la démarche occulte du sorcier, c'est sans conteste dans la lutte conduite contre les fléaux venus du ciel comme la grêle. Paul Canestrier rapporte, dans l'un de ses récits, le souvenir ému qu'a conservé le Val de Blore, d'un curé de la Bollène qui trente ans durant épargna la grêle à ses paroissiens. Apercevait il quelque nuage ardoisé, précurseur de la grêle, du côté du Baous de la Frema ou du Mont Rajat ? Il se réfugiait sous le porche de l'église. Dès qu'ils le voyaient là les gens étaient rassurés. Son bréviaire à la main, il fixait obstinément les nuages suspects et marmonnait des paroles dont il avait le secret. Puis, le bras tendu, il montrait aux nuées le chemin. Elles évoluaient vers la Colmiane, le Caïre Gros, le Viroulet et se condensaient au-dessus du Bois Noir. Il leur donnait quartier dans les garrigues rocailleuses, à la lisière du bois. Souvent les nuages se dissipaient et le ciel retrouvaient son admirable lumière. Quelquefois ils ne pouvaient se résoudre à leur défaite et déversaient la grêle sur le quartier assigné, sans aucun préjudice pour la population et les cultures. Le curé de la Bollène Val de Blore ne connut jamais les mésaventures de son collègue de Barels situé au-dessus de Guillaumes dans la haute vallée du Var. Menaçant les nuages du poing, sans leur avoir indiqué le lieu où ils devaient se délester de leur grêle, ceux-ci prirent la direction indiquée par le poing. Espiègles ou conseillés par le Malin, ils lâchèrent leur grêle sur les campagnes de Bouchanières y dévastant cultures et récoltes. Longtemps les gens de Bouchanières tinrent rigueur à ceux de Barels de ce qu'ils considérèrent comme une malveillance et non comme une simple erreur d'aiguillage céleste.08:30 Publié dans Découverte du Pays d'Azur | Lien permanent | Commentaires (0)
22/03/2006
INSOLITE
EXCOMMUNICATIONS
( première partie )
Au cours des siècles passés, l'Eglise a laissé dans ses annales des témoignages où l'étrange se mêle curieusement aux préoccupations quotidiennes des habitants du Pays d’Azur. Dans les situations désespérées où la raison demeurait impuissante, on n 'hésitait pas à faire appel en un ultime recours aux rites religieux. Avec ses prières et son bénitier le prêtre rivalisait alors avec le meilleur sorcier. Il chassait le démon d'une maison ou d'une étable infestée par la maladie, par quelques signes de croix, excellant même dans la lutte contre les fléaux naturels.
Ainsi à Nice en novembre 1650, l'évêque en personne, accompagné des chanoines du chapitre, grimpa sur une barque pour conjurer les marsouins qui depuis des semaines déchiraient sournoisement les filets des pêcheurs. Mieux encore, le prêtre de Duranus n 'hésitait pas, après la messe du dimanche, à apporter son concours à la protection de l'agriculture en aspergeant d'eau bénite des feuilles de choux rongées par la vermine, apportées là par les fidèles. Ces précieuses aspersions jointes à des adjurations rituelles appropriées produisaient souvent le meilleur effet. Si les maudites bestioles rechignaient à quitter les champs, elles s'exposaient alors aux menaces du clergé qui leur «donnait quartier», c'est à dire qu'ordre leur était intimé de s'éloigner des cultures, vers des versants plus arides. Si l'injonction restait sans effet, les créatures dévoreuses encouraient alors des sanctions allant de l'exorcisme * à l'excommunication ! Selon P. Canestrier, on rencontre dans les archives, plusieurs cas de refus de prêtres d'exorciser les animaux. Cela s'explique par un préjugé alors répandu. Si l'exorciste n'était pas lui-même sans reproche, le diable incarné dans ces animaux se manifestait au cours de l'exorcisme pour reprocher à l'exorciste son indignité. Il apparaît parfois que le diable donna même la bastonnade à l'exorciste. C'est du moins ce que l'on raconte. Dans toute la région, les témoignages de réussites abondent. A plusieurs reprises, les chenilles seront chassées par ces singuliers procédés à Villeneuve d'Entraunes et à Barels. Tout près de là à Saint Martin d'Entraunes en 1890, des centaines de papillons, avides de nectar, s'attaquèrent aux fleurs des pommiers. Le prieur décida d'utiliser les grands moyens. Une procession, bannières déployées, circula en entonnant des cantiques dans les vergers atteints par les parasites. Parvenu sur un tertre dominant la campagne, le curé prononça d'ultimes invocations en levant les bras au ciel. A ce geste, une nuée de papillons s'éleva, tournoya et disparut vers la montagne.08:30 Publié dans Découverte du Pays d'Azur | Lien permanent | Commentaires (0)
19/03/2006
DIABLE
Des revers de fortune entraînent parfois le Diable dans la défaite, face à des justiciers spécialisés trônant comme Saint Michel à Nice (Musée Masséna) ou Saint Bernard à Roure et Lucéram.
Les substituts du Diable, Dragon, Tarasque et autres monstres, mis eux aussi en échec par des saintes averties, achèvent le cortège des vainqueurs aux quatre coins du département.
Les mentalités changent à la fin du Moyen-Age après le Concile de Trente, ces terrifiantes images s’effacent sous un prudent badigeon. Elles ne seront dégagées qu’au cours des restaurations contemporaines.
Si le Diable abandonne les murs des chapelles et des églises, il ne disparaît pas pour autant dans les mentalités puisque toujours présent dans les traditions orales et les superstitions de la vie quotidienne.
Ses démêlés avec les gens de Coaraze qui lui coupèrent la queue à raz, avec ceux de l’Escarène qui lui ravirent sa bourse ou avec ceux de Contes qui réussirent à l’engluer, émailleront longtemps les veillées de la vallée du Paillon.
A Eze, le Diable sera encore une fois berné par les villageois auxquels il avait construit un pont magnifique, moyennant l’âme du premier à le traverser. Rusés, ils envoyèrent un chien. Dépité, l’Ange du mal détruisit le pont. Evidemment, comme tout ce qui concerne le Diable, ces faits sont sujets à caution !
Non content d’agir lui-même, le Diable envoie sur terre des monstres dressés à faire le mal comme ce dragon, avaleur de Sainte Marguerite qu’on lui oblige à rendre indemne ou ce « magou » malicieux s’insinuant dans les eaux, les forêts ou les souterrains pour effrayer les gens. Le «drac » aussi, ce dévoreur d’enfants et la «coulobre » figurant sur le portail de l’église d’Utelle : énorme serpent mangeur de génisses à qui il fallait sacrifier chaque année une jeune fille ou jeune homme bien tendre.
N’oublions pas ces démons décrits dans un mystère dialectal du XV ème siècle, ayant pour devise « Mal Far », avec leurs mâchoires de loup, leurs oreilles d’âne, guettant les malheureux égarés dans les galeries des mines abandonnées, ces couloirs de l’Enfer où ils soufflent les bougies, comme à Salèse au-dessus de Saint Martin Vésubie. Lorsque le duc de Savoie Emmanuel Philibert désira réexploiter les mines de Salèse, creusées par les Sarrasins, ces amis des démons, il fallut exorciser ces lieux possédés. On eut recours à une Bulle Pontificale (2 août 1560), lue en l’église paroissiale, pour enfin sortir un peu de plomb argentifère.
Mais là ne s’arrêtent pas les facéties du Diable. A l’abri de ces considérations humaines, les desseins de Satan restent aussi impénétrables que ceux de la providence. Si aujourd’hui les temps sont devenus plus durs pour le Diable, il courbe le dos et nous attend au tournant. Pour le prince du déséquilibre, notre nouveau siècle devrait être en or.
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