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22/06/2013

"CONTES ET LÉGENDES DU PAYS D'AZUR", LES MÉSAVENTURES DE SAINT ERIGE

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« L’homme n’est rien d’autre que la série de ses actes.» Hegel

  

Aux Ve et VIe siècles de notre ère, la religion chrétienne s'est installée, bien que dominante elle voit ses grandes figures vivre encore des destins cruels et exemplaires, tel celui de saint Erige ou Ariey quatrième évêque de Gap mort en 604.

A cette époque l’ours pouvait encore vivre en paix, mais toujours sur ses gardes, car les hommes lui reprochaient de varier ses menus végétariens par quelques gigots de moutons... Or, voici qu'en 579, un nouvel évêque fut nommé à Gap, Né à Chalon-sur-Saône, il s'appelait Arigius, fils d'Apocrasius et Sempronia, de noble famille gallo-romaine, et fut baptisé par saint Didier, évêque de la ville, puis de Vienne. Ordonné prêtre par Mgr Syagrius, à Grenoble, il reçut d'abord une paroisse du Trièves, puis vint à Gap. Il trouvait son diocèse en triste état, fort négligé par son prédécesseur, Sagittaire, figure pittoresque, mais peu évangélique.

Aredius, que nous appelons Erige en Provence (Arey à Gap), eut tôt fait de réformer son diocèse, il y fonda même une école, devenue vite célèbre. En 595, il se rendit à Rome, où il se lia avec le Pape saint Grégoire le Grand, qui lui écrivait affectueusement: «De nous deux, l'amitié ne fait qu'un».

Après sa journée laborieuse, notre évêque aimait monter à la chapelle Saint-Mamert, sur la colline Saint-Mens (déformation de Mamert).

Le mercredi saint de l'an 605, en une tiède soirée où le printemps éclatait partout, il passa près de «la fontaine des ânes», où clabaudait un groupe d'horribles êtres tout noirs... des démons à n'en pas douter. Ils se vantaient à qui mieux mieux de pièges tendus aux hommes: «Moi, j'ai fait vendre à faux poids !..» - «Moi, j'ai brouillé trois ménages, aujourd'hui...» - «Vous me faites bien rire», intervint le plus grand et le plus fort d'entre eux, «tel que vous me voyez, j'ai mis notre nouveau Pape en état de péché mortel... Il va donc célébrer demain une messe sacrilège... Qui dit mieux ? »

- « Et tu crois que ça va se passer comme ça ? », cria une voix indignée. C'était Erige qui pénétra dans le cercle démoniaque. «Vous n'y pouvez rien changer», ricana l'autre. - « On va voir ça: je t'ordonne de me porter à Rome !.. « Tous les diablotins de s'esclaffer, mais leur chef releva le défi : «Eh bien, allons-y, montez sur mon dos ! ».

Il n'y avait plus à reculer... Erige se cramponna comme il put aux épaules du démon, qui s'envola aussitôt. Un tableau du XVllle siècle, nous dit J. Vollaire, montrait cette scène fort pittoresque: l'évêque, très digne sur sa monture infernale vêtue (pour les convenances !) d'une chemise noire et de culottes rouges.

Chevauchant un diable pieds et mains griffus et fourchus, tête crépue et cornue, comme il convient à un prince des ténèbres. L’évêque, survole déjà la tour romaine de Briançon, puis passe le Mont-Genèvre en rase-mottes par la nuit close.

Erige entrevoit quelques lumières tremblantes dans l'obscurité, les villes italiennes, sans doute. Mais quel voyage !.. Il y a des trous d'air, le cœur lui manque, son nez gèle à cette altitude, il craint de lâcher prise... cette fois ça y est... non, le démon pique vers un halo doré, qui perce la nuit. «Rome, tout le monde descend... », dit-il narquoisement, et il pose rudement son passager par terre. Reprenant ses esprits, notre évêque prononce alors les exorcismes de rigueur, et le coursier infernal disparaît en ricanant.

Dès l'aube, il pénètre auprès du Pape Sabinien, Pontife très contesté dont le règne fut court. «Mais, je vous croyais à Gap», dit ce dernier, tout étonné. «J'en arrive pour vous, tout exprès... » et Erige de confesser le Pape, de l'absoudre (car le démon s'était un peu vanté), et de se rendre avec lui à la célébration du Jeudi saint. Après quelque séjour dans la Ville Éternelle, il faut bien rentrer. Mais pas question de recourir à un transport aérien, dont l'occasion manquerait d'ailleurs. Notre évêque frète un chariot tiré par deux honnêtes bœufs, sur lequel il entasse tout un bagage: reliques avec certificat d'origine, manuscrits à faire copier dans son école, ornements liturgiques pour ses églises les plus démunies, etc. Lui-même prend l'aiguillon, et l'attelage s'ébranle avec une sage lenteur.

«Chi va piano, va sano... » dit le proverbe: à force de remonter tout plan-plan la péninsule italienne, l'équipage finit par arriver au col du Mont-Genèvre, et Erige calculait déjà en combien d'étapes il serait rendu à Gap, lorsqu'il se fit un grand bruit de broussailles cassées dans la forêt de mélèzes, sur le versant de la montagne. Les bœufs frémirent et s'arrêtèrent net. Un ours énorme, «bien fourré, gros et gras», sortit alors du bois et se dirigea vers le chariot. L'un des bœufs, animal encore jeune, fut tellement terrorisé qu'il échappa au joug et s'enfuit dans la nature. Que faire, maintenant ? Messire Brun semblait s'intéresser au véhicule qu'il vint flairer de près. L'évêque lui dit alors: «Ecoute, tu vas me rendre un service. Par ta faute, je ne puis plus rentrer chez moi. Sois gentil, aide-nous un peu à tirer dans la descente, jusqu'à Briançon». Et, nous dit la chronique, voilà que l'ours vient s'atteler de bonne grâce, avec l'autre bœuf qui consentit à le supporter.

Après Briançon, il offrit de continuer, par des grognements expressifs. Erige prit en amitié son brave compagnon et le nourrit de son mieux. Vous dire le succès qu'eut l'attelage, tout au long de la Durance, serait impossible !.. Et le retour à Gap, donc !.. les gens n'en revenaient pas. On logea Messire Brun dans une dépendance de la maison épiscopale, et il visita la ville, sans omettre de rafler carottes ou gâteaux de miel aux étalages des verdurières. Mais on choyait «l'ours de Monseigneur», et personne ne protesta. Puis, il eut la nostalgie des hautes vallées, des forêts profondes, et il disparut... On le regretta... On l'oublia...

L'an 614, canonisé par la «vox populi», l'évêque Erige mourut. Le deuil fut grand, et l'on prépara de solennelles funérailles. On ressortit le chariot, où le cercueil ouvert fut déposé. Saint Erige y reposait, mitre en tête et crosse en main. Il allait partir pour son dernier voyage, tiré par deux bœufs, lorsque de grands cris s'élevèrent dans la foule: « C’est lui, le revoilà... laissez le passer... ». Et Messire Brun vint se placer à côté de l'attelage. Vite, on lui fit remplacer l'un des bœufs, et il conduisit son ami au cimetière... après quoi, il disparut à nouveau...

L'office de saint Erige avait été fixé au 1er mai. Eh bien! Bonnes gens, croyez le ou non, chaque 1er mai, l'ours entrait dans la cathédrale pour rendre hommage au saint; on finit par réserver une stalle à ce nouveau chanoine. Il repartait ensuite pour la forêt de Boscodon, où il avait élu domicile. On l’avait su, en le suivant à distance respectueuse, car il ne supportait plus aucune familiarité, pour bien marquer son amitié avec le seul saint Erige. Certains l'avaient rencontré dans la forêt, buvant à une fontaine limpide. Et puis, un 1er mai, Messire Brun ne vint pas... on attendit anxieusement l'année suivante... toujours personne... plus jamais, l'ours de saint Erige ne reviendrait.

En Provence, on vous dira que saint Érige, avait fait voile d'Ostie à Nice. Revenant de Rome après avoir été reçu par le Pape, il quitte la côte pour s'enfoncer dans la montagne. Passant par le village aujourd'hui ruiné de Roccasparviéra, près des sources du Paillon, il s'abrite pour la nuit dans la grotte de Serpatière, ouverte sur l'effroyable précipice des gorges de la Vésubie, appelé depuis la Révolution «le Saut des Français», il y étouffe alors de ses mains un serpent énorme: «la Coulobre».

Il cheminait par la vallée de la Tinée, quand il fut assailli par des brigands. Une main puissante l'enleva dans les airs (il y était voué, décidément), et le déposa cinq cents mètres plus haut, sur l'alpage d'Auron, où les gens de la Tinée qui fauchaient les prés, ouvrirent des yeux écarquillés. Une autre version, précise qu’il leur échappa en bondissant à cheval au-dessus des clues profondes de Chalancas. Faisant halte à Auron, il aurait laissé sur un roc l'empreinte des sabots de sa monture. Remis de ses émotions, Erige poursuivit son scabreux voyage vers le Nord. Alors qu’il remontait vers le col de la Cayolle en chariot à bœufs, traversant une épaisse forêt du val d’Entraunes sur  un char tiré par deux bœufs, un grand bruit de broussailles cassées se produisit, un ours attaqua l'attelage égorgeant une des bêtes de trait. Sur l'ordre de l'évêque le fauve s'apaisa puis se plaça docilement à côté du bœuf survivant pour traîner le char jusqu'à destination, avant de rejoindre la forêt. Lorsque l'évêque meurt dans sa bonne ville de Gap, l'ours affligé vient suivre le convoi. Puis, aussi longtemps qu'il vécut, quitta chaque année ses fourrés pour assister sagement aux cérémonies de la fête du saint. La population, heureuse de le voir, le gavait alors de friandises.

Les principaux épisodes de la vie du Saint Erige sont représentés dans les fresques du XVème siècle qui décorent la chapelle d ' Auron.

En effet, le culte de saint Erige a dépassé largement les limites de sa cité épiscopale de Gap et les habitants de la Tinée ne furent pas en reste. On éleva, à Auron, une grande chapelle Saint-Érige, au toit de mélèze, et à double abside. Dans l'une d'elles, sous un Christ en Majesté, la vie de notre saint fut peinte en 1451. On ne le voit pas, et c'est bien dommage, chevaucher son coursier infernal, mais Messire Brun tire pieusement le cercueil de son ami. Chaque année, au 1er mai, un pèlerinage montait de Saint Étienne de Tinée à Auron, où la chapelle jouissait de nombreuses indulgences pontificales, accordées sur la demande des «consuls». On peut en déduire que l'influence gapençaise s'étendait jusqu'au petit Auron, devenu maintenant une élégante station de ski. D'ailleurs, nous voyons aussi sur le mur de la chapelle, notre saint et le donateur, ou le peintre, agenouillé: «Dominicus Rapuc». La copie de ces fresques se trouve au musée Masséna de Nice.

D’après «Les Contes et Légendes du Pays d’Azur» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 23 euros, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

 

14/06/2013

"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR","UN NID DE COMMUNISTES" DANS LE VAL D'ENTRAUNES...

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 «On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »

René Char

La crise économique et le courant unitaire devaient aboutir à la victoire du Front Populaire aux élections législatives de 1936. Trois députés sur six dont deux communistes, furent envoyés à l’Assemblée Nationale pour représenter les Alpes Maritimes.

La radicalisation du paysage politique devint ainsi manifeste, n’épargnant pas les plus petits villages comme Villeplane.

Georges Maurel, le garagiste du Bourguet, militant actif du Parti Communiste, venait régulièrement à Villeplane visiter la mère et la fille Grassi, leur apportant les nouvelles et commentaires de la lutte conduite par le Parti, dans le canton et le département. Suivaient immanquablement quelques numéros de l’hebdomadaire « Le Cri des Travailleurs », charge à elles de diffuser « la bonne parole » dans le village.

Les deux femmes, sympathisantes convaincues, n’avaient pas adhéré de suite.

Paola, la fille, se décidera à prendre la carte en 1937, à l’occasion de la campagne électorale des cantonales.

Celle-ci lui sera remise solennellement au Bourguet, lors d’une réunion de la section par le camarade député Henri Pourtalet, venu soutenir la candidature de Maurel dans le canton.

Invité à Villeplane, Henri Pourtalet reçut évidemment le meilleur accueil à l’auberge Grassi. C’est dans ce havre de paix qu’il viendra régulièrement se détendre, pour mieux préparer ses batailles tant dans le département qu’à l’Assemblée Nationale. Entouré de la sollicitude et de la sympathie des deux femmes, toujours aux petits soins pour ce glorieux représentant du peuple, il étudiait, lisait, élaborait ses interventions, confortablement installé sous les parasols en compagnie de son épouse.

Cette présence ostentatoire dans ce modeste village devait apporter le meilleur et le pire.

La qualité et la couleur politique de l’hôte des Grassi prêtaient à plus d’un commentaire, suscitant les chamailleries des clans antagonistes.

Accueilli chaleureusement par certains, diabolisé par d’autres, le nouveau député rouge au visage avenant, barré de grosses lunettes, à la stature imposante, doté d’une voix de tribun, n’avait rien du « communiste au couteau entre les dents » exhibé de manière menaçante dans la propagande de droite.

Secrètement flattée de côtoyer un homme aussi important, Paola n’hésitait pas à s’afficher délibérément en compagnie du couple Pourtalet.

Si la curiosité attirait certains villageois à l’heure de l’apéritif, d’autres fuyaient prudemment ce « nid de communistes », faisant même un détour pour éviter la place et l’obligation de saluer les invités des Grassi.

Le souvenir de ces visites sera plus que jamais présent dans les esprits lorsque tout basculera durant l’été 1939, à la veille de la déclaration de guerre.

Les événements vont se précipiter. Dès le 22 août les réservistes de Villeplane porteurs du fascicule bleu doivent se rendre au P.C. du bataillon, situé au Bourguet. Suivent les réquisitions des logements, camions, mulets et téléphones.

Le 26 août sont rappelés les fascicules 2, 5 et 6, le rationnement de l’essence et la mise en place de l’éclairage d’alerte sont institués au village.

Brutalement, le fossé se creuse isolant les communistes, après la signature, la nuit du 23 au 24 août, du pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS.

Le député Jonas, élu radical-socialiste du Front Populaire dans les Alpes Maritimes, déclare dans le « Petit Niçois » : « Le Gouvernement des Soviets, par l’alliance avec l’Allemagne alors que les pourparlers étaient en cours avec la Grande-Bretagne et la France pour garantir la Paix, vient de commettre un véritable acte de trahison. Devant cette attitude aussi invraisemblable qu’inqualifiable, je déclare expressément rompre toute relation avec ceux qui, par un aveuglement inconcevable, conservent une quelconque sympathie pour le gouvernement des Soviets qui nous a indignement trahis. ».

Sur la Côte, les vendeurs du « Cri des Travailleurs » sont malmenés par les  mobilisés. L’hebdomadaire communiste est saisi par la police le 29 août. Le Préfet ordonne des perquisitions dans les locaux du Parti Communiste.

Le 1er septembre à 15 h 30, les affiches tricolores ordonnant la mobilisation générale apparaissent sur les murs de Villeplane et de ses hameaux. Les habitants se résignent à l’inévitable. La déclaration de guerre à l’Allemagne est proclamée le 3 septembre.

Désorganisé par la mobilisation, le Parti Communiste privé de presse ne peut expliquer la guerre et le pacte germano-soviétique.

La confusion s’installe chez les militants désorientés. Certains faiblissent, d’autres s’irritent contre l’URSS l’accusant de trahison. Paola sera de ceux qui ne condamneront pas formellement le pacte. Ce climat d’incertitude nuira à la riposte et aux explications du Parti.

Compte tenu de la menace d’intervention italienne, Villeplane, petite commune rurale, se voit contrainte d’héberger un nombre considérable de soldats.

Dans ce contexte, l’auberge Grassi est très vite réquisitionnée pour accueillir cinq sous-officiers : l’adjudant chef Alphonsi, un corse militaire de carrière, ancien de la Coloniale, les adjudants de réserve Dalbera et Peyrani, ainsi que deux sergents-chefs.

Le Café ne désemplit pas, devenant très vite un lieu de rencontre et un forum de discussion où se retrouvent les sympathisants communistes du secteur.

Dalbera, instituteur socialiste, se mêle volontiers à ces âpres débats le plus souvent à caractère revendicatif, induits par l’oisiveté et le fléchissement du moral miné par l’attente.

Peyrani, fleuriste niçois, penche en faveur du P.P.F. d’extrême droite récemment hostile, comme les communistes, aux accords de Munich, qualifiés de lâche démission. Estimant perdre son temps, il souhaite en découdre sans tarder.

Alphonsi, vieux militaire aguerri qui a connu 14-18 et la guerre du Rif, ne doute pas de la victoire.

Le 26 septembre le Parti Communiste est dissous, compte tenu de son action contre la guerre.

Trois mois plus tard, le 31 décembre, le Mistral se lève brutal, il soufflera en tempête trois jours durant, attisant les passions déjà suffisamment exaltées par l’attente crispante, les déceptions et les rancœurs.

Le soir du Réveillon de fin d’année, l’ambiance est chaude à l’auberge Grassi, d’autant plus que les permissions ont été refusées aux frontaliers.

Les soldats réunis dans la salle du Café, devenue trop étroite, entonnent l’Internationale le poing levé !

Les échos de ce chant révolutionnaire parviennent aux oreilles de l’abbé Pellegrin, cocardier partisan de l’ordre. Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase des ressentiments accumulés depuis des lustres contre la famille Grassi.

Le lendemain aux aurores, l’abbé enfourchera sa moto soutane retroussée, pour foncer au Poste de Commandement du Bourguet, y dénoncer les outrances de celles qui « infectent sciemment le moral de notre belle armée. ».

Il demandera au capitaine De Masières, de fermer sans tarder « ce repaire de défaitistes rouges. ».

La justice militaire se montrait alors impitoyable en pareil cas. Ailleurs, dans le département, déjà une dizaine de mobilisés et une vingtaine de civils avaient été condamnés à des peines s’échelonnant de trois à dix ans de prison, pour défaitisme, insubordination et activité communiste.

De Masières de Saint Alban, descendant d’une famille noble, ancien des « Croix de Feu » avait accueilli chaleureusement l’abbé Pellegrin.

Il lui avoua être au courant des faits et gestes de Paola Grassi, une dangereuse « Passionnaria », diffusant dans la troupe des tracts de propagande communiste.

Il n’était pas mécontent de pouvoir enfin « la coincer ».

Peu enclin à pardonner ces comportements subversifs, l’officier rassura son visiteur en lui confirmant établir un rapport circonstancié, remis sous 48 heures à son supérieur hiérarchique le colonel Keller, afin de neutraliser ces ennemis de l’intérieur, les pires !

Informé de cette perfide menace, l’adjudant chef Alphonsi avait prévenu ses hôtesses  à mots couverts, les invitant à « se tenir à carreau ».

Averti du danger qui pesait sur le destin du Café Grassi, le maire Clément Payan se rendit le soir même au Bourguet, pour y rencontrer le colonel Keller.

Keller, alsacien antiallemand et patriote convaincu n’avait pas pour habitude de transiger avec la sécurité. Néanmoins, homme de cœur, il pencha pour la clémence lorsqu’il apprit que sa décision mettrait en cause la survie d’une modeste affaire familiale, tenue par une veuve et sa fille. Un avertissement devait suffire.

De Masières insista, il fallait une sanction exemplaire.

Le lendemain, Paola recevait une convocation adressée par la Gendarmerie du Bourguet.

Sa mèche brune en bataille ne réussissait jamais à cacher le haut de son front dressé et accusateur, son verbe enflammé ignorait les pauses et son énergie sortie d’un corps fluet faisaient de Paola une sorte de Jeanne d’Arc de la cause communiste dans son village.

C’est avec un foulard rouge provocateur, noué autour du cou qu’elle débarqua déterminée à la Brigade. A vingt cinq ans cette fille courageuse, conservait une allure d’adolescente rebelle.

Le Chef Dalmasso, un gendarme bonasse et moustachu l’accueillit paternellement, avant de la faire patienter.

Reçue par les officiers Keller et De Masières, elle fut longuement interrogée. Contestant avec véhémence certaines accusations au nom de la liberté de penser, Paola se lança dans une violente diatribe politique. De Masières, le sourire aux lèvres, la laissa aller au bout de ses propos véhéments. Puis s’adressant à elle : « Mademoiselle, votre attitude est une aberration. Vous devriez abandonner votre Parti. Quand on a la chance d’exploiter un débit de boisson fréquenté par des militaires, on s’efforce d’être neutre et de respecter toutes les opinions.

Désolidarisez-vous des Soviets et votre affaire sera classée sans suite. Il vous suffit pour cela de signer une déclaration où vous condamnez le soutien de votre Parti au pacte germano-soviétique et vos ennuis seront finis. Par contre, si vous vous obstinez, non seulement nous fermerons votre Café, mais vous serez traduite devant le Tribunal Militaire où vous encourrez une peine minimum de cinq ans d’emprisonnement et 3000 francs d’amende.

– Je ne trahirai jamais mon idéal. Comme mon père disparu qui conservait sur lui la photo de Lénine, j’ai foi en l’avenir du communisme porteur d’un bonheur  radieux pour tous les hommes.

– Allons, une jolie fille comme vous n’a pas vocation à jouer les martyrs, réfléchissez Mademoiselle Grassi. ».

Après avoir délibéré, les deux officiers firent à nouveau entrer l’irréductible et farouche Paola.

Le Colonel Keller lui annonça la sentence. S’il n’y avait pas de poursuites judiciaires, une décision de fermeture du Café était prise pour une durée de six mois.

En juin 1940, avec la fin des hostilités, le Café Grassi put à nouveau rouvrir et recevoir sa clientèle. Paola retrouva son sourire et sa place derrière le comptoir avec toujours la même fierté dans le regard.

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

07/06/2013

ARNAUD DE VILLENEUVE MEDECIN, ALCHIMISTE,MAGICIEN ET PHILOSOPHE PROVENCAL

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Les chroniques insolites des Alpes Maritimes se devaient d'accorder une place privilégiée à Arnaud de Villeneuve, célèbre médecin, alchimiste, magicien et humaniste de cette époque carrefour du Moyen Age.

Cet esprit universel qui opéra dans tous les domaines de la connaissance mérite l'estime et le respect pour avoir su avec courage innover et transformer des procédés sclérosés depuis l'Antiquité.

Les succès et les résultats probants de ses entreprises touchèrent aux disciplines les plus singulières comme l'alchimie, lui attirant la considération des personnages illustres de son temps, contribuant par la même à sa renommée. C'est grâce à cette estime qu'il sera protégé des jalousies et des accusations de sorcellerie.

Arnaud de Villeneuve vécut à l'une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de la France et de l'Europe. La science et la philosophie antiques sont encore transmises à travers les écrits des pères de l'Eglise, alors que nous parviennent ceux des savants juifs et arabes devenus sujets d'études et de discussions dans les facultés des universités en formation.

Une méticuleuse observation des faits comme l'analyse et la synthèse appliquées à la critique stimulent de nouvelles valeurs intellectuelles parmi lesquelles se distinguent des savants comme Avicenne, Averroès et surtout Roger Bacon. Leurs méthodes contestataires s'avéreront souvent préjudiciables à la tranquillité des chercheurs qui s'y livrèrent.

C'est dans ce contexte d'éveil de la connaissance que va s'imposer Arnaud de Villeneuve, qui sera l'un des plus célèbres médecins du Moyen Age.

Reprenant les travaux d'Hippocrate, Galien, Celse, pour en critiquer et en améliorer l'enseignement, il s'intéressa avec succès à l'alchimie et sera même de ce fait qualifié de magicien et de sorcier.

Savant, mais aussi philosophe, il sera attentif à tout et voyagera beaucoup écrivant de nombreux ouvrages. Ses critiques seront appréciées et jugées audacieuses par ses successeurs dans les deux siècles qui suivront.

Considéré comme un maître incontesté par les médecins et alchimistes du Moyen Age, sa renommée sera en partie effacée par celles de Lulle, Paracelse et Nicolas Flamel qui bénéficièrent d'une légende peu conforme à la réalité.

Seuls quelques rares historiens se sont intéressés à l'étude de la vie et de l'œuvre mystérieuse de ce personnage singulier aux origines obscures[1].

SA VIE

Deux suppositions ont été émises sur le lieu de sa naissance. L'une s'inspire d'une lettre du pape Clément V le faisant naître en Espagne près de Valence, mais ce document a été jugé sans valeur.

D'autres biographes ont trouvé suffisamment d'arguments pour en faire un provençal et plus précisément un natif de "Villeneuve de Vence" dans les états de Robert, roi de Naples et comte de Provence.

L'importance donnée à l'ail comme médicament et de certaines recettes dont celle du "pistou" écrites en provençal inclinent à retenir cette origine.

Mais en 1954, un chercheur marseillais, Henri Villard, va apporter une preuve déterminante en citant le testament d'un certain Jean Blaise (neveu maternel de 8 Mai 1359. Ce document révèle ainsi le lieu de naissance de son oncle : l'actuel Villeneuve Loubet.

Bien qu'Arnaud séjourne souvent et longuement en Espagne et qu'il y ait des parents et amis (une fille dans un couvent de Catalogne), il n'en est pas moins provençal.

Il serait né vers 1245, en suivant le déroulement des événements familiaux, et appartiendrait à une modeste famille dont le nom aurait pu être Bachone ou Bachinone, bien que certains lui aient prêté une filiation plus glorieuse avec le célèbre Romée, sénéchal de Provence, titulaire du fief de Villeneuve dès 1230.

Villeneuve compte en 1324 118 maisons, 95 propriétaires, un juif, un hôpital, deux portes (donc des remparts), le tout protégé par un imposant château.

C'est donc dans ce bourg conséquent qu'Arnaud passe son enfance, avant d'être instruit par les Dominicains, dont l'ordre à été crée en 1215-16, dans un centre voisin de son village
(Vence ?) où il a sans doute exercé comme apprenti médecin.

Il se rend ensuite à Aix où on lui enseigne la philosophie et la littérature, avant de poursuivre ses études à Paris pour devenir "maître-es-arts", il y côtoiera Bacon, Albert le Grand, Pierre d'Apono pendant dix ans.

Après cette solide formation philosophique et théologique, Arnaud s'installe à Montpellier pour une dizaine d'années afin d'y compléter ses études médicales. Il ira au-delà en se rendant à Valence en Espagne, pour se mettre en relation avec des professeurs et savants arabes et juifs.

Arnaud est à Barcelone en 1285 auprès du roi d'Aragon Pierre III, puis il voyage en Italie à Naples, Padoue et dans diverses villes de l'Italie du Nord.

Bien que considéré comme un médecin exceptionnel, il sera surtout renommé comme un brillant alchimiste et philosophe hermétique. C'est en 1288 qu'il réalise à Rome devant la cour pontificale une spectaculaire transmutation du fer en or.

De retour à Montpellier, il y devient professeur puis régent. Ce sera la période la plus glorieuse de cette faculté qui bénéficie alors de fructueux apports d'origines différentes : romain, gréco-arabe, mais aussi venus de la médecine celte basée sur d'excellentes formules végétales.

De par son éducation et les nécessités de ses études, Arnaud vit en étroit contact avec les gens d'Eglise et plus particulièrement avec les moines.

S'intéressant aux doctrines religieuses, il écrit avec beaucoup de liberté d'esprit, au point d'encourir les risques sévères de l'excommunication et de la prison qu'il n'évitera que grâce à de puissantes relations telles que celles des papes Boniface VIII, Benoît XI et Clément V.

Au contact des grands de son temps, il rencontre en 1299 Jacques II d'Aragon, qui, de passage à Montpellier, lui délivre un message pour Philippe le Bel. Cela n'a rien d'étonnant car Arnaud est très lié avec Guillaume Nogaret. A Paris en 1300, il doit s'enfuir poursuivi par l'Official, il quitte précipitamment la France pour réapparaître en 1301 à Gênes et en 1304 à la cour du pape !

Devenu médecin et conseiller de Frédéric roi de Sicile, il sera appelé en 1308 par le frère de ce monarque, Jacques roi d'Aragon, pour connaître la signification de l'un de ses songes. C'est à l'occasion de ce voyage qu'il s'arrête à Avignon où vient de s'installer le pape Clément V. Le Saint Père le consulte avant de prendre des décisions concernant l'organisation de la faculté de Montpellier.

A son retour, il rencontre Robert, comte de Provence couronné roi de Naples, il le suit dans cette ville de l'Italie du Sud pour y approfondir ses travaux d'alchimiste.

Bien qu'à nouveau sollicité en 1311 par le pape pour devenir son premier médecin, il décline l'offre et retourne à Paris. A nouveau poursuivi pour ses écrits qualifiés d'hérétiques, il repart en Sicile chez son ami le roi Frédéric.

Son protecteur, le pape d'Avignon Clément V, atteint de gravelle, le réclame en 1313, il s'embarque et décède durant la traversée, il sera inhumé à Gênes.

Le pape décédera en 1314, et aussitôt le tribunal de l'Inquisition s'empresse de condamner les écrits philosophiques d'Arnaud contribuant ainsi à sa réputation de sorcier.

QUELQUES REPAIRES

En cette fin du XIIIème siècle, s'achève l'épopée des croisades et l'édification des cathédrales.

Une communauté de pensée relie les habitants de l'Europe, et, le latin permet aux savants de voyager et de se faire comprendre.

Si l'Université essaie de se dégager de la pesante tutelle de l'Eglise, les bibliothèques intéressantes sont conservées dans les couvents et l'Inquisition écarte toute velléité de critique.

La science en gestation reste encore prisonnière des doctrines philosophiques de Platon, Aristote et Averroès, bien qu'adaptées aux nouvelles réalités sociales par St Augustin et
St Thomas d'Aquin.

Les élites ont une vision simpliste de l'univers limité à une seule matière soumise à l'action de quatre attributs : le Sec, l'Humide, le Froid et le Chaud. Ces forces modifiant l'aspect et la nature de la matière produisent : la Terre, l'Eau, l'Air et le Feu avec des formes intermédiaires répertoriées dans le "Monde subliminaire ou élémentaire".

Ce monde visible est enveloppé par le spirituel ou le divin. L'homme n'est que le microcosme de l'Univers (le macrocosme). Son corps est vivifié par quatre humeurs (sang, flegme, mélancolie, et colère) leurs proportions déterminent les tempéraments et leur excès ou leur manque déclenchent les maladies. L'homme et l'univers sont interdépendants et les changements de ce dernier provoquent d'importants retentissements sur le premier.

Ainsi, la position des étoiles étant fixe, seuls les astres mobiles comme le Soleil, la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne et les comètes peuvent amener des perturbations que le médecin doit apprécier pour traiter ses malades.

La défiance à l'égard des possibilités humaines, entraîne à considérer toute nouveauté comme le résultat d'une inspiration divine ou d'un commerce avec Satan.

Les savants, dans ce climat de méfiance, consignaient prudemment leurs découvertes sous une forme symbolique et quelquefois ésotérique. L'interprétation des recettes et des procédés restaient favorables ou néfastes, seulement décelables par les moyens de la magie ou de la sorcellerie.

Arnaud de Villeneuve, animé d'un esprit de recherche positif, dû comme ses confrères s'intéresser à des degrés divers à l'alchimie, à l'astrologie comme à la magie pour un exercice complet de la médecine.

Ses idées novatrices opposées aux croyances de son temps heurtèrent, et lui attirèrent les critiques et la haine de ses contemporains.

Ces rivalités calomnieuses contribuèrent à établir sa réputation de sorcier avec comme conséquence la menace du bûcher.

Personnage énigmatique, Arnaud de Villeneuve va marquer son époque en approfondissant par ses défis les domaines les plus variés de la connaissance.

LE MEDECIN

Les conceptions physiologiques de son temps entraînent Arnaud de Villeneuve, comme ses contemporains, sur les traces des théories dérivées des enseignements de Celse et Galien.

Pratiquant des analyses de sang, il y trouva colère, flegme et mélancolie, mais également un fluide : le spiritus, sorte de quintessence propre à l'homme. Il conclut que la maladie provient d'intoxications d'origine intérieure ou extérieure.

L'équilibre d'un corps est selon lui exceptionnel dans la nature et chacun possède dès sa naissance un tempérament sanguin, colérique, flegmatique ou mélancolique, le spiritus s'efforçant d'équilibrer le tout. Si un agent extérieur le déstabilise, la maladie s'installe et son pouvoir néfaste n'est plus limité que par l'influence du spiritus.

Arnaud fait preuve de nouveauté à une époque ou prévalait la méthode scolastique détachée du concret. En effet, il met en avant "la science du particulier" qui va au-delà des "universaux". Dans ses exposés, il divise les causes des maladies en choc, blessure, etc … selon les antécédents (tempérament, donc hérédité) et conjointe (mauvais fonctionnement d'un organe, prédispositions dues à des affections antérieures). Les symptômes y sont précisés, décrits et divisés en fonctionnels, physiques et subjectifs laissant entrevoir par cette démarche les prémices d'une médecine moderne.

Ses études révèlent à propos des maladies nerveuses l'existence des nerfs sensitifs et moteurs, on y trouve la description exacte de l'opération d'une fistule lacrymale, des connaissances sur la tuberculose et ses cavernes, un traitement iodé (précurseur) à base d'algues pour le goitre, des prescriptions de soins pour la lithiase urinaire et même l'humaturie du cancer de la vessie.

Les recommandations en matière d'hygiène et de soins dénotent une excellente connaissance du corps humain. La santé dépendant d'un équilibre des humeurs toujours fragile à obtenir, compte tenu du tempérament de chacun, il faut veiller à éviter le développement excessif de l'humeur dominante. Lorsque la maladie se déclenche, il est indispensable de soutenir la nature (le spiritus) en fortifiant le malade sans excès.

Sa sage thérapie impose la modération en toute chose. Il conseille le délassement intellectuel sous la forme de musique, de théâtre et de voyages ! Il invite à fuir les régimes drastiques et à éviter les changements brusques. Il préconise l'aération des maisons et encourage au chauffage par le feu de bois, il s'attache aussi à l'importance du choix des vêtements et recommande un bain quotidien pour les nouveaux nés, ainsi que le lavage régulier de la cavité buccale.

Les médicaments sont classés selon les effets à combattre (échauffer ou refroidir), selon les résultats à produire (mûrir, ouvrir, calmer), les organes à traiter (vessie, estomac, pour uriner ou digérer), ils sont essentiellement d'origine végétale. Les sels, acides et bases n'indiquent pas encore les corps qui aujourd'hui portent ces noms.

Dans un temps où la connaissance se préoccupait de la découverte de la pierre philosophale et de sa panacée, les remèdes étaient complexes. Arnaud donne les recettes pour les élaborer à partir des plantes : infusion, macération, décoction, concentration.

Il utilise également des vins aromatiques, de l'alcool en friction, tout comme du sérum rendu médicamenteux par une nourriture appropriée.

Héritier en cela des musulmans, il lui est attribué la découverte du procédé de distillation permettant d'obtenir de "l'eau ardente" (l'alcool) à partir du moût de raisin ou du vin. Cette eau aromatisée, '"l'eau d'or" - élixir de longue vie, fera sa célébrité ainsi que certains électuaires (plantes pétries avec du miel) tout comme les thériates (médicaments élaborés à partir de l'opium).

Arnaud dispense des conseils de prudence en invitant à tenir compte lors des traitements de l'âge, du sexe et des habitudes du patient, les doses se doivent d'être progressives et il faut veiller à une possible élimination. La chirurgie est rare, on lui préfère les caustiques, il mentionne néanmoins la suture des plaies par la soie et par emplâtres, l'intervention pour des flegmons, l'usage d'appareils orthopédiques pour redresser des membres ou la colonne vertébrale ainsi que des trépanations.

La saignée répandue à cette époque n'est préconisée que dans des cas exceptionnels. L'homme et le cosmos doivent être en harmonie, aussi l'usage des médicaments est-il soumis à l'influence des planètes et des signes du zodiaque, comme cela se pratique depuis la nuit des temps dans les civilisations orientales (Tibet, Chine, Inde).

Les éléments qui composent certains remèdes relèvent parfois du merveilleux comme les cendres d'abeilles, les cheveux de Vénus (?) et l'huile de rose dont l'assemblage favorise la repousse capillaire comme celle des cils et sourcils.

Arnaud de Villeneuve avec sagesse et modération reprend les théories de son époque et, par l'expérience et une brillante synthèse, il les adapte à une meilleure connaissance du corps humain, sous ses aspects les plus divers.

Observation des réactions du patient, équilibre de l'organisme, respect de certaines règles élémentaires d'hygiène orientent une recherche fructueuse vers les diverses fonctions du corps.

La mise en relief de l'aspect subjectif du malade, dans la démarche incertaine de la médecine de ces temps obscurs, bouleverse les règles théoriques établies jusque là.

L'ALCHIMISTE, MAGICIEN ET PHILOSOPHE

Homme universel, doué d'un talent aux multiples facettes, Arnaud de Villeneuve, reconnu pour sa science médicale, a été très contesté pour ses opinions philosophiques et religieuses, tout comme pour ses recherches touchant au domaine du surnaturel.

Le dominicain de Bologne, Bzovius, affirma en 1620 qu'Arnaud avait été un "homme exécrable par le commerce qu'il entretenait avec le Diable pour se permettre d'opérer la transmutation des métaux". Kircher prétend à la même époque (1664) qu'Arnaud était parvenu "à un tel degré de folie qu'il se vantait d'avoir crée un homme par la chimie".

Au-delà de cette réputation de Frankenstein, il faut néanmoins reconnaître que les alchimistes et les mystiques philosophes qui lui succédèrent l'ont toujours considéré comme le plus grand des leurs. Si Raymond Lulle le cite comme son maître, Nicolas Flamel dit s'inspirer de sa science et Michel Maier reconnaît sa paternité dans ses écrits rosicruciens.

Bien que certains biographes aient qualifié d'apocryphes toutes les théories d'Arnaud qui ne touchaient pas à la médecine pour mieux valoriser ces dernières, il faut admettre qu'à cette époque, un savant ne pouvait ignorer les sciences occultes.

Marc Haven a dressé en 1896 un catalogue de ses études réparties dans diverses bibliothèques d'Europe et qui ont échappées aux foudres du tribunal de l'Inquisition. Une relecture de ces textes souvent mystérieusement codés aboutira certainement à des révélations étonnantes.

La magie y apparaît comme une donnée naturelle assez proche de la science. Arnaud n'écarte aucun phénomène et ne rejette en principe aucune manifestation que l'intelligence humaine ne peut expliquer, tout en restant prudent vis à vis de la sorcellerie au nom de la science et de la religion. Il s'intéresse à l'interprétation des songes comme autant de messages de l'inconscient, offrant des pistes capables d'aider le médecin traitant, tout comme le sert la biographie du patient.

Il signale dans son "Physicis Ligaturis" l'importance des maléfices, admettant déjà l'influence du psychisme sur le physique. Cette démarche dépasse le domaine de la magie pour atteindre à celui de la psychologie largement développée aujourd'hui.

L'astrologie démarre au IIème siècle après J.C. lorsque Ptolémée crée les douze signes du zodiaque. Elle sera vite condamnée par les chrétiens. Selon eux, seul Dieu décide du destin des hommes.

Pratiquée au Tibet, en Chine et en Inde, utilisée à des fins médicales, agricoles, politiques ou spirituelles, l'étude de l'influence des astres continue de conditionner profondément le quotidien de ces peuples.

L'astrologie omniprésente au Moyen Age occupe une part importante dans les travaux d'Arnaud de Villeneuve. Il s'essaya à faire des prévisions sur le long terme sans atteindre la réussite de son successeur Nostradamus.

Admettant l'influence du fluide astral sur le comportement des êtres et des phénomènes naturels, il plaçait le Soleil, la Lune et les planètes à l'origine des événements de la vie et des variations de la santé, tout en en reconnaissant les limites.

Mais tout comme la médecine, l'alchimie sera le domaine privilégié de ses succès. Ses travaux et ses enseignements d'une grande clarté inspireront ses successeurs. Ces idées prémonitoires ont trouvé aujourd'hui leur confirmation dans les principes établis par la chimie moderne : "La matière de tous les métaux est une et ils ne diffèrent que par des accidents", et encore : "dans la transmutation où l'art imite la nature, rien ne saurait être crée ou détruit".

Il reste beaucoup plus secret lorsqu'il s'agit d'exposer les doctrines du Grand Œuvre. Prudent, il reconnaît que malgré les apparences, l'or obtenu ne vaut pas le vrai (?).

Il semble que les méthodes développées ne furent qu'une manière d'intéresser les puissants à des recherches moins spectaculaires, mais aux résultats plus certains.

La pierre philosophale apparaît dans ce contexte comme le symbole concret d'une démarche aboutissant à une réalisation toute spirituelle.

Il est incontestable que l'étude inachevée de la synthèse de ses recherches réserve encore des surprises dans un aussi vaste domaine où se mêle l'hermétisme et l'expérience matérielle.

Homme de laboratoire, Arnaud de Villeneuve apporte les preuves de son savoir pratique, en découvrant comme l'indiquent les encyclopédies : l'alcool, l'acide nitrique et la transformation de la nature des métaux attestée par ses contemporains. Si la médecine arabe semble lui avoir ouvert la voie de certain de ces travaux de chimiste, Hoeffer admet qu'il aurait identifié le sélénium dans un état du soufre rouge.

Arnaud n'en reste pas moins comme Roger Bacon un des précurseurs de la science moderne. Esprit libre, il apparaît extrêmement critique à la lecture des textes de 1308 condamnant ses positions religieuses. En effet, il n'hésite pas à déclarer que les bulles papales et les décrets canoniques ne sont que "des ouvrages humains", de plus "que les moines corrompent la doctrine de Jésus Christ et que le peuple chrétien sans charité court à sa damnation", et aussi que "la nature humaine dans le verbe divin a été égalée en tout à la divine" enfin que "les œuvres de la miséricorde sont plus agréables à Dieu que l'auguste sacrifice de l'autel".

Ces écrits annoncent déjà les théories du XVIème siècle à l'origine de la Réforme.

Humaniste dégagé de toute intention polémique, Arnaud de Villeneuve approcha la détresse humaine par le biais de la médecine. Eliminer la souffrance, retarder l'issue fatale et pour cela se pencher vers le patient en étant sensible à son psychisme tout en synchronisant le traitement avec la nature, relèvent de la démarche originale d'un précurseur.

Ses découvertes et sa réputation d'alchimiste, jointes à son indépendance d'esprit situent Arnaud de Villeneuve parmi les grands hommes du Moyen Age, ses mérites sont à la mesure de la protection qu'accordèrent les puissants à cet homme universel, né au cœur des Alpes Maritimes.

Edmond Rossi

 

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacteredmondrossi@wanadoo.fr

 

Voir les travaux de Jacques Boissier "Arnaud de Villeneuve est né à Villeneuve Loubet" (1962), d'Octave Teissier "Les hommes illustres du Var" - 1858, et du Docteur Marc Haven "La vie et l'œuvre de maître Arnaud de Villeneuve", 1896.