14/06/2013
"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR","UN NID DE COMMUNISTES" DANS LE VAL D'ENTRAUNES...
«On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »
René Char
La crise économique et le courant unitaire devaient aboutir à la victoire du Front Populaire aux élections législatives de 1936. Trois députés sur six dont deux communistes, furent envoyés à l’Assemblée Nationale pour représenter les Alpes Maritimes.
La radicalisation du paysage politique devint ainsi manifeste, n’épargnant pas les plus petits villages comme Villeplane.
Georges Maurel, le garagiste du Bourguet, militant actif du Parti Communiste, venait régulièrement à Villeplane visiter la mère et la fille Grassi, leur apportant les nouvelles et commentaires de la lutte conduite par le Parti, dans le canton et le département. Suivaient immanquablement quelques numéros de l’hebdomadaire « Le Cri des Travailleurs », charge à elles de diffuser « la bonne parole » dans le village.
Les deux femmes, sympathisantes convaincues, n’avaient pas adhéré de suite.
Paola, la fille, se décidera à prendre la carte en 1937, à l’occasion de la campagne électorale des cantonales.
Celle-ci lui sera remise solennellement au Bourguet, lors d’une réunion de la section par le camarade député Henri Pourtalet, venu soutenir la candidature de Maurel dans le canton.
Invité à Villeplane, Henri Pourtalet reçut évidemment le meilleur accueil à l’auberge Grassi. C’est dans ce havre de paix qu’il viendra régulièrement se détendre, pour mieux préparer ses batailles tant dans le département qu’à l’Assemblée Nationale. Entouré de la sollicitude et de la sympathie des deux femmes, toujours aux petits soins pour ce glorieux représentant du peuple, il étudiait, lisait, élaborait ses interventions, confortablement installé sous les parasols en compagnie de son épouse.
Cette présence ostentatoire dans ce modeste village devait apporter le meilleur et le pire.
La qualité et la couleur politique de l’hôte des Grassi prêtaient à plus d’un commentaire, suscitant les chamailleries des clans antagonistes.
Accueilli chaleureusement par certains, diabolisé par d’autres, le nouveau député rouge au visage avenant, barré de grosses lunettes, à la stature imposante, doté d’une voix de tribun, n’avait rien du « communiste au couteau entre les dents » exhibé de manière menaçante dans la propagande de droite.
Secrètement flattée de côtoyer un homme aussi important, Paola n’hésitait pas à s’afficher délibérément en compagnie du couple Pourtalet.
Si la curiosité attirait certains villageois à l’heure de l’apéritif, d’autres fuyaient prudemment ce « nid de communistes », faisant même un détour pour éviter la place et l’obligation de saluer les invités des Grassi.
Le souvenir de ces visites sera plus que jamais présent dans les esprits lorsque tout basculera durant l’été 1939, à la veille de la déclaration de guerre.
Les événements vont se précipiter. Dès le 22 août les réservistes de Villeplane porteurs du fascicule bleu doivent se rendre au P.C. du bataillon, situé au Bourguet. Suivent les réquisitions des logements, camions, mulets et téléphones.
Le 26 août sont rappelés les fascicules 2, 5 et 6, le rationnement de l’essence et la mise en place de l’éclairage d’alerte sont institués au village.
Brutalement, le fossé se creuse isolant les communistes, après la signature, la nuit du 23 au 24 août, du pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS.
Le député Jonas, élu radical-socialiste du Front Populaire dans les Alpes Maritimes, déclare dans le « Petit Niçois » : « Le Gouvernement des Soviets, par l’alliance avec l’Allemagne alors que les pourparlers étaient en cours avec la Grande-Bretagne et la France pour garantir la Paix, vient de commettre un véritable acte de trahison. Devant cette attitude aussi invraisemblable qu’inqualifiable, je déclare expressément rompre toute relation avec ceux qui, par un aveuglement inconcevable, conservent une quelconque sympathie pour le gouvernement des Soviets qui nous a indignement trahis. ».
Sur la Côte, les vendeurs du « Cri des Travailleurs » sont malmenés par les mobilisés. L’hebdomadaire communiste est saisi par la police le 29 août. Le Préfet ordonne des perquisitions dans les locaux du Parti Communiste.
Le 1er septembre à 15 h 30, les affiches tricolores ordonnant la mobilisation générale apparaissent sur les murs de Villeplane et de ses hameaux. Les habitants se résignent à l’inévitable. La déclaration de guerre à l’Allemagne est proclamée le 3 septembre.
Désorganisé par la mobilisation, le Parti Communiste privé de presse ne peut expliquer la guerre et le pacte germano-soviétique.
La confusion s’installe chez les militants désorientés. Certains faiblissent, d’autres s’irritent contre l’URSS l’accusant de trahison. Paola sera de ceux qui ne condamneront pas formellement le pacte. Ce climat d’incertitude nuira à la riposte et aux explications du Parti.
Compte tenu de la menace d’intervention italienne, Villeplane, petite commune rurale, se voit contrainte d’héberger un nombre considérable de soldats.
Dans ce contexte, l’auberge Grassi est très vite réquisitionnée pour accueillir cinq sous-officiers : l’adjudant chef Alphonsi, un corse militaire de carrière, ancien de la Coloniale, les adjudants de réserve Dalbera et Peyrani, ainsi que deux sergents-chefs.
Le Café ne désemplit pas, devenant très vite un lieu de rencontre et un forum de discussion où se retrouvent les sympathisants communistes du secteur.
Dalbera, instituteur socialiste, se mêle volontiers à ces âpres débats le plus souvent à caractère revendicatif, induits par l’oisiveté et le fléchissement du moral miné par l’attente.
Peyrani, fleuriste niçois, penche en faveur du P.P.F. d’extrême droite récemment hostile, comme les communistes, aux accords de Munich, qualifiés de lâche démission. Estimant perdre son temps, il souhaite en découdre sans tarder.
Alphonsi, vieux militaire aguerri qui a connu 14-18 et la guerre du Rif, ne doute pas de la victoire.
Le 26 septembre le Parti Communiste est dissous, compte tenu de son action contre la guerre.
Trois mois plus tard, le 31 décembre, le Mistral se lève brutal, il soufflera en tempête trois jours durant, attisant les passions déjà suffisamment exaltées par l’attente crispante, les déceptions et les rancœurs.
Le soir du Réveillon de fin d’année, l’ambiance est chaude à l’auberge Grassi, d’autant plus que les permissions ont été refusées aux frontaliers.
Les soldats réunis dans la salle du Café, devenue trop étroite, entonnent l’Internationale le poing levé !
Les échos de ce chant révolutionnaire parviennent aux oreilles de l’abbé Pellegrin, cocardier partisan de l’ordre. Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase des ressentiments accumulés depuis des lustres contre la famille Grassi.
Le lendemain aux aurores, l’abbé enfourchera sa moto soutane retroussée, pour foncer au Poste de Commandement du Bourguet, y dénoncer les outrances de celles qui « infectent sciemment le moral de notre belle armée. ».
Il demandera au capitaine De Masières, de fermer sans tarder « ce repaire de défaitistes rouges. ».
La justice militaire se montrait alors impitoyable en pareil cas. Ailleurs, dans le département, déjà une dizaine de mobilisés et une vingtaine de civils avaient été condamnés à des peines s’échelonnant de trois à dix ans de prison, pour défaitisme, insubordination et activité communiste.
De Masières de Saint Alban, descendant d’une famille noble, ancien des « Croix de Feu » avait accueilli chaleureusement l’abbé Pellegrin.
Il lui avoua être au courant des faits et gestes de Paola Grassi, une dangereuse « Passionnaria », diffusant dans la troupe des tracts de propagande communiste.
Il n’était pas mécontent de pouvoir enfin « la coincer ».
Peu enclin à pardonner ces comportements subversifs, l’officier rassura son visiteur en lui confirmant établir un rapport circonstancié, remis sous 48 heures à son supérieur hiérarchique le colonel Keller, afin de neutraliser ces ennemis de l’intérieur, les pires !
Informé de cette perfide menace, l’adjudant chef Alphonsi avait prévenu ses hôtesses à mots couverts, les invitant à « se tenir à carreau ».
Averti du danger qui pesait sur le destin du Café Grassi, le maire Clément Payan se rendit le soir même au Bourguet, pour y rencontrer le colonel Keller.
Keller, alsacien antiallemand et patriote convaincu n’avait pas pour habitude de transiger avec la sécurité. Néanmoins, homme de cœur, il pencha pour la clémence lorsqu’il apprit que sa décision mettrait en cause la survie d’une modeste affaire familiale, tenue par une veuve et sa fille. Un avertissement devait suffire.
De Masières insista, il fallait une sanction exemplaire.
Le lendemain, Paola recevait une convocation adressée par la Gendarmerie du Bourguet.
Sa mèche brune en bataille ne réussissait jamais à cacher le haut de son front dressé et accusateur, son verbe enflammé ignorait les pauses et son énergie sortie d’un corps fluet faisaient de Paola une sorte de Jeanne d’Arc de la cause communiste dans son village.
C’est avec un foulard rouge provocateur, noué autour du cou qu’elle débarqua déterminée à la Brigade. A vingt cinq ans cette fille courageuse, conservait une allure d’adolescente rebelle.
Le Chef Dalmasso, un gendarme bonasse et moustachu l’accueillit paternellement, avant de la faire patienter.
Reçue par les officiers Keller et De Masières, elle fut longuement interrogée. Contestant avec véhémence certaines accusations au nom de la liberté de penser, Paola se lança dans une violente diatribe politique. De Masières, le sourire aux lèvres, la laissa aller au bout de ses propos véhéments. Puis s’adressant à elle : « Mademoiselle, votre attitude est une aberration. Vous devriez abandonner votre Parti. Quand on a la chance d’exploiter un débit de boisson fréquenté par des militaires, on s’efforce d’être neutre et de respecter toutes les opinions.
Désolidarisez-vous des Soviets et votre affaire sera classée sans suite. Il vous suffit pour cela de signer une déclaration où vous condamnez le soutien de votre Parti au pacte germano-soviétique et vos ennuis seront finis. Par contre, si vous vous obstinez, non seulement nous fermerons votre Café, mais vous serez traduite devant le Tribunal Militaire où vous encourrez une peine minimum de cinq ans d’emprisonnement et 3000 francs d’amende.
– Je ne trahirai jamais mon idéal. Comme mon père disparu qui conservait sur lui la photo de Lénine, j’ai foi en l’avenir du communisme porteur d’un bonheur radieux pour tous les hommes.
– Allons, une jolie fille comme vous n’a pas vocation à jouer les martyrs, réfléchissez Mademoiselle Grassi. ».
Après avoir délibéré, les deux officiers firent à nouveau entrer l’irréductible et farouche Paola.
Le Colonel Keller lui annonça la sentence. S’il n’y avait pas de poursuites judiciaires, une décision de fermeture du Café était prise pour une durée de six mois.
En juin 1940, avec la fin des hostilités, le Café Grassi put à nouveau rouvrir et recevoir sa clientèle. Paola retrouva son sourire et sa place derrière le comptoir avec toujours la même fierté dans le regard.
D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),
En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com
ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr
09:12 Publié dans Découverte du Pays d'Azur, HISTOIRE, Livre, MEMOIRE, ROMAN, TRADITION | Lien permanent | Commentaires (0)
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