25/10/2006
LORSQUE LA PESTE REPANDAIT LA MORT
UN TERRIBLE FLEAU OUBLIE, LA PESTE
La peste existerait depuis des temps immémoriaux dans les plateau d'Asie centrale, dans la plaine du Gange et aussi en Afrique centrale.
Des textes chinois du XIIIe s. av. J.-C., la Bible, l'Iliade et l'Odyssée parlent de "pestes", mot qu'il faut assimiler à fléau (pestis - le fléau) plutôt qu'à la maladie due au bacille de Yersin.
La peste de Justinien (542-543) décrite précisément par Procope, était une peste bubonique qui frappa l'ensemble du bassin méditerranéenne. Ce fut la première pandémie pesteuse sûre.
La deuxième pandémie se situa au Moyen-Age, entre 1346 et 1353, faisant sans doute 25 millions de victimes, entre le quart et la moitié de la population. L'épidémie avait commencé en Inde, atteint la Méditerranée et s'était étendue à l'Europe entière. La maladie se prolongea pendant trois siècles.
La troisième pandémie débuta en 1894 dans le Yunnan en Chine et toucha progressivement tous les continents. Si elle fut dramatique en Inde (12 millions de morts), il n'y eut qu'un millier de décès en Europe grâce à ta prophylaxie mise en place.
La peste n'a pas disparu, des foyers subsistent dans le monde (Asie centrale, Inde, Indonésie, Afrique, Amérique du Nord et du Sud) : là où les hommes sont peu ou pas touchés, tes rongeurs sauvages le sont .
Aux époques anciennes (avant notre ère) les contacts étaient peu importants entre l'Europe et l'Asie et les barrières épidémiologiques subsistaient.
En revanche, Lorsque les voyages par caravanes et par bateaux, depuis la Chine ou L'Inde jusqu'à la Méditerranée devinrent habituels au 1er siècle après J.-C., lorsque les marchands furent de plus en plus nombreux pour ces courses lointaines, les conditions de diffusion des maladies contagieuses entre civilisations se modifièrent considérablement. La route de la soie entre la Chine et La Syrie, traversant les oasis d'Asie centrale, permit aux élégantes romaines de porter au 1er siècle ap. J.-C. des soieries semi-transparentes, mais permit aussi à la peste de se propager.
Les contacts maritimes furent également importants dans ce domaine et cela explique que les cités méditerranéennes aient connu par intermittence des épidémies de peste du VIe au VIlle siècle.
Au Moyen-Age (XIIe, XIIIe siècles) les échanges se multiplièrent avec l'empire mongol, des milliers de voyageurs traversèrent l'Asie suivant une nouvelle route plus au nord: Crimée, Kazan, Astrakhan, Pékin.
Les caravelles aux XVe, XVIe s., beaucoup plus tard la navigation à vapeur, ont disséminé la peste dans tous les ports du monde.
Les principales formes sont la peste pulmonaire transmise par vote respiratoire d'individu à individu et surtout la peste bubonique qui entraîne rapidement la mort (5 à 8 jours) .
Le mode de contagion le plus fréquent est la piqûre d'une puce contaminée par un rat qu'elle a abandonné lorsqu'il est mort pour passer chez l'homme.
L'espèce des rats noirs qui apporta la peste en Europe semble être originaire de l'Inde. Le moyen de" transport fut le bateau. Cela explique que les ports soient les premiers touchés lors des épidémies.
Les rats contractent la peste par échange de puces mais aussi par contact avec des rongeurs sauvages dont les terriers recèlent le bacille. Tous les rongeurs peuvent être atteints par la peste.
Ces pestes anciennes eurent des conséquences comparables à celles d'épidémies plus connues: mort d'une grande partie de ta population, urbaine, diminution des revenus impériaux ou royaux.
A mesure que se multipliaient les contacts avec ces épidémies, la mortalité diminuait, les sujets étant déjà efficacement immunisés par primo-infection.
La France et notre région méditerranéenne furent particulièrement touchées par les épidémies de peste du Moyen-Age jusqu'au XVIIIe siècle. Par la suite quelques cas occasionnels se produisirent mais sans avoir une importance comparable à la peste de 1720. Le vaccin mis au point en 1894 par Alexandre Yersin permit enfin de lutter efficacement contre ce fléau.
LA PESTE DANS LE COMTE DE NICE
La peste sévit fréquemment dans le Comté d'après les anciens chroniqueurs :En 1327 elle emporta toute la population du Vieux Castel d’Ilonse, du premier village d’Aspremont, d’une partie du bourg de Tende.
En1347-1348 : elle détruisit « la tierce partie du monde » ( Froissard )
En 1391 : elle fit de nombreuses victimes dans toute la région, ainsi qu’en 1405-1406.
En 1466-67 ( 7833 morts, dont 211 religieux à Nice. Le Village de Saint Laurent du Var est totalement dépeuplé, on le repeuplera en 1468 avec 30 familles de la région d’Oneille. Le village de Saint Jean d’Alloche près de La Tour, fut dépeuplé. La population de Roquebrune implora sa patronne, N.D. des Neiges. La peste cessa et la population fit le vœu de se rendre tous les ans le 5 août à la chapelle de la madone de la Pausa.
En 1479, surtout à La Turbie et dans les environs.
En 1498 : elle fut si meurtrière que te gouverneur du Comté, René de Tende, attira les juifs expulsés de Rhodes.
En 1524 : elle avait était précédée "de sinistres présages. On avait vu, le jour, décliner dans le ciel trois soleils et, la nuit, trois lunes, dont celle du milieu était barrée d'une croix rouge".
En 1529 : à Menton et dans tes environs.En 1544 : à Nice surtout
En 1550 : elle fit de nombreuses victimes dans la plupart des localités, plus de 3 500 dans la cité de Nice. Les autorités prirent quelques mesures d'hygiène : on interdit d'aller d'une localité dans l'autre, on entretint continuellement dans les rues des bûchers de cyprès et de plantes aromatiques, on jeta des désinfectants, vitriol, soufre, poix.
En 1580 : en l'espace de 4 mois la population de Nice fut réduite à moins de un tiers. On évalua le nombre de morts dans le seul faubourg de Sincaire à 5460, ce qui peut être exagéré, dit Durante, dans son "Histoire de Nice" (T.2, p. 361).
En 1631 elle sévit 7 mois. On dénombra environ 10 000 victimes à Nice, plus de la moitié de la population. On recourut aux forçats du bagne pour ensevelir les victimes dans des tranchées que l'on recouvrit de chaux vive, au quartier saint Roch.
A Monaco, cette peste fit périr un quart de la population.
En 1720 les populations du Comté ne furent pas touchées par la peste.
D’après « Les Châteaux du Moyen-âge en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré de 20 € : téléphoner au 04 93 39 07 41.
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22/10/2006
LE DIABLE OFFRE SES SERVICES !
A EZE : LE PONT DU DIABLE
A douze kilomètres de Nice, le village d’Eze, bâti en nid d’aigle à 400 m au-dessus de la mer, peut s’enorgueillir d’un riche passé.
La légende n’est pas loin lorsque l’histoire est fertile, comme en témoigne cet événement étrange, inscrit dans la mémoire de ce pittoresque village.
Tout débute la veille de la Saint Jean de l’an de grâce 1256, Baptistin Icardo, levé dès l’aube, s’était mis en route après avoir avalé une copieuse soupe. Comme chaque jour, il allait travailler sur les olivaies et les cultures d’agrumes que seul, le seigneur Fighiera pouvait posséder. Il ne regagnerait pas son foyer avant la nuit.
Son fils Pierre agitait déjà «la campanette », cette petite clochette qui invitait les villageois à ouvrir leurs étables, pour permettre à moutons et chèvres de le rejoindre lui et son «menoun », un solide bélier chargé de conduire le troupeau communal. Cette rituelle animation matinale préludait au pénible trajet du troupeau vers les pacages loués par le seigneur.
Il fallait plus d’une heure, pour contourner la combe creusée au pied du monticule où se dressait le village d’Eze et atteindre en face, les herbages réservés aux animaux.
Pierre et son chien Lilou, tous deux attentifs sur le périlleux sentier qui dominait le précipice, ne s’accordaient un peu de détente qu’une fois parvenus au plateau.
Là, au milieu des touffes de thym et de romarin, les bêtes paissaient allègrement l’herbe drue le reste du jour. Elles ne s’abritaient à l’ombre des pins qu’à la grosse chaleur de midi.
Son bâton à la main, assis à proximité du troupeau avec Lilou à ses pieds, Pierre tout en conservant un œil sur les bêtes, se laissait aller à rêver.Lorsqu’il voyait les corneilles voler, depuis les tours du château et traverser d’un trait d’aile le ravin, pour venir se poser sur les escarpements voisins du pâturage, il ne pouvait manquer de les envier.
Leur légèreté aérienne le renvoyait à sa triste condition de terrien, contraint de cheminer lentement sur un sentier malaisé, rocailleux et ceci deux fois par jour pour quitter ou rejoindre le village situé en face.
Les olivaies en contrebas, n’étaient atteintes qu’au prix du même pénible détour, obligeant les paysans à emprunter ce chemin difficile, pour contourner le ravin.
Pierre imaginait alors une passerelle qui pourrait relier les deux rives du vallon, offrant une traversée rapide et sûre pour tous.
Il confia son idée à son père, en l’incitant à soumettre le projet au conseil communal, afin de proposer la chose au seigneur. Ne s’agissait-il pas de l’intérêt général ? Si chacun convenait que l’intention était bonne, personne ne souhaitait avancer le premier sou. Dans ces circonstances, le projet resta lettre morte.
Pierre, ne pouvait se résoudre à cet échec et durant ses longues heures de solitude, tout en gardant son troupeau, ce garçon pieux se laissait aller à prier pour que son vœu se réalise. Il sollicita d’abord la Madone, puis en désespoir de cause, tous les saints qu’il connaissait, mais ses invocations n’eurent aucun écho.
C’est ainsi qu’un après midi où il doutait, découragé, il aperçut sur le sentier conduisant au plateau, un homme légèrement voûté, avançant d’un pas vif dans sa direction. Le voyageur bossu, portait une besace, de laquelle il sortit une gourde qu’il leva, puis renversant la tête, il but goulûment à la régalade le filet d’un liquide rosé, jaillissant dans sa gorge profonde.
Puis, s’approchant de Pierre, il lui tendit la gourde en souriant pour l’inviter à l’imiter. Ce barbu jovial et fraternel avoua s’être égaré, en cherchant le chemin conduisant à Nice où l’attendaient ses activités de négociant en bestiaux.
D’un œil averti, il jaugea le cheptel confié à Pierre, caressa de sa main velue Lilou qui s’écarta en grondant.
Son chapeau noir enfoncé laissait dépasser quelques mèches rousses, tout comme ses sourcils broussailleux, dissimulant des yeux pétillants de malice.
De longues oreilles encadraient son visage, rehaussé d’un nez crochu, tendu vers un menton prolongé d’une barbe pointue, aussi flamboyante que sa chevelure.
Sa verve intarissable s’accompagnait de gestes enveloppants et de rires forcés et soutenus. Prenant affectueusement le bras de Pierre, comme un vieil ami, il s’étonna du détour infligé aux « pauvres gens d’Eze », par l’absence d’un pont franchissant l’abîme séparant le village de ses campagnes.
Comme Pierre abondait dans son sens, l’autre complice, poursuivant sa loghorrée, se flattait de pouvoir résoudre la question, avec le seul souci du bien-être public.
Bien que candide, le berger surpris par une aussi soudaine gratitude, voulut en savoir plus. Mais l’autre assura, avec un regard étrange qu’un peu magicien il possédait le pouvoir mystérieux d’édifier l’ouvrage en une nuit, un pont solide en pierres de La Turbie, large, avec plusieurs arches et un parapet évitant à ses bêtes de chuter dans le vide !
Pierre, captivé, n’en croyait pas ses oreilles, par quel sortilège cet inconnu pouvait-il accomplir un pareil exploit ? Le bossu déclara que sensible à ses prières, il venait vers lui envoyé par un puissant prince des ténèbres, capable d’entendre les chants les plus désespérés.
Sa supplique serait exaucée pour presque rien, au terme d’un accord tout simple, scellé avec les villageois. La chose leur serait révélée demain matin, avant de franchir le pont qui serait construit la nuit prochaine.
Ebahi et incrédule, Pierre se dit que ce bonimenteur frénétique voulait se payer sa tête.
Au déclin du soleil, en compagnie de Lilou, il quitta sa nouvelle rencontre, rassembla son troupeau, pour le conduire comme à l’accoutumée jusqu’au village, avant la nuit.
Baptistin Icardo s’inquiéta de la santé de son fils, à la suite de ses propos délirants. Persuadé qu’il était victime d’une insolation, il l’entraîna chez la Tante Nourina, pour lui faire «enlever le soleil ». La vieille, un peu sorcière, trouva une certaine logique à ses explications extravagantes. Elle incita son neveu à la prudence, percevant là les intentions d’un ange maléfique, venu pour piéger et recueillir habilement quelques âmes en détresse.
Dès l’aube, Pierre tout excité parcourait les ruelles pour regrouper promptement les bêtes à la sortie du village. Un attroupement s’était formé à la poterne, alors que les premiers rayons de l’aurore éclairaient en contrebas un magnifique pont de pierre enjambant la gorge creusée sous le village.
Le groupe des villageois suivit le troupeau dirigé par Pierre, tous décidés à franchir commodément le vallon en profitant de cet ouvrage bien réel, bâti en une nuit.
Parvenus à l’entrée du pont, souriant et satisfait l’inconnu de la veille s’avança pour accueillir la foule des Ezasques, retira son chapeau, laissant apparaître deux cornes plantées au sommet et de chaque côté du crâne, dissipant ainsi le doute sur sa véritable qualité.
« - Mes amis, je ne suis qu’un pauvre diable, trop souvent et injustement calomnié. Toujours prêt à répondre aux sollicitations valables de mes frères humains les plus démunis. Je vous offre ce que le Ciel vous a refusé, en vous imposant une nature ingrate, source de peine et de fatigues inutiles. Voyez en moi un bienfaiteur sensible aux malheurs de votre sort.
Ce pont est à vous. En échange, je vous demande de m’octroyer la possession de la première créature qui le franchira. Un bien mince péage, pour un aussi riche cadeau. De plus, l’heureux élu ne le regrettera pas, croyez-moi ! A vous de désigner celui ou celle d’entre vous qui traversera le premier, l’âge ou la condition sont sans importance. Je vous laisse choisir entre vous et profiter ensuite à tout jamais des avantages de cet ouvrage ».
Un murmure général couvrit les dernières paroles, accompagné d’un prudent mouvement de recul.
Le cornu aux cheveux roux, un sourire figé aux lèvres, rayonnait de joie dans l’attente de sa future proie.
La discussion s’animait et le ton monta au point qu’il fut question d’écarter les jeunes au profit des vieillards malades qui n’avaient plus rien à perdre. Encore fallait-il choisir ? Quelqu’un proposa de tirer à la courte paille.
Les débats s’éternisaient, incitant certains, lassés, à repartir déjà vers leurs champs par le sentier habituel.
Pierre interpella alors le Diable, pour savoir si celui qui traverserait devait être baptisé ? « Pas du tout, au contraire ! » répondit l’autre.
Prenant une pierre, le berger la lança alors à l’autre bout du pont, en invitant le fidèle Lilou à aller la chercher. Le chien ne se le fit pas dire deux fois, en trois bonds, il avait déjà franchi le pont et tout aussi lestement, il revint vers son maître, fier, le caillou dans la gueule.
Puis s’adressant au Malin, Pierre ajouta : « Cela devrait faire votre compte l’ami ? Lilou a été le premier être à avoir franchi le pont. Désormais, nous sommes quittes ! »
Fou de rage, la bave aux lèvres, Le Diable éructa de telles injures que le pont en trembla sur ses assises, se fissura, puis s’effondra comme un château de cartes.
Dans la poussière soulevée par le désastre, les villageois virent s’enfuir celui qui n’avait pas réussi à acheter leur âme.
La chapelle Sainte Croix, ancienne chapelle des Pénitents blancs, conserve un curieux Christ en bois daté de 1258. Sa tête droite présente un visage illuminé par un sourire réjoui, inspiré par la cuisante défaite infligée au Malin par les gens du village. Ceux-ci bénéficieront beaucoup plus tard, grâce au progrès, d’un magnifique pont* supportant la route de la Moyenne Corniche.Aujourd’hui, les paysans, comme les bergers et leurs pacifiques troupeaux ont déserté cet ouvrage, réservé à l’usage exclusif de diaboliques engins voués à l’ivresse et aux dangers de la vitesse, au prix de pétarades et d’infernales fumées.
Une revanche tardive qui n’est pas sans ravir l’éternel tentateur, toujours à l’affût des faiblesses humaines.
*Un autre « Pont du Diable » enjambe le Var naissant à Esteng, au-dessus d’Entraunes, au nord du département. L’ouvrage surplombe une étroite gorge où le torrent plonge en une vertigineuse cascade.
D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage de 18 € : téléphoner au 04 93 39 07 41.
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19/10/2006
LES TEMPLIERS : DES RELATIONS DIFFICILES AVEC LE VOISINAGE
Les Templiers installés dans la Provence orientale, avec des prérogatives militaires, religieuses et économiques, entretenaient des relations sociales avec leurs contemporains, partageant le pouvoir local au côté des prélats et des seigneurs.
L’Ordre fondé le 25 décembre 1119, lors du couronnement de Baudoin roi de Jérusalem, à Bethléem, reçut la confirmation de son existence canonique au cours du concile provincial de Troyes, le 13 janvier 1128.
Etabli et consacré par l’Eglise, le Temple eut dès ses origines, des relations privilégiées avec le clergé, mais qui ne furent pas ensuite toujours exemptes de rivalités et de tensions.
C’est sur la bulle du Pape Innocent III (29 mars 1139) que seront fondés les privilèges de l’Ordre, le principal étant l’exemption de juridiction épiscopale, lui permettant d’avoir ses propres prêtres, ses chapelains, pour assurer l’assistance religieuse et le culte liturgique, sans relever des évêques de l’endroit.
De plus, l’Ordre va jouir de l’exemption des dîmes, privilège fiscal accordé jusque-là aux seuls Cisterciens. Ces avantages motifs à rancœur et jalousie, seront prétextes à des contestations, puis à des conflits sérieux avec le clergé séculier.
Il faudra une confirmation des droits d’exemption de l’Ordre, de toute juridiction épiscopale, sauf celle de Rome, par le Pape Célestin III, puis de paroisse par son successeur Innocent III, pour que s’apaise une tension permanente.
Mais les vexations et les récriminations de chanoines vis-à-vis des Templiers n’en continuèrent pas moins, au point d’alimenter les chroniques judiciaires de l’époque.
A leur installation en Provence, les Templiers avaient pourtant été accueillis très favorablement par les évêques qui firent preuve à leur égard d’une générosité évidente. Ainsi, à Nice, en 1135, Pierre, l’évêque du diocèse, leur donne des biens dans les environs. En 1176, l’évêque d’Antibes, faisait donation à Bérenger d’Avignon, Maître du Temple en Provence, d’un terrain situé au quartier Saint Jacques à Grasse, pour y édifier une Maison de son Ordre, destinée à devenir un hospice pour les pèlerins. Il en sera de même à Vence, en 1195 où Pierre II de Grimaldi, évêque du lieu, cède au frère Jean de la Milice de Jérusalem de Salomon, la seigneurie de la Bastide-Saint-Laurent et une maison dans la ville.
Mais après la période d’accueil euphorique, les relations entre les évêchés et l’Ordre vont se détériorer et plus particulièrement entre les évêques successifs d’Antibes, puis de Grasse et la commanderie de Biot. Cette seigneurie, avec sa riche plaine de la Brague, donnée au Temple en 1209, par le Comte de Provence, proche d’Antibes, siège épiscopal, va devenir l’objet d’une suite de litiges entre les deux pouvoirs religieux.
Un conflit éclate entre les Templiers et l’évêque d’Antibes, lorsque le 15 octobre 1227, Raimond de Biot et ses fils vendent à l’évêque tous leurs biens situés à Biot et Saint Julien, pour cent livres. Les Templiers rachètent ce bien six années plus tard, le 14 août 1233, par le système préférentiel du retrait féodal, leur commandeur Bertrand donne alors à l’évêque la somme de 110 livres.
Mais le différend ne s’arrête pas là, puisqu’un acte du 3 janvier 1247, indique que le commandeur Geoffroy de Grasse et l’évêque Raimond décidèrent de soumettre la question de Biot, à des arbitres, après une longue période de mésentente.
Gêné par la présence et l’activité de l’Ordre dans la fertile plaine de la Brague, l’évêque d’Antibes revendiquait sur ce bassin, les droits de dîme et de juridiction. Or le commandeur possédait le droit de dîme et tenait celui de juridiction du Comte de Provence. L’évêque ergotait, réclamant la perception des amendes et des droits de mutations, arguant de la propriété du tiers de la seigneurie de Biot ! Le désaccord entraînera la venue à Antibes du Maître de Provence Rostang de Comps, mais son arbitrage n’apaisera en rien la guerre intestine que l’évêque d’Antibes va poursuivre, par des violations répétées des droits et des privilèges du Temple.
Un nouveau litige survient quelques mois plus tard, entre l’évêque d’Antibes nouvellement installé à Grasse et les Templiers de cette ville, au sujet du droit de sépulture sur le cimetière contigu à leur église, privilège de sépulture accordé à l’Ordre et confirmé par le Pape Innocent III.
Les Templiers ayant inhumé un donateur de l’Ordre, avaient été punis d’une amende de cent sous par l’évêque. Informé par le commandeur de Grasse, l’archevêque d’Arles prit la défense du Temple et demanda à l’évêque en juin 1247, de reconnaître ses torts, de ne pas imposer la Maison du Temple et de se présenter à Arles. L’évêque protesta vivement, refusa de venir répondre à Arles des faits qui lui étaient reprochés, prétextant, qu’on ne lui avait pas montré les instructions du Pape et qu’au lieu de le faire citer par l’intermédiaire de l’Abbé de Lérins, ce dernier lui avait délégué son clavaire, l’offensant ainsi profondément !
Poursuivant l’agrandissement de son domaine à Biot, l’Ordre bénéficie le 12 décembre 1258, de la donation du fief de Clausonne, remis par le Bailli de Vence Guillaume Aicard, à Guillaume Clumans commandeur de Biot, ce fief avait été saisi par le Comte de Provence Charles 1er d’Anjou.
Cette faveur accordée aux Templiers, va réveiller à nouveau les ressentiments de l’évêque de Grasse et envenimer un peu plus les rapports déjà difficiles entretenus avec l’Ordre.
La tension s’aggrave dans la deuxième moitié du XIII ème siècle, lorsque l’évêque de Grasse, confronté à des difficultés financières pour parvenir à régler les prébendes de ses chanoines, s’adresse à son supérieur l’archevêque d’Embrun, pour soutenir de nouvelles revendications, mettant en cause les droits de paroisse, détenus par le Temple à Grasse.
Le chapelain de l’ordre, Bertrand Sylvestre réclame le 20 avril 1292, à l’official de Grasse les titres qu’il prétend détenir de l’archevêque et sur lesquels s’appuient ses demandes, de plus, il invoque les privilèges pontificaux successifs et se dit prêt à soumettre le différend à un arbitrage, excluant l’archevêque d’Embrun. L’affaire n’aura pas de suite et se soldera par une reculade de l’épiscopat.
Précédemment à Nice, les commandeurs du Temple et de l’Hôpital protestaient contre Pierre, l’évêque de cette ville qui tentait de faire participer leurs ordres aux frais de passage d’un cardinal (25 mars 1269).
En effet, suivant les privilèges accordés par Grégoire IX, les ordres militaires et religieux étaient déclarés exempts de droits de table, l’évêque dut s’incliner et reconnaître son erreur.
Un nouveau et grave conflit qui va perdurer longtemps après la suppression du Temple, éclate en 1215, à Grasse. Pierre Ricau, commandeur de Grasse, Biot et Nice, s’adresse le 12 mars à l’official, pour lui notifier de renoncer à l’arrestation d’un criminel qui s’était réfugié dans l’église Saint Jacques, propriété du Temple.
L’official refusa et répondit que le prévenu n’était pas protégé par les privilèges de l’Ordre, l’homme, arrêté par le bras séculier, mais emprisonné par le clergé, se nommait Hugues Talon, il était accusé d’avoir tué le notaire Jean Laugier.
Dans une nouvelle demande du 17 mars, le commandeur précise que la cour de l’official n’avait aucun moyen de juridiction pour opérer un tel enlèvement. Il ajoute, qu’Hugues Talon avait tué le notaire sur la voie publique et qu’après son délit, il s’était rendu à l’église du Temple qui se trouvait hors de la portée juridictionnelle de l’évêché.
Bien que l’évêque soit disposé à réparer les fautes commises par le bras séculier, le prévôt conserva le criminel.
Le commandeur s’adressa le 7 avril à son supérieur, le Maître de Provence Guigues Adémar, celui-ci estima que Lantelme évêque de Grasse avait bafoué les privilèges de l’Ordre et qu’il était de plus, coutumier du fait. Il demanda au prélat de rendre à l’église Saint Jacques le criminel qu’il avait fait extraire par la violence. En attendant que son sort soit réglé, Hugues Talon croupissait dans les geôles épiscopales.
Le commandeur revint à la charge le 25 juin 1306, en insistant sur le fait que le prévenu qui avait été appréhendé dans le domaine de l’église Saint Jacques, devait bénéficier de l’immunité, sa protestation adressée au sénéchal, entraîna une enquête diligentée par le juge-mage.
Les officiers de Grasse prétendaient que l’assassin avait été arrêté hors de la Maison et de l’église du Temple. Une commission d’enquête, avec deux juristes et plusieurs témoins, se rendit sur la place le 5 juillet, pour constater après des opérations de métrage que le criminel avait été saisi à moins de 18 pas (16 exactement) de l’église et qu’il se trouvait ainsi sous la protection de celle-ci.
En conséquence, le juge fit remettre le prisonnier aux Templiers de Saint Jacques.
Il n’est plus question ensuite du sort du malheureux Hugues Talon.
Un différend entre l’Ordre et l’Abbé de Lérins, au sujet des bois de Clausonne, sera réglé sans difficulté et par arbitrage, il sera ratifié à Biot, le 27 décembre 1298, par le chapitre du Temple.
Nous constatons que si les relations entre le clergé et les Templiers apparaissent tendues au XIII ème siècle, alors que chacun a à cœur de faire respecter ses privilèges, les revendications formulées par l’Ordre, s’avérèrent chaque fois justifiées.
Il en sera de même avec le pouvoir séculier des communes et de la cour comtale, l’Ordre n’hésitant pas à faire appel, lorsque la décision lui était défavorable.
Tout au long de l’histoire des Templiers en Provence, L. Dailliez estime que les conflits les plus importants se déroulèrent dans le secteur de Nice, Grasse, Biot, avec des litiges opposant l’Ordre, tour à tour aux communes et aux cours royales. L’évêque de Vence, Sirian dénonçant le trait de caractère chicaneur et procédurier de ses diocésains, les qualifiera «d’écorche-culs ».
Les chroniques judiciaires relatant les querelles du Temple avec les communes débutent, lorsque les frères de la commanderie de Biot s’opposent à leurs voisins, les habitants d’Antibes.
Le fief de Clausonne, morcelé et indivis jusqu’à la Révolution, avait été acheté en partie par les Templiers. Tout débute par un différend collectif qui entraîne la mise sous mandat du territoire sur ordre du Comte de Provence, par l’entremise de son viguier de Grasse.
Les droits de l’Ordre étant reconnus, Clausonne est rétrocédé au Temple le 12 décembre 1258. Forts de leurs droits les Templiers interdisent l’accès des bois de Clausonne aux Antibois qui après saisies, décident d’organiser des représailles. J.A. Durbec indique : « Le 9 mai 1296 à la tombée de la nuit, plusieurs habitants d’Antibes attroupés et placés sous la conduite de certains personnages dont le baile, se jetèrent sur les campagnes de Biot et les mirent à sac. Après avoir coupé les plantes, abattu les arbres et détruit les récoltes, ils maltraitèrent atrocement les frères de la maison et, l’opération terminée, s’en retournèrent en amenant quelques têtes de bétail ».
Sur plainte du commandeur auprès de la cour de Grasse, l’évêque de cette ville, défavorable aux Templiers, est chargé de l’instruction, ce qui encourage les Antibois à poursuivre leurs exactions.
Toujours vers la fin du XIII ème siècle, nouvel affrontement des Templiers, cette fois avec les habitants de Villeneuve. surpris en flagrant délit de « lignerage » (récupération du bois mort) dans les forêts de l’Ordre, les Villeneuvois seront « pignerés » (assaillir par des jets de pommes de pin) sans ménagement, par les frères.
La réplique des gens de Villeneuve est immédiate, ils enlèvent deux bœufs et une ânesse appartenant au Temple. Les cours de Grasse et de Nice interviendront vainement, même les instructions du sénéchal resteront sans effet.
La situation va empirer, lorsque le baile de Villeneuve dirigea une expédition punitive sur Biot, au mépris des réprimandes dont la communauté avait déjà été l’objet. Cette razzia de mai 1300, conduite à main armée, permettra aux assaillants de s’emparer de 23 juments et 8 poulains.
Deux ans plutôt, en juin 1298, ce même baile avait fait enlever deux hommes du Temple, circulant isolés sur le chemin royal de Biot. Il en avait enfermé un comme otage dans la forteresse de Villeneuve et relâché l’autre.
L’affaire traîna en longueur et le litige ne connut une issue qu’en 1320, il fut résolu par le commandeur des Hospitaliers de Biot, héritiers des biens templiers, après la suppression de l’Ordre.
Un conflit de même nature survient encore à cette époque, lorsque des habitants de Grasse, venus faire du bois dans les forêts du Temple de Biot, sont eux aussi « pignerés » par les frères de cette Maison.
Les Grassois se livrèrent à des représailles qui provoquèrent un conflit identique aux précédents.
Tout comme pour les habitants d’Antibes et de Villeneuve, le litige se réglera beaucoup plus tard, en 1341 !
Il est intéressant de remarquer que les Templiers, bien que moines-soldats, ne firent jamais usage de leurs armes pour régler leurs différends, en dépit des attaques vigoureuses dont ils furent les victimes.
Gioffredo signale qu’en 1306, « le Conseil de Nice se serait opposé à ce que le Temple fit paître son bétail dans les lieux défendus de la ville », prévenu, le Comte de Provence aurait confirmé la décision.
Des conflits existèrent avec des particuliers, s’ils entraînèrent parfois les Templiers dans des procédures, celles-ci se réglèrent le plus souvent par arbitrage.
Ainsi, lorsqu’en 1225, R. Geoffroi de Grasse, conteste la cession de biens au profit du Temple, faite par Guillaume Badat, l’arbitrage de l’évêque d’Antibes reconnut les droits de l’Ordre, mais demanda néanmoins au commandeur de verser la somme de 13 livres au plaignant, laissant ainsi supposer que ces biens avaient été inféodés à Guillaume Badat par R. Geoffroi de Grasse.
Plus rare seront les conflits avec les cours comtales. Les comtes catalans furent à chaque règne favorables aux Templiers. Nous avons déjà relevé que le premier d’entre eux, Raymond Bérenger 1er comte de Barcelone, fut reçu dans l’Ordre le 4 juillet 1130, comme membre associé. Auxiliaire militaire éprouvée, la milice du Temple servira avec fidélité la cour de Provence, qu’il s’agisse de la Maison de Barcelone ou de celle d’Anjou.
En 1215, lors du règne du dernier comte catalan Raymond Bérenger V, le commandeur de Nice, Hugues Geoffroi, sera à ses côtés, avec plusieurs seigneurs, lors de l’expédition sur Nice, alors livrée aux Génois.
Les historiens soulignent pourtant que la famille d’Anjou ne fut pas toujours bienveillante avec le Temple, en dépit de son rôle actif dans la défense de la Provence, à l’instigation de plusieurs commandeurs.
Les relations se dégradèrent avec Charles II le Boiteux et le divorce sera consommé lors de la suppression de l’Ordre et de l’arrestation des frères.
La seule affaire relevant de la cour royale se déroule en 1285, lorsque le juge de Nice, Foulque Ardouin, condamne un membre donateur du Broc, Raymond Jaubert qui avait empêché un tenancier du Temple de s’acquitter de la tasque réclamée par la cour royale. Condamné sans doute à tort, le jugement fut cassé par le juge-mage, sur appel du commandeur le 8 mai 1285.
Dix jours plus tard, le même juge-mage et sur un nouvel appel du commandeur, annula une sentence, de ce même Foulque Ardouin, contre un autre sujet du Temple du Broc.
Dans son argumentaire, le commandeur avait soutenu que le droit de juridiction exercé par le Temple sur « ses hommes » du Broc, remontait à plus de 50 ans, situant ainsi à 1235, l’installation de l’Ordre dans cette localité.
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