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22/10/2006

LE DIABLE OFFRE SES SERVICES !

              A EZE : LE PONT DU DIABLE

A douze kilomètres de Nice, le village d’Eze, bâti en nid d’aigle à 400 m au-dessus de la mer, peut s’enorgueillir d’un riche passé.

La légende n’est pas loin lorsque l’histoire est fertile, comme en témoigne cet événement étrange, inscrit dans la mémoire de ce pittoresque village.

Tout débute la veille de la Saint Jean de l’an de grâce 1256, Baptistin Icardo, levé dès l’aube, s’était mis en route après avoir avalé une copieuse soupe. Comme chaque jour, il allait travailler sur les olivaies et les cultures d’agrumes que  seul, le seigneur Fighiera pouvait posséder. Il ne regagnerait pas son foyer avant la nuit.

Son fils Pierre agitait déjà «la campanette », cette petite clochette qui invitait les villageois à ouvrir leurs étables, pour permettre à moutons et chèvres de le rejoindre lui et  son «menoun », un solide bélier chargé de conduire le troupeau communal. Cette rituelle animation matinale préludait au pénible trajet  du troupeau vers les pacages loués par le seigneur.

Il fallait plus d’une heure, pour contourner la combe creusée au pied du monticule où se dressait le village d’Eze et atteindre en face, les herbages réservés aux animaux.

Pierre et son chien Lilou, tous deux attentifs sur le périlleux sentier qui dominait le précipice, ne s’accordaient un peu de détente qu’une fois parvenus au plateau.

Là, au milieu des touffes de thym et de romarin, les bêtes paissaient allègrement l’herbe drue le reste du jour. Elles ne s’abritaient à l’ombre des pins qu’à la grosse chaleur de midi.

Son bâton à la main, assis à proximité du troupeau avec Lilou à ses pieds, Pierre tout en conservant un œil sur les bêtes, se laissait aller à rêver.

Lorsqu’il voyait les corneilles voler, depuis les tours du château et traverser d’un trait d’aile le ravin, pour venir se poser sur les escarpements voisins du pâturage, il ne pouvait manquer de les envier.

Leur légèreté aérienne le renvoyait à sa triste condition de terrien, contraint de cheminer lentement sur un sentier malaisé, rocailleux et ceci deux fois par jour pour quitter ou rejoindre le village situé en face.

Les olivaies en contrebas, n’étaient atteintes qu’au prix du même pénible détour, obligeant les paysans à emprunter ce chemin difficile, pour contourner le ravin.

Pierre imaginait alors une passerelle qui pourrait relier les deux rives du vallon, offrant une traversée rapide et sûre pour tous.

Il confia son idée à son père, en l’incitant à soumettre le projet au conseil communal, afin de proposer la chose au seigneur. Ne s’agissait-il pas de l’intérêt général ? Si chacun convenait que l’intention était bonne, personne ne souhaitait avancer le premier sou. Dans ces circonstances, le projet resta lettre morte.

Pierre, ne pouvait se résoudre à cet échec et durant ses longues heures de solitude, tout en gardant son troupeau, ce garçon pieux se laissait aller à prier pour que son vœu se réalise. Il sollicita d’abord la Madone, puis en désespoir de cause, tous les saints qu’il connaissait, mais ses invocations n’eurent aucun écho.

C’est ainsi qu’un après midi où il doutait, découragé, il aperçut sur le sentier conduisant au plateau, un homme légèrement voûté, avançant d’un pas vif dans sa direction. Le voyageur bossu, portait une besace, de laquelle il sortit une gourde qu’il leva, puis renversant la tête, il but goulûment à la régalade le filet d’un liquide rosé, jaillissant dans sa gorge profonde.

Puis, s’approchant de Pierre, il lui tendit la gourde en souriant pour l’inviter à l’imiter. Ce barbu jovial et fraternel avoua s’être égaré, en cherchant le chemin conduisant à Nice où l’attendaient ses activités de négociant en bestiaux.

D’un œil averti, il jaugea le cheptel confié à Pierre, caressa de sa main velue Lilou qui s’écarta en grondant.

Son chapeau noir enfoncé laissait dépasser quelques mèches rousses, tout comme ses sourcils broussailleux, dissimulant des yeux pétillants de malice.

De longues oreilles encadraient son visage, rehaussé d’un nez crochu, tendu vers un menton prolongé d’une barbe pointue, aussi flamboyante que sa chevelure.

Sa verve intarissable s’accompagnait de gestes enveloppants et de rires forcés et soutenus. Prenant affectueusement le bras de Pierre, comme un vieil ami, il s’étonna du détour infligé aux « pauvres gens d’Eze », par l’absence d’un pont franchissant l’abîme séparant le village de ses campagnes.

Comme Pierre abondait dans son sens, l’autre complice, poursuivant sa loghorrée, se flattait de pouvoir résoudre la question, avec le seul souci du bien-être public.

Bien que candide, le berger surpris par une aussi soudaine gratitude, voulut en savoir plus. Mais l’autre assura, avec un regard étrange qu’un peu magicien il possédait le pouvoir mystérieux d’édifier l’ouvrage en une nuit, un pont solide en pierres de La Turbie, large, avec plusieurs arches et un parapet évitant à ses bêtes de chuter dans le vide !

Pierre, captivé, n’en croyait pas ses oreilles, par quel sortilège cet inconnu pouvait-il accomplir un pareil exploit ? Le bossu déclara que sensible à ses prières, il venait vers lui envoyé par un puissant prince des ténèbres, capable d’entendre les chants les plus désespérés.

Sa supplique serait exaucée pour presque rien, au terme d’un accord tout simple, scellé avec les villageois. La chose leur serait révélée demain matin, avant de franchir le pont qui serait construit la nuit prochaine.

Ebahi et incrédule, Pierre se dit que ce bonimenteur frénétique voulait se payer sa tête.

Au déclin du soleil, en compagnie de Lilou, il quitta sa nouvelle rencontre, rassembla son troupeau, pour le conduire comme à l’accoutumée jusqu’au village, avant la nuit.

Baptistin Icardo s’inquiéta de la santé de son fils, à la suite de ses propos délirants. Persuadé qu’il était victime d’une insolation, il l’entraîna chez la Tante Nourina, pour lui faire «enlever le soleil ». La vieille, un peu sorcière, trouva une certaine logique à ses explications extravagantes. Elle incita son neveu à la prudence, percevant là les intentions d’un ange maléfique, venu pour piéger et recueillir habilement quelques âmes en détresse.

Dès l’aube, Pierre tout excité parcourait les ruelles pour regrouper promptement les bêtes à la sortie du village. Un attroupement s’était formé à la poterne, alors que les premiers rayons de l’aurore éclairaient en contrebas un magnifique pont de pierre enjambant la gorge creusée sous le village.

Le groupe des villageois suivit le troupeau dirigé par Pierre, tous décidés à franchir commodément le vallon en profitant de cet ouvrage bien réel, bâti en une nuit.

Parvenus à l’entrée du pont, souriant et satisfait l’inconnu de la veille s’avança pour accueillir la foule des Ezasques, retira son chapeau, laissant apparaître deux cornes plantées au sommet et de chaque côté du crâne, dissipant ainsi le doute sur sa véritable qualité.

« - Mes amis, je ne suis qu’un pauvre diable, trop souvent et injustement calomnié. Toujours prêt à répondre aux sollicitations valables de mes frères humains les plus démunis. Je vous offre ce que le Ciel vous a refusé, en vous imposant une nature ingrate, source de peine et de fatigues inutiles. Voyez en moi un bienfaiteur sensible aux malheurs de votre sort.

Ce pont est à vous. En échange, je vous demande de m’octroyer la possession de la première créature qui le franchira. Un bien mince péage, pour un aussi riche cadeau. De plus, l’heureux élu ne le regrettera pas, croyez-moi ! A vous de désigner celui ou celle d’entre vous qui traversera le premier, l’âge ou la condition sont sans importance. Je vous laisse choisir entre vous et profiter ensuite à tout jamais des avantages de cet ouvrage ».

Un murmure général couvrit les dernières paroles, accompagné d’un prudent mouvement de recul.

Le cornu aux cheveux roux, un sourire figé aux lèvres, rayonnait de joie dans l’attente de sa future proie.

La discussion s’animait et le ton monta au point qu’il fut question d’écarter les jeunes au profit des vieillards malades qui n’avaient plus rien à perdre. Encore fallait-il choisir ? Quelqu’un proposa de tirer à la courte paille.

Les débats s’éternisaient, incitant certains, lassés, à repartir déjà vers leurs champs par le sentier habituel.

Pierre interpella alors le Diable, pour savoir si celui qui traverserait devait être baptisé ? « Pas du tout, au contraire ! » répondit l’autre.

Prenant une pierre, le berger la lança alors à l’autre bout du pont, en invitant le fidèle Lilou à aller la chercher. Le chien ne se le fit pas dire deux fois, en trois bonds, il avait déjà franchi le pont et tout aussi lestement, il revint vers son maître, fier, le caillou dans la gueule.

Puis s’adressant au Malin, Pierre ajouta : « Cela devrait faire votre compte l’ami ? Lilou a été le premier être à avoir franchi le pont. Désormais, nous sommes quittes ! »

Fou de rage, la bave aux lèvres, Le Diable éructa de telles injures que  le pont en trembla sur ses assises, se fissura, puis s’effondra comme un château de cartes.

Dans la poussière soulevée par le désastre, les villageois virent s’enfuir celui qui n’avait pas réussi à acheter leur âme.

  La chapelle Sainte Croix, ancienne chapelle des Pénitents blancs, conserve un curieux Christ en bois daté de 1258. Sa tête droite présente un visage illuminé par un sourire réjoui, inspiré par la cuisante défaite infligée au Malin par les gens du village. Ceux-ci bénéficieront beaucoup plus tard, grâce au progrès,  d’un magnifique pont* supportant la route de la Moyenne Corniche.

Aujourd’hui, les paysans, comme les bergers et leurs pacifiques troupeaux ont déserté cet ouvrage, réservé à l’usage exclusif de diaboliques engins voués à l’ivresse et aux dangers de la vitesse, au prix de pétarades et d’infernales fumées.

Une revanche tardive qui n’est pas sans ravir l’éternel tentateur, toujours à l’affût des faiblesses humaines.

  

*Un autre « Pont du Diable » enjambe le Var naissant à Esteng, au-dessus d’Entraunes, au nord du département. L’ouvrage surplombe une étroite gorge où le torrent plonge en une vertigineuse cascade.

 

D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage de 18 € : téléphoner au 04 93 39 07 41.

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

 

08:30 Publié dans MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : HISTOIRE

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