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12/11/2006

LES TEMPLIERS DANS LES ALPES MARITIMES:SPLENDEUR ET DECADENCE

          LA VIE ET LA FIN DE L’ORDRE

Lors de leur venue dans les Alpes Maritimes,  les Templiers se prévalurent de leur rôle militaire (Vence), complété par celui charitable de l’accueil et de la défense des pèlerins (Grasse, Nice).

Par la suite, les acquisitions de biens vont entraîner l’Ordre dans la gestion de domaines essentiellement agricoles (Biot, Rigaud).

Au-delà du respect de la Règle, c’est dans ces diverses fonctions que s’orientera la vie quotidienne des Templiers.

Si au début, la nécessité des gardes et de la défense de la région sont une préoccupation essentielle, la gestion des Maisons, comme hospices, constitue également une mission dont  l’Ordre s’acquittera comme à Nice, sur la rive gauche du Var, lieu d’étape soumis aux aléas de la traversée du fleuve.

Tour à tour moines ou soldats, le Templier apparaît soumis à l’ambivalence des charges définies par la Règle de l’Ordre.

En effet, les rapports ambigus du christianisme avec la guerre ont suivi une évolution doctrinale qui va du refus, à l’engagement actif, lorsque l’Eglise, devenue le plus important propriétaire terrien d’Occident, est menacée dans ses intérêts par les conflits féodaux.

L’excommunication ne s’avérant pas toujours dissuasive et le droit ecclésiastique interdisant l’usage des armes au clergé, l’Eglise recrutera d’abord des défenseurs laïcs.

La création des ordres monastiques à vocation militaire, va marquer l’aboutissement d’une révolution des principes de l’Eglise, vis-à-vis de la guerre.

Les moines jusque-là tenus à la non-violence, au combat pour Dieu dans le jeûne et la prière, dans le silence des cloîtres et non dans la clameur des batailles, seront appelés à manier l’épée et à verser le sang.

Cette monstruosité doctrinale est intégrée définitivement dans les canons de l’Eglise romaine, à l’occasion du concile de Clermont de 1095 où Urbain II impose la notion de « guerre sainte », en prêchant la première croisade.

Les Templiers vivant en Provence seront recrutés parmi les chevaliers du cru, ce sont souvent les cadets des maisons seigneuriales, comme l’attestent leurs patronymes, issus de grands noms de l’aristocratie locale.

Nous citerons les noms des commandeurs qui ont successivement dirigé les principales Maisons des Alpes Maritimes, à l’occasion de l’étude de chacune d’elles.

Les Templiers provençaux parlaient la langue d’Oc, en usage dans le Midi de la France à cette époque, bien que rédigeant leurs actes en latin, comme le faisaient alors les clercs, dans tout l’Occident chrétien.

Quels pouvaient être les motifs de leur engagement dans l’Ordre ? Si la croisade envoie la « nouvelle chevalerie » combattre au loin les Infidèles, le but ouvertement poursuivi par le Pape est de purger l’Occident des guerres intestines qui le minent et l’accablent.

Dans l’aventure des croisades, beaucoup disparaîtront, d’autres qui, pour s’équiper, avaient engagé leurs terres, furent ruinés. « Ce fut une cause d’affaiblissement pour les seigneuries féodales. Il y eut deux bénéficiaires : la bourgeoisie des villes et la royauté ». (J. Bainville).

La première croisade (1096-1099) vit partir Provençaux et Languedociens, avec comme chefs, Raymond IV de Toulouse et Adhémar de Monteil.

Bernard de Clairvaux jugea sévèrement les Templiers, ces croisés permanents, qu’il traite de repentis. Voici son appréciation sur ces volontaires de la foi : « Dans cette multitude accourant à Jérusalem il en est relativement peu qui n’aient pas été des criminels et des impies, des ravisseurs et des sacrilèges, des homicides, des parjures et des adultères. Aussi leur démarche suscite-t-elle une double vie, laquelle correspond à un double avantage : leurs proches sont heureux de les voir s’en aller, tout comme sont heureux ceux qui les voient accourir à leur aide ».

Les Templiers des Alpes Maritimes qui n’y vivaient que de manière temporaire, entre deux expéditions en Terre Sainte, ne devaient pas être différents de ceux décrits par Bernard de Clairvaux.

Sorte de légionnaires, disposés à refaire leur vie en la consacrant à une noble cause, tout en suivant la Règle stricte de l’Ordre, ces chevaliers chargés d’un lourd passé, méritent d’être mieux perçus, pour mesurer l’évidente valeur de leur double engagement moral et militaire.

Dans les commanderies des Alpes Maritimes leur vie ne devait pas être différente, de celles des autres communautés monastiques, également occupées à l’exploitation de leurs domaines, au gré des saisons et du climat.

La hiérarchie et la Règle devaient rythmer les heures de la journée, combinées à des tâches matérielles diverses de nature militaires ou charitables au début, puis plus tard, avant tout agricoles.

Après la ferveur et l’engouement suscité par l’Ordre au XII ème siècle, les actes révèlent un manque certain de recrues à la fin du XIII ème siècle.

Les commandeurs reviennent parfois quatre ou cinq fois à la tête d’une même Maison, l’Ordre évitant ainsi une délégation d’autorité permanente, afin de prévenir la routine et les abus de pouvoir.

Les mêmes préoccupations entraînent des permutations dans la hiérarchie coiffant les commanderies de la région. Les initiatives personnelles sont bannies du Temple et le commandeur ne règne que sur sa juridiction, les décisions restant capitulaires et les acquisitions nouvelles, soumises à l’avis du Maître provincial.

Le personnel d’une Maison comptait de cinq à dix frères. La présence d’un chapelain comme à Biot, laisse supposer un effectif d’une dizaine de frères, cela en ne prenant pas en compte les Templiers délégués dans les Maisons dépendantes.

Chaque commanderie avait son clavaire, chargé de l’administration intérieure de la Maison et des annexes, l’économat relevait du chambrier et le sous-commandeur recevait les sommes d’argent et les récoltes en nature.

Les commanderies accueillaient des familiers : « hommes du Temple », des donnés ou donats qui cédaient à l’Ordre tout ou partie de leurs biens et se plaçaient ensuite sous sa protection.

Bien que les articles 53 et 58 de la Règle interdisent de recevoir les femmes et les enfants, des sœurs faisaient vœu dans certaines commanderies et des enfants furent confiés par leurs parents à la garde des Templiers, pour devenir de futurs frères.

Certaines commanderies, extérieures aux Alpes Maritimes, se chargeaient spécialement de la formation militaire et religieuse des combattants, comme à Saint Maurice, dans la basse Provence.

La vie religieuse était soumise à la Règle basée sur les trois vœux de l’Eglise : pauvreté, chasteté, obéissance, auxquels les Templiers avaient ajouté la conversion des mœurs. Les offices religieux se déroulaient dans la chapelle ou l’église que possédait chaque commanderie.

Cette dernière attribution pouvait entraîner des conflits sur le droit de paroisse, détenu par le clergé séculier et dont les fidèles choisissaient de fréquenter les cultes templiers au détriment des leurs.

Mais si les Templiers célébraient la messe, les confessions, les mariages et les baptêmes leur étaient interdits, excepté pour les familles travaillant au service de l’Ordre.

Lorsque le prestige de l’Ordre s’effondre à la fin du XIII ème siècle, l’Ordre se décide à vendre des biens pour subvenir à ses besoins, mais également pour prêter de l’argent à des souverains, au Pape et à des seigneurs.

Les inventaires de la saisie des biens en 1308, traduisent une misère certaine, était-elle le reflet d’une réalité ou seulement une apparence ? Les biens les plus précieux purent-ils être dissimulés ou emportés ailleurs, à la veille de la rafle ? Nous verrons que les Templiers furent prévenus de l’imminence du danger et purent prendre les dispositions nécessaires, pour mettre leurs richesses à l’abri.

Si cette pauvreté était réelle, elle laisserait supposer que les derniers Templiers, n’étaient plus les fiers militaires prestigieux du XII ème siècle, mais de pauvres moines-paysans dont  la triste condition s’identifiait à de modestes ruraux de leur temps.

Signalons tout de même que les revenus chiffrés qui leur sont attribués ne correspondent pas à l’image dépréciée d’indigents sans ressources, qu’on a parfois présentée avec complaisance.

Notons enfin que les opérations bancaires auxquelles se livraient les Templiers, de là fin du XIII ème siècle, semblent peu compatibles avec l’état de dénuement, qu’on a bien voulu leur prêter à cette époque.Au-delà des causes profondes qui motivèrent la Cour de France et entraînèrent la papauté, puis d’autres souverains à abolir l’Ordre du Temple, il est intéressant de recenser les raisons du vif mécontentement et des griefs que soulevèrent les Templiers des Alpes Maritimes à la fin du XIII ème siècle.

L’Ordre gênait les évêques, surtout à Grasse où il menaçait leur pouvoir temporel, tout comme celui des gros propriétaires seigneuriaux qui n’appréciaient pas ses privilèges en matière d’acquisition des biens.

De plus, l’interdiction d’accès aux domaines de l’Ordre hérissait ses voisins qui ne pouvaient venir y faire du bois.

Les autorités comtales estimaient anormal le droit commun, auquel étaient assujettis les gens du Temple, ce qui contrariait leur pouvoir juridictionnel.

L’Ordre en substituant des droits féodaux, à certaines coutumes locales plus libérales, dressait contre lui nombre de petits tenanciers, lassés des exigences et des tracasseries imposées par ces règles.

Cette révolte latente, s’alimentait sans doute d’une campagne de dénigrement, destinée à saper la renommée et la puissance de l’Ordre, opulent et despotique.

Ainsi va se propager la rumeur calomnieuse de Templiers hérétiques, idolâtres, immoraux, intempérants, orgueilleux, cupides et inutiles. Ces accusations seront d’ailleurs reprises par les tribunaux qui provoquèrent leur ruine.

Les investigations menées par J.A. Durbec, au travers des archives templières des Alpes Maritimes, font apparaître « les pauvres Chevaliers du Christ », comme de bons chrétiens. Aucun document n’étaye le moindre soupçon d’hérésie. Plaçant leurs actes et leur règle, sous l’invocation de Dieu et de la Vierge, les frères menaient dans leurs maisons une vie monastique austère et exemplaire. L’indigence de leur trousseau et de leurs provisions personnelles, tout comme la rigueur de leur règle, formaient un contraste saisissant avec la richesse des biens et des revenus de l’Ordre.

Bien qu’en butte aux attaques du clergé séculier, particulièrement à Grasse, aucun document, objet ou livre suspects ne fut signalé, pour témoigner contre la milice du Temple, ni dans sa Maison, ni dans son  église où le chapelain n’utilisait que les instruments indispensables au culte.

Malgré que Jacques de Molay, Grand Maître de l’Ordre de France, ait affirmé devant ses juges : « Je ne connais pas de religion dont les chapelles et les églises aient de plus beaux ornements ! », l’inventaire de la saisie des « trésors » de l’église Saint Jacques de Grasse, s’avérera des plus modestes.

La petite croix reliquaire en argent, renfermant un fragment de la Sainte Croix, fut même retrouvée pêle-mêle, avec d’autres objets profanes, selon l’inventaire dressé par le notaire, laissant supposer les usages multiples de l’édifice religieux, servant à la fois de chambre aux Templiers, d’écurie pour l’unique cheval et d’entrepôt pour les marchandises !

Les témoignages fournis au procès de l’Ordre, par les chevaliers eux-mêmes, sur les pratiques ignominieuses auxquelles ils se livraient en grand secret dans leurs maisons, nous entraînent à citer celui évoqué par Michelet dans son ouvrage « Le procès des Templiers ». Il s’agit d’une déposition du précepteur d’Albignac, concernant également la Maison de Nice : « Reçu à la Maison de Montpellier il y a une vingtaine d’années dit-il en substance, par le Grand Maître de l’Ordre de Provence, Pons de Broët, je déclarai tout d’abord renoncer à ce que j’avais en propre et m’engageai à servir la milice comme un esclave. Ceux qui assistaient à la cérémonie me baisèrent alors sur la bouche et le précepteur m’ordonna alors de cracher sur un crucifix qui était posé à terre sur un tapis. Stupéfait, atterré et le cœur douloureusement meurtri, j’accomplis ce qu’on m’avait demandé. Mais il me fallut ensuite baiser le précepteur sur le nombril, in carne nuda et dans le dos sur une ceinture. Je vis ces mêmes faits se dérouler à la Maison de Nice, voilà à peu près  dix huit ans, lors de la réception d’un membre par le précepteur et les deux frères de cette maison ».

Certains inconditionnels de l’Ordre ont défendu la sincérité de ces aveux, prétendant que ces agissements sacrilèges servaient à tester la fidélité des frères et à conforter leur volonté de résistance à l’apostasie, après leur capture par les Musulmans.

Mais quel crédit accorder à cette déclaration qui, comme tant d’autres, furent extirpées par la torture, en réponse à un questionnaire établi d’avance et confirmées ensuite « librement » sous la crainte, pour être rétractées enfin par la plupart des chevaliers conduits au bûcher ?

Comme les canons de l’Eglise annulaient les dettes dues aux hérétiques, on comprend mieux pourquoi ce type d’accusation ait pu être porté contre les Templiers, alors qu’ils devenaient les créanciers des puissants de l’Occident chrétien.

La duplicité d’un tel procédé deviendra évidente, lorsque l’affaire se terminera par l’annulation pleine et entière des créances de l’Ordre.

Autre critique sur les mœurs immorales des Templiers, leur proverbiale intempérance, colportée avec complaisance dans les Alpes Maritimes comme ailleurs.

L’abbé Massa, dans son « Histoire de Grasse », rapporte les libations coupables d’un frère de la Maison de cette ville, en fuite au moment des arrestations : « Les Templiers de Grasse réussirent à se sauver. Un seul resta. Il était tranquille dans l’établissement lorsque arriva l’heure fatale et il n’eut que le temps de s’enfuir par une fenêtre. Dans sa course il aperçoit la porte d’une maison entrouverte, il rentre…et trouve une cave remplie de vin. Le malheureux attaqua la pièce qu’il croyait contenir le meilleur vin. Il but tant…qu’à la fin il ne tarda pas à s’endormir d’un profond sommeil.

Par malheur une servante de la maison se rendit à la cave, elle entendit ronfler, mais si fort qu’elle en fut effrayée. Aux cris qu’elle poussait, les voisins accoururent. Cependant les cris de la servante et le tumulte de la foule finissent par réveiller le preux chevalier. Il comprend de quoi il s’agit. La chronique rapporte qu’il se sauva. On ignore ce qu’il devint. Nous nous serions bien gardés de rapporter cette anecdote, si réellement elle ne fut arrivée à Grasse dans la matinée du 24 janvier 1308, c’est ce que nous apprend un vieux mémoire manuscrit ».

Démentie par le procès-verbal de l’arrestation des frères de la Maison de Grasse (comme nous le verrons plus loin), cette relation ne repose sur aucun fondement vérifiable, elle laisse tout de même supposer des précautions prises avant l’arrivée des officiers du Comte.

Etablies sur des préjugés qui le plus souvent ne résistent pas à la critique, ces allégations mensongères sont en contradiction flagrante, avec la Règle irréprochable à laquelle les frères étaient tenus de se conformer, dans leur conduite personnelle de chaque jour.

Apparaissant orgueilleux et susceptibles dans la défense, à tort ou à raison, des droits et des biens de l’Ordre, les Templiers auront recours aux gens de loi chaque fois que leur prestige ou leurs intérêts seront menacés. Dans leurs démarches procédurières, ils ne manqueront jamais de solides bases juridiques. En ce qui concerne le contentieux qui oppose le Temple de Biot aux habitants d’Antibes, Grasse et Villeneuve, seuls les Grassois démontreront qu’ils jouissaient de la faculté d’aller « lignerer » dans les bois du diocèse d’Antibes, mais à condition de ne pas couper du bois vert, dans les domaines réservés.

Remarquons que les revendications formulées contre les droits d’usage se multiplient surtout à la fin du XIII ème siècle, alors que les commanderies faisaient jusque là « pignerer » les contrevenants, sans jamais soulever aucune plainte collective.

De même, le droit d’asile du Temple, accordé depuis 1163 par une bulle papale, ne pouvait être ignoré des évêques. Cette prérogative marquait l’indépendance absolue de l’Ordre vis à vis de l’autorité des seigneurs et des évêques. La manifestation de ce droit à Grasse, à la fin du XIII ème siècle et au début du XIV ème siècle, protégeant un assassin réfugié dans l’église Saint Jacques, fut contestée et exploitée par l’Eglise et la Cour Royale pour atteindre le prestige du Temple.

Augmentant l’importance de son domaine par tous les moyens d’acquisition possibles, au point de détenir un millier de tenures dans les Alpes Maritimes dont  la moitié dans un seul diocèse, l’Ordre s’enrichissait au point d’attiser les jalousies qui provoqueront sa perte.

Néanmoins les faibles revenus tirés de l’exploitation de ses biens, ont été estimés très inférieurs à ceux obtenus par l’Eglise et les autres ordres religieux. Cette modicité relevait d’une politique de gestion prudente, à vocation humanitaire, éloignée des critiques malveillantes colportées sur l’Ordre.

Le devoir de charité n’écartait pas le souci qu’avait le Temple, de préserver ses intérêts dans la transmission des biens légués par ses bienfaiteurs, en préférant la donation au testament source de taxes et de contestations.

L’Ordre s’était organisé en institution bancaire, mais dans les Alpes maritimes cet aspect financier n’est perceptible que par des prêts accordés à des propriétaires en difficulté, obligés de gager leurs terres.

Faute de remboursement, la saisie définitive clôturait un contrat sous forme d’acquisition, dans des conditions avantageuses.

Plus que ses richesses foncières, le rôle de banquier et d’usurier sera fatal au Temple, tout comme il le fut à la même époque, pour d’autres organisations financières, comme les prêteurs juifs et les banquiers italiens.

Il est incontestable que le prestige de l’Ordre sera fortement entamé, à la suite de ses déboires militaires en Orient, survenus vers la fin du XIII ème siècle.

Après la perte de Saint Jean d’Acre en 1291, le discrédit s’installe, déconsidérés, l’Ordre et ses commanderies de Alpes Maritimes seront alors l’objet d’attaques incessantes, mettant en cause leurs droits et leur présence.

Méprisés après leur défaite en Terre Sainte, ces chevaliers de la foi, bien qu’acharnés jusqu’au bout à défendre l’honneur du Christ, seront bientôt précipités dans un puits d’infamie.

Jalousés par Philippe le Bel, désireux de supprimer un ordre trop puissant et de s’enrichir de ses dépouilles, en but à la rivalité cupide des Hospitaliers qui hériteront de la totalité des immeubles confisqués, les Templiers vont être accusés de tous les maux : sorcellerie, syncrétisme avec l’Islam, homosexualité, immoralité, etc…par les légistes du roi de France.

Avant que Clément V ne décide de la suppression de l’Ordre en 1312, va s’écrire la page la plus tragique du destin des Templiers, celle de leur arrestation, de la saisie de leurs biens et de leur jugement.

La rafle opérée le 13 octobre 1307 dans le Royaume de France, aura lieu trois mois plus tard en Provence, L’arrestation fut fixée au 24 janvier 1308.

Le Comte de Provence Charles II d’Anjou opéra de la même façon que son confrère et parent le Roi de France.

Bien que très attaché aux Templiers, le Comte s’abrita derrière la bulle pontificale du 22 novembre 1307, pour attaquer l’Ordre.

Les représentants du gouvernement et de l’administration comtale exécutèrent avec fidélité et ponctualité, les directives de leur souverain.

Le long décalage qui sépare les arrestations opérées dans le Royaume de France, de l’initiative prise par Charles II le 13 janvier, soit trois mois après jour pour jour, a pu laisser supposer une certaine hésitation, sinon une prudente réserve du pouvoir provençal.

En Provence, la vie de l’Ordre se serait poursuivie dans la plus totale sérénité, après le terrible coup de filet opéré dans le royaume voisin. Même quiétude apparente en Italie et en Espagne, alors que l’ombre de la menace planait sur le Temple, depuis le 22 novembre 1307 où la bulle papale ordonnait à tous les princes de la Chrétienté, d’arrêter les Templiers dans leurs états. Si rien ne laisse présager la date de la brutale issue fatale, l’échéance était proche. Dans ce contexte inquiétant, les Templiers des Alpes Maritimes mirent à profit le répit accordé par les autorités, pour se disperser avec leurs biens les plus précieux.

Nous verrons que des indices concomitants confirment qu’ils furent avertis de l’imminence de leur arrestation, aussi bien à Grasse, qu’à Nice et Rigaud.

C’est par une lettre du 13 janvier 1308 que Charles II dit « le Boiteux », comte de Provence, prince de Salernes et roi de Naples, ordonne à ses viguiers et juges de se conformer à deux lettres fixant l’arrestation, pour le 24 suivant, avant l’aube.

La première missive contient une seconde lettre, elle aussi cachetée, à n’ouvrir que le 24 janvier à l’aube et précise les détails secrets de l’opération. Voici les textes de ces messages rapportés par le célèbre Nostradamus, dans son « Histoire de Provence » (les originaux sont visibles aux Archives Départementales des Bouches du Rhône à Marseille, côte B154) :

« Nous vous envoyons nos autres lettres encloses sous notre petit scel à ces présentes, d’une importante affaire et secret négoce. Par leur teneur nous vous commandons et enjoignons, sous le serment que vous nous devez et sur la peine de confiscation de vos corps et de vos biens que les ayant reçues en vos propres mains, sans les mentionner, ni en tenir propos à personne vivante, vous les gardiez et teniez secrètement sans les ouvrir ; les gardant et les tenant closes en la même façon qu’elles vous seront rendues, jusqu’au XXIV ème du présent mois de janvier. A ce jour, avant qu’il soit clair, voire plus tôt en pleine nuit, vous les ouvrez, pour après lecture faite, mettre exactement leur contenu en exécution à même jour sans aucune faute. Et gardez-vous bien surtout, qu’il n’y ait aucune négligence, faute ou connivence de vostre part, surtant que vous craignez de perdre vos corps et vos biens. Nous certifiant par écrit, de la main de l’un de vous, de ce que fait en aurez. Donné à Marseille le XIII ème jour de janvier sous notre petit scel. Signé : Charles ».

Le 24 janvier, les divers officiers et juges ouvrirent la seconde lettre et purent lire : « Charles par la grâce de Dieu, roy de Naples et de Sicile, Comte de Provence, Forcalquier et terres adjacentes : A tous nos officiers, salut. Suivant l’exprès mandement de notre Saint Père le Pape à nous secrètement envoyé, nous vous mandons et commandons par ces présentes, si comme à chacun de vous il appartiendra que incontinent icelles reçues, sous peine de confiscation de corps et de biens, tout sagement, incontiment et secrettement vous ordonniez et faites que le XXIV ème jour du présent mois de janvier vous preniez ou fassiez prendre ou saisir au corps, tous les templiers de notre comté de Provence, Forcalquier et terres adjacentes et les metiez ou fassiez mettre et traduire avec bonne et sûre garde à leurs dépens ez prisons les plus fortes et seures que vous adviserez. Et, néanmoins, leurs biens, meubles et immeubles, debtes, noms, actions et droits quelconques, vous mettrez par description et inventaire, députans bons et louables commissaires, pour iceux régir et gouverner, jusques à ce qu’autrement par Sa Sainteté ou par nous en aye été ordonné ; tellement que de tout le contenu en nostre présente commission, vous procéderez à l’exécution d’icelles sans dissimulation aucune. Donné à Marseille, le XIII janvier l’an de grâce MCCCVIII. »

La suite et les résultats de l’arrestation des frères, ainsi que la saisie des biens, nous sont restitués par les procès-verbaux en latin, minutieusement détaillés par les notaires, juges, viguiers, officiers et leurs représentants, visitant en mission avec des hommes d’armes, les différentes commanderies  de Provence.

Dans les Alpes Maritimes, le juge de la cour de Grasse se rend à l’église Saint Jacques de cette ville, en compagnie d’un notaire et de quelques hommes d’armes.

Ils procèdent à l’arrestation du chapelain Guillaume Guigonis et du frère servant Guillaume Bérenger.

Le notaire procède ensuite à l’inventaire et poursuivra ses investigations durant trois jours, après avoir convoqué les tenanciers de l’Ordre, par l’entremise du crieur public.

Parti de Grasse, le viguier de la cour, entouré du clavaire, d’un autre notaire et de quatre sergents, se présente à la Maison de Biot où il rencontre les frères Hugues Alberge et Jacques Vilglonus, résidant au château et dresse en leur présence un inventaire complet du mobilier et des biens appartenant à l’Ordre.

Pour la commanderie de Vence, l’historien Tisserand signale François Hugolin et François Rostang, comme les derniers commandeurs de Vence et de Castellar, en place le 13 janvier 1308, sans préciser leur arrestation.

C’est par une criée en langue provençale que les officiers du bailliage de Villeneuve invitent les membres et les censitaires de l’Ordre, à se présenter devant Guillaume Gaillard, châtelain de Villeneuve. Voici le texte de cette proclamation, dans le savoureux parler des troubadours, en usage en Provence à cette époque : « Mandamens es de nostre senhor lo Rei de Jehrusalem et de Sisilia et de son bayle que tota persona que ren (t) tenga o aya del Temple, sia movel o non movel, sian bestias deniers, blat o autras causas, qual que sian, per calgue maniera que sia…o venga manifestat a la cort de nostre senhor lo Rei, a Vila Nova, al dich bayle, vo a son notari, çu pena de cent march d’argent fin… »

Les dépositions furent reçues jusqu’aux premiers jours de février, mais il est peu probable que des Templiers soient venus délibérément, se faire arrêter(!).

Aucun document relatif à l’arrestation des frères, ni à la saisie des biens de la commanderie de Nice et de son diocèse, ne nous a été transmis.

Bouche indique : « Le 24 janvier 1308, Jacob Ardouin délégué du Sénéchal de Provence accompagné de Richard de Gambateza arriva à Nice, entoura le Temple de soldats, mit en arrestation les chevaliers, saisit leurs biens et séquestra toutes les propriétés de l’Ordre. Des menaces s ‘élevèrent contre cet acte d’autorité, mais l’évêque Raymond Rostang apaisa l’effervescence populaire en publiant les motifs de cette mesure et les griefs imputés à ces religieux ». Le nombre des Templiers arrêtés n’est pas connu.

La cour de Puget-Théniers, avec son baile, un juge, un sous-clavaire et quatre sergents, se présentent le 24 au matin, à la Maison de Rigaud, qu’ils trouvèrent vide. Ils procédèrent à l’inventaire en présence d’un témoin.

Les tenanciers de l’Ordre, étant dispersés dans plusieurs localités du diocèse de Glandèves, ainsi que dans les hautes vallées alpines du diocèse de Nice et les voies d’accès étant difficilement praticables en cette saison, le baile de Puget-Théniers convoqua certains censitaires à Entrevaux, alors que ses officiers enregistraient des déclarations dans chaque pays, jusqu’au 25 février.

Le coup de filet, lancé par le Comte, aboutit à emprisonner un total de 48 frères pour l’ensemble de la Provence, 21 le seront à Pertuis et 27 au château de Meyrargues.

Si Tisserand indique : « Tous les Templiers depuis Port Maurice (l’actuel Imperia en Italie), jusqu’à Grasse furent incarcérés à Pertuis et à Meyrargues », Bouche précise que la forteresse de Pertuis accueillit les Templiers arrêtés à Nice et cite leurs noms : Guillaume Bérenger du bailliage de Nice, Hugues Alberge de Nice, Guillaume Guigonis chapelain de Nice et Jacques Vihtoni de Nice.

Curieusement, Hugues Alberge fut arrêté à Biot et le chapelain Guillaume Guigonis, tout comme Guillaume Bérenger le furent à Grasse. Une probable erreur de transcription laisserait supposer que Jacques Vihtoni de Nice, devrait être confondu avec Jacques Vilglonus arrêté à Biot.

Nous verrons qu’à la fin du XIII ème siècle, les commanderies de Nice, Grasse et Biot regroupées et dirigées par un unique commandeur, formaient un seul ensemble, expliquant peut-être la confusion.

Au total, seuls quatre frères des Alpes Maritimes seront arrêtés et placés dans les cachots du château de Pertuis, parmi eux, aucun commandeur ou dignitaire de l’Ordre.

En comparant les effectifs des autres commanderies provençales, les Alpes Maritimes devaient compter une moyenne de huit frères pour chacune des siennes, soit au total 40 Templiers pour les cinq maisons recensées.

C’est donc le dixième de l’effectif du Temple dans les Alpes Maritimes qui fut incarcéré et essentiellement des subalternes.

La masse des chevaliers de l’Ordre avait donc réussi à se glisser hors des mailles du filet, après avoir très certainement bénéficié d’informations complices, au plus haut niveau du pouvoir.

J.A. Durbec estime que l’ordre d’arrestation avait pu transpirer, en constatant qu’un donateur du Temple se sentant menacé, avait remis de l’argent et des céréales à des personnes de Touët et d’Ascros.

De même, le commandeur et le chapelain de Grasse avaient donné quelques effets personnels en gage, peu de temps avant la date fatidique du 24 janvier.

Quel fut le sort des malheureux Templiers après leur arrestation ? Faute d’archives le doute s’installe, leur transfert à Aix en Provence laisse supposer la tenue d’un procès. L. Dailliez, plus formel, note : « Nous sommes certains aussi que plusieurs frères périrent sur le bûcher et Charles II n’avait rien a envier à Philippe le Bel pour sa cruauté. Il est difficile de donner un chiffre sur le massacre ».

Néanmoins, il semble qu’aucun bûcher n‘ait été allumé dans les Alpes Maritimes.

La torture sera utilisée dans le Midi comme ailleurs, pour obtenir des aveux, les frères furent soumis sur la rive droite du Rhône, au supplice du brodequin. A Paris, le procédé était encore plus atroce puisqu’on suspendait des poids aux parties génitales des prisonniers.

Robert dit « le Sage et le Bon », Comte de Provence, succédant au roi Charles II son père, usa de clémence envers les Templiers.

Cette mansuétude est confirmée par la libération de certains frères, placés sous la garde des juges et viguiers. On retrouve leur trace plus tard, dans l’Ordre des Hospitaliers.

C’est ainsi que deux Templiers arrêtés en 1308 : Guillaume Bérenger de la Maison de Grasse et Rostang Castel de la commanderie du Ruou ou de Nice (?) sont mentionnés en 1338, dans l’effectif de la Maison que l’Ordre des Hospitaliers détient alors à Nice.

Ces deux anciens membres du Temple avaient été libérés par le concile provincial, chargé de les juger.

Dans d’autres commanderies des Hospitaliers, il sera fréquent par la suite de voir apparaître le nom d’un frère, suivi de la mention « ancien du Temple », confirmant que la page des persécutions était définitivement tournée.

Administrés dans un premier temps, par des personnes « honorables » de la localité, les biens du Temple saisis, passèrent ensuite aux Hospitaliers, après les décisions prises au Concile de Vienne de 1312. Une exception locale est à signaler à Vence où la plus grande partie des propriétés templières sera partagée entre l’évêque et certains seigneurs. Les abus, malversations et usurpations obligèrent le Comte à intervenir.

Des siècles durant et jusqu’à la Révolution, les Hospitaliers conserveront les biens du Temple sous séquestre, comme un devoir de mémoire pour leurs rivaux de jadis.

Une enquête significative, effectuée en 1338, par un commissaire de l’Ordre des Hospitaliers, permet de retrouver dans les Alpes Maritimes, une partie des biens et services hérités des Templiers.

Les richesses du Temple avaient causé sa perte, elles furent ainsi accaparées, après avoir été dûment répertoriées lors des saisies.

Quelle fut, là encore, la part des objets précieux et de l’argent qui échappa aux confiscations ? L’incertitude et le mystère s’installent alors et la réalité cède le plus souvent place au mythe et à la légende.

D’après «Les Templiers en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55.

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09/11/2006

LE DIABLE ET SAINT MARTIN DANS LES ALPES MARITIMES

LES DEMELES DE SAINT MARTIN AVEC LE DIABLE 

Près d’Aiglun, petit village serré perché sur un versant à pic au-dessus de l’Esteron, face à la montagne du Cheiron, s’ouvre la grotte Saint-Martin.

Saint Martin, évêque de Tours, très populaire dans la région passe pour être le dupeur habituel du Diable. Ce pouvoir en fait le meilleur gardien des passages dangereux de la montagne.

On assure que Saint Martin aurait été ermite pendant quelques temps dans la grotte voisine d’Aiglun. Chaque jour, Saint Martin devait aller abreuver son âne fort loin dans l’Esteron. Pour obtenir ses bonnes grâces, le Diable fit sourdre une source qui coule encore par intermittence à l’intérieur de la cavité. Saint Martin, rusé, réussit à enfermer le tentateur dans la caverne, lequel parvint à s’enfuir en perçant une cheminée à travers le roc. Cet orifice est aujourd’hui encore baptisé « le trou du Diable ».

Beaucoup plus au Nord à Daluis, sur le bord de la haute vallée du Var, le fleuve a taillé de majestueuses gorges dans les schistes rouges. C’est dans ce cadre austère que se situe un autre épisode opposant St Martin au Démon. Le valeureux saint, poursuivi par l’Ange du mal lui échappa, grâce à son âne qui fit bravement un saut de plus de cent mètres au-dessus des gorges profondes et obliques de Daluis. Les sabots de devant s’imprimèrent sur une rive, alors qu’à l’opposé sur l’autre rive du canyon, le roc portait l’empreinte de ceux de derrière. Mieux encore, le bâton sur lequel s’appuyait le saint prit racine dans le schiste !

Voilà comment s’installa le culte de Saint Martin à Daluis, un hameau porte son nom avec sa chapelle abritée par un auvent rustique, enfin l’église paroissiale lui est consacrée, éloignant ainsi le Diable et ses œuvres de la commune.

C’est vers 350 que Saint Martin, diacre d’Embrun puis évêque de Tours, se déplace de la Provence au Piémont pour poursuivre l’œuvre de christianisation entreprise.

D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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06/11/2006

ENTRE SAINT JEANNET ET LE BROC AU TEMPS DES ROMAINS

           LES DEUX SOLEILS

Après une journée de marche forcée vers le nord, le long des collines dominant le Var, la cohorte de Julius Arénius installait son camp sur le promontoire du Mont gros. Déjà, les flammes des feux allumés par les hommes remplaçaient la lumière du jour qui déclinait à l'arrière des crêtes dominant les falaises des Baous. Pourtant une étrange clarté persistait là-haut sur l'un des rochers gris alors que la nuit d'hiver assombrissait la vallée. Julius fit doubler la garde et appela Vénasc le guide ligure:

« Oui ce sont bien ceux que tu cherches, les Nérusiens, mes frères, qui du haut de leur castellaras surveillent ta progression, eux seuls choisiront le lieu et le moment du combat…Sache être patient s'ils sont regroupés, la partie sera belle. - Demain nous attaquerons à l'aube, sans attendre leur bon plaisir. »

Broc et ses hommes avaient compris la manoeuvre des Romains, méfiants ils s'étaient refusés tout le jour au contact, estimant plus prudent de concentrer les membres de la tribu à l'abri des épaisses murailles de pierres de la citadelle du Baou. Du haut de leur observatoire ils pouvaient à loisir voir venir et parer aux intentions de leur adversaire.

Maintenant bêtes et gens se serraient sur l'étroite plate-forme, à l'abri de cabanes de branchages. Un grand feu allumé au centre du camp éclairait de ses flammes les visages barbus et chevelus des hommes valides, rassemblés autour des chefs et du mage.

Un conseil, présidé par les anciens, mettait au point le plan de bataille, après avoir sondé les augures. Au couchant, le mage Pélasc avait interrogé Héol dieu soleil, fécondateur du sol et de la femme, sa réponse laconique tenait en quelques mots:

« Chance et victoire quand je meurs au milieu du jour. » Baissé sur les braises, assisté de deux vierges, Pélasc atten­dait maintenant l'oracle d'Hésus, dieu de la guerre, avant d'embraser la poignée d'herbes odoriférantes, la fumée indiqua le lieu de la future bataille: « C'est au Nord! » Les prêtresses du dieu arrosèrent enfin les flammes avec une jatte de lait de chèvre, cinq volutes s'enroulèrent vers le ciel constellé d'étoiles. Le mage précisa l'oracle: « Au Nord et au-dessus du cinquième vallon qui court vers le grand fleuve. »

Les dieux avaient parlé. Pélasc baissa les yeux vers Broc, à lui désormais d'interpréter les sentences.

Broc proposa d'attirer les Romains vers le Nord avec les meilleurs guerriers de la tribu. Cresp et le reste des Nérusiens défendraient le camp si la manoeu­vre échouait. Lorsque Broc regagna sa cabane pour prendre quelques heures de repos, Miate dormait déjà sur la couche de genêts. Il écarta les chaudes fourrures et caressa longuement le corps de la femme avant de l'étreindre. Broc eut l'impression de s'être seulement assoupi lorsque la corne du guetteur retentit par trois fois annonçant les premières lueurs de l'aube.

Précédé de Vénasc, le décurion Antonin Flavius grimpait en éclaireur le vallon des Sauques, accom­pagné d'une troupe, s'abritant sous les chênes verts, pour échapper au regard des Ligures. Contournant les falaises, ils apparurent enfin à la vue des défenseurs du castellaras. Ceux-ci les lais­sèrent s'approcher, dissimulant leur présence der­rière les épaisses murailles. Le camp semblait vide, alors qu'ils avançaient maintenant confiants et à découvert, les Romains furent assaillis par une volée de flèches qui les contraignit à regagner le vallon où une pluie de pierres acheva de les mettre en déroute. Profitant de l'effet de surprise, Cresp regroupa ses compagnons, et par un sentier de fuite connu de lui seul, entraîna les Nérusiens vers le vallon opposé pour rejoindre Broc à marche forcée en contournant la montagne. La manoeuvre devait pleinement réussir et au milieu du jour, Cresp prenait contact avec la colonne de Broc, stationnée sur un promontoire dominant le Var, au-dessus du cinquième vallon.

Les Nérusiens dressèrent leur camp pour la nuit, Broc retrouvait Miate. Leur union avait débuté voilà deux saisons alors que la fille de Brusc deve­nue pubère se devait d'être initiée à ses nouvelles fonctions de femme. Le soir de la première lune suivant le solstice d'été, Broc, homme expert et doux, avait défloré, selon l'usage, les six vierges échangées avec la tribu de Brusc. La scène s'était déroulée devant témoins, face aux flammes du feu de camp, le mage Pélasc avait prononcé les paroles rituelles propres à apporter la sollicitude d'Héol, fécondateur universel. Depuis Miate n'avait plus quitté la cabane du chef Nérusien.

La journée s'achevait, alors que Julius Arénius amer installait ses légionnaires dans l'enceinte déserte du castellaras du Baou. Le lendemain, les Romains réussissaient à coincer leurs insaisissables adversaires les contraignant à se battre en rase campagne. Le choc fut rude et l'issue de la bataille incertaine jusqu'au milieu du jour.

Alors, Héol abandonna ses adorateurs pour disparaître derrière la crête de la montagne. Le dernier carré des Nérusiens succomba sous le nombre, Broc et Miate prisonniers furent traînés aux pieds de Julius Arénius. Narquois, le Romain leur tint ce langage: « Fier Ligure, si ton dieu Héol réclame ma clémence, je te laisserai libre toi et ta femme, qu'il réapparaisse! et vous pourrez partir, sinon ce sera la mort pour toi et le lupanar pour ta compagne! » Broc baissa la tête, mais dans un sursaut Miate se dressa et leva les bras vers le ciel, alors à la surprise générale le soleil réapparut soudain éclatant, inondant de lumière le champ de bataille.

 Le consul Arénius tint parole, Broc et Miate libérés poursuivirent dans les montagnes du Pays niçois une vie rude et indépendante.

Si un jour entre le 20 novembre et le 20 janvier, vous visitez le village du Broc surplombant la vallée du Var, vous remarquerez que le rocher de la Péloua, au sud, intercepte le soleil entre midi et quatorze heures. Héol, bas sur l'horizon, passe pendant ces deux heures derrière le sommet de la colline pour réapparaître et resplendir l'après-midi, Il n'a jamais trahi les siens.

D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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