17/12/2008
ALPES MARITIMES: EXORCISME ET CHASSE AUX SORCIÈRES (SUITE)
Mais à côté de ces innocentes croyances populaires, confirmant un terrain propice à l’accueil de pratiques plus audacieuses, les chroniques du passé nous restituent les tragiques épisodes d’une impitoyable chasse aux sorcières.
Les potences et les bûchers vont se dresser aux quatre coins des Alpes Maritimes, pour punir les malheureuses « mascas » accusées de pactiser avec le Diable.
En 1428, plusieurs femmes seront pendues devant la population rassemblée à Sospel. Dans cette même bourgade, en 1446, une femme sera brûlée vive à cause de ses maléfices. Plus haut, à Saint Etienne de Tinée, une femme et ses deux filles monteront sur le bûcher en 1437 pour crime de sorcellerie. Une autre sera pendue en 1451 à Nice. Ces exécutions étant indépendantes de celles évoquées précédemment, relatives à la poursuite des partisans des hérésies.
A cette époque, l’Eglise pouvait rendre la justice, ce privilège ne sera aboli en France qu’en 1790. Jusque-là et particulièrement au XV ème siècle, les autorités ecclésiastiques persécutèrent sans relâche tous ceux qui s’écartaient des préceptes par leur conduite, s’exposant dans leurs égarements à l’hérésie ou à la sorcellerie.
S’il est admis, « qu’il n’y a qu’un sorcier pour dix mille sorcières » et que la « masca » est du féminin, nombreux furent les hommes poursuivis devant les tribunaux pour les mêmes délits
L’enquête initiée au XIX ème siècle par Mgr Dominique Galvano, évêque de Nice, permet de connaître l’état d’esprit des populations des Alpes Maritimes à cette époque, en matière de pratique et de croyance religieuse.
En 1836, le prélat adresse à tous les curés de son diocèse un imprimé en préalable à ses visites pastorales de 1838, 1839 et 1840.
Une rubrique, relative aux superstitions et aux rites étrangers à l’Eglise, reflète les mentalités des habitants, particulièrement sensibles à la sorcellerie dans le Haut-Pays.
Voici quelques exemples révélateurs, extraits de ces notes.
A Guillaumes, le curé Coste précise au sujet des gens du hameau de Bouchanières que « les superstitions, vices et abus principaux sont ceux-ci : croire aux sorciers et agir en conséquence ; placer la lune presque en tout ; croire que le son des cloches garantit de la grêle et autres ridiculités semblables ».
Le prêtre de Saint Antonin signale : « Dans leur misère et leur infortune et aussi leur grossièreté, il y a des gens qui croient que les sorciers sont leurs ennemis et c’est pourquoi ils croient aussi aux devins et ils vont les consulter jusqu’à trois fois ».
Plus bas, à Sigale, : « Certains croient, mais en petit nombre, aux sortilèges, aux devins que l’on consulte en cas d’infortune ou de maladie ».
A La Penne : « On croit aux sortilèges ».
Toujours dans la vallée de l’Esteron, à Roquesteron : « On va consulter les « devineuses » et on pratique ce qu’elles prescrivent pour guérir les maladies ».
Et encore à Cuébris : « l’on croit quelques fois aux devineresses et on les consulte dans leurs adversités ».
Plus loin à Toudon : « Certains croient aux sortilèges et aux maléfices et à la vertu des cloches qui protègent contre les effets des tempêtes et des bourrasques ».
Dans la vallée du Var, à Villars, « On sonne les cloches en temps de tempête ou lorsque tombe la grêle ». De même à Beuil où l’on fait appel aux cloches, « pour chasser le mauvais temps ».
Jugée efficace, cette pratique était authentifiée au point que de nombreux villages des Alpes Maritimes comme Belvédère, Coaraze, Guillaumes, La Tour, Saint Jeannet, Valdeblore possédaient un carillonneur attitré que sa fonction entraînait vers le clocher à la moindre alerte. Certains d’entre eux perpétuent encore cet usage profane et d’autres possèdent toujours une cloche baptisée « Salva Terram » qui sonnait spécialement les jours d’orage.
Enfin, le curé de la paroisse niçoise de la cathédrale de Sainte Réparate reprochait à ses fidèles « d’avoir recours aux cartes pour tenter de gagner à la loterie » !
Toujours au XIX ème siècle, la fin troublante du grand violoniste Paganini à Nice est toute aussi révélatrice de la mentalité de la société de cette époque.
Le 27 mai 1840, une étrange nouvelle se répandait dans la ville : « Le Diable est mort ! ». Pourquoi ce qualificatif inquiétant ?
Dans le Vieux-Nice, on se méfiait de la présence de cet individu bizarre, au profil d’aigle, squelettique, au visage sans joues, aux cheveux sales couvrant le col. Depuis quelques semaines il n’apparaissait plus, était-il malade ? Oui, un pharmacien confirmait la nouvelle, il était atteint d’un cancer au larynx.
La rumeur s’enflait quand on apprit qu’un curé, Don Caffarelli, s’était présenté
plusieurs fois chez lui, pour lui administrer l’extrême onction et chaque fois dans un démoniaque sursaut d’énergie, Paganini avait envoyé le prêtre au Diable !
Dans le passé aussi, chaque fois qu’un représentant de l’Eglise était venu le solliciter pour des dons, il s’était fait sauvagement mettre à la porte.
De plus, ruiné, après la faillite d’un casino monté à Paris, il avait dû se réfugier à Nice, pour fuir la police française jetée à ses trousses.
Il se cachait au 23 rue du Gouvernement (l’actuelle rue de la Préfecture), dans un appartement mis à sa disposition par un de ses admirateurs, le Comte de Cessole, président du Sénat de Nice. Pourquoi portait-il cette étiquette diabolique ?
Il fallait lui reconnaître un tempérament volcanique qui s’exprimait par une surprenante virtuosité. Tous les musiciens du monde étaient à ses pieds, car partout où il jouait, il mettait ses auditoires en transes.
Nice se souvenait de ses concerts donnés quatre mois plus tôt, en décembre, le journal relatait alors la réaction d’un aveugle, ne voulant pas croire que Paganini était seul sur scène, à tirer autant de sonorités de son violon : « s’il est vraiment seul, c’est le Diable ! Fuyons, Fuyons ! ».
Il était même question de son « secret », évoqué par le poète Rosalinde Rancher, chacun souhaitait qu’il le révèle avant sa mort !
Enfermé dans son appartement du Vieux-Nice, Paganini restait sourd à ces sollicitations. Pourtant, n’avait-il pas déclaré au poète allemand Heine : « J’ai un secret : C’est le Diable qui me guide par la main ! ».
Deux jours après sa mort son corps était transporté à l’hôpital Saint Roch, pour y être embaumé.
Déjà la légende d’un être surnaturel, voir satanique, se répandait autour du port où des marins venus de Gênes, rappelaient les origines du violoniste, fils d’un docker de là-bas. A la veille de sa naissance, le 27 octobre 1782, sa mère avait vu le Diable en songe et celui-ci lui avait annoncé : « Teresa, forme un vœu pour ton fils Niccolo qui va naître !
– Qu’il soit le plus grand violoniste du monde !
– Il le sera ! ».
Les soupçons devenaient des doutes, la légende faisait place aux certitudes et les Niçois se persuadaient sérieusement que Satan venait de mourir chez eux. Les femmes se signaient dans la rue du Gouvernement où des musiques insolites émanaient des murs de l’appartement du défunt.
Cette émotion atteignit jusqu’à l’évêque Mgr Galvano qui prit la décision d’écarter Paganini de toute sépulture chrétienne. Son corps serait jeté dans le Paillon ! Etrange fin pour le plus grand violoniste de tous les temps ! Son ami le comte de Cessole ne pouvait l’admettre.
Sans s’opposer à la décision épiscopale, il cacha le corps de celui que l’Eglise estimait habité par Satan, d’abord dans une cuve à huile de sa propriété.
Les errances posthumes de Paganini se poursuivront ensuite pendant plus d’un demi-siècle, après que son cas fut examiné par le roi Charles Albert et le pape Grégoire XII ! Elles s’achèveront à Parmes dans la consécration et la gloire, en 1896.
A cette même époque, dès 1873, le Carnaval de Nice développe ses fastes avec une intensité nouvelle, exhibant dans les rues des personnages allégoriques où le Diable occupe une place privilégiée. Satan, Faust, Lilith et ses sorcières règnent en maîtres sur les chars, particulièrement en 1879. Méphisto sera tout aussi majestueux plus tard, en 1929. En 1884, « l’Enfer au Carnaval », tout comme en 1890 « La Redoute aux Enfers » et 1895 avec « La Fumisterie » (cuisine infernale) reprennent le thème avec complaisance. Le « Babaou », sorte de dragon cracheur de feu, apparaît dès 1882. Ce monstre effrayant, tout comme l’horrible « Ratapignata » (chauve-souris), fréquentera ensuite les corsi avec assiduité et une vigueur ostentatoire.
Les sorcières, accueillies avec la même ferveur, étalent leurs sabbats endiablés dès 1884. Leur présence animera avec fougue la suite des cortèges carnavalesques jusqu’à nos jours. Ces expressions traduisent les fantasmes d’une population qui mêle pour un temps, l’imaginaire au vécu, dans un psychodrame destiné à conjurer ses propres craintes.
Plus près de nous, dans l’entre-deux-guerres, les Niçois se rendaient à Saint-Jeannet, renommé pour être le village des sorcières, ces affidés du Diable.
Là, dans ce creuset de pratiques magico-superstitieuses et de remèdes de bonne femme d’un autre âge, chacun savait pouvoir trouver le réconfort et la paix du corps et de l’âme.
D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55
Où mieux rencontrer le Diable que dans les Alpes Maritimes, sur ces terres chargées de contrastes où s’opposent mer et montagne, au carrefour de la Provence et de l’Italie ?
Ici, le Diable est aussi à l’aise sur la Côte d’Azur où s’étalent d’outrageantes richesses que vers l’intérieur où se cachent une humilité austère.
Puits du Diable, Château du Diable, Cime du Diable, longue est la liste des sites, marqués par la forte empreinte de celui qualifié par Bernanos de « Singe de Dieu ».
De Nice, à la Vallée des Merveilles, devenue son « domaine réservé », le Diable hante les villages, plastronne sur les murs des chapelles et persiste à enflammer l’imaginaire de ses habitants.
Il fallait raconter l’extraordinaire aventure du Diable dans les Alpes Maritimes. Grâce à Edmond Rossi, auteur niçois de plusieurs ouvrages sur l’histoire et la mémoire de son pays, cette lacune est aujourd’hui comblée.
Laissons-nous entraîner, à travers les siècles, sur la piste attrayante et mouvementée, de l’éternel et fascinant tourmenteur du cœur et de l’âme.
Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur
http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com
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10/12/2008
RIGAUD ET SA COMMANDERIE TEMPLIÈRE (4ème PARTIE)
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03/12/2008
COMTE DE NICE HISTOIRE
Le territoire compris dans la circonscription actuelle du département des Alpes-Maritimes fut d'abord habité par les Ligures, les sauvages aborigènes, sur l'histoire et les mœurs desquels on possède peu de notion. Le premier héros qui ait laissé sa trace sur ce sol, foulé depuis par les pas de tant de vainqueurs, fut Hercule. On lui attribue la fondation de Monaco.
Trois siècles plus tard, les Phocéens de Marseille, jaloux de la prospérité de ce port, en creusent un autre à l'embouchure du Paillon. Emerveillés de la fertilité des campagnes, de la beauté du climat, ils y envoient de nombreux colons. On défriche le sol, on y apporte la vigne et l'olivier de la Grèce. Les Romains convoitent à leur tour ce qui a séduit les Phocéens sur ces rivages fortunés, ils plantent leurs aigles dominatrices. Le Forum Julii (Fréjus), le monument de la Turbie sont comme deux empreintes de la puissance romaine. La voie de mer, les vaisseaux de Marseille et du port d'Hercule ne suffisent plus aux besoins de communications nouvelles. Des routes sont ouvertes à travers les rochers. la voie Aurélienne, faite pour les légions, livrera bientôt le passage des Alpes aux barbares. Ils sont précédés par les apôtres de la foi évangélique : saint Barnabé descend des Gaules, saint Nazaire débarque d'Afrique.
Pendant trois siècles, le pays fut incessamment traversé et ravagé par les barbares. Ces colonies isolées, qu'aucun lien ne rattachait entre elles, ne pouvaient offrir aux envahisseurs aucune résistance. Elles imploraient le secours de leurs voisins. La Ligurie eut pour première protectrice la république de Gênes, au VIIe siècle. Elle s'abrita, en 741, sous le bouclier de Charles Martel.
L'impuissance des descendants de Charlemagne livra la malheureuse province à de nouveaux et plus redoutables ennemis, les Sarrasins, les pirates d'Afrique. Pas un point de la côte n'était à l'abri de leurs invasions. Ils s'étaient construit de distance en distance, sur des rochers, dans des endroits inaccessibles, des espèces de repaires du haut desquels ils s'abattaient sur les campagnes et sur les villes. Cet état de choses devint si intolérable, ces horreurs furent poussées à un tel point que la chrétienté s'en émut, et le pape Martin Il organisa une espèce de croisade contre les Maures, qui possédaient tous les passages des Alpes maritimes et qui en opprimaient si cruellement les habitants.
C'est à Othon, le grand empereur d'Allemagne, que revient l'honneur d'avoir porté le coup décisif à la domination des Sarrasins, c'est lui qui prit d'assaut La Garde-Fraxinet, la plus redoutable de leurs forteresses. L'époque de cette délivrance, le XIe siècle, coïncide malheureusement avec les développements les plus caractéristiques de la féodalité. Aussi les guerres intérieures, les discordes civiles permirent-elles à peine de relever les ruines que les Sarrasins laissaient derrière eux. D'une part, les Grimaldi travaillent à affranchir et à étendre leur souveraineté depuis Monaco. Le spectacle des prospérités de Gènes et de Pise suscite des conspirations républicaines. Ailleurs, les héritiers de Boson, les comtes de Provence, revendiquent leurs droits sur ce qu'ils prétendent être une dépendance du royaume d'Arles.
Il n'y a de trêve à ces déchirements que pendant le règne de Raymond-Berenger IV, comte de Barcelone et de Provence, dans la première moitié du XIIIe siècle. En 1246, recommence, avec l'avènement de Charles d'Anjou, une longue période de calamités. Entraînée par ce prince dans sa désastreuse croisade et dans sa fatale expédition contre Naples, la Ligurie y perdit quatre galères et l'élite de ses enfants. Le comté de Nice fut ruiné et vit disparaître les trois quarts de sa population, qui était alors de 80 000 âmes, en comprenant les bailliages de Barcelonnette et de Puget-Théniers. Le commerce était presque anéanti, la désolation régnait dans les familles décimées par la guerre. Les terres, faute de bras, restaient incultes.
L'autorité était exercée au nom du souverain absent par un grand sénéchal qui faisait peser sur les petits une tyrannie d'autant plus impitoyable qu'elle était plus impunément bravée par les grands. Les possesseurs de hauts fiefs, l'évêque de Nice et l'abbé de Saint-Pons, les Caïs et les Badat, les Marquesans et les Riquieri, les Grimaldi de Vintimille échappaient à sa juridiction et agitaient de leurs querelles incessantes l'intérieur de la cité. A l'extérieur, c'étaient de grands vassaux plus indépendants encore : les Lascaris, comtes de Tende, qui descendaient par les femmes des empereurs de Constantinople, et les Doria de Dolceaqua, qui dominaient dans la vallée de la Roya. Par eux le Piémont et la république de Gènes pesaient sur le comté de Nice.
Il y eut pourtant une compensation à tant de malheurs. Le pays de Nice doit aux règnes des deux Charles les orangers de Sicile, qui, arrosés à leur naissance de bien des larmes, font aujourd'hui la fortune de la contrée. Après l'extinction de la branche aînée d'Anjou, et la renonciation de la branche cadette, le 5 octobre 1419, le comté de Nice vint s'ajouter aux États déjà si considérablement agrandis d'Amédée VIII, duc de Savoie. Pendant plus d'un demi-siècle, la Ligurie put s'applaudir d'avoir changé de maîtres. Mais l'Europe tremblait sur ses bases, bientôt allait commencer le grand duel entre la France et l'Espagne. Charles-Quint et François Ier, allaient se disputer l'Italie. Les Alpes- Maritimes étaient le passage indiqué des deux armées, elles étaient destinées à la fois à devenir théâtre et victimes de ces luttes acharnées. Peste, guerre et famine, tels furent les fléaux qui inaugurèrent le XVIe siècle.
L'entrevue de Villefranche, ménagée par le pape Paul III entre François Ier et Charles-Quint, devait procurer une trêve de dix années. Au commencement de la cinquième, les hostilités recommencèrent, le monarque français amenant cette fois avec lui le forban apostat, devenu bey de Tunis, Hariadan Barberousse.
Après la paix de Cateau-Cambrésis, sous l'administration réparatrice de Philibert-Emmanuel, la Ligurie respirait à peine, heureuse de pouvoir effacer de si longs et de si cruels désastres, quand survint le fameux tremblement de terre du 20 juillet 1564. Les secousses se prolongèrent jusque dans les premiers jours d'août et bouleversèrent tout le pays. Le fond du port de Villefranche s'affaissa, le cours de la Vésubie fut un moment interrompu ; les villages de Bollène, Lantosque, Belvedère, Saint-Martin, Roccabigliera et Venanson, furent écrasés par la chute des rochers environnants, et beaucoup de sources non thermales jusque là devinrent chaudes et sulfureuses.
Les règnes les plus heureux dans les États voisins, les administrations les plus habiles semblent être pour notre malheureuse province l'occasion, la cause de nouvelles infortunes. C'est elle encore qui paye une partie de la gloire d’Henri IV et de ses généraux. Quand, rompant la paix de Suse, Richelieu endosse la cuirasse par-dessus la pourpre romaine, c'est la Ligurie que menace le cardinal, devenu capitaine. En 1689, lorsque se forma la ligue d'Augsbourg, Victor-Amédée, contraint de renoncer à la neutralité, prit parti contre la France, ce fut le signal d'une nouvelle invasion, et, le 11 mars 1691, Catinat établissait son quartier général à Saint-Laurent-du-Var. L'occupation française dura jusqu'à la paix de Turin, signée le 29 août 1696.
Quelques années plus tard éclatait la guerre de Succession, c'est sur les mêmes rivages et sous les mêmes murailles que le prince Eugène et le duc de Berwick développèrent leurs talents stratégiques. Louis XIV victorieux ordonna, en 1706, de raser toutes les fortifications du comté. La guerre cependant continua encore avec des succès divers jusqu'au traité d'Utrecht, en 1713 ; son oeuvre avait été complétée par les rigueurs de l'hiver de 1709, pendant lequel, dans la nuit du 13 au 14 février, un froid de 9 degrés gela tous les oliviers.
Une trêve de vingt années, dans cette suite continuelle de guerres, permit aux princes de Savoie, Victor-Amédée et Charles-Emmanuel, de faire preuve des bonnes intentions dont ils étaient animés envers les Liguriens. Mais il était écrit que toute secousse européenne devait avoir son contrecoup au pied des Alpes.
A propos de la succession de Pologne, les soldats de l'Autriche, les vaisseaux de l'Angleterre et les armées franco-espagnoles se mettent en marche, c'est encore dans le couloir et dans les ports des Alpes-Maritimes que s'établit le principal courant des troupes et des arrivages. L'excessive sécheresse de l'été de 1734 occasionne disette et famine, laissant le nom de mortelle.
Nous renonçons à décrire les péripéties de ces luttes éternelles, qui sont presque aussi semblables dans leurs détails que dans leurs résultats, toujours des sièges, des batailles, puis des traités, l'un refaisant ce que l'autre a défait, c'est à peine si les noms des lieux changent. Le traité d'Aix-la-Chapelle ne fait que rétablir un état de choses qui avait existé auparavant. Ce qu'il constate surtout, ce sont les inépuisables ressources de ce pays, qui, pour célébrer la paix, surprend l'Europe par le faste et l'éclat de ses fêtes, alors qu'on pouvait le croire épuisé par tous les sacrifices de la guerre.
Le 24 mars 1760, fut signée, à Paris, la partie du traité définitif qui rectifiait la ligne de frontière entre la Savoie et la France. Les communes de Gattières, Dosfraines, Bouyon, Ferres, Conségudes, Aiglun et la moitié de Roquesteron, situées au-delà du Var et de l'Estéron, furent échangées contre les villages provençaux d’Auvare, Saint-Léger, La Croix, Puget Rostang, Cubéris, Saint-Antonin et La Pène, qui passèrent au comté de Nice. La sagesse du roi de Piémont conserva la paix à ses États pendant la guerre de Sept ans. Les afflictions d'une disette, que les sécheresses rendaient imminente en 1767, furent épargnées aux populations par d'habiles mesures. D'importants travaux d'utilité publique furent menés à bonne fin, la route du col de Tende fut considérablement améliorée, deux beaux ponts en pierre, jetés sur la Roya, assurèrent le dangereux passage des gorges de Saorgio.
Ce calme fut troublé, en 1788, par des calamités, préludes d'autres orages. A la suite de pluies torrentielles et de tempêtes effroyables, d'affreux éboulements eurent lieu dans la vallée de Roccabigliera ; la montagne du col de Becca s'affaissa et ensevelit, avec de nombreuses victimes, une partie du territoire de Coaraze. Pendant l'hiver de l'année suivante, dans la nuit du 11 au 12 janvier, à la suite d'une tempête qui avait couvert le sol de deux pieds de neige, une désastreuse gelée de 9 degrés frappa de mort jusque dans leurs racines les orangers et les oliviers, c'était la richesse de toute la contrée, elle sera ruinée pour longtemps.
Quand éclata la Révolution française, des liens de parenté unissaient trop étroitement la maison de Savoie aux Bourbons de France pour qu'elle pût assister indifférente et inactive au grand drame qui allait se dérouler. Turin devint un centre d'émigration, un foyer de conspirations royalistes. Une armée sarde fut réunie sous les ordres du général Courten et du major Pinto, qui firent garnir de redoutes les hauteurs de la rive gauche du Var, depuis le rivage jusqu'au-delà d'Aspremont, sur une étendue de 12 kilomètres.
A ces dispositions hostiles, l'Assemblée constituante opposa un rassemblement de volontaires marseillais campés à La Brague, entre Cagnes et Antibes. Ordre fut donné à M. Lesueur, consul à Nice, de demander ses passeports qui lui furent refusés. Une panique que rien. ne justifiait entraîna dans les montagnes les défenseurs de la frontière piémontaise. Les notables du pays vinrent implorer la présence des forces françaises comme garantie d'ordre, et ce fut sans brûler une amorce et comme libérateur que le général Anselme prit possession du comté de Nice ou Ligurie.
Alors fut organisé le département des Alpes-Maritimes, qui était compris entre le Var et la rive droite de la Taggia ; il avait pour chef-lieu Nice et comprenait les arrondissements de Nice, de Monaco, et de Puget-Théniers, sa superficie était de 322 654 hectares et sa Population (1804) de 88 000 habitants. Plus tard, l'Autriche, alliée au Piémont, voulut nous enlever notre conquête. La Convention envoya sur les lieux trois de ses membres, l'un d'eux était Robespierre jeune, qui venait d'assister à la délivrance de Toulon, il amenait avec lui deux jeunes officiers dont il avait remarqué l'ardeur et deviné les talents, l'un était Corse, l'autre était né près d'Antibes : c'étaient Bonaparte et Masséna.
Pour l'Autriche, ce n'était déjà plus la Ligurie qu'il fallait songer à reprendre, c'était l'Italie qu'il s'agissait de garder. Le premier corps d'armée qui s'organisa dans le département des Alpes-Maritimes, et qui en partit pour cette première fabuleuse campagne d'Italie, comptait dans ses rangs Junot, Berthier, Charlet, Laharpe et Suchet. Le pays fut administré, de 1802 à 1814, par un préfet qui y laissa d'excellents souvenirs, M. le vicomte Joseph du Bouchage.
Rappelons le débarquement de la duchesse de Berry, venue en France sur un navire sarde, imitation malheureuse de l'épisode du golfe Jouan ; mentionnons aussi les révolutions microscopiques de Monaco. Ce furent les seules agitations qui troublèrent le pays pendant la période pacifique du XIXe siècle.
En 1860 le comté de Nice sera rattaché à la France à la suite d’un référendum. Cette annexion récompensait l’intervention française au coté des Piémontais dans leur guerre d’indépendance face aux Autrichiens.
Depuis le comté de Nice suit le destin historique de la France.
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