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16/04/2013

LES LOUPS À GOURDON AU XIX ème SIÈCLE...

histoire

Le pittoresque village de Gourdon, juché sur une arête rocheuse, offre encore aux randonneurs qui ont le courage de l’aborder par son ancienne voie, « le chemin du Paradis », un bon exemple des difficultés d’accès opposées aux bandes armées à l’époque où les habitants devaient se garder de leurs attaques.

Accessible aujourd’hui par d’excellentes routes, au départ de Pré du Lac et de la vallée du Loup, il est devenu un des belvédères touristiques les plus fréquentés de la Côte 

En 1955, le commandant Octobon entraîne en ce lieu le groupe de recherches de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes Maritimes.

Dans le tome IV de cette vénérable association, il relate d’intéressants témoignages historiques  portés à sa connaissance par des anciens du village.

Un paragraphe relatif aux loups rappelle brièvement quelques souvenirs d’une époque pas si lointaine où les loups étaient dangereux.

«  Le vieux curé de Gourdon se rappelait avoir participé dans sa jeunesse à des battues et des charivaris  et des tintamarres faits avec de vieilles casseroles pour éloigner ces fauves des troupeaux et des bergeries.

Il reste aujourd’hui le souvenir et les ruines de nombreux courtils qui ont été quelquefois confondus avec des camps ou des refuges préhistoriques. »

En effet, il faut avoir parcouru les solitudes des plateaux calcaires des Préalpes étalés au nord de Vence et de Grasse, pour retrouver nombre de bergeries ruinées, bordées de solides enclos de pierres sèches.

Ces parcs à moutons, clôturés de massives et hautes murailles appareillées, surmontées parfois de pierres taillées en angles vifs, rappellent leur vocation dissuasive face à la menace permanente des loups.

Dans ces refuges le berger regroupait ses bêtes la nuit venue, pour les protéger des attaques sournoises des hordes aux féroces appétits.

C’est dans ce contexte que se déroule en 1882 l’anecdote qui suit.

Nous étions à la veille de Noël. Marius Funel, jeune artilleur fraîchement incorporé au fort carré d’Antibes, venait d’achever avec succès sa formation. Sorti premier de son peloton, les qualités de ce brillant militaire avaient retenu l’attention du commandant de compagnie, au point de le gratifier d’une première permission exceptionnelle de quarante huit heures, doublée d’un délai de route équivalent, pour rejoindre sa famille à Gourdon à l’occasion des fêtes.

Ainsi, le jeune homme se voyait autorisé à franchir d’un cœur allègre la sinistre poterne du fort en ce 22 décembre vers midi, pour s’engager d’un bon pas en direction de la ville d’Antibes, puis de là vers Valbonne. Il lui faudrait ensuite compter près de sept heures de marche pour atteindre son cher village.

Marius partait avec plein de projets en tête et deux cadeaux destinés aux deux femmes de son cœur, sa mère bien sûr, mais aussi la douce et tendre Léonie qu’il n’avait plus embrassées depuis juillet.

A sa mère il destinait un coupe-papier en cuivre gravé de son nom, objet, tiré d’une douille d’obus, qu’il avait façonné lui-même. Pour Léonie, il emportait un petit flacon de parfum en faïence finement décoré, rempli d’essence de rose, acquis après un détour obligé dans une boutique du vieil Antibes.

Léonie, originaire du village voisin de Cipières, avait de suite bouleversé Marius.

Elle était devenue, depuis, ce qu’il était convenu d’appeler sa « calignaïre », mot savoureux exprimant à la fois la notion de fiancée attitrée, de petite amie officielle, avec en plus l’idée d’une donneuse de câlineries amoureuses.

La jeune fille avait conservé ce mélange piquant de puérilité rêveuse et de vulgarité troublante des filles de la campagne, alliant naïveté avec un rien de fourberie propre à émouvoir Marius dès leur première rencontre.

Celle-ci s’était produite en avril, à l’occasion du mariage de cousins communs à leurs familles. Au bal qui suivit les agapes, Léonie, un peu soûle, se déhanchait  de façon suggestive en souriant aux garçons d’une manière effrontée ; séduit, Marius se laissa très vite captiver. La friponne semblait s’offrir, mais ce n’était là qu’un jeu, une illusion. Les quelques baisers volés et les caresses fugitives partagées sous la lune entraînèrent bien des promesses, un rien malmenées par le départ de Marius à l’armée.

Lors de leur  séparation, vécue comme une déchirure, Léonie lui avait remis en gage de serment, un lis sauvage à l’éclatante blancheur virginale. Ce témoignage d’amour devait sceller leur relation à tout jamais, par-delà ce pénible contretemps.

Leur mariage fut remis à plus tard, mais pour eux comme pour leurs familles la chose était conclue.

C‘est avec la tête pleine de rêves fous que Marius arpentait à grandes enjambées le chemin  conduisant  vers son cher Gourdon.

A la mi-journée, il avait sorti de sa musette un quignon de pain et une épaisse tranche de lard accompagnée d’un bout de fromage dont l’avait gratifiés Gaspard Féraud, le cuisinier de la compagnie, un grassois qui l’avait pris en sympathie. Assis pour une courte pose face au paysage calcaire ourlé de neige où Gourdon se dressait fièrement sur le bord de l’échancrure sombre des gorges du Loup, il mesurait la distance le séparant encore de l’objet de ses affectueuses retrouvailles.

En fin d’après-midi, à Opio, il rencontra le charron Zéphirin Alzial, un ami de son père, qui l’invita à boire une goutte pour se réchauffer avant d’entamer la rude montée vers son village. Zéphirin ne lui cacha pas que là haut la neige encombrait les chemins et qu’il devrait être attentif au sol gelé. Il ajouta : «  Ne coupe pas par le travers, dans ta hâte à gagner du temps, ce serait un mauvais calcul. De plus, les loups rôdent affamés par le froid, ils sont prêts à tout… Méfie-toi ! »

Fort de ces recommandations, dont il n’avait que faire, Marius entreprit sa dernière étape dans un environnement sauvage privé de toute habitation.

Plus haut, les platitudes du causse, balayée par les vents, n’accueillaient que les rares cabanes de bergers, entourées d’enclos de pierres sèches, aujourd’hui désertées après le départ de la transhumance.

Déjà le soleil baissait sur l’horizon vers Grasse, alors que Marius progressait dans une neige crissant sous ses pas. Le court crépuscule de saison laissa bientôt place à une ombre froide activée par une brise légère. Au loin sur la crête, Marius aperçut bientôt les lumières tremblotantes de Gourdon, mêlées à la voûte scintillante des étoiles. 

Les traces laissées par le passage d’autres voyageurs tranchaient  sur  la blancheur du tapis neigeux, aidant Marius dans sa marche.

Parvenu au vallon de la Combe, Marius décida d’emprunter un  raccourci vers le Garagaï, évitant un large lacet plus commode pour les attelages. L’obscurité de la nuit, seulement atténuée par la clarté blafarde de la lune permettait à Marius de suivre les marques du sentier couvert de neige gelée. Bien que désormais hésitante, sa progression ne s’était pas ralentie.

Soudain quelle ne fut pas sa surprise d’entendre raisonner dans le bois voisin un hurlement terrible déchirant le silence de la nuit, un « Hou hou hou ! », repris en écho, propre à vous glacer le sang. Marius connaissait l’origine de ce cri, les loups n’étaient pas loin, clamant leur faim à la recherche d’une proie possible.

Après ce signal d’alerte Marius se déplaçait attentif au moindre bruit, scrutant la nuit pour y deviner la menace d’une présence.

Son attention ne tarda pas à être attirée par des ombres furtives remontant plus bas sur le sentier qu’il avait emprunté. Nul doute les animaux avaient flairé son passage suivant sa trace à grande allure. Guidés par leur instinct de chasseurs, aiguisé par la faim, ils ne tarderaient pas à le rejoindre. Marius n’avait pour se défendre qu’un pauvre bâton et son petit couteau, bien peu de choses face à la détermination d’aussi redoutables adversaires.

Puis les événements s’enchaînèrent très vite, deux énormes bêtes sautèrent sur le malheureux Marius qui chancela, glissa sur la glace, chavira en essayant de protéger son visage des atroces morsures. Sa position couchée offrait l’avantage à ses adversaires, au milieu des cris de l’homme et des grognements des fauves la curée débutait. Egorgé, l’infortuné Marius perdit connaissance, son ultime pensée alla vers la douce Léonie dont il entrevit le beau visage éclairé par la blancheur d’un lys sauvage…

Plus tard, des gens de Gourdon descendus à la foire de Grasse trouvèrent sur le bord du sentier les restes d’un homme déchiqueté par les loups. Près de lui, un morceau de papier enveloppant un petit flacon de parfum en faïence finement décoré rempli d’essence de rose, accompagné d’un coupe-papier en cuivre gravé des initiales M. F., permirent d’identifier le soldat Marius Funel.

 

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

 

Le loup est de retour en France et plus exactement près de nous, dans le Parc du Mercantour et les Alpes du Sud.

Ce « grand méchant loup », cauchemar de nos nuits d’enfant, traînant dans la mémoire collective des générations de « mères-grand » et de « chaperons » dévorés tout cru, revient cette fois sur notre territoire nanti du statut intouchable d’espèce protégée par le Conseil National de la protection de la nature et la Convention de Berne.

Réhabilité et qualifié de « prédateur indispensable à la chaîne alimentaire et aux rétablissements des équilibres naturels », le voici blanchi de tous ses crimes passés et à venir et toléré aux portes de nos villages.

L’homme encore une fois a décidé du destin de la bête  avec sa propre logique.

Pourtant, les souvenirs laissés dans la mémoire de nos aïeux ne sont pas tendres et méritent qu’on s’y arrête.Les Alpes Maritimes ou « Pays d’Azur », nées de la rencontre des Alpes et de la Provence, offrent un cadre exceptionnel fait de vallées aux forêts sauvages et de villages perchés aux traditions vivaces.

Edmond Rossi, auteur niçois de différents ouvrages sur le passé et mémoire de sa région, présente ici une trentaine de récits recueillis dans les annales de la Provence orientale et du Comté de Nice.

Témoignages authentifiés touchants de vérité, ces textes évoquent les péripéties du loup, dans ce vaste territoire.

Parfois issus d’une tradition orale qui se perpétuait jadis aux veillées, ces contes portaient le plus souvent sur des faits réels, auxquels nos anciens se trouvaient mêlés.

Partons sur la piste mystérieuse de ce grand perturbateur que l’imagination populaire a toujours travesti familièrement de ses propres fantasmes.

A travers les « Histoires de loups au Pays d’Azur » retrouvez les contes de jadis, cette vieille magie des mots qui vous emmène au pays du rêve et de l’insolite.

Pour un temps, laissez-vous emporter vers un passé troublant celui où nos ancêtres vivaient en compagnie du loup avec des rencontres riches d’émotion.

 

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

 

09/04/2013

PROCHE DE SAINT MARTIN VÉSUBIE: LES VIERGES DE LA MALEDIA...

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« La végétation s’arrête, elle meurt, nous, nous restons pour des générations nouvelles et l’automne est délicieux parce que le printemps doit venir encore pour nous. » Senancour

A la période tiède et humide où la vie était possible en altitude, trois sœurs orphelines habitaient les pentes au fond d'un vallon dominant le village transalpin d'Entracque. Dans ce véritable jardin suspendu ne manquait ni l'herbe ni l'eau pour le troupeau, ni les fruits ni les fleurs multicolores et parfumées pour le plaisir du palais, des yeux et du cœur. Laura, Bice et Lia vivaient à l'écart du monde, dans une ambiance conventuelle, un bonheur parfait que rien n'aurait dû troubler.Le destin en décida autrement en la personne d'Arneodo, seigneur d'Entracque. Ce pâle feudataire, un jour de chasse, rencontra les trois jeunes filles et tomba éperdument amoureux de Lia à la belle chevelure d'or et à la bouche vermeille. Plusieurs fois, il revint rôder autour de leur cabane sous les prétextes les plus divers. Enflammé par sa passion, il proposa à la demoiselle de son cœur de venir s'installer au château. Mais Lia, insensible au charme du fruste Arneodo, repoussait ses avances. Le seigneur éconduit décida de se venger.

Après avoir réuni le Conseil des gens d'Entracque, il expliqua que les terres situées dans la montagne au fond des vallons, prospères et bien irriguées, appartenaient à la communauté. De ce fait, celle-ci devait pouvoir en disposer à sa guise, n'en déplaise à celles qui avaient pris abusivement la liberté de s'y installer. L'affaire étant entendue, une délégation s'en alla signifier aux occupantes qu'elles devaient quitter les lieux, pour laisser place aux troupeaux et aux gens du village. Dans la modeste cabane, cette nouvelle apporta la consternation. Dépossédées et sans toit, les trois infortunées se voyaient condamnées à la misère. Seul le seigneur pouvait les sauver, si Lia acceptait de se livrer à ses désirs. Mais Lia, créature farouche et obstinée, se refusait à envisager un pareil marché.

Les trois vierges firent leurs balluchons et partirent sur le chemin de la Vallée, poussant devant elles leur maigre troupeau. Amère, Lia entraîna ses sœurs dans un dernier défi. Se retournant menaçantes vers cette montagne où elles avaient passé une part heureuse de leur existence, les trois innocentes créatures dressèrent le poing en s'exclamant: « Sois maudite! » Aussitôt le ciel s'assombrit et un violent orage de grêle s'abattit sur ce décor de rêve, détruisant les cultures et la végétation. Au fil des mois le froid et la neige s'installèrent, faisant de ces lieux une zone désolée où plus rien ne devait pousser.

Aujourd'hui encore la « Maledia » (la maudite) dresse sa cime hostile sur la frontière franco-italienne; ne s'y aventurent que les alpinistes confirmés. Un glacier occupe sa face nord recouvrant ce qui fut jadis un délicieux jardin.

 

D’après «Les Contes et Légendes du Pays d’Azur» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 23 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr 

16/03/2013

A VILLENEUVE D'ENTRAUNES: LE REMÈDE

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 «C’est toujours de ses maladies qu’on se vante.»

F.M.Dostoïevski

En cette belle matinée de juillet, Sylvain Olier s’activait avec son équipe sur le chantier de construction de la future route reliant Villeplane à Belluce. Travail ingénieux, méticuleux et inventif, pour un effet magique : la traversée d’un relief montagneux escarpé.

Méfiant, Sylvain avait pour habitude de ne pas graisser l’axe de la roue des brouettes, pour mieux les entendre couiner et ainsi surveiller le rythme régulier de leurs allées et venues. Entrepreneur efficace, il savait diriger son affaire. S’il traquait les flemmards, il savait aussi accorder généreusement une pause casse-croûte pour ragaillardir les hommes et soutenir leur rendement.

Pour cette raison, installé depuis peu à l’ombre, le groupe vit soudain apparaître sur le chemin, Venance Trouche, visage fermé, casquette rejetée en arrière.

Le soleil, déjà haut, chauffait au point qu’il s’assit volontiers pour échanger deux mots et accepter de boire le vin rouge et âpre des ouvriers.

Voyant sa mine préoccupée et le sentant peu disert, Sylvain brisa la glace en l’interpellant gentiment : « Où allez-vous ainsi de bon matin, Maître Trouche ?

– Vaou aou Bourguet, cerca caouqué oubragé per far caga mon infant ( je vais au Bourguet, pour chercher quelque chose qui fasse déféquer mon enfant) ».

Pour comprendre la démarche de Venance, il fallait savoir que cette année-là, les cerisiers, exceptionnellement couverts de fruits, avaient fait le bonheur des gens de Belluce. Le Mistral fut de la fête, en provoquant la chute des cerises qui achevèrent de mûrir sous les arbres. Les enfants participèrent avec joie à la cueillette et au ramassage de ces friandises, constituant pour beaucoup un véritable festin.

Auguste Trouche, grand garçon niais, cadet de la famille, s’était laissé aller à sa gourmandise habituelle en dévorant jusqu’aux dernières cerises, celles légèrement sèches, les « adjubiques », plus sucrées et plus savoureuses.

Ne voulant rien laisser perdre, dans sa hâte et sa voracité, ce benêt avait avalé jusqu’aux noyaux, au point de bloquer ses intestins.

Vu la gravité du péril, Venance, après ses confidences, ne s’attarda pas et repartit à grandes enjambées sur la route poudreuse, avec au cœur l’espoir de sauver son fils par une rapide délivrance.

Si dans le Mercantour, la nature impose ses lois et ses rythmes à une population soumise à des pratiques immuables, il faut avouer que le jus de prunes bouillies, les cuillerées d’huile de noix, les cataplasmes de son et autres recettes traditionnelles n’avaient pu libérer le malheureux Auguste. Il fallait s’en remettre à la science et pour cela consulter indirectement le médecin du canton, peu enclin à s’aventurer sur les sentiers vertigineux conduisant à Belluce.

Le pharmacien compléterait la prescription, en délivrant le précieux « remède ».

En chemin, Venance désemparé, confiait sa détresse à chacun espérant une réponse propre à dissiper son angoisse.

Chaque fois, il était question de lavement de mauve ou de sauge (la « salva » ou sauveuse des Romains) et même plus énergiquement de savon de Marseille !

 Embarrassé, le docteur Jusbert aurait souhaité examiner le patient pour affiner son diagnostic, mais un accouchement difficile l’appelait à Valergue. Promis, il viendrait sous 48 heures. Chez le pharmacien, Venance trouva plus de compréhension, nanti d’un puissant laxatif, il reprit vaillamment le chemin du retour.

Lorsqu’il parvint de nuit à sa ferme de Belluce, une veillée réunissait autour du lit d’Auguste la mère entourée de voisines prêtes à rendre service.

Auguste gémissait, encouragé par la présence attendrie des femmes dont les plus âgées se confondaient déjà en prières égrenant leur chapelet.

Venance, bien que partiellement impuissant, fut accueilli comme un véritable sauveur.

Après avoir vidé une partie du flacon de son liquide blanchâtre qu’il trouva à son goût, le malade essaya mais en vain d’aller à la selle.

Il fallait se rendre à l’évidence, le « remède » n’opérait pas d’effet immédiat, il faudrait attendre le lendemain…

Une fois bu un bouillon de légumes, Auguste plongea dans un sommeil paisible propre à évoquer les délices et la traîtrise de quelques insaisissables cerises confites.

Au petit matin, le malheureux, râlant, en proie à une véritable occlusion intestinale ne réussit pas à se libérer. En dépit de tous ses efforts, seuls deux ou trois noyaux consentirent à quitter son corps épuisé.

Dans la matinée, devant l’inefficacité du laxatif et l’enflure douloureuse du ventre du malade, la solution du lavement fut envisagée avec sérieux par le cénacle, réuni dans la chambre.

Si un lavement à la fleur de mauve était envisagé, encore fallait-il disposer de l’appareil adéquat.

Les commères firent un rapide inventaire des possibilités du village, plutôt limitées en la matière.

Non, personne ne possédait à Belluce le broc, le tuyau et la canule susceptibles d’opérer.

C’est alors qu’Angèle Trouche, la mère, eut la brillante idée d’utiliser la cafetière familiale ! La nécessité faisant loi, l’infusion fut promptement préparée et le patient confortablement calé, fesses en l’air et jambes écartées sous l’œil avisé des femmes et des conseils des plus âgées, l’ensemble groupé attentivement autour du lit. Auguste devait fêter ses quatorze ans à l’automne et son anatomie n’inspirait en rien ces mères de famille qui en avaient vu bien d’autres !

Pâle, ce grand enfant se sentant devenir le centre d’intérêt s’était mis à pleurer ajoutant ses sanglots à la consternation générale.

Le début de l’opération déclencha des plaintes douloureuses, lorsque le bec de la cafetière pénétra le corps du garçon.

Une ruade faillit tout compromettre. Enfin, solidement maintenu, Auguste, contraint à mordre l’oreiller, se sentit envahi par le liquide tiède. « Il faut le garder ! » lui cria sa mère.

Bien que doué d’une envergure intellectuelle réduite, Auguste, flatté d’être au cœur d’une affaire qui malmenait l’équilibre familial, s’efforçait de conserver son lavement comme un défi à relever, face à une assistance impliquée dans son challenge. Mais la prouesse avait ses limites, après quelques gargouillis significatifs le pauvre simplet avoua son impuissance.

Soudain, une pétarade infernale projeta un jet de liquide et de noyaux jusqu’au milieu de la chambre, libérant définitivement le malheureux garçon du bouchon sournois cause de tous ses tourments.

Des exclamations diverses, mêlées de cris de joie, saluèrent sa délivrance.

« Mère je suis sauvé ! Mère je suis sauvé ! » répétait à l’envi le malade dont la nonchalance faisait place à une vigueur enfin retrouvée.

Plus tard, le docteur Jusbert avoua à Venance que son fils « aurait pu y rester » et « qu’il revenait de loin ».

« Savez-vous que ces cerises ramassées sous les arbres, souvent fermentées, sont légèrement alcoolisées ? Ainsi s’expliquerait l’attirance des enfants pour ces fruits nocifs à leur santé. Mais aussi quelle idée d’avaler des noyaux de cerises ?

– Cependant Docteur, le petit m’a expliqué qu’ayant trouvé des crottes de renard chargées de noyaux de cerises, il pensait qu’il pouvait faire pareil, les avaler avec les fruits, puis s’en débarrasser comme eux ! ». Hélas, n’est pas renard qui veut !

Depuis chaque année, au temps des cerises, l’histoire «d’Auguste, le constipé  de Belluce », revient dans la mémoire des gens du lieu.

Pour tempérer la gourmandise de leur progéniture, les parents leur recommandent de ne pas imiter ce grand bêta. Les délicates tribulations des intestins d’Auguste Trouche sont devenues une référence légendaire incontournable célèbre dans tout le canton.

 

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente dédicacé, au prix de 21 euros, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

 

Les dieux se sont réfugiés au cœur des régions montagneuses, prédisposant les sommets à devenir de fascinants hauts lieux de l’étrange. A l’extrémité des Alpes du Sud, le « Parc naturel du Mercantour » confirme avec éclat cette vocation établie depuis les origines de l’humanité.

Accrochés à la caillasse au-dessus de gorges étroites et impénétrables, les villages perchés, maintenus à l’écart des bouleversements, ont su résister au temps et garder d’admirables témoignages du passé. Parmi ceux-ci, des récits originaux véhiculés jusqu’à nous par les bourrasques du mistral comme autant de feuilles d’automne. Edmond Rossi, originaire du val d’Entraunes, nous invite à pénétrer l’âme de ces vallées, grâce à la découverte de documents manuscrits inédits, retrouvés dans un grenier du village de Villeplane.

Si les « récits d’antan » présentent des histoires colportées aux veillées depuis la nuit des temps, les « faits divers » reflètent une réalité contemporaine d’une troublante vérité. Edmond Rossi est depuis son plus jeune âge passionné par l’histoire de sa région. Il signe ici son troisième ouvrage aux Editions Alan Sutton

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com