Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/06/2013

EDMOND ROSSI, KEEPER OF MYTHS AND THE LEGENDS OF THE PAYS D’AZUR

 Edmond Rossi.JPG

Part of the oral heritage of the French Riviera, these stories were once told by night. They were enriched with historical facts and marvelous details that captivated the storyteller’s audience. They would probably have been forgotten were it not for the incredible tenacity of a passionate local collector of tales, who assembled them in an anthology of about fifteen works.

Edmond Rossi is a native of the Nice region, where he lives and works. Having earned a degree in history and regional ethnology, he travels around the surrounding area, from the coasts to the backcountry.

On his journey, he discovers cultural riches that are sometimes little known even to people from the area. From the prehistoric vestiges of the Valley of Marvels to the mythical Templars, he reveals the Côte d’Azur of medieval chateaux and the fairy tales of local dialects, piecing together the colorful mosaic of the Riviera’s heritage like an archaeologist.

Edmond Rossi welcomes us warmly to his office, and before long, the anecdotes start pouring out of him. He immediately suggests two ideas for beautiful walks that are connected to local legends. The first, near the village of Duranus in the Vésubie region, and accessible by car, is a place known as “Le Saut des Français” (Frenchman’s Jump), where members of the French Resistance fighting against the occupation of the county of Nice were thrown off the top of the 300 meter cliff. It’s a 45-minute walk to get to the second site, the cursed village of Rocca Sparviera, which was abandoned in the 16th Century after a series of dramatic and mysterious occurrences…

TO READ

Contes et Légendes du Pays d’Azur (Editions Sutton) et Histoires et Légendes des Balcons d’Azur (Editions Campanile) by Edmond Rossi

To find out more about Edmond Rossi :

and www.edmondrossiecrivain.hautetfort.com

LES RUINES DU VILLAGE MAUDIT DE ROCCASPARVIERA.jpg

Ruins of the village of Roccasparviera

22/06/2013

"CONTES ET LÉGENDES DU PAYS D'AZUR", LES MÉSAVENTURES DE SAINT ERIGE

SAINT ERIGE.jpg

« L’homme n’est rien d’autre que la série de ses actes.» Hegel

  

Aux Ve et VIe siècles de notre ère, la religion chrétienne s'est installée, bien que dominante elle voit ses grandes figures vivre encore des destins cruels et exemplaires, tel celui de saint Erige ou Ariey quatrième évêque de Gap mort en 604.

A cette époque l’ours pouvait encore vivre en paix, mais toujours sur ses gardes, car les hommes lui reprochaient de varier ses menus végétariens par quelques gigots de moutons... Or, voici qu'en 579, un nouvel évêque fut nommé à Gap, Né à Chalon-sur-Saône, il s'appelait Arigius, fils d'Apocrasius et Sempronia, de noble famille gallo-romaine, et fut baptisé par saint Didier, évêque de la ville, puis de Vienne. Ordonné prêtre par Mgr Syagrius, à Grenoble, il reçut d'abord une paroisse du Trièves, puis vint à Gap. Il trouvait son diocèse en triste état, fort négligé par son prédécesseur, Sagittaire, figure pittoresque, mais peu évangélique.

Aredius, que nous appelons Erige en Provence (Arey à Gap), eut tôt fait de réformer son diocèse, il y fonda même une école, devenue vite célèbre. En 595, il se rendit à Rome, où il se lia avec le Pape saint Grégoire le Grand, qui lui écrivait affectueusement: «De nous deux, l'amitié ne fait qu'un».

Après sa journée laborieuse, notre évêque aimait monter à la chapelle Saint-Mamert, sur la colline Saint-Mens (déformation de Mamert).

Le mercredi saint de l'an 605, en une tiède soirée où le printemps éclatait partout, il passa près de «la fontaine des ânes», où clabaudait un groupe d'horribles êtres tout noirs... des démons à n'en pas douter. Ils se vantaient à qui mieux mieux de pièges tendus aux hommes: «Moi, j'ai fait vendre à faux poids !..» - «Moi, j'ai brouillé trois ménages, aujourd'hui...» - «Vous me faites bien rire», intervint le plus grand et le plus fort d'entre eux, «tel que vous me voyez, j'ai mis notre nouveau Pape en état de péché mortel... Il va donc célébrer demain une messe sacrilège... Qui dit mieux ? »

- « Et tu crois que ça va se passer comme ça ? », cria une voix indignée. C'était Erige qui pénétra dans le cercle démoniaque. «Vous n'y pouvez rien changer», ricana l'autre. - « On va voir ça: je t'ordonne de me porter à Rome !.. « Tous les diablotins de s'esclaffer, mais leur chef releva le défi : «Eh bien, allons-y, montez sur mon dos ! ».

Il n'y avait plus à reculer... Erige se cramponna comme il put aux épaules du démon, qui s'envola aussitôt. Un tableau du XVllle siècle, nous dit J. Vollaire, montrait cette scène fort pittoresque: l'évêque, très digne sur sa monture infernale vêtue (pour les convenances !) d'une chemise noire et de culottes rouges.

Chevauchant un diable pieds et mains griffus et fourchus, tête crépue et cornue, comme il convient à un prince des ténèbres. L’évêque, survole déjà la tour romaine de Briançon, puis passe le Mont-Genèvre en rase-mottes par la nuit close.

Erige entrevoit quelques lumières tremblantes dans l'obscurité, les villes italiennes, sans doute. Mais quel voyage !.. Il y a des trous d'air, le cœur lui manque, son nez gèle à cette altitude, il craint de lâcher prise... cette fois ça y est... non, le démon pique vers un halo doré, qui perce la nuit. «Rome, tout le monde descend... », dit-il narquoisement, et il pose rudement son passager par terre. Reprenant ses esprits, notre évêque prononce alors les exorcismes de rigueur, et le coursier infernal disparaît en ricanant.

Dès l'aube, il pénètre auprès du Pape Sabinien, Pontife très contesté dont le règne fut court. «Mais, je vous croyais à Gap», dit ce dernier, tout étonné. «J'en arrive pour vous, tout exprès... » et Erige de confesser le Pape, de l'absoudre (car le démon s'était un peu vanté), et de se rendre avec lui à la célébration du Jeudi saint. Après quelque séjour dans la Ville Éternelle, il faut bien rentrer. Mais pas question de recourir à un transport aérien, dont l'occasion manquerait d'ailleurs. Notre évêque frète un chariot tiré par deux honnêtes bœufs, sur lequel il entasse tout un bagage: reliques avec certificat d'origine, manuscrits à faire copier dans son école, ornements liturgiques pour ses églises les plus démunies, etc. Lui-même prend l'aiguillon, et l'attelage s'ébranle avec une sage lenteur.

«Chi va piano, va sano... » dit le proverbe: à force de remonter tout plan-plan la péninsule italienne, l'équipage finit par arriver au col du Mont-Genèvre, et Erige calculait déjà en combien d'étapes il serait rendu à Gap, lorsqu'il se fit un grand bruit de broussailles cassées dans la forêt de mélèzes, sur le versant de la montagne. Les bœufs frémirent et s'arrêtèrent net. Un ours énorme, «bien fourré, gros et gras», sortit alors du bois et se dirigea vers le chariot. L'un des bœufs, animal encore jeune, fut tellement terrorisé qu'il échappa au joug et s'enfuit dans la nature. Que faire, maintenant ? Messire Brun semblait s'intéresser au véhicule qu'il vint flairer de près. L'évêque lui dit alors: «Ecoute, tu vas me rendre un service. Par ta faute, je ne puis plus rentrer chez moi. Sois gentil, aide-nous un peu à tirer dans la descente, jusqu'à Briançon». Et, nous dit la chronique, voilà que l'ours vient s'atteler de bonne grâce, avec l'autre bœuf qui consentit à le supporter.

Après Briançon, il offrit de continuer, par des grognements expressifs. Erige prit en amitié son brave compagnon et le nourrit de son mieux. Vous dire le succès qu'eut l'attelage, tout au long de la Durance, serait impossible !.. Et le retour à Gap, donc !.. les gens n'en revenaient pas. On logea Messire Brun dans une dépendance de la maison épiscopale, et il visita la ville, sans omettre de rafler carottes ou gâteaux de miel aux étalages des verdurières. Mais on choyait «l'ours de Monseigneur», et personne ne protesta. Puis, il eut la nostalgie des hautes vallées, des forêts profondes, et il disparut... On le regretta... On l'oublia...

L'an 614, canonisé par la «vox populi», l'évêque Erige mourut. Le deuil fut grand, et l'on prépara de solennelles funérailles. On ressortit le chariot, où le cercueil ouvert fut déposé. Saint Erige y reposait, mitre en tête et crosse en main. Il allait partir pour son dernier voyage, tiré par deux bœufs, lorsque de grands cris s'élevèrent dans la foule: « C’est lui, le revoilà... laissez le passer... ». Et Messire Brun vint se placer à côté de l'attelage. Vite, on lui fit remplacer l'un des bœufs, et il conduisit son ami au cimetière... après quoi, il disparut à nouveau...

L'office de saint Erige avait été fixé au 1er mai. Eh bien! Bonnes gens, croyez le ou non, chaque 1er mai, l'ours entrait dans la cathédrale pour rendre hommage au saint; on finit par réserver une stalle à ce nouveau chanoine. Il repartait ensuite pour la forêt de Boscodon, où il avait élu domicile. On l’avait su, en le suivant à distance respectueuse, car il ne supportait plus aucune familiarité, pour bien marquer son amitié avec le seul saint Erige. Certains l'avaient rencontré dans la forêt, buvant à une fontaine limpide. Et puis, un 1er mai, Messire Brun ne vint pas... on attendit anxieusement l'année suivante... toujours personne... plus jamais, l'ours de saint Erige ne reviendrait.

En Provence, on vous dira que saint Érige, avait fait voile d'Ostie à Nice. Revenant de Rome après avoir été reçu par le Pape, il quitte la côte pour s'enfoncer dans la montagne. Passant par le village aujourd'hui ruiné de Roccasparviéra, près des sources du Paillon, il s'abrite pour la nuit dans la grotte de Serpatière, ouverte sur l'effroyable précipice des gorges de la Vésubie, appelé depuis la Révolution «le Saut des Français», il y étouffe alors de ses mains un serpent énorme: «la Coulobre».

Il cheminait par la vallée de la Tinée, quand il fut assailli par des brigands. Une main puissante l'enleva dans les airs (il y était voué, décidément), et le déposa cinq cents mètres plus haut, sur l'alpage d'Auron, où les gens de la Tinée qui fauchaient les prés, ouvrirent des yeux écarquillés. Une autre version, précise qu’il leur échappa en bondissant à cheval au-dessus des clues profondes de Chalancas. Faisant halte à Auron, il aurait laissé sur un roc l'empreinte des sabots de sa monture. Remis de ses émotions, Erige poursuivit son scabreux voyage vers le Nord. Alors qu’il remontait vers le col de la Cayolle en chariot à bœufs, traversant une épaisse forêt du val d’Entraunes sur  un char tiré par deux bœufs, un grand bruit de broussailles cassées se produisit, un ours attaqua l'attelage égorgeant une des bêtes de trait. Sur l'ordre de l'évêque le fauve s'apaisa puis se plaça docilement à côté du bœuf survivant pour traîner le char jusqu'à destination, avant de rejoindre la forêt. Lorsque l'évêque meurt dans sa bonne ville de Gap, l'ours affligé vient suivre le convoi. Puis, aussi longtemps qu'il vécut, quitta chaque année ses fourrés pour assister sagement aux cérémonies de la fête du saint. La population, heureuse de le voir, le gavait alors de friandises.

Les principaux épisodes de la vie du Saint Erige sont représentés dans les fresques du XVème siècle qui décorent la chapelle d ' Auron.

En effet, le culte de saint Erige a dépassé largement les limites de sa cité épiscopale de Gap et les habitants de la Tinée ne furent pas en reste. On éleva, à Auron, une grande chapelle Saint-Érige, au toit de mélèze, et à double abside. Dans l'une d'elles, sous un Christ en Majesté, la vie de notre saint fut peinte en 1451. On ne le voit pas, et c'est bien dommage, chevaucher son coursier infernal, mais Messire Brun tire pieusement le cercueil de son ami. Chaque année, au 1er mai, un pèlerinage montait de Saint Étienne de Tinée à Auron, où la chapelle jouissait de nombreuses indulgences pontificales, accordées sur la demande des «consuls». On peut en déduire que l'influence gapençaise s'étendait jusqu'au petit Auron, devenu maintenant une élégante station de ski. D'ailleurs, nous voyons aussi sur le mur de la chapelle, notre saint et le donateur, ou le peintre, agenouillé: «Dominicus Rapuc». La copie de ces fresques se trouve au musée Masséna de Nice.

D’après «Les Contes et Légendes du Pays d’Azur» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 23 euros, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

 

14/06/2013

"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR","UN NID DE COMMUNISTES" DANS LE VAL D'ENTRAUNES...

20 PAOLA LA PASSIONNARIA COMMUNISTE.JPG

 «On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »

René Char

La crise économique et le courant unitaire devaient aboutir à la victoire du Front Populaire aux élections législatives de 1936. Trois députés sur six dont deux communistes, furent envoyés à l’Assemblée Nationale pour représenter les Alpes Maritimes.

La radicalisation du paysage politique devint ainsi manifeste, n’épargnant pas les plus petits villages comme Villeplane.

Georges Maurel, le garagiste du Bourguet, militant actif du Parti Communiste, venait régulièrement à Villeplane visiter la mère et la fille Grassi, leur apportant les nouvelles et commentaires de la lutte conduite par le Parti, dans le canton et le département. Suivaient immanquablement quelques numéros de l’hebdomadaire « Le Cri des Travailleurs », charge à elles de diffuser « la bonne parole » dans le village.

Les deux femmes, sympathisantes convaincues, n’avaient pas adhéré de suite.

Paola, la fille, se décidera à prendre la carte en 1937, à l’occasion de la campagne électorale des cantonales.

Celle-ci lui sera remise solennellement au Bourguet, lors d’une réunion de la section par le camarade député Henri Pourtalet, venu soutenir la candidature de Maurel dans le canton.

Invité à Villeplane, Henri Pourtalet reçut évidemment le meilleur accueil à l’auberge Grassi. C’est dans ce havre de paix qu’il viendra régulièrement se détendre, pour mieux préparer ses batailles tant dans le département qu’à l’Assemblée Nationale. Entouré de la sollicitude et de la sympathie des deux femmes, toujours aux petits soins pour ce glorieux représentant du peuple, il étudiait, lisait, élaborait ses interventions, confortablement installé sous les parasols en compagnie de son épouse.

Cette présence ostentatoire dans ce modeste village devait apporter le meilleur et le pire.

La qualité et la couleur politique de l’hôte des Grassi prêtaient à plus d’un commentaire, suscitant les chamailleries des clans antagonistes.

Accueilli chaleureusement par certains, diabolisé par d’autres, le nouveau député rouge au visage avenant, barré de grosses lunettes, à la stature imposante, doté d’une voix de tribun, n’avait rien du « communiste au couteau entre les dents » exhibé de manière menaçante dans la propagande de droite.

Secrètement flattée de côtoyer un homme aussi important, Paola n’hésitait pas à s’afficher délibérément en compagnie du couple Pourtalet.

Si la curiosité attirait certains villageois à l’heure de l’apéritif, d’autres fuyaient prudemment ce « nid de communistes », faisant même un détour pour éviter la place et l’obligation de saluer les invités des Grassi.

Le souvenir de ces visites sera plus que jamais présent dans les esprits lorsque tout basculera durant l’été 1939, à la veille de la déclaration de guerre.

Les événements vont se précipiter. Dès le 22 août les réservistes de Villeplane porteurs du fascicule bleu doivent se rendre au P.C. du bataillon, situé au Bourguet. Suivent les réquisitions des logements, camions, mulets et téléphones.

Le 26 août sont rappelés les fascicules 2, 5 et 6, le rationnement de l’essence et la mise en place de l’éclairage d’alerte sont institués au village.

Brutalement, le fossé se creuse isolant les communistes, après la signature, la nuit du 23 au 24 août, du pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS.

Le député Jonas, élu radical-socialiste du Front Populaire dans les Alpes Maritimes, déclare dans le « Petit Niçois » : « Le Gouvernement des Soviets, par l’alliance avec l’Allemagne alors que les pourparlers étaient en cours avec la Grande-Bretagne et la France pour garantir la Paix, vient de commettre un véritable acte de trahison. Devant cette attitude aussi invraisemblable qu’inqualifiable, je déclare expressément rompre toute relation avec ceux qui, par un aveuglement inconcevable, conservent une quelconque sympathie pour le gouvernement des Soviets qui nous a indignement trahis. ».

Sur la Côte, les vendeurs du « Cri des Travailleurs » sont malmenés par les  mobilisés. L’hebdomadaire communiste est saisi par la police le 29 août. Le Préfet ordonne des perquisitions dans les locaux du Parti Communiste.

Le 1er septembre à 15 h 30, les affiches tricolores ordonnant la mobilisation générale apparaissent sur les murs de Villeplane et de ses hameaux. Les habitants se résignent à l’inévitable. La déclaration de guerre à l’Allemagne est proclamée le 3 septembre.

Désorganisé par la mobilisation, le Parti Communiste privé de presse ne peut expliquer la guerre et le pacte germano-soviétique.

La confusion s’installe chez les militants désorientés. Certains faiblissent, d’autres s’irritent contre l’URSS l’accusant de trahison. Paola sera de ceux qui ne condamneront pas formellement le pacte. Ce climat d’incertitude nuira à la riposte et aux explications du Parti.

Compte tenu de la menace d’intervention italienne, Villeplane, petite commune rurale, se voit contrainte d’héberger un nombre considérable de soldats.

Dans ce contexte, l’auberge Grassi est très vite réquisitionnée pour accueillir cinq sous-officiers : l’adjudant chef Alphonsi, un corse militaire de carrière, ancien de la Coloniale, les adjudants de réserve Dalbera et Peyrani, ainsi que deux sergents-chefs.

Le Café ne désemplit pas, devenant très vite un lieu de rencontre et un forum de discussion où se retrouvent les sympathisants communistes du secteur.

Dalbera, instituteur socialiste, se mêle volontiers à ces âpres débats le plus souvent à caractère revendicatif, induits par l’oisiveté et le fléchissement du moral miné par l’attente.

Peyrani, fleuriste niçois, penche en faveur du P.P.F. d’extrême droite récemment hostile, comme les communistes, aux accords de Munich, qualifiés de lâche démission. Estimant perdre son temps, il souhaite en découdre sans tarder.

Alphonsi, vieux militaire aguerri qui a connu 14-18 et la guerre du Rif, ne doute pas de la victoire.

Le 26 septembre le Parti Communiste est dissous, compte tenu de son action contre la guerre.

Trois mois plus tard, le 31 décembre, le Mistral se lève brutal, il soufflera en tempête trois jours durant, attisant les passions déjà suffisamment exaltées par l’attente crispante, les déceptions et les rancœurs.

Le soir du Réveillon de fin d’année, l’ambiance est chaude à l’auberge Grassi, d’autant plus que les permissions ont été refusées aux frontaliers.

Les soldats réunis dans la salle du Café, devenue trop étroite, entonnent l’Internationale le poing levé !

Les échos de ce chant révolutionnaire parviennent aux oreilles de l’abbé Pellegrin, cocardier partisan de l’ordre. Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase des ressentiments accumulés depuis des lustres contre la famille Grassi.

Le lendemain aux aurores, l’abbé enfourchera sa moto soutane retroussée, pour foncer au Poste de Commandement du Bourguet, y dénoncer les outrances de celles qui « infectent sciemment le moral de notre belle armée. ».

Il demandera au capitaine De Masières, de fermer sans tarder « ce repaire de défaitistes rouges. ».

La justice militaire se montrait alors impitoyable en pareil cas. Ailleurs, dans le département, déjà une dizaine de mobilisés et une vingtaine de civils avaient été condamnés à des peines s’échelonnant de trois à dix ans de prison, pour défaitisme, insubordination et activité communiste.

De Masières de Saint Alban, descendant d’une famille noble, ancien des « Croix de Feu » avait accueilli chaleureusement l’abbé Pellegrin.

Il lui avoua être au courant des faits et gestes de Paola Grassi, une dangereuse « Passionnaria », diffusant dans la troupe des tracts de propagande communiste.

Il n’était pas mécontent de pouvoir enfin « la coincer ».

Peu enclin à pardonner ces comportements subversifs, l’officier rassura son visiteur en lui confirmant établir un rapport circonstancié, remis sous 48 heures à son supérieur hiérarchique le colonel Keller, afin de neutraliser ces ennemis de l’intérieur, les pires !

Informé de cette perfide menace, l’adjudant chef Alphonsi avait prévenu ses hôtesses  à mots couverts, les invitant à « se tenir à carreau ».

Averti du danger qui pesait sur le destin du Café Grassi, le maire Clément Payan se rendit le soir même au Bourguet, pour y rencontrer le colonel Keller.

Keller, alsacien antiallemand et patriote convaincu n’avait pas pour habitude de transiger avec la sécurité. Néanmoins, homme de cœur, il pencha pour la clémence lorsqu’il apprit que sa décision mettrait en cause la survie d’une modeste affaire familiale, tenue par une veuve et sa fille. Un avertissement devait suffire.

De Masières insista, il fallait une sanction exemplaire.

Le lendemain, Paola recevait une convocation adressée par la Gendarmerie du Bourguet.

Sa mèche brune en bataille ne réussissait jamais à cacher le haut de son front dressé et accusateur, son verbe enflammé ignorait les pauses et son énergie sortie d’un corps fluet faisaient de Paola une sorte de Jeanne d’Arc de la cause communiste dans son village.

C’est avec un foulard rouge provocateur, noué autour du cou qu’elle débarqua déterminée à la Brigade. A vingt cinq ans cette fille courageuse, conservait une allure d’adolescente rebelle.

Le Chef Dalmasso, un gendarme bonasse et moustachu l’accueillit paternellement, avant de la faire patienter.

Reçue par les officiers Keller et De Masières, elle fut longuement interrogée. Contestant avec véhémence certaines accusations au nom de la liberté de penser, Paola se lança dans une violente diatribe politique. De Masières, le sourire aux lèvres, la laissa aller au bout de ses propos véhéments. Puis s’adressant à elle : « Mademoiselle, votre attitude est une aberration. Vous devriez abandonner votre Parti. Quand on a la chance d’exploiter un débit de boisson fréquenté par des militaires, on s’efforce d’être neutre et de respecter toutes les opinions.

Désolidarisez-vous des Soviets et votre affaire sera classée sans suite. Il vous suffit pour cela de signer une déclaration où vous condamnez le soutien de votre Parti au pacte germano-soviétique et vos ennuis seront finis. Par contre, si vous vous obstinez, non seulement nous fermerons votre Café, mais vous serez traduite devant le Tribunal Militaire où vous encourrez une peine minimum de cinq ans d’emprisonnement et 3000 francs d’amende.

– Je ne trahirai jamais mon idéal. Comme mon père disparu qui conservait sur lui la photo de Lénine, j’ai foi en l’avenir du communisme porteur d’un bonheur  radieux pour tous les hommes.

– Allons, une jolie fille comme vous n’a pas vocation à jouer les martyrs, réfléchissez Mademoiselle Grassi. ».

Après avoir délibéré, les deux officiers firent à nouveau entrer l’irréductible et farouche Paola.

Le Colonel Keller lui annonça la sentence. S’il n’y avait pas de poursuites judiciaires, une décision de fermeture du Café était prise pour une durée de six mois.

En juin 1940, avec la fin des hostilités, le Café Grassi put à nouveau rouvrir et recevoir sa clientèle. Paola retrouva son sourire et sa place derrière le comptoir avec toujours la même fierté dans le regard.

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr