19/03/2014
LES RUINES MYSTÉRIEUSES DE CHÂTEAUNEUF DE CONTES
Châteauneuf est remarquable par les ruines du village fortifié et de son château qui représentent un stade intermédiaire d’occupation. Les noms de Châteauneuf et de Villevieille peuvent en effet prêter à confusion. Le village actuel est construit sur un site romain antérieur à celui élevé, sur lequel se trouvent les ruines, c’est pourquoi il porte le nom de «Villevieille» (la Villa Vétus ou Vétula), l’ancien castrum.
Le castrum novum ou Châteauneuf s’élèvera plus tard sur la montagne pour mieux se défendre contre les Lombards (576) et les Sarrasins (970). Cette occupation se poursuivra jusqu’à la fin du régime féodal. On l’appelait Castelnuovo de Nizza pour le distinguer des autres Châteauneuf.
Les Lombards, venus d’Italie sous la conduite d’Alboin, détruisirent complètement Cimiez en 574 (?), dévastèrent Nice, Vence, Glandèves, sièges d’évêchés.
Devant ce péril, les populations furent contraintes de se réfugier sur des sites inaccessibles, il en sera de même plus tard lorsque les Sarrasins exerceront leurs ravages sur la Côte.
L’ancien castrum des Romains, sur le plateau de Villevieille, sera abandonné pour la position rocheuse dominante voisine, baptisée Castrum novum.
Pour assurer une meilleure défense, Châteauneuf sera entouré de hautes murailles flanquées de deux tours qui en feront une place forte réputée du Moyen Âge.
Le plus ancien document qui se rapporte aux droits féodaux à Châteauneuf remonte à 1030. C’est une charte de Saint Pons qui indique que l’évêque de Nice, Pons III, fils d’Odile et frère de Miron, seigneur du fief de Châteauneuf, donne à l’Abbaye le village de Châteauneuf et deux hameaux qui en dépendent. Mais à la mort de Rodolphe - Roi de Bourgogne - en 1032, les grands vassaux de Provence abusent de la faiblesse du pouvoir central pour s’emparer des biens des monastères, quitte à en restituer la partie la moins intéressante un siècle plus tard.
C’est ainsi qu’en 1109 les fils de Pierre Isnardi (Isnard, Guillaume Talono, Pierre Austrigo et Raymond) donnent au chapitre de Nice l’église de Villevieille et ses terres. Ces quatre seigneurs de Châteauneuf sont issus de la famille Dromon, originaire de la haute vallée de la Durance. Les différentes branches portèrent le nom de Castro Novo. En 1158, Isnard porte le nom francisé de Châteauneuf qui apparaît dans la Liste des Castra (1232), dans l’Enquête de Charles d’Anjou (1251-52) et sera placé en 1325 dans la Viguerie de Nice.
En 1249, le fief est partagé en trois au profit de dix seigneurs différents, puis en douzième en 1311. Ce ne sera qu’un début car le fief connaîtra plus tard jusqu’à 45 coseigneurs appartenant à toute l’aristocratie du Comté de Nice !
L’historien local Mellarède dit à ce propos : «Il n’y a point de fief qui soit divisé en autant de vassaux que celui-ci». Indivis jusqu’au début du XIII ème siècle, le fief de Châteauneuf sera partagé entre diverses familles feudataires de l’endroit : les de Châteauneuf, Chiabaudi, Badat, Boveti, de Castellane, Ricardi, de Revest et Foulques Caras.
La plus grande partie du fief passa alors par les femmes à d’autres familles et par la voie des successions, de ventes et de cessions, il se morcellera de plus en plus.
Au début du XV ème siècle, les Comtes de Savoie créèrent une nouvelle noblesse, ajoutant ainsi des familles comme feudataires de Châteauneuf.
Lors de la succession de la Reine Jeanne, les anciennes familles seigneuriales avaient pris parti pour les Angevins telles les Châteauneuf, de Revest, de Castellane, Blacas, Cays, Ricardi, Boveti, Caras. La famille des Grimaldi de Beuil prit la tête d’un mouvement politique dès 1388 contre l’autorité du nouveau prince Amédée VII de Savoie.
Mais les autres nobles vendirent leurs fiefs, leurs châteaux, leurs terres et disparurent pour toujours ou s’éclipsèrent temporairement. Seules les familles de Berre, Richieri, Badat, Marchesan, Bermondi parmi les plus anciennes restèrent au pays. C’est pourquoi le Comte de Savoie choisira des roturiers émergeant des classes moyennes, pour leur accorder places, titres et honneurs, créant ainsi une nouvelle noblesse dévouée. Il s’agira des Roccamaura, Galleani, Busquetti, Capello, Tonduti, de Caroli, Gapeani, Martini, Barralis, etc…
Châteauneuf ne fut pas détruit par un tremblement de terre mais déserté progressivement à compter de 1748, il est encore le centre d’un service religieux en 1791 et le restera jusqu’en 1804. Bonifacy note qu’il était «bien peuplé en 1702, en décadence en 1749, ruiné en 1792, dépeuplé en 1819». On ne compte que deux familles en 1866.
Les ruines du XVIII ème siècle ont été fortement endommagées lors du tremblement de terre de 1887, avant ce cataclysme, l’église possédait encore ses deux absides et le clocher à trois faces était debout bien que décapité. En dessous de l’église et à l’ouest, se dressait le palais des nobles Galléan. Cette famille, agrégée à la noblesse de Châteauneuf dès 1483, compte parmi ses représentants d’éminents personnages : chevaliers et commandeurs de l’Ordre de Malte qui s’illustrèrent sur mer comme capitaines et amiraux.
L’enceinte de la ville était fermée par trois grandes portes fortifiées : la porte principale, à mi-côté de la citadelle, vers le midi, une deuxième à l’extrémité du promontoire nord et la troisième plus petite située vers le levant, appelée «le Portalon».
Au XVI ème siècle, se dressait un château avec une grande tour appartenant au Duc de Savoie, sa partie inférieure servait de prison, au sommet une chambre abritait un gardien.
En dehors et non loin des ruines, s’élevait la chapelle Saint Joseph et la grande tour Riboty, rasée en 1899 après avoir été foudroyée.
Ce bourg fortifié a joué un rôle très brillant au Moyen Âge, les plus nobles familles de Nice y avaient leur domicile. Les unes tenaient manoir toute l’année, les autres villégiaturaient de Pâques à la Toussaint.
Avec ses nombreux coseigneurs, la citadelle devint comme le dit J.B. Martel « le nid de la noblesse niçoise ».
Mais, à la fin des menaces de guerre, une lente émigration s’opère entraînant les riches vers la ville et les paysans à se rapprocher des campagnes. Les mêmes phénomènes causeront l’abandon d’autres villages prospères comme Aspremont, Gréolières, Séranon, Tournefort.
Déserté au début du XX ème siècle, le champ de ruines sera victime des dommages des intempéries et des pillages. Aujourd’hui, il ne reste que des ruines à peu près méconnaissables, des débris de murs envahis de ronces et comme si l’œuvre de destruction du temps semblait trop lente, la pioche s’est acharnée à hâter la démolition de la vieille citadelle. Le four banal, le moulin, les linteaux des portes ogivales ont été démontés pièce par pièce et transportés jusqu’à Châteauneuf Villevieille.
L’enceinte polygonale encadre encore des pans de murs, des voûtes effondrées où l’on repère l’église de Saint Pierre et ses absides, les restes des palais des Galléan, des Torrini et des Biglion, le château féodal avec sa tour carrée, ses créneaux à deux pointes et ses meurtrières et, hors de la citadelle, la chapelle Saint Joseph couverte de tuiles plates après sa restauration de 1899. Dans les habitations à ciel ouvert, apparaissent les cheminées et les niches qui servaient à ranger la vaisselle et les provisions.
Il est intéressant de visiter les bas fonds révélateurs de la vie au Moyen Âge. Les parois verticales des rochers, comme les assises des bâtiments, sont creusées de rigoles destinées à recueillir l’eau dans les citernes.
Etables, abreuvoirs, crèches, silos à grain, fosses, rappellent la vie rurale des occupants de ces masures. Des boyaux, des couloirs étroits et obscurs sont autant de retraites souterraines servant de magasins et de cachettes pour aboutir à des cavernes, véritables repaires troglodytes.
A partir de l’église Saint Pierre, il est facile de situer le Palais Galléan au-dessus et vers le couchant et la Maison Torrini à l’ouest de ce dernier.
Le panorama grandiose, offert de cette position élevée, permettait une admirable surveillance des deux vallées, celle du Paillon vers Contes et celle de Tourrette-Levens à l’ouest. Classées Monument Historique, les ruines romantiques de Châteauneuf de Contes dont l’architecture se confond avec les falaises, offrent le témoignage le plus authentique d’une citadelle caractéristique du Moyen Âge.
Voici comment J.B. Martel, auteur d’une monographie sur Châteauneuf, présente Pierre de Châteauneuf, célèbre troubadour, auteur de poésies en langue latine et provençale.
En 1265, il suivit l’expédition de Charles d’Anjou, Comte de Provence, frère de Saint Louis, roi de France. Les dangers que ce prince courut sur mer, son débarquement à l’embouchure du Tibre, avec 36 galères, les fêtes de son couronnement à Rome, comme roi de Naples, par le pape Innocent IV, ont fait le sujet d’une chanson en vers, composée par Pierre de Châteauneuf qui jouit d’une grande renommée parmi les Trouvères.
Il dédia également un poème à la reine Béatrix, à l’occasion de son couronnement comme reine de Sicile. Il a écrit encore une satire, intitulée Simenti, contre les princes de son temps. L’abbé Bonifacy dit de lui : «Fiori in questo tempo (an. 1250) il chiarissimo poeta Pietro della nobile famiglia di Castelnuovo, cosi detta dal feudo che possedeva». Et plus loin, pour l’année 1265 : «Il nostro poeta Pietro dedica il suo Poema a Beatrice Comtessa di Provenza, in occasione che fu coronat a regina di Napoli».
L’historien Nostradamus (XVI ème siècle) raconte, qu’ayant été arrêté dans un voyage par des voleurs, ceux-ci lui prirent son cheval, son argent, ses habits et jusqu’à sa chemise, ils allaient même attenter à sa vie, quand De Châteauneuf les supplia de lui permettre de faire encore, avant de mourir, une improvisation à leur louange. Ce sang-froid et cette idée extraordinaire, dans un moment si critique, mirent les assassins de belle humeur. Non seulement, ils le laissèrent tranquille, mais ils lui restituèrent tout ce qu’ils lui avaient pris, puis l’emmenèrent avec eux faire un bon dîner, au cours duquel il put suivre son inspiration poétique tout à son aise ! Pendant plus de trois siècles, les troubadours firent de la Cour des Comtes de Provence la plus brillante et la plus policée de l’Europe. Ils charmèrent l’aristocratie, et, en inspirant l’amour des lettres, ils eurent une influence très marquée sur la civilisation des peuples. Les tensons, sirventes et chansons naïves des trouvères, offrent d’admirables modèles d’éloquence, chefs-d’œuvre d’imagination et de sensibilité. Ils perfectionnèrent la langue romane ou provençale primitif et lui donnèrent une grande célébrité dans tout l’Occident. Ils inventèrent la rime et la modulation des vers. On leur doit ce poli dans l’expression, cette vivacité dans les idées, cette douce simplicité qui constituent les beautés du langage provençal.
Pour en savoir plus sur le passé historique des Alpes Maritimes, consulter les « Histoires et Légendes du Pays d’Azur », ce livre dédicacé par l’auteur peut être commandé en contactant : edmondrossi@wanadoo.fr
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12/03/2014
CAÏS DE PIERLAS, UNE NOBLE FAMILLE DU COMTÉ DE NICE
Situé au bout d'une route acrobatique, serpentant à travers les schistes rouges de la région du Cians, Pierlas est un modeste village de montagne, environné d'alpages. Tour à tour, fief des Grimaldi de Beuil puis d'Annibal Badat après 1621, enfin des familles Brès et Léotardi, il sera érigé en comté en faveur des Caïs, derniers seigneurs du lieu.
La famille Caïs ou Cays, originaire du Valdeblore, est certainement une des plus anciennes du comté, déjà connue au Moyen Age en Provence.
Le plus célèbre représentant, le comte Eugène Caïs de Pierlas, naquit à Nice le 14 Octobre 1842. Après avoir fait ses études à Nice puis à Turin, il se destine à la carrière diplomatique puis y renonce après son mariage en 1859.
Il se consacre d'abord à la peinture avec succès, ses tableaux lui valant plusieurs prix décernés par l'Académie des Beaux Arts de Turin. Il se tourne ensuite vers la paléographie et l'histoire de son pays. Son érudition lui vaut d'être reconnu comme le plus éminent historien niçois de la deuxième moitié du XIXème siècle. Parmi ses nombreuses publications, on peut citer : "Documents inédits sur les Grimaldi", "Cartulaire de l'ancienne cathédrale de Nice", "Le XIème siècle dans les Alpes-Maritimes", "Le fief de Châteauneuf", "Le Chartier de l'Abbaye de St Pons" et surtout "La ville de Nice pendant le premier siècle de la domination des princes de Savoie", ouvrage réédité récemment et qui fait toujours autorité pour l'étude du XVème siècle.
Eugène Caïs de Pierlas s'éteindra à Turin le 10 Avril 1900.
Pour mieux connaître le riche passé du Comté de Nice, consulter les livres d’Edmond ROSSI, Site: http://alpazur-edmondrossi.monsite-orange.fr
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05/03/2014
L’ÉNIGME DU GALET GREC DE TERPON À ANTIBES
Antipolis, au témoignage de l'archéologie, à été fondée dans la première moitié du VIème siècle (vers 570-560 ? ) par les Phocéens de Marseille, sur un site précédemment occupé par des indigènes. Antibes fut donc, dans l'Antiquité, une cité grecque, parlant et écrivant le grec, avec des institutions grecques, des cultes grecs, etc. Pourtant, peu d'inscriptions grecques y ont été découvertes, la plus ancienne et la plus importante, la plus mystérieuse aussi, est celle qui est gravée sur la pierre dite «galet d'Antibes» ou «galet Terpon».
Il ne s'agit pas, en effet, d'une pierre taillée, mais d'un galet de grandes dimensions (65 x 21 cm, poids 33 kg), fait d'une roche vert foncé, qu'on appelle la diorite. Ce galet était autrefois incorporé dans le mur d'une petite construction probablement maison de pêcheur, dans le quartier de la Peyregoué à l'ouest d'Antibes, où il semble avoir été pour la première fois remarqué en 1866.
Sur cette pierre très dure, l'inscription n'a pas été gravée, comme c'est le cas d'habitude, régulièrement, au ciseau, mais plutôt entaillée à l'aide d'une pointe, dont les impacts rapprochés et successifs sont visibles en certains endroits. Cette technique assez rudimentaire explique certaines irrégularités dans la forme et la dimension des lettres. Ce sont dans l'ensemble celles de l'alphabet ionien, mais il y a quelques exceptions. D'après leur forme, l’inscription paraît dater de la deuxième moitié du Vème siècle.
Le texte, voir figure, se déchiffre aisément; il s'agit de deux vers (hexamètres).
La gravure détache non seulement les vers, mais aussi les coupes. La seule particularité notable, dans le détail, est que le v avait été oublié par le graveur et a été rajouté au-dessus de la ligne.
Traduire, c'est déjà interpréter, et les problèmes apparaissent d'emblée. On peut proposer la traduction suivante : «Je suis Terpon, serviteur de l'auguste Aphrodite ; puisse Cypris, en échange, accorder sa grâce à ceux qui m'ont confié cette charge.» Le sens, on le voit, n'est pas très clair. Quelques explications sont nécessaires, qui, malheureusement, prendront la forme d'interrogations plus que d'affirmations.
Le premier mot pose déjà un problème, car il peut s'interpréter soit comme un nom propre, soit comme le participe présent (masculin singulier) du verbe signifiant «réjouir» (et non : «se réjouir»). La deuxième hypothèse ne menant à aucune construction raisonnable, il vaut mieux considérer ce mot comme un nom propre. Terpon est fort possible comme nom d'homme, mais il est connu aussi comme le nom d'un des Silènes qui forment le cortège soit de Dionysos, soit d'Aphrodite. L'inscription s'adressant au vers deux, à Aphrodite, on est tenté de penser qu'il ne doit pas s'agir d'une coïncidence; mais que viendrait faire ici le Silène ? La dédicace ne peut être le fait que d'un homme. Sur ce point, on est donc pour le moment dans l'impasse.
La deuxième difficulté concerne le sens de l'expression. Certains commentateurs, considérant que c'est la pierre elle-même qui parle (usage très répandu dans les inscriptions grecques, surtout à l'époque archaïque, ont pensé que l'expression désignait ceux qui l'ont déposée, érigée, dédiée : «Que Cypris accorde sa grâce à ceux qui m'ont érigée.» Mais le grec, en ce sens, emploie normalement un autre verbe. Le sens du verbe que nous avons ici, est, dans la majorité des cas, celui de nommer quelqu'un à une charge ou à une fonction. On est donc renvoyé à «serviteur», et on entrevoit le schéma suivant : quelqu'un a été nommé «serviteur» d'Aphrodite, c'est-à-dire en quelque façon prêtre, membre du clergé, en reconnaissance pour cet honneur, il appelle sur ceux qui lui ont confié cette charge la bénédiction de la déesse.
Ce point de départ relativement solide nous permet de revenir à Terpon. Le sens exact permet en effet d'écarter définitivement la thèse selon laquelle le Terpon de l'inscription serait le Silène: nul ne saurait, en effet, le «nommer» ou «I’ instituer». Faut-il pour autant admettre que c'est par hasard que le personnage nommé «serviteur» d'Aphrodite s'appelait précisément Terpon ? La chose parait difficile. Il vaut mieux penser que c'est justement à la suite de, sa «nomination» que le personnage en question a pris l'identité de Terpon, est «devenu» Terpon. Dans certaines associations cultuelles et notamment dans les mystères de Dionysos, certains membres de l'association étaient chargés, lors de certaines cérémonies, de tenir le rôle de divinités ou de personnages mythiques associés à la «geste» du dieu, qui était représentée devant l'assemblée des fidèles. Or, Terpon fait partie de la suite aussi bien de Dionysos que d'Aphrodite, Nous aurions donc affaire ici non à un culte de la cité, mais à une association privée, une sorte de thiase vénérant Aphrodite dans des formes comparables à celles que prend ailleurs le culte de Dionysos. Etre admis dans un de ces thiases supposait une initiation; s'y voir confier une fonction comme celles dont il vient d'être question signifiait que l'on avait franchi un degré dans la hiérarchie, stricte et complexe, de ces associations. C'est ce qui serait arrivé à notre «Terpon» ; pour marquer sa dévotion à la déesse, il ne se désigne que par son nom d'initié; il est fier de sa promotion et reconnaissant envers les membres du thiase qui l'ont promu.
Mais il y a d'autres problèmes. Une inscription ne peut être considérée indépendamment de son support. Or, celui-ci est tout à fait singulier. Il n'y aurait aucun problème si l'inscription était gravée sur une statue ou sur une base, comme c'est l'usage: il s'agirait de l'effigie de «Terpon», consacrée par lui-même à Aphrodite et proclamant par l'écrit son identité. Mais cette pierre brute peut difficilement avoir fait partie d'une base. Toute la difficulté vient donc de ce que ce document n'entre pas dans une série, de ce qu'il n'est semblable à aucun autre.
Certains ont cru pouvoir donner un sens à ce galet en expliquant qu'il s'agit d'une représentation ou d'un symbole phallique, ce qui n'étonnerait pas dans le contexte. Mais cette pierre n'a vraiment pas une forme suggestive, et, d'ailleurs, lorsque
les Grecs représentent, en général dans un but religieux, le sexe masculin, ils le font d'une façon qui ne laisse aucune place au doute. Les Grecs n'avaient, en ce qui concerne les choses du sexe, ni complexes ni tabous, le symbolisme et l'allusion étaient donc, en ce domaine, superflus. D'autre part, si phallus il y avait, il aurait nécessairement été présenté en position dressée (oblique plutôt que verticale), or, il n'y a, sur la pierre, aucune trace indiquant une fixation quelconque sur une base. Il est probable que, comme le suggère la disposition du texte, elle gisait horizontalement.
Faut-il chercher la solution du côté des argoi lithoi, pierres (plus ou moins) brutes dressées, auxquelles les Grecs, dans certaines régions, rendaient un culte? La chose parait impossible; outre qu'on trouve la même objection technique que précédemment, ces pierres brutes étaient toujours censées représenter une divinité. On serait alors obligé d'interpréter Terpon comme le Silène (encore ceci ne serait-il qu'à moitié satisfaisant, car Terpon n'est pas vraiment une divinité, mais un membre d'une «collectivité mythique»), ce qui, nous l'avons vu, ne s'accorde pas avec le sens normal de l’inscription.
On constate ainsi que la véritable difficulté n'est pas de reconstituer ce qu'a pu être l'«histoire» de «Terpon», elle est de comprendre pourquoi un galet proclame «Je suis Terpon»...
On aimerait pouvoir conclure: quoi qu'il en soit, cet énigmatique monument est à coup sûr un témoignage sur le culte cl 'Aphrodite à Antipolis. Malheureusement, cela même n'est pas possible, du moins pas avec une certitude totale. La graphie et la langue ne sont pas réellement typiques, ce pourrait être du style poétique, d'un peu n'importe où. La pierre peut fort bien avoir été apportée à Antibes d'un lieu quelconque et à une époque indéterminée, soit en tant que pierre (pour lester un navire, par exemple), soit parce que l'inscription avait attiré l'attention d'un voyageur. Même l'hypothèse d'un faux ne peut être complètement écartée.
Le galet grec dit de Terpon est visible au musée archéologique (Musée Picasso) d’Antibes.
Pour en savoir plus, consulter le livre « Histoires et Légendes du Pays d’Azur », vous pouvez obtenir ce livre dédicacé par l’auteur en contactant : edmondrossi@wanadoo.fr
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