05/08/2014
DES BARBETS VICTIMES D'UN TOUR DE COCHON !
La Révolution française, apportée par les troupes de la République en automne 1792 dans le Comté de Nice (Province du Royaume de Piémont-Sardaigne) provoqua des réactions diverses souvent teintées d’hostilité.
Les réquisitions, les pillages des troupes en campagne, les profanations de l’athéisme républicain et la conscription obligatoire ébranlèrent les fondements d’une société rurale traditionaliste, au point de déclencher une révolte comparable à la Chouannerie vendéenne.
Embusqués dans les vallées, des bandes de paysans montagnards : les Barbets, encouragés par le clergé et souvent encadrés par des nobles, officiers piémontais, menèrent une guérilla de francs-tireurs contre les troupes de la République.
La guerre de conquête, menée contre les troupes austro-sardes et leurs auxiliaires Barbets, va se poursuivre par des campagnes successives.
Enfin le 15 Mai 1796, un traité de paix, signé par Victor Amédée III, met fin aux hostilités. Le Roi du Piémont-Sardaigne renonce au Comté de Nice, qui devient le département français des Alpes-Maritimes. Les troupes françaises se retirèrent, mais les Barbets s’enhardirent. L’historien Paul Canestrier précise que loin d’obtempérer à l’ordre de désarmement du roi sarde, ces partisans optèrent pour le brigandage, ouvrirent leurs clans aux déserteurs de tous crins, aux ennemis des lois, aux criminels de profession.
Ils erraient de Lantosque à Entraunes en passant par Saint-Sauveur, Breil et Péone ; ils échelonnaient leurs pieds à terre sur les pics, dans les manoirs désaffectés, dans les grottes ouvertes sur le vide. Ils rasaient dans l’ombre les fermes éparses et fondaient sur leur proie. Ils détroussaient les voyageurs, les laissant nus et rossés. Les vieillards nous effraient en rapportant les récits précis qu’ils tiennent de leurs pères.
Les Barbets étaient plus de deux cents au-dessus de Guillaumes et de Beuil en septembre 1797. Le gouverneur de Nice détacha contre eux la garnison d’Entrevaux et recruta dans chaque village trente miliciens. On promettait une prime de 20 quintaux de froment et une somme équivalente à qui capturerait un Barbet. Le 8 Mai 1799, le général Pouget invita les habitants à se lever en masse. Le préfet pouvait enfin écrire en 1801 : “ La tranquillité et le calme règne dans cette contrée qui aurait pu devenir une seconde Vendée ”.
Voici un événement authentique, reflet de cette période trouble, parvenu jusqu’à nous d’une génération à l’autre.
L’hiver 1797, comme chaque année à la même époque, la famille Arnaud, qui demeurait à Enaux, un hameau isolé de Villeneuve d’Entraunes, avait tué son cochon. Un beau cochon bien nourri, rose et gras à souhait. Voilà que court la rumeur de la prochaine venue d’une bande de Barbets, détrousseurs de voyageurs et pilleurs de ferme. Aussitôt avec beaucoup de sang froid, la famille Arnaud décide de sauver son cochon en essayant d’attendrir les brigands.
Promptement habillé, le porc nanti d’une coiffe en dentelle, est dignement installé dans le lit de la grand-mère, dont la chambre est parée pour une veillée mortuaire improvisée. Volets fermés, rideaux tirés, cierges et crucifix posés autour et sur le lit achèvent de planter le décor. Les visages tristes, les chapelets que l’on égrène, la larme écrasée au coin de l’œil complètent la mise en scène.
Lorsque les Barbets se présentent à la modeste ferme en deuil, les pleurs sont tels qu’ils hésitent puis rebroussent chemin. Le chef aurait même esquissé un signe de croix au seuil de la chambre où reposait la chère disparue !
Sitôt le danger passé le sourire reprit ses droits. Quand au cochon, héros involontaire de cette burlesque histoire, sa dépouille fut rondement dévêtue, découpée et mise au saloir.
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20/07/2014
LA VENGEANCE DE L'AMAZONE MARGUERITE DE TENDE
“ Illustre Amazone et généreuse capitanesse ”, c’est ainsi que Nostradamus définit Marguerite del Carreto, veuve du comte Honoré Lascaris de Tende, empoisonné en 1473. Elle sut déjouer le complot visant à livrer le comté à la Maison de Savoie après l’assassinat de son époux. Menacée dans son château par les conjurés, elle réagit avec vigueur face aux dangers et trahisons, réussissant à se tirer de toutes ces aventures. Sa détermination et son courage s’expriment dans cette phrase écrite quelques jours après le complot : “ Je fais faire bonne garde, c’est pourquoi je n’ai peur de personne ”. Marguerite va non seulement se défendre mais attaquer et soumettre plusieurs comtes rebelles, suite à la disparition d’Honoré Lascaris.
Ainsi le 21 Mars 1474, la comtesse obligera son cousin Jeannet de Vintimille à céder ses droits sur certains territoires. Tout au long de l’année 1474, Marguerite va obtenir serments de fidélité et actes de soumission, du Val de Maro à Tende. De même, soucieuse d’assumer ses arrières, l’Amazone s’adressera au roi René de Provence pour confirmer l’alliance politique instaurée par le comte Honoré.
Jusqu’à la Renaissance, la politique des Lascaris de Tende coincés du Nord et au Sud par la Savoie, à l’Est par la République de Gênes et à l’Ouest par les comtes de Provence puis les rois de France, maudits par les populations limitrophes, s’appuiera essentiellement sur le peuple de Tende en rénovant leurs institutions et respectant leurs libertés. Ainsi, trois siècles durant, les Lascaris abrités dans leurs montagnes, tiendront en échec les plus puissantes maisons d’Europe.
Bientôt une rébellion éclate à Gênes contre Gian Galeazzo Sforza, duc de Milan et seigneur de Ligurie, et son alliée Marguerite de Tende, à propos des possessions et châteaux de cette dernière, situés dans le Val de Maro, revendiqués de tout temps par Gênes.
Marguerite proclame “ l’ost général ” et à la tête des milices du comté aidées de bandes de mercenaires, elle parvient à reconquérir les châteaux perdus. Jean Antoine Lascaris, fils du défunt Honoré, obtient au printemps 1479, le jurement d’obédience de ses terres. A l’automne, les Gênois reviendront vainement à l’attaque. L’Amazone avait donc raffermi son autorité sur l’ensemble de ses fiefs. Elle se voit alors offrir, en 1483, l’occasion d’assouvir une vengeance tardive.
Pierre Lascaris, coseigneur de La Brigue et seigneur du château de Préla, sur lequel la comtesse revendiquait ses droits, avait été l’un des chefs de la conjuration contre le comte Honoré Lascaris.
Navigant dans les environs de Varigotti en direction de Gênes, dont il était l’allié, Pierre Lascaris fut soudain attaqué et capturé pour être livré à Finale au marquis Nicolo del Carretto, seigneur du lieu et frère de Marguerite. Enfermé au château de Murago, le captif fut remis à la comtesse Marguerite qui le plaça dans les cachots du château de Maro.
Soumis à la torture par ordre et vengeance de la comtesse de Tende, le malheureux prisonnier verra aussi son château de Préla rasé sur ordre de celle qu’il avait trahie. La Maison de Savoie intervint en Août 1485, pour faire remettre en liberté son vassal Pierre Lascaris, mais l’Amazone fit la sourde oreille. Sa libération ne sera obtenue qu’après versement d’une rançon de 800 florins.
Les différents entre le comté de Tende et leurs cousins de La Brigue, assoupis pour un temps, reprennent bientôt à propos de la situation chaotique de la Ligurie.
Marguerite de Tende attaque par surprise le château de Préla, à nouveau reconstruit, dans lequel est retranché Barthélémy Lascaris, frère de Pierre, allié de la République de Gênes. Cette dernière n’interviendra pas, grâce à une manœuvre diplomatique de la comtesse de Tende.
L’Amazone face à qui deux évêques, un Lambert Grimaldi et la République de Gênes s’étaient inclinés, n’était pas seulement un grand capitaine mais aussi un habile stratège politique. Prévoyant l’isolement économique du comté de Tende, elle obtient en 1489 une importante concession du Duc de Savoie : la suppression de tout péage pour les sujets et le bétail de Tende, traversant les terres de Savoie pour se rendre ou revenir de Provence. Après cette dernière démarche de détente politique, disparaît Marguerite de Tende, l’une des femmes les plus remarquables de ce comté. La comtesse repose dans la chapelle St Ludovic avec son mari et ses fils à l’intérieur de l’église paroissiale de Tende, au cœur d’un fief qu’elle sut si habilement défendre et protéger.
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13/07/2014
L’ASSASSINAT D’HONORE LASCARIS COMTE DE TENDE
Après la dédition du Comté de Nice à la Savoie en 1388, va se poser le problème d’une liaison sûre et commode à travers les Alpes pour relier les terres savoyardes du Piémont et de Nice.
Les seigneurs de Tende, véritables portiers, tiennent le passage le plus aisé, le célèbre col de Tende. En 1430, cette situation contraint le Duc de Savoie à tracer un chemin muletier conduisant de Nice à Cuneo par la vallée de Lantosque, Saint Martin de Vésubie et le col de Fenestre. Une stratégie habile avait conduit la Maison de Savoie à acquérir en 1425 une partie des droits sur La Brigue et d’entreprendre de la raccorder à Menton par Breil, avant de prolonger la voie jusqu’à Mondovi par Uperga et Carnino.
Mais en dépit de ces contournements, le comté de Tende restait toujours le noyau bloquant le passage naturel le plus commode.
Devant cet encerclement, se sentant menacé, le comte de Tende se place prudemment sous la tutelle du Roi de Provence, René d’Anjou, dès 1437. Cet hommage sera répété le 6 Août 1453 par Honoré Lascaris, comte de Tende, qui conclut également une alliance avec le Duc de Milan, Francesco Sforza.
Bientôt, la tension débouche sur une guerre en Piémont menée contre le Duc de Savoie, elle s’achève en 1458, sans altérer la puissance des seigneurs de Tende. Déterminée, la Maison de Savoie décide alors de se débarrasser du comte de Tende par un habile complot. Les conjurés se réunissent en Octobre 1472, y participent : le comte Lambert Grimaldi, seigneur de Monaco, Barthélemy Lascaris, seigneur de La Brigue et Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève, frère du Duc Amédée.
La stratégie militaire s’avère difficile dans cette vallée étroite où l’on pénètre par des routes plutôt destinées aux chamois qu’aux hommes, hérissée de redoutes, entourée de vastes forêts, habitée par des gens accoutumés à la lutte, au brigandage, où se réfugient les bandits ligures et piémontais guidés par des chefs rompus à la guerilla, soutenus de plus par d’immenses richesses accumulées pendant des siècles par de lentes et infatigables rapines.
A l’incertitude des batailles, on préfère l’arme plus sûre du poison.
Barthélemy Lascaris prend alors contact avec Pierre Parpaglia, vicomte de Rovigliasco et gouverneur pour le comte Honoré du château de Tende et l’invite à Turin, où les deux hommes rencontrent l’évêque de Genève, cerveau du complot, pour établir les détails du plan.
Le poison est confié à Parpaglia et la date de l’empoisonnement est fixée au 5 Février.
La nuit du 4, les bandes de Lambert Grimaldi descendront des bois et Parpaglia ouvrira les portes du château. Le poison sera administré au comte Honoré par son cuisinier dans la journée du 4.
La première phase de l’opération se déroulera comme prévue, le comte aura le temps de dicter son testament et cessera de vivre le 5 Février 1473. Ayant reçu confirmation de l’empoisonnement par le médecin, Marguerite del Carretto, veuve du comte Honoré, fait arrêter le cuisinier puis Parpaglia qui s’apprêtait à ouvrir les portes du château.
Barthélemy Lascaris de La Brigue avait reçu 200 ducats versés par l’évêque Jean-Louis de Savoie, pour le prix de sa traîtrise. Par ordre de la veuve Marguerite, le nom de Parpaglia, l’assassin, sera gravé sur la pierre tombale du comte Honoré Lascaris.
Voici sous forme de légende, rapportée par Euclide Milano, la conclusion morale de ce tragique épisode, toujours présent dans la mémoire des gens de Tende. “ Beaucoup de temps était déjà passé depuis ces tristes événements sur lesquels commençait déjà à s’étendre le voile de l’oubli quand, un soir, on vit entrer à Tende et gravir lentement les ruelles étroites et tortueuses, de son pas incertain et las, un humble pèlerin. Sa bure était déchirée, sa barbe longue et touffue, son visage émacié, mais ses yeux lançaient d’étranges éclairs et son corps était parcouru de frémissements fébriles. Il provoquait l’étonnement plutôt que la pitié. C’était Pietrino Parpaglia, celui qui avait empoisonné le comte. Pendant son long emprisonnement, une idée fixe, insistante, implacable, avait rendu plus angoissante sa solitude, ses insomnies plus tourmentées, son remords plus aigu ; l’idée que cette inscription placée sur ce sépulcre rendait son nom plus infâme pour l’éternité.
Alors que cette pensée, telle un parasite, lui rongeait l’âme et le corps, une ferme résolution avait mûri en lui, celle de rayer l’inscription, arrachant au sépulcre de son seigneur le témoignage du délit perpétré par lui. Et maintenant, il venait exécuter le projet qu’il avait préparé dans la dure prison, l’idée qui avait dévoré le sommeil de beaucoup de ses nuits, en lui apportant en même temps le tourment et le réconfort. Personne ne l’a reconnu. Alors que déjà les ombres de la nuit descendent et que les proches sommets escarpés qu’il connaît bien semblent devenir géants et plus effrayants, il entre furtivement dans l’église et il s’y cache. Peu après, il entend la porte se refermer, les dernières voix se taisent dans les rues environnantes, partout règne un profond silence.
La faible clarté de étoiles qui filtre des fenêtres lui suffit pour distinguer sur le sol la pierre portant les mots qui lui crient : “ Assassin ”, ces mots que pendant ses années de prison, il voyait lui apparaître, noirs, énormes, horribles, il les tâte convulsivement puis il tire d’une poche le marteau et un ciseau et il se dispose à détruire, une à une, les lettres en relief, son cœur éclate d’émotion.
Il va enfin obtenir le soulagement tant espéré ... Mais l’œuvre de Parpaglia vient de commencer et, fébrilement, il continue à donner sur le marbre de rapides coups de marteau qui résonnent dans le vaste silence, quand, soudain, il s’arrête comme pétrifié et un froid de mort parcourt toutes ses veines. La grande plaque de marbre se déplace sous sa main, elle se soulève, s’incline d’un côté, il s’arrête, horrifié, et il voit le spectre du comte se dresser peu à peu hors du sépulcre, menaçant et horrible, le fixant farouchement de ses orbites vides, levant un bras vengeur.
Il voudrait crier pitié mais sa voix s’étrangle dans sa gorge, il voudrait fuir, mais la terreur le cloue au sol, agenouillé, immobile. Et le spectre, les flancs enveloppés du linceul funèbre, continue à se lever et son regard poursuit l’ancien écuyer tranchant et courtisan comme pour lui demander raison de sa trahison ignoble ... Finalement, Parpaglia se secoue, se demande à lui-même un dernier effort et se met debout puis, vacillant, il tourne le dos au fantôme horrible. Il s’enfuit, courant au hasard, il délire, sa course est folle et sans destination dans la grande église obscure, il lui semble encore que le comte le menace, que le comte le suit, jusqu’à ce que sa tête heurtant avec violence une colonne en marbre, il tombe à terre, foudroyé ”.
Dans la chapelle St Louis de l’église de l’Annonciation, la dernière phrase de l’épitaphe gravée que porte la tombe d’Honoré Lascaris indique “ Venenatum per Petrinum Parpag ... ” (empoisonné par Pierre Parpaglia). On remarquera effectivement que les dernières syllabes on été curieusement détruites et effacées par un ciseau anonyme.
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