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12/03/2014

CAÏS DE PIERLAS, UNE NOBLE FAMILLE DU COMTÉ DE NICE

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Situé au bout d'une route acrobatique, serpentant à travers les schistes rouges de la région du Cians, Pierlas est un modeste village de montagne, environné d'alpages. Tour à tour, fief des Grimaldi de Beuil puis d'Annibal Badat après 1621, enfin des familles Brès et Léotardi, il sera érigé en comté en faveur des Caïs, derniers seigneurs du lieu.

La famille Caïs ou Cays, originaire du Valdeblore, est certainement une des plus anciennes du comté, déjà connue au Moyen Age en Provence.

Le plus célèbre représentant, le comte Eugène Caïs de Pierlas, naquit à Nice le 14 Octobre 1842. Après avoir fait ses études à Nice puis à Turin, il se destine à la carrière diplomatique puis y renonce après son mariage en 1859.

Il se consacre d'abord à la peinture avec succès, ses tableaux lui valant plusieurs prix décernés par l'Académie des Beaux Arts de Turin. Il se tourne ensuite vers la paléographie et l'histoire de son pays. Son érudition lui vaut d'être reconnu comme le plus éminent historien niçois de la deuxième moitié du XIXème siècle. Parmi ses nombreuses publications, on peut citer : "Documents inédits sur les Grimaldi", "Cartulaire de l'ancienne cathédrale de Nice", "Le XIème siècle dans les Alpes-Maritimes", "Le fief de Châteauneuf", "Le Chartier de l'Abbaye de St Pons" et surtout "La ville de Nice pendant le premier siècle de la domination des princes de Savoie", ouvrage réédité récemment et qui fait toujours autorité pour l'étude du XVème siècle.

Eugène Caïs de Pierlas s'éteindra à Turin le 10 Avril 1900.

Pour mieux connaître le riche passé du Comté de Nice, consulter les livres d’Edmond ROSSI, Site: http://alpazur-edmondrossi.monsite-orange.fr

05/03/2014

L’ÉNIGME DU GALET GREC DE TERPON À ANTIBES

 

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Antipolis, au témoignage de l'archéologie, à été fondée dans la première moitié du VIème siècle (vers 570-560 ? ) par les Phocéens de Marseille, sur un site précédemment occupé par des indigènes. Antibes fut donc, dans l'Antiquité, une cité grecque, parlant et écrivant le grec, avec des institutions grecques, des cultes grecs, etc. Pourtant, peu d'inscriptions grecques y ont été découvertes, la plus ancienne et la plus importante, la plus mystérieuse aussi, est celle qui est gravée sur la pierre dite «galet d'Antibes» ou «galet Terpon».

Il ne s'agit pas, en effet, d'une pierre taillée, mais d'un galet de grandes dimensions (65 x 21 cm, poids 33 kg), fait d'une roche vert foncé, qu'on appelle la diorite. Ce galet était autrefois incorporé dans le mur d'une petite construction probablement maison de pêcheur, dans le quartier de la Peyregoué à l'ouest d'Antibes, où il semble avoir été pour la première fois remarqué en 1866.

Sur cette pierre très dure, l'inscription n'a pas été gravée, comme c'est le cas d'habitude, régulièrement, au ciseau, mais plutôt entaillée à l'aide d'une pointe, dont les impacts rapprochés et successifs sont visibles en certains endroits. Cette technique assez rudimentaire explique certaines irrégularités dans la forme et la dimension des lettres. Ce sont dans l'ensemble celles de l'alphabet ionien, mais il y a quelques exceptions. D'après leur forme, l’inscription paraît dater de la deuxième moitié du Vème siècle.

Le texte, voir figure, se déchiffre aisément; il s'agit de deux vers (hexamètres).

La gravure détache non seulement les vers, mais aussi les coupes. La seule particularité notable, dans le détail, est que le v avait été oublié par le graveur et a été rajouté au-dessus de la ligne.

Traduire, c'est déjà interpréter, et les problèmes apparaissent d'emblée. On peut proposer la traduction suivante : «Je suis Terpon, serviteur de l'auguste Aphrodite ; puisse Cypris, en échange, accorder sa grâce à ceux qui m'ont confié cette charge.» Le sens, on le voit, n'est pas très clair. Quelques explications sont nécessaires, qui, malheureusement, prendront la forme d'interrogations plus que d'affirmations.

Le premier mot pose déjà un problème, car il peut s'interpréter soit comme un nom propre, soit comme le participe présent (masculin singulier) du verbe signifiant «réjouir» (et non : «se réjouir»). La deuxième hypothèse ne menant à aucune construction raisonnable, il vaut mieux considérer ce mot comme un nom propre. Terpon est fort possible comme nom d'homme, mais il est connu aussi comme le nom d'un des Silènes qui forment le cortège soit de Dionysos, soit d'Aphrodite. L'inscription s'adressant au vers deux, à Aphrodite, on est tenté de penser qu'il ne doit pas s'agir d'une coïncidence; mais que viendrait faire ici le Silène ? La dédicace ne peut être le fait que d'un homme. Sur ce point, on est donc pour le moment dans l'impasse.

La deuxième difficulté concerne le sens de l'expression. Certains commentateurs, considérant que c'est la pierre elle-même qui parle (usage très répandu dans les inscriptions grecques, surtout à l'époque archaïque, ont pensé que l'expression désignait ceux qui l'ont déposée, érigée, dédiée : «Que Cypris accorde sa grâce à ceux qui m'ont érigée.» Mais le grec, en ce sens, emploie normalement un autre verbe. Le sens du verbe que nous avons ici, est, dans la majorité des cas, celui de nommer quelqu'un à une charge ou à une fonction. On est donc renvoyé à «serviteur», et on entrevoit le schéma suivant : quelqu'un a été nommé «serviteur» d'Aphrodite, c'est-à-dire en quelque façon prêtre, membre du clergé,  en reconnaissance pour cet honneur, il appelle sur ceux qui lui ont confié cette charge la bénédiction de la déesse.

Ce point de départ relativement solide nous permet de revenir à Terpon. Le sens exact  permet en effet d'écarter définitivement la thèse selon laquelle le Terpon de l'inscription serait le Silène: nul ne saurait, en effet, le «nommer» ou «I’ instituer». Faut-il pour autant admettre que c'est par hasard que le personnage nommé «serviteur» d'Aphrodite s'appelait précisément Terpon ? La chose parait difficile. Il vaut mieux penser que c'est justement à la suite de, sa «nomination» que le personnage en question a pris l'identité de Terpon, est «devenu» Terpon. Dans certaines associations cultuelles et notamment dans les mystères de Dionysos, certains membres de l'association étaient chargés, lors de certaines cérémonies, de tenir le rôle de divinités ou de personnages mythiques associés à la «geste» du dieu, qui était représentée devant l'assemblée des fidèles. Or, Terpon fait partie de la suite aussi bien de Dionysos que d'Aphrodite, Nous aurions donc affaire ici non à un culte de la cité, mais à une association privée, une sorte de thiase vénérant Aphrodite dans des formes comparables à celles que prend ailleurs le culte de Dionysos. Etre admis dans un de ces thiases supposait une initiation; s'y voir confier une fonction comme celles dont il vient d'être question signifiait que l'on avait franchi un degré dans la hiérarchie, stricte et complexe, de ces associations. C'est ce qui serait arrivé à notre «Terpon» ; pour marquer sa dévotion à la déesse, il ne se désigne que par son nom d'initié; il est fier de sa promotion et reconnaissant envers les membres du thiase qui l'ont promu.

Mais il y a d'autres problèmes. Une inscription ne peut être considérée indépendamment de son support. Or, celui-ci est tout à fait singulier. Il n'y aurait aucun problème si l'inscription était gravée sur une statue ou sur une base, comme c'est l'usage: il s'agirait de l'effigie de «Terpon», consacrée par lui-même à Aphrodite et proclamant par l'écrit son identité. Mais cette pierre brute peut difficilement avoir fait partie d'une base. Toute la difficulté vient donc de ce que ce document n'entre pas dans une série, de ce qu'il n'est semblable à aucun autre.

 Certains ont cru pouvoir donner un sens à ce galet en expliquant qu'il s'agit d'une représentation ou d'un symbole phallique, ce qui n'étonnerait pas dans le contexte. Mais cette pierre n'a vraiment pas une forme suggestive, et, d'ailleurs, lorsque

les Grecs représentent, en général dans un but religieux, le sexe masculin, ils le font d'une façon qui ne laisse aucune place au doute. Les Grecs n'avaient, en ce qui concerne les choses du sexe, ni complexes ni tabous, le symbolisme et l'allusion étaient donc, en ce domaine, superflus. D'autre part, si phallus il y avait, il aurait nécessairement été présenté en position dressée (oblique plutôt que verticale), or, il n'y a, sur la pierre, aucune trace indiquant une fixation quelconque sur une base. Il est probable que, comme le suggère la disposition du texte, elle gisait horizontalement.

Faut-il chercher la solution du côté des argoi lithoi, pierres (plus ou moins) brutes dressées, auxquelles les Grecs, dans certaines régions, rendaient un culte? La chose parait impossible; outre qu'on trouve la même objection technique que précédemment, ces pierres brutes étaient toujours censées représenter une divinité. On serait alors obligé d'interpréter Terpon comme le Silène (encore ceci ne serait-il qu'à moitié satisfaisant, car Terpon n'est pas vraiment une divinité, mais un membre d'une «collectivité mythique»), ce qui, nous l'avons vu, ne s'accorde pas avec le sens normal de l’inscription.

On constate ainsi que la véritable difficulté n'est pas de reconstituer ce qu'a pu être l'«histoire» de «Terpon», elle est de comprendre pourquoi un galet proclame «Je suis Terpon»...

On aimerait pouvoir conclure: quoi qu'il en soit, cet énigmatique monument est à coup sûr un témoignage sur le culte cl 'Aphrodite à Antipolis. Malheureusement, cela même n'est pas possible, du moins pas avec une certitude totale. La graphie et la langue ne sont pas réellement typiques, ce pourrait être du style poétique, d'un peu n'importe où. La pierre peut fort bien avoir été apportée à Antibes d'un lieu quelconque et à une époque indéterminée, soit en tant que pierre (pour lester un navire, par exemple), soit parce que l'inscription avait attiré l'attention d'un voyageur. Même l'hypothèse d'un faux ne peut être complètement écartée.

Le galet grec dit de Terpon est visible au musée archéologique  (Musée Picasso) d’Antibes.

Pour en savoir plus, consulter le livre « Histoires et Légendes du Pays d’Azur », vous pouvez obtenir ce livre dédicacé par l’auteur en contactant : edmondrossi@wanadoo.fr

 

17/02/2014

LE FABULEUX « CASTELLARAS DE THORENC »

THORENC LE SITE DU CASTELARAS.jpg

Thorenc, agréable station d’altitude (1200m), s’étend sur un vaste et vert plateau au nord de Grasse, à une cinquantaine de kilomètres de Nice.

Elle s’enorgueillit de posséder un «castellaras» couvert de vestiges étranges propres à faire rêver les amateurs d’Histoire et de Merveilleux.

L’énigme s’est bâtie sur la présence de ruines muettes accrochées au sommet de ce promontoire et évidemment attribuée aux mystérieux Templiers, parce que d’origine médiévale et chargée de secrets. De plus, la rumeur locale persistante d’un trésor caché au milieu des décombres amplifie encore cette fascination. L’Histoire n’est pourtant pas aussi discrète sur le passé de ce site. Si les réalités démystifient des affirmations infondées, elles apportent par contre des révélations intéressantes et tout aussi singulières.

La toponymie de Thorenc, selon Dieudé Defly, dériverait de Castrum Toreduna évoluant en Torrenquo. Toredunum serait un nom gaulois signifiant le camp de Tore. Tor est aussi le nom d’un dieu germanique du tonnerre, de la pluie et de la fertilité. Donc, à l’origine, le «castellaras» défini par les spécialistes (Octobon, Cheneveau) comme un camp, une enceinte défensive «celto-ligure» aurait été consacré à une divinité celle du dieu Tor, maître de la pluie. Cette étymologie situe la naissance du camp vers le premier siècle avant Jésus Christ, alors que la pénétration celte s’est achevée dans la région. Ce camp retranché dominant les pâturages du plateau correspond bien à la vocation de ce type d’ouvrage.

La romanisation entraîne dans ces lieux le passage de la «via Ventiana», voie reliant Vence à Castellane en remontant la vallée du Loup de Gréolières à Andon. Un chemin se détache de cet axe pour rejoindre le plateau, franchissant la crête au pied du castellaras. La route actuelle (D5) l’emprunte et c’est un peu avant le col qu’il faudra abandonner son véhicule pour grimper en une demi-heure à pied vers les ruines par un sentier tracé dans la garrigue. Des fragments de «meules romaines» ont été trouvées au château de Thorenc et en divers lieux de la vallée (Forma Orbis Romani, carte archéologique de la Gaule romaine).

Mais au-delà de l’Antiquité, le destin du Castellaras se poursuit, signalé comme occupé au premier millénaire et au Moyen Âge.

En effet, les ruines d’un vaste village médiéval, visibles lorsqu’on suit le vieux chemin d’accès au sommet, s’étendent à la rupture de la pente où fut tracée la route moderne. Une grotte murée surplombe même cette route.

Mais le site majestueux de l’acropole fortifiée, avec ses grands murs bordant la face occidentale, n’apparaît qu’après le franchissement d’une poterne avec chicane. Aplati, le sommet, magnifique belvédère, est surmonté par les restes de trois édifices caractéristiques: au centre, une chapelle romane en mauvais état, à l’ouest les vestiges d’une forteresse protégée par une série de remparts et enfin, à l’est, une vaste bâtisse de facture plus récente (XV ème siècle) certainement une bergerie ou écurie. L’abandon du site est situé à la fin du Moyen Âge (XIV èmeou XV ème siècle) selon le spécialiste P. Bodard.

D’après J.C. Poteur, le castellaras de Thorenc porte dès 1038 le premier château de la Famille d’Andon. Le type de site recherché au début du XI ème siècle ainsi que l’étymologie du toponyme d’Andon confirmeraient cette hypothèse.

A la suite de combats opposant le Comte de Provence à l’aristocratie de la Provence orientale, le château des seigneurs d’Andon est assiégé vers 1196 et occupé. Sa chute entraîne le départ des sires d’Andon et leur installation sur un site différent, dominant le village actuel qui porte encore leur nom.

L’ancienne forteresse du castellaras de Thorenc n’est pas abandonnée, elle devient le castrum Torenco siège d’une seigneurie citée dès 1200 distincte de celle d’Andon voisine.

Les opérations militaires conduites par le Comte de Provence pour le contrôle de ce secteur se sont déroulées à deux reprises, à la fin du XII èmesiècle (vers 1180) et au début du XIII èmesiècle (vers 1227).

Les révoltes contre le pouvoir comtal sont entretenues par la ville de Grasse et la baronnie de Castellane dont l’influence rayonne sur la région.

Après le siège de Castellane en 1189, le Comte de Provence entreprend vers 1196 une expédition conduite au départ de Grasse, visant à neutraliser certaines places fortes hostiles de la Provence orientale encouragées par le soulèvement et les raids de Guillaume de Forcalquier.

Grâce au soutien actif des Hospitaliers, la troupe s’assure la maîtrise du Castellaras de Thorenc, avant de franchir le col de Bleine et d’échouer près de Saint Auban devant le château de la Faye qui tombera ensuite.

Le Comte décide alors d’isoler son adversaire, Boniface de Castellane, de l’aristocratie rebelle de Grasse, par une ligne solide de fortifications tenues par les Hospitaliers.

Ces supplétifs aguerris occupent alors les châteaux de Comps, La Roque-Esclapon, La Bastide, Pugnefort, La Faye. Dans le secteur de Thorenc, les fidèles Hospitaliers, après s’être emparés de la place forte ennemie de Pugnefort vers 1200 (possession confirmée en donation par le Comte en 1207), installent au pied du Castellaras un château de siège. Ce fortin, bâti sur l’actuelle colline Saint Jean, disparaîtra lorsque les terres qui l’accompagnent seront réunies à celle de Pugnefort pour former une seule seigneurie détenue par les Hospitaliers.

Durbec cite à ce propos le «mont des chevaliers de Saint Jean» qu’il situe en lieu et place du castellaras de façon tout à fait arbitraire.

Il faut peut être trouver dans cette présence de l’ordre militaire des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem à Thorenc, l’origine de la tradition attribuant le castellaras à l’ordre concurrent des Templiers absents des lieux.

Le castrum de Torenco apparaît en 1230 (Liste des Castra), dans les Statuts de Fréjus en 1235, ainsi qu’en 1251-52 (Enquête de Charles d’Anjou), il fera parti de la circonscription administrative de Grasse en 1325.

Les ruines du village dépendant du castrum sont encore visibles de nos jours au pied du versant sud du castellaras, en bordure du vieux chemin reliant Grasse à Castellane. Depuis leurs positions et pour le Comte de Provence, les Hospitaliers surveillent le castellaras qui après l’expulsion des sires d’Andon est tenu par Bertrand d’Amirat, parent et allié des Castellane.

Les consuls de Grasse demandent en 1200 à ce dernier de leur «rendre» le «castrum» pour le mettre en défense (!). Si les conditions qui entraînent les Amirat à y consentir ne sont pas connues, il est perceptible que le fief de Thorenc et sa forteresse sont l’objet de sourdes rivalités entre les puissantes familles de la région.

La place forte aboutit enfin en 1227 au fantasque Boniface, Comte de Castellane qui prête hommage au Comte de Provence pour la seigneurie de Thorenc.

Bien qu’il soit question d’un Blacas de Sartoux, seigneur de Thorenc en 1233, lorsque le Comte entreprend de soumettre la région en 1235, le castellaras est repris aux Castellane «par voie d’échange» et remis aussitôt à Romée de Villeneuve qui venait de s’assurer le contrôle de Nice. Au décès de Romée de Villeneuve, ses droits sont rachetés par sa belle-mère Astruge et restent au moins partiellement la propriété des Villeneuve jusqu’au XVIII èmesiècle.

En 1250, les Castellane opèrent encore quelques raids provocateurs dans le secteur. La paix ne sera assurée qu’en 1262, après que Boniface de Castellane battu, soit contraint de s’exiler en Italie, en abandonnant ses terres au Comte de Provence.

Le castrum de Torenco compte 38 feux en 1263, puis la seigneurie est divisée en 1309, si Giraud de Villeneuve en possède le tiers, les deux autres tiers appartiennent au Comte de Provence. En 1312, il est question, selon Durbec, de la chapelle Saint Pierre du Castellaras, «Sancti Petri de Toranquo», elle est également mentionnée en 1316 et 1376.

Les années noires du XIV èmesiècle débutent dès 1348, avec une épidémie de peste qui décime la population de la région. Puis les troubles occasionnés par les rivalités dynastiques opposant les Angevins aux Duras et les Savoyards à la Provence à propos du Comté de Nice, provoquent le passage de bandes armées opérant pour leur propre compte ou comme mercenaires de l’un ou l’autre parti.

Le village de Thorenc est encore habité en 1386 lorsque la place est investie par un redoutable chef de bande, Vita de Blois. Les vicissitudes des luttes d’influence entre Angevins et Savoyards sur les marches de la Provence entraînent le condottière dans le camp du Comte de Savoie dès 1388 avec sa troupe de 25 lances, soit environ 300 hommes.

Les Archives de Turin signalent : «Vita de Bloye s’est emparé du château de Thorenc : de là, il a emprisonné et pillé des bourgeois, en portant le tout à Nice où il avait sa demeure habituelle. Il en a fait autant en envahissant plusieurs villages tenus par le roi Louis».

En dépit de trêves signées en novembre 1388 et mai 1389 par le «vaillant capitaine», celles-ci sont rompues maintenant l’insécurité dans le secteur. Les Provençaux ne lui laisseront pas occuper longtemps ce point stratégique et la vaste forteresse est reprise et détruite en 1391. Le village subit le même sort.

Au début du XV ème siècle, le castrum de Thorenc n’est plus qu’un lieu détruit et inhabité exclu des affouagements de la viguerie de Grasse. Cette situation se poursuit tout au long du XV ème siècle, une note de 1478 indique toujours Thorenc comme abandonné et la chapelle Saint Pierre sans desservant. La Maison de Pugnefort des chevaliers Hospitaliers est également signalée détruite en 1429.

La famille de Villeneuve reprend possession de son fief bien qu’il soit désert.

Le village comme le château ne seront pas reconstruits. Un dessin de 1592 (Archives d’Etat de Turin) représente le castellaras avec ses trois bâtiments (chapelle du XII ème, château et écuries).

Il est question en 1584 de la chapelle attenante au château des Villeneuve, «château de M. de Thorenc-Villeneuve de Saint Paul». Cette demeure fortifiée surplombant le val, n’est qu’une résidence secondaire pour ces seigneurs occupant par ailleurs des charges importantes.

Une nouvelle famille, les Lombard, prend place au côté des Villeneuve en 1632 comme seigneurs de Thorenc, les deux familles s’allient en 1669.

Parallèlement, les Hospitaliers continuent d’affermer leurs biens à Valderoure.

Plusieurs nouveaux seigneurs s’ajoutent aux précédents au XVIII èmesiècle, ils occupent chacun un quartier de Thorenc mais n’y résident que l’été. A propos du castellaras et en 1787, un médecin amateur d’Histoire, M. Achard, indique que : «le château était au-dessus du village, sur une hauteur entourée de remparts de tous côtés, excepté vers le nord ou le rocher le rendait inaccessible».

Jusqu’à nos jours, le site du castellaras, régulièrement visité par les amateurs du passé, reste à peu près inchangé.

Aujourd’hui, Thorenc présente également un intéressant château du XV ème siècle, dit «château des Quatre-tours». C’est l’ancienne demeure des Villeneuve qu’ils conserveront jusqu’au XVIII èmesiècle avant de la vendre ensuite aux Fanton d’Andon. Cet ancien château fort est adossé à une falaise inexpugnable dont les trois autres côtés sont fortifiés.

Dressé sur une plateforme, il dominait et surveillait la voie de passage reliant Grasse à Castellane en faisant face au castellaras.

Au début du XX ème siècle, le guide touristique Moris, marquant la nouvelle vocation de Thorenc, station climatique d’été, vante «les charmes de cette délicieuse vallée où l’on ne voit que fraîches prairies, sources limpides, bois épais où les malades vont respirer l’air tonifiant des hauteurs et trouver l’Engadine sous le ciel bleu de la Méditerranée».

Une visite du castellaras et de ses environs permet de retrouver des vestiges médiévaux significatifs. Situé à 1400m d’altitude, l’acropole domine au sud le carrefour des quatre chemins au pont sur le Loup supérieur et au nord la vallée de la Lane. Le chemin d’accès prend dans un petit bosquet à gauche de la D5, au-dessus de la ferme des Valettes. Ce chemin, arrivé à un col redescend au nord sur Thorenc, c’est l’ancien chemin de Grasse à Castellane. Grimper ensuite à l’est vers le castellaras.

Les remparts, très élevés, comblent toutes les failles d’accès possibles.

Après le franchissement d’une poterne avec chicane, on trouve à l’intérieur trois bâtiments : le château proprement dit dans l’angle sud-ouest sur des à-pic impressionnants, une chapelle du XII èmesiècle dégradée, un grand bâtiment à l’usage de communs et peut être de gens d’arme et enfin une imposante citerne avec voûte écroulée au nord-ouest du château.

Non loin à l’ouest et sur une éminence, on distingue la trace d’une «chapelle Saint Jean».

Redescendant du castellaras vers le sud, l’ancien chemin longe des ruines disséminées dans d’épais fourrés. Au nord, les structures supposées d’une église, vaste rectangle de quinze mètres sur cinq, d’abside carrée. A proximité, trois grandes bâtisses à salle unique, cet ensemble laisse supposer un relais hospice pour accueillir les voyageurs affrontant l’hiver ces solitudes enneigées.

Plus au sud, dans les restes d’une enceinte, les ruines des maisons du village détruit au XIV èmesiècle, sont encore repérables.

Le site exceptionnel du castellaras de Thorenc, coiffé de ses ruines médiévales témoignant de sa fin tragique, frappe l’imaginaire au point d’avoir fait naître le mythe d’un trésor caché dans ses flancs.

Il est question là encore, comme chaque fois qu’il s’agit du Moyen Âge, d’un trésor templier et ceci bien que seuls les chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers aient fréquenté les alentours.

Les partisans, convaincus de cette hypothèse hasardeuse, maintiennent que les Hospitaliers récupérèrent une grande partie des biens du Temple lors de sa dissolution et accueillirent en plus, bon nombre de leurs frères persécutés en 1308. Cette rumeur sera attestée en 1983-84 par les fouilles brutales conduites par une Comtesse italienne qui sonde le rocher à la dynamite pour y creuser un soi-disant élevage de vers de terre ! Ceci après avoir acheté la passivité complaisante de la Mairie propriétaire des lieux.

En effet, la municipalité avait acquis les biens de la famille Weiss, décimée dans les camps de la mort hitlériens qui possédait terrains et hôtels dans la station.

Aujourd’hui, l’ODAC (Office Départemental d’Action Culturelle) envisage de réhabiliter le site classé du castellaras, en y installant un élevage (!) d’aigles royaux, ce qui correspond mieux à la vocation naturelle de ce «nid d’aigle».

Edmond ROSSI

http://alpazur-edmondrossi.monsite-orange.fr
D’après les « Histoires et Légendes des Balcons d’Azur », pour commander ce livre dédicacé par l’auteur, contacter : edmondrossi@wanadoo.fr

 

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