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08/01/2008

LE BROC, "LES DOS FRAÏRES"

La légende des Dos Fraîres (les deux frères en Provençal) remonte à bien longtemps, à cet obscur Moyen Age où les guerriers brutaux côtoyaient les troubadours « qui caressaient une branche de cerisier ou le prénom d’une femme aimée » comme l’a si bien écrit Christian Bobin. Les Giraud, frères jumeaux, possédaient en commun le château de Fougassières, dressé sur un rocher surplombant la basse vallée de l’Esteron. Leur fief composé d’un pauvre village et de quelques arpents de terre aride  rapportait si peu qu’ils décidèrent d'aller chercher fortune ailleurs. Si Marcel s’engagea pour la croisade en Terre Sainte, Martin, fin lettré taquina la muse avec talent au point d’être très vite reconnu comme un des grands chantres du pays d’Oc. Devenu un troubadour estimé, son haut lignage et sa bonne réputation l’entraînèrent à fréquenter les cours de fine amour. Parcourant la Provence, il s’arrêta un soir pas loin de chez lui, au château de Bouyon, célèbre pour les fêtes qu’y donnait Raymond Laugier seigneur riche et généreux. Paradoxalement, ces réjouissances ne parvenaient pas à chasser la mélancolie affichée par sa fille Clarette, ceci depuis la blessure infligée par Gilles Blacas de Carros qui n’avait fait aucun cas des faveurs promises par la jeune fille. Plongée dans une bouderie puérile Clarette, rêveuse, oubliait ses pouvoirs de séduction pourtant bien réels. Avec ses boucles dorées encadrant un fin visage éclairé par des yeux pers, elle avait su conserver les élans et la gaucherie attendrissante de l’enfance. Hélas, l’ingénue à la mine friponne de jadis oubliait son sourire, pour s’enfermer dans un isolement inhabituel, propre à troubler son entourage. Lorsque Martin Giraud remarqua la demoiselle, il s’enflamma au point d’improviser des poèmes dont la nature et l’objet ne laissaient aucun doute sur ses sentiments. La fête achevée, la décence et les règles de l’amour courtois l’obligèrent à rependre son destin de saltimbanque le long des chemins. Un temps flattée et sensible aux belles paroles du troubadour, Clarette plongea à nouveau dans son chagrin après le départ de son soupirant. Ses longues promenades à cheval au travers des forêts du Cheiron ne s’achevaient qu’au déclin du jour. Elle rentrait alors fourbue, pour tomber dans les bras de sa tante, la bonne Adélaïde qui essuyait parfois les larmes de son pauvre visage tourmenté. Un soir, au détour d’un chemin, la jeune fille aperçut une ombre furtive se faufilant au travers des taillis, pour réapparaître plus loin dans une clairière. César, son cheval, dressa l’oreille avant de s’immobiliser puis de se cabrer en hennissant de peur à la vue d’un étrange animal gris qui s’avançait vers eux en trottinant d’un pas décidé. Clarette n’en croyait pas ses yeux. Parvenu à peu de distance, la bête se leva sur ses deux pattes arrières avant de s’adresser à elle sur un ton moqueur : « N’ayez crainte gente demoiselle, je suis Martin Giraud votre voisin poète ! Puis se débarrassant de la peau de loup qui le couvrait, le jeune troubadour ajouta : « Pardonnez-moi ce subterfuge, mais grand était mon désir de vous revoir, j’ai imaginé ce déguisement pour pouvoir vous rencontrer à nouveau loin des hommes et ainsi ne pas vous compromettre. Depuis le soir où j’ai croisé votre beau regard, son image hante mes pensées et mes rêves. Revoir ne serait-ce qu’un instant le reflet de la lumière dans l’eau pur de vos yeux, espérer peut-être pouvoir caresser un jour votre chevelure dorée chargée des rayons de l’astre du jour suffisent à combler un cœur douloureux empli de tendres sentiments. » Puis tombant à genoux, il poursuivit : « Belle Clarette, je ne vivais que dans l’attente de ce précieux instant. » Un sourire illumina soudain le visage de la jeune fille habituellement morose, troublée par la magie du verbe, elle retrouva une attitude conquérante pour se déhancher de façon suggestive, avant de sauter à bas de sa monture et tendre la main à Martin. « Redressez-vous doux seigneur ! Bien que flattée par vos propos j’estime ne pas mériter autant de considération. Voyez en moi une personne simple dont les attraits relèvent du commun, je ne suis qu’une fille à la beauté banale épargnée par la disgrâce de Dieu. » Déjà, Martin s’était emparé de la blanche et douce main de Clarette pour la porter à ses lèvres, elle n’eut pas le courage de se soustraire à cet hommage forcé. Cette première faiblesse en encouragea bien d’autres toutes aussi entreprenantes. Succombant sous les assauts fougueux du bouillant Martin, oubliant l’heure, Clarette se prêta au jeu pour enfin céder à ses avances avec une volupté insoupçonnée. Déjà la nuit tombait lorsqu elle parvint au château familial. Encore chavirée, les joues roses, la tenue défaite, elle se lança dans une volubile explication d’où il ressortait qu’elle s’était perdue sur le chemin du retour.

Le père se réjouit de la voir retrouver un solide appétit, mettant sur le compte du grand air ce rétablissement soudain. Pour lui, pas de doute, aussi l’encouragea-t-il à poursuivre chaque jour ce salutaire exercice.

Clarette prit goût à ces escapades quotidiennes, aboutissant après de prudents détours au Pra du Gueux où la cabane abandonnée d’un charbonnier accueillait les ébats amoureux des deux amants.

Martin, tout aussi méfiant, parcourait la forêt des Selves couvert de sa peau de loup pour éviter d’être reconnu, mais cet inquiétant accoutrement semait l’effroi auprès des rares manants occupés à ramasser du bois ou à faire paître leurs troupeaux. Prévenu de cette présence gênante, le seigneur décida d’en écarter la menace, d’autant plus que la bête tentait d’approcher incognito le château dans lequel se trouvait Clarette et où personne ne l’attendait.

Lassé, Raymond Laugier, pourtant connu pour sa tolérance, organisa une battue avec ses paysans et ses soldats. Le troubadour finit cette chasse sérieusement blessé et bastonné. Il ne se tira d’affaire  qu’en amadouant par son éloquence ceux qui le frappaient. Le loup-garou des Selves récupéré, soigné et réconforté par Clarette, disparut à la nuit tombée à la faveur du brouillard. Il rejoignit tout penaud Fougassières où Marcel, enfin de retour de Terre Sainte, s’amusa fort des mésaventures de son frère jumeau.

Martin lui expliqua son amour impossible, vu qu’il ne pourrait jamais prétendre épouser Clarette, compte tenu de l’importance de la dote réclamée par son père.

 Dans ces désolantes conditions, leur amour mutuel  devrait se limiter à la poursuite de rapports clandestins.

Chez Clarette, l’éveil de la sensualité très tôt comblée par un amant expert, l’entraîna dans des crises de passion dévorante.

Combien de ruses perverses n’usait-elle pas pour raviver les performances parfois déclinantes d’un tendre et habile amant soumis à ses assauts répétés!

Le malheureux Martin sortait de ces après midis enfiévrés à bout de sève, après avoir succombé aux manœuvres réitérées de la volcanique Clarette. La douce ingénue de leurs premières rencontres avait laissé place à une maîtresse au désir insatiable.

Un soir, lassé, il confia ses déboires à Marcel et leur fraternelle complicité aboutit à un subtil stratagème destiné à protéger Marcel des débordements diaboliques de son ardente maîtresse. La totale ressemblance des bessons les mettant à l’abri de toute reconnaissance possible, les deux frères décidèrent d’épargner Martin en partageant en alternance les faveurs dévorantes de la lascive Clarette.

Ainsi dédoublé, Martin pouvait faire face sans difficulté aux exigences amoureuses de sa maîtresse.

Masqué sous une peau de loup, chacun se rendait tour à tour aux chaudes rencontres de Pra du Gueux. Le jeu ravissait d’autant plus les jumeaux qu’ils se félicitaient de pouvoir profiter d’une pareille aubaine.

Attirée physiquement de façon obsessionnelle, Clarette palpitante faisait sceller César dés midi. N’ayant cure du temps et en dépit des recommandations de son entourage, folle de désir, elle se lançait à bride abattue jusqu’à la cabane du charbonnier, pour s’enivrer des plus douces voluptés.

Les trois partenaires, plongés dans un tourbillon de luxure, auraient pu poursuivre leurs relations sans l’entêtement d’Honoré Laugier, bien décider à marier son unique fille au meilleur parti.

Un prétendant honorable se présenta en la personne de Jean de Glandèves seigneur de Toudon, la Caïnée et autres lieux du Val d’Esteron.

Ce veuf à cheveux gris, bien qu’ayant deux fois l’âge de Clarette, apparaissait doté de toutes les vertus viriles de la noblesse. Ardent combattant, un rien brigand, revenu de la croisade auréolé de gloire, il se plaisait à affirmer : « Je désire la guerre et déteste la paix et quand je vois les chevaux armés s’assembler et former une telle mêlée que les heaumes les lances et les pierres se brisent, je deviens puissant et joyeux ! »

Les épousailles eurent lieu un mois après les présentations, sans que Clarette, toujours en proie à l’amour fou qu’elle portait à Martin, ne réalise ce qui lui arrivait.

Installée sur la rive gauche de l’Esteron, dans l’austère château des Glandèves, la jeune femme soupirait chaque soir, en apercevant au couchant sur l’autre rive, la forêt des Selves chargée des plus tendres souvenirs.

N’y tenant plus et sous le prétexte de revoir sa famille, elle quittait Toudon dès que son époux et maître s’absentait pour régler quelque affaire, percevoir l’impôt ou s’impliquer dans un différend avec ses voisins.

La cabane de Pra du Gueux redevenait alors le théâtre de rapports frénétiques, partagés avec Martin ou Marcel toujours disposés à honorer une Clarette au tempérament de feu.

Mais ces escapades renouvelées finirent par attirer l’attention de Sylvain « le borgne », fidèle lieutenant de Jean de Glandèves, soldat émérite, homme de main capable des plus basses besognes. Coureur de bois toujours à l’affût, son instinct de chasseur l’entraînait dans de folles chevauchées à travers tout le Val d’Esteron.

C’est ainsi qu’un après midi de novembre, il remarqua des traces suspectes de pas dans la neige. Mis en éveil, il suivit la piste pour aboutir, à travers bois, à la cabane de Pra du Gueux, elle-même entourée d’empreintes de sabots de cheval qu’il identifia sans hésiter. C’était bien ceux de César, avec leurs fers caractéristiques.

Que venait donc faire là l’épouse du seigneur,  soi-disant partie rejoindre le château paternel ? Pour en savoir plus, Sylvain s’embusqua le jour suivant à proximité, il vit alors arriver un loup étrange dressé sur ses pattes arrières, un loup-garou, moitié homme moitié loup, se dirigeant vers la cabane auprès de laquelle il aperçut César attaché par la bride.

Sentant sa maîtresse menacée, Sylvain décida d’agir. Saisissant sa lance il s’avança vers la bête et lui enfonça l’épieu dans le flanc. L’animal grogna de souffrance, perdit sa peau pour laisser apparaître un homme jeune, couvert de sang, qui s’écroula en gémissant avant de s’immobiliser le visage livide et les yeux vitreux.

Clarette sortit de la cabane en hurlant de douleur à la vue de son amant trucidé.

Sylvain posa son genou à terre, puis se voulant rassurant il jouta : «  Madame, tranquillisez-vous, vous ne risquez plus rien. »

La dépouille identifiée grâce à sa bague portant le sceau des Giraud, fut portée jusqu’au château de Fougassières où le survivant des bessons enterra dignement son frère.

A quelques semaines de là, Clarette annonça qu’elle était enceinte avant de donner plus tard naissance à un beau garçon qu’elle s’empressa de baptiser Jean-Loup.

Jean de Glandèves, fou de bonheur, pouvait enfin se flatter d’assurer sa noble descendance.

Un soir de mai, Clarette s’égara dans les bois des Selves au retour de Bouyon. Passant près de la cabane de Pra du Gueux, elle aborda un bûcheron qui passait par-là, il lui assura avoir croisé dans les parages un loup bizarre venu roder aux abords de la maisonnette. A la suite de cette révélation, on raconte qu’elle revint souvent sur les lieux de son bonheur passé. Enfin, un jour sa patiente obstination fut récompensée par l’heureuse rencontre de son amant ressuscité. S’agissait-il de Martin ou de Marcel ? Nul ne le sait !

Si à l’époque la sexualité du loup était réputée au point d’être jalousée par les hommes, la légende des « Dos Fraïres » a traversé les âges grâce à des fondements historiques indiscutables.

Aujourd’hui, les Dos Fraïres forment un vaste quartier de la commune du Broc, après avoir constitué le fief des Giraud, puis une commune rattachée à la couronne de Savoie jusqu’en 1760.

Les vestiges du château de Fougassières, détruit au XIVè siècle, dominent encore les ruines d’un village médiéval dissimulées sous les chênes verts, au-dessus de la chapelle Sainte Marguerite. Cet ensemble conserve depuis le Moyen-Age le souvenir émouvant des frères Giraud, ces bessons, modestes feudataires, entraînés par la passion dans une brûlante histoire d’amour.

 

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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17:05 Publié dans MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire

02/01/2008

LE CULTE MARIALE DANS LES ALPES MARITIMES

Nombreuses sont les traces du culte adressé à la Vierge Marie dans les Alpes-Maritimes, dans un ouvrage antérieur* nous avons répertorié les sanctuaires les plus célèbres, ceux qui succèdent, moins connus, bénéficient d’une ferveur tout aussi soutenue.

Au Nord de Nice, le charmant village de Blausasc, noyé dans la verdure, abrite la chapelle de Notre-Dame du Téron à 400m d’altitude, dans un cadre de pins et d’oliviers.

Ce sanctuaire fut construit par les habitants en 1642, au quartier du Castel, autrefois propriété de la famille Grimaldi de Monaco. Cette chapelle s’effondra au cours de violentes pluies et fut reconstruite en 1703. La Madone qu’elle abrite a sa légende qui naquit près de la chapelle, où venaient se laver et boire les malades. Jaloux, les habitants de l’Escarène auraient un jour emporté la statue à la Condamine. Mais la Madone, regrettant Blausasc, rejoignit son village en laissant sur son chemin la trace de ses pas et de son bâton encore visibles de nos jours ! Si le promeneur ne les voit pas en parcourant les marnes des alentours, il pourra cependant découvrir un large et magnifique panorama du Mont Agel au Cap d’Antibes.

La légende qui suit concerne la Madone d’Utelle ou Notre-Dame des Miracles, dont le sanctuaire se dresse à 1200m d’altitude sur une montagne pelée au-dessus du village d’Utelle, accessible depuis la basse vallée de la Vésubie.

En 850, au temps des pirateries sarrasines, des marins espagnols, surpris en mer par une violente tempête, firent vœu de bâtir un oratoire à la Vierge, s’ils échappaient au naufrage. C’est alors qu’une étoile extraordinaire piqua du ciel au-dessus du navire, indiqua la route et s’arrêta sur le mont qui domine Utelle.

Sauvés, les marins débarquèrent sur le rivage, suivirent l’étoile qui descendit comme une lueur grandiose sur le sommet de la montagne. Ils édifièrent un oratoire à cet endroit. Trois d’entre eux, les frères Olivarez, s’établirent définitivement dans les environs : l’aîné à Utelle, le deuxième au quartier Saint Jean d’Alloche (près de la Tour), le troisième à Figaret. L’oratoire fut d’abord appelé Miracles, à cause des guérisons miraculeuses qui s’y produisirent.

De plus, la nuit qui précède les pèlerinages, la Madone déverse à proximité du sanctuaire, sur un petit carré sablonneux, une pluie de minuscules étoiles de pierre noire aux branches finement striées. L’oratoire primitif fut agrandi en une chapelle complétée par une bâtisse pour abriter les pèlerins et la citerne. Les étoiles recueillies aux abords du sanctuaire ne sont que de minuscules fossiles pétrifiés d’animaux marins de la famille des oursins.

Plus haut, dans la vallée voisine de la Tinée, le bien nommé village de Marie, véhicule lui aussi le culte de la Vierge Mère.

« Maria », village cité en 1066, devrait son nom à un ermite qui y bâtit une chapelle, dédiée à la Vierge, d’où il opérait des guérisons miraculeuses.

L’Histoire indique que la célèbre abbaye de Saint Dalmas de Pédona possédait là un prieuré bénédictin, dédié à Saint Ferréol.

Une vieille statue de la Vierge, sculptée en bois d’olivier à Gênes, pesant 400 kg, trône dans l’église Saint Roch du XVIIème siècle. Elle a été transportée ici à dos d’hommes depuis le port de Nice et bénie en présence de 5000 personnes le 8 Septembre 1877. Ce témoignage pérennise un culte qui ne s’est pas démenti au cours des siècles.

A Beaulieu sur Mer, la chapelle de la Madone noire rappelle un épisode vieux de plusieurs siècles. Un 5 Août, on trouve au quartier des Serres une statue de la Vierge en bois dont le visage et les mains étaient très bruns ; chose surprenante pour une pareille saison, la neige se mit à tomber. On bâtit alors une chapelle sous le vocable de Notre-Dame des Neiges, mais la population s’accoutuma à l’appeler la Madone noire.

Ça et là, dans les vallées de l’Esteron et du Var, la protection de la Vierge du Rosaire, abritant de son manteau les fidèles menacés par des fléaux divers, perpétue dans des retables, des chapelles, de modestes oratoires, les vertus de sauvegarde qui lui sont attribuées. Largement répandu dans les Alpes-Maritimes depuis les origines de la chrétienté, le culte de la Madone reste aujourd’hui encore ancré dans les consciences et dans les cœurs.

 

 

D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage dédicacé de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55.

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