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01/05/2013

"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR": DES PAS SUR LA NEIGE...

19 L'HIVER S'ATTARDAIT SUR LE VILLAGE.jpg

 « La neige découpait un immense parvis, l’histoire préparait un immense destin »Charles Péguy

Quoi de plus rassurant que le refuge douillet de la tradition, au cœur de l’interminable nuit de l’hiver ? A Villeplane la fête de la Saint Sébastien offrait cette opportunité, bien après Noël, devançant les réjouissances du Carnaval, annonciatrices précoces du printemps.

Il avait neigé et la blancheur immaculée accentuait les traits sombres du relief, écrasant la masse des maisons coiffées de spirales de fumée.

On se serrait dans l’église, trop petite ce jour là pour accueillir l’ensemble des villageois, venus assister à la messe de dix heures, dignement célébrée par l’abbé Pellegrin. Les cantiques, repris tour à tour par l’assistance, avaient rythmé pieusement l’office lorsque  soudain s’éleva comme un hymne, un éclatant « Ave Maria », entonné en solo par la puissante voix de baryton de César Giauffret. Instinctivement, les têtes des femmes et des enfants, répartis au rez-de-chaussée, se tournèrent vers la tribune réservée aux hommes, d’où s’élevait ce chant unique, aux notes exceptionnelles, propres à faire vibrer les cœurs comme les voûtes de l’église.

Au nombre des quelques réfractaires à cette célébration religieuse, regroupés au Café Grassi, se trouvait Mario Robini, tailleur de pierre italien, anarchiste, exilé à Villeplane, pour fuir le régime fasciste de Mussolini. Bien sûr, il participerait à l’apéritif d’honneur offert par la municipalité et au banquet qui suivrait, mais pour lui, pas question d’aller «chez le curé ». Mario répétait que l’Eglise, alliée objective des exploiteurs du peuple, devait disparaître, tout comme ses serviteurs, pas de compromis avec eux.

S’il n’adhérait pas à la vision communiste des Grassi, chez elles, il se sentait à l’aise, partageant avec la mère la langue du pays et une part de sa révolte, tout comme avec Paola, femme de convictions progressistes. A vingt neuf ans, le destin de cet homme partagé entre passion et déraison l’avait entraîné à lutter, en commettant des attentats en Italie, au point d’y avoir été recherché comme un dangereux opposant. Anarchiste, comme la plupart des tailleurs de pierre de Carrare, Mario ne s’était jamais contenté de vaines protestations verbales, les actes avaient prolongé tout naturellement son engagement politique.

Lorsqu’on lui apprit que César Giauffret avait entonné le Magnificat, il haussa les épaules, mais son visage s’éclaira d’un étrange sourire. Pour lui, le nom de Giauffret le renvoyait à une image bien différente, celle de sa fille Léonie, âgée de dix sept ans.

Cette sylphide aux yeux de biche, un rien anémique, avait conquis son cœur avec ses airs de rebelle agacée, dissimulant un tempérament explosif, à la hauteur de son propre désir refoulé.

Leur première rencontre en tête-à-tête datait de l’été précédent, à l’occasion des noces de Marthe Liautaud.

Léonie, avec sa beauté juvénile, avait charmé l’assistance, au point de ravir le premier rôle à la mariée, sa cousine, tant par sa troublante élégance que par ses manières aguichantes. Un peu ivre, elle en avait rajouté avec ses airs provocants de fausse ingénue, riant, dansant tour à tour avec tous les jeunes hommes et même, au goût de chacun, un peu trop avec le marié.

La véritable parade nuptiale de cette nymphette devait finalement aboutir à séduire Mario, fasciné par son corps de madone, ses yeux bleu gentiane et sa bouche trop large.

Elle avoua plus tard à Flora, sa sœur aînée qu’ils avaient commencé ce jour là à «faire des bêtises ». Depuis les choses ne s’étaient plus arrêter, au point qu’un jour, Mario endimanché, s’était enhardi à s’aventurer chez les Giauffret, pour tout simplement demander la main de la belle Léonie.

César le père s’étouffa d’indignation et chassa ce « sale étranger » sans le sou, ce mécréant qui  prétendait vouloir épouser sa petite Léonie, elle si candide, une enfant si pure et si fragile. Plus question qu’elle s’expose à rencontrer ce «putacier » aux veillées ou dans toute autre circonstance. Ce qui n’empêcha pas les amoureux de poursuivre leurs rendez-vous galants.

Mario, grand gaillard blond aux yeux gris, éternel passionné, toujours livide et échevelé, semblait dévoré par un feu intérieur depuis qu’il fréquentait Léonie, «son rayon de soleil ». Captivé par sa beauté et sa grâce mutine, il échafaudait pour eux les rêves les plus fous.

Il s’était convaincu de partager à tout prix et librement, le bonheur qu’on leur refusait.

Clément Payan, le maire, avait deviné le trouble qui agitait le cœur des jeunes gens, en médiateur avisé il avait essayé de raisonner César Giauffret qui  n’avait rien voulu entendre. « Réfléchis », lui avait-il dit, «Fais attention César, ne vois tu pas qu’ils s’aiment, ton refus aveugle peut avoir de lourdes conséquences, n’oublies pas le vieil adage : « Tira maï un péou de cuou qu’una païre de muous » (Tire plus un poil de pubis qu’une paire de mulets) ».

Mais l’autre buté s’était contenté de proférer des menaces à l’adresse de cet ignoble «pinotou » (italien) qui  non content de bouffer le pain des Français, voulait voler nos filles ! Qu’il laisse ma Léonie tranquille et qu’il rentre chez lui !

L’après-midi  de la Saint Sébastien, après le traditionnel banquet communautaire servi en Mairie et où Mario avait été tenu à l’écart de Léonie, les premières notes de musique préludèrent au bal.

Alors que les corbeilles de ganses étaient servies toutes chaudes et les tables repoussées pour mieux danser, les plus âgés s’étaient éclipsés.

Profitant de cette animation, Léonie avait rejoint Mario chez lui. Dans une étreinte passionnée, il lui avait fait part de son secret. Alors qu’il caressait ses cheveux qui tournaient en boucles pleines de grâce, il lui avait simplement murmuré : « Bellezza, tu sei mia per la vita, ti voglio tanto bene Carina. Adesso andiamo via tutti due… »(Ma beauté tu es à moi pour la vie, je t’aime tant chérie. Maintenant partons ensemble…).

Léonie supportait très mal  sa condition de paysanne, sensible aux mirages de la Côte, elle ne songeait qu’à quitter Villeplane, ce trou perdu qu’elle  qualifiait parfois de «cul des Alpes Maritimes ». Pour elle, son père était seul responsable de ses frustrations, puisqu’il l’avait mise au monde, à l’écart de ce qu’elle considérait comme le Paradis. Aussi lorsque  Mario lui avait confié son projet de partir ensemble loin, très loin, elle avait tout de suite accepté les risques d’une aussi aventureuse escapade.

C’est ainsi que l’après-midi de la Saint Sébastien, un couple étrange quittait Villeplane, par des chemins enneigés et détournés, pour mieux tromper la vigilance des gens du pays.

Mario enveloppé dans une ample canadienne en peau de mouton, chapeau enfoncé jusqu’à l’écharpe rouge qui dissimulait son visage, faisait face à la bise, traçant la piste dans la neige croûtée, courbé sur son bâton par le poids d’un lourd havresac. Suivait Léonie, frêle silhouette encapuchonnée, sanglée dans une houppelande brune, nantie seulement d’un léger sac de voyage en cuir.

Ils marchèrent ainsi en trébuchant, jusqu’à la nuit tombée, pour s’abriter enfin, épuisés, dans une grange isolée.

Exaltés par la fatigue et le parfum épicé du foin, ils s’abandonnèrent  à de folles étreintes, pour fêter à leur façon leur première nuit d’amour et de liberté.

A Villeplane, leur disparition ne fut découverte que tard dans la soirée lorsque  après la fête, chacun rejoignit son foyer.

Inquiète, la famille Giauffret fouilla la maison de fond en comble, ainsi que les abords, avant de réaliser que la cadette avait emporté ses quelques affaires. Lorsqu’on apprit que Mario, parti lui aussi, avait exprimé l’idée de quitter définitivement Villeplane, l’incompréhension fit place à la stupeur.

Clément Payan conclut simplement : « Cela devait arriver, ils sont partis ensemble. ».

Le clair de lune encouragea César à réunir quelques hommes décidés pour se lancer sans hésiter, à la recherche des fugitifs.

Armés de lampes, chaussés de guêtres et de raquettes, ils firent d’abord le tour du village afin de repérer les traces de pas dans la neige, les marques fraîches s’éloignaient vers le sud. Revenu au village après cette reconnaissance, chacun s’équipa chaudement pour partir retrouver le couple.

C’est une colonne de sept hommes solides qui  démarra à minuit, sur la piste des fuyards. Pas de doute, les empreintes larges et profondes d’un homme s’appuyant sur un bâton, jointes à celles réduites et légères d’une femme, ne pouvaient appartenir qu’à Mario et Léonie.

Longtemps dans la nuit glacée, les gens de Villeplane suivirent du regard l‘insolite caravane lumineuse des hommes du village, s’éloignant traquer les deux tourtereaux.

Ceux-ci réveillés au petit matin par le vent, ne se doutaient pas être talonnés de si près. Bientôt le Mistral se leva en tempête, ses rafales s’accompagnèrent d’une brutale chute de neige, bloquant la progression des uns et des autres.

La colonne du père Giauffret, égarée dans la tourmente qui  avait effacé les traces des pas sur la neige, s’était réfugiée dans une ferme isolée. Désespérant pouvoir rejoindre les fuyards, les hommes de Villeplane abandonnèrent et firent demi-tour.

Dans la soirée, profitant d’une accalmie et de la nuit claire, Mario et Léonie repartirent avec la ferme volonté de parvenir, à échapper à ceux qu’ils pressentaient lancés à leurs trousses.

Le lendemain ils atteignaient Puget-Théniers, mais ils ne furent rassurés qu’arrivés à Nice, après un rapide voyage en train. Mario connaissait là, un compatriote acquis comme lui aux idées libertaires : Fabricio Tomelini.

Ce dernier, tenait une échoppe de bottier rue Rossetti, au cœur de la Vieille Ville. Il accueillit chaleureusement les fugitifs. Pour ce militant de la lutte clandestine antifasciste, obtenir des faux-papiers ne fut qu’une formalité.

Le couple, officiellement marié, devait s’embarquer une semaine plus tard,  à Villefranche, sur le paquebot transatlantique italien « Andrea Doria », à destination de Buenos Aires.

Plus tard, beaucoup plus tard, après la guerre, Flora Giauffret reçu une lettre de sa sœur Léonie, adressée de San Joan de Mendoza. Elle lui apprenait qu’elle était mère de deux enfants, lui demandait des nouvelles de la famille et de Ville plane. Suivait la photo d’une magnifique hacienda.

Malgré elle, Léonie n’avait pas réussi à échapper à son destin de paysanne. Elle était devenue intendante, avec Mario, d’un vaste domaine viticole de plusieurs centaines d’hectares.

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

25/04/2013

AVEC LES PIRATES ANGLAIS SUR LA COTE D'AZUR...

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Le nom de Villefranche nichée au fond de sa rade date de 1293, lorsque Charles II d'Anjou décida d'en faire un port franc. Ces franchises seront ensuite confirmées par les souverains savoyards. Devenue le grand port des Etats de Savoie, Villefranche concentrera alors le trafic régional des voyageurs et des marchandises. Attirés par la situation privilégiée de son port et par les exemptions de droits, des bateaux bien particuliers vont au XVlIème siècle faire escale à Villefranche, ils y débarquent de riches personnages bâtisseurs de magnifiques palais.

La chronique a retenu quelques noms de ces «touristes» célèbres d'origine britannique fréquentant déjà la côte à cette époque. Le plus connu Henry Mainwaring, issu d'une honorable famille anglaise, tour à tour avocat, militaire et marin acquiert grâce à un héritage un petit voilier «la Résistance» monté par d'intrépides marins. Parti pour les Antilles, il bifurque à Gibraltar, se jette dans la piraterie et choisit la Mormora comme base de ses futurs exploits. Sa réussite rapide sur les rivages barbaresques parvient jusqu'au Roi d'Espagne qui n'hésite pas à lui offrir le pardon des fautes commises, beaucoup d'or et le commandement d'une escadre. Faisant preuve d'indépendance, Mainwaring refuse et part pour Terre-Neuve piller allègrement la flotte de pêche.

A son retour, la Marmora est aux mains des Espagnols, il repart alors vers l'accueillant port de Villefranche y retrouver ses semblables. Parmi eux, de nombreux compatriotes font régulièrement relâche sur les quais entre deux fructueux coups de main. Walshingam, descendant d'une noble famille d'Albion devient pour un temps son associé. On mène joyeuse vie à Villefranche entre deux régates meurtrières. Les butins sont faciles puisqu'on peut récolter 500 000 couronnes en six semaines. Les Espagnols souvent victimes de ces raids offrent sans succès à Mainwaring 20000 ducats d'or et le commandement d'une grosse escadre! Le Roi d'Angleterre s'en mêle, envoie un ambassadeur à Villefranche proposant un autre marché: abandonner la piraterie ou être traqué et pendu... Henry, maintenant riche, réfléchit, et le 9 juin 1616, Sir Mainwaring «Capitaine de la mer» reçoit le pardon royal pour le motif qu'il «n'a pas commis de grands méfaits». Peccadilles la trentaine de navires coulés et leurs malheureux équipages trucidés !

Il se consacrera ensuite à pourchasser ses anciens collègues, dédiant même au roi Jacques 1er un ouvrage didactique fruit de son expérience: «Sur les débuts, les coutumes et la suppression des pirates». Véritable guide, ce livre fourmille de détails et de «secrets professionnels», propres à faire naître de nouvelles vocations. Devenu gentilhomme de la Cour du Roi, nommé lieutenant du Château de Douvres, gouverneur suppléant des Cinq Ports, élu membre du Parlement de Douvres, Sir Henry mourra dans son lit, entouré de la considération générale.

D'autres flibustiers anglais tout aussi redoutables s'installeront à Villefranche, parmi eux un certain Easton, rendu célèbre par le barrage du port de Bristol qu'il organisa avec quarante navires. Baptisé le «Super Pirate», il retiendra en otage Sir Richard Withbourne qui tentera sans résultat d'obtenir un pardon royal pour son ravisseur. La clémence tardant à venir, Easton s'intéresse à la flotte de l'or espagnole et à la Méditerranée où il découvre la merveilleuse rade de Villefranche. Il y terminera ses jours dans un splendide palais.

Bien d'autres pirates britanniques viendront faire relâche à Villefranche, comme Francis Verney, de haute noblesse, qui, pour échapper à une épouvantable belle-mère dévoreuse d'héritage, n'hésitera pas à rejoindre les pirates barbaresques du Maroc. Il finira sur la paille d'un cachot sicilien après sa capture en mer.

John Nutt, John Warde mèneront eux aussi une profitable carrière en Méditerra­née depuis le port franc savoyard. Warde aux moeurs orientales, déserteur de la Navy, achèvera son existence à Tunis dans un palais de marbre et d'albâtre.

Villefranche, sous les murs de l'équivoque citadelle dressée par André Provana, restera tout au long de ce siècle un havre de paix et de bonheur pour ces dangereux écumeurs des mers, venus des brumes du Nord. 

 

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

 

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

 

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.comaintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com 

16/04/2013

LES LOUPS À GOURDON AU XIX ème SIÈCLE...

histoire

Le pittoresque village de Gourdon, juché sur une arête rocheuse, offre encore aux randonneurs qui ont le courage de l’aborder par son ancienne voie, « le chemin du Paradis », un bon exemple des difficultés d’accès opposées aux bandes armées à l’époque où les habitants devaient se garder de leurs attaques.

Accessible aujourd’hui par d’excellentes routes, au départ de Pré du Lac et de la vallée du Loup, il est devenu un des belvédères touristiques les plus fréquentés de la Côte 

En 1955, le commandant Octobon entraîne en ce lieu le groupe de recherches de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes Maritimes.

Dans le tome IV de cette vénérable association, il relate d’intéressants témoignages historiques  portés à sa connaissance par des anciens du village.

Un paragraphe relatif aux loups rappelle brièvement quelques souvenirs d’une époque pas si lointaine où les loups étaient dangereux.

«  Le vieux curé de Gourdon se rappelait avoir participé dans sa jeunesse à des battues et des charivaris  et des tintamarres faits avec de vieilles casseroles pour éloigner ces fauves des troupeaux et des bergeries.

Il reste aujourd’hui le souvenir et les ruines de nombreux courtils qui ont été quelquefois confondus avec des camps ou des refuges préhistoriques. »

En effet, il faut avoir parcouru les solitudes des plateaux calcaires des Préalpes étalés au nord de Vence et de Grasse, pour retrouver nombre de bergeries ruinées, bordées de solides enclos de pierres sèches.

Ces parcs à moutons, clôturés de massives et hautes murailles appareillées, surmontées parfois de pierres taillées en angles vifs, rappellent leur vocation dissuasive face à la menace permanente des loups.

Dans ces refuges le berger regroupait ses bêtes la nuit venue, pour les protéger des attaques sournoises des hordes aux féroces appétits.

C’est dans ce contexte que se déroule en 1882 l’anecdote qui suit.

Nous étions à la veille de Noël. Marius Funel, jeune artilleur fraîchement incorporé au fort carré d’Antibes, venait d’achever avec succès sa formation. Sorti premier de son peloton, les qualités de ce brillant militaire avaient retenu l’attention du commandant de compagnie, au point de le gratifier d’une première permission exceptionnelle de quarante huit heures, doublée d’un délai de route équivalent, pour rejoindre sa famille à Gourdon à l’occasion des fêtes.

Ainsi, le jeune homme se voyait autorisé à franchir d’un cœur allègre la sinistre poterne du fort en ce 22 décembre vers midi, pour s’engager d’un bon pas en direction de la ville d’Antibes, puis de là vers Valbonne. Il lui faudrait ensuite compter près de sept heures de marche pour atteindre son cher village.

Marius partait avec plein de projets en tête et deux cadeaux destinés aux deux femmes de son cœur, sa mère bien sûr, mais aussi la douce et tendre Léonie qu’il n’avait plus embrassées depuis juillet.

A sa mère il destinait un coupe-papier en cuivre gravé de son nom, objet, tiré d’une douille d’obus, qu’il avait façonné lui-même. Pour Léonie, il emportait un petit flacon de parfum en faïence finement décoré, rempli d’essence de rose, acquis après un détour obligé dans une boutique du vieil Antibes.

Léonie, originaire du village voisin de Cipières, avait de suite bouleversé Marius.

Elle était devenue, depuis, ce qu’il était convenu d’appeler sa « calignaïre », mot savoureux exprimant à la fois la notion de fiancée attitrée, de petite amie officielle, avec en plus l’idée d’une donneuse de câlineries amoureuses.

La jeune fille avait conservé ce mélange piquant de puérilité rêveuse et de vulgarité troublante des filles de la campagne, alliant naïveté avec un rien de fourberie propre à émouvoir Marius dès leur première rencontre.

Celle-ci s’était produite en avril, à l’occasion du mariage de cousins communs à leurs familles. Au bal qui suivit les agapes, Léonie, un peu soûle, se déhanchait  de façon suggestive en souriant aux garçons d’une manière effrontée ; séduit, Marius se laissa très vite captiver. La friponne semblait s’offrir, mais ce n’était là qu’un jeu, une illusion. Les quelques baisers volés et les caresses fugitives partagées sous la lune entraînèrent bien des promesses, un rien malmenées par le départ de Marius à l’armée.

Lors de leur  séparation, vécue comme une déchirure, Léonie lui avait remis en gage de serment, un lis sauvage à l’éclatante blancheur virginale. Ce témoignage d’amour devait sceller leur relation à tout jamais, par-delà ce pénible contretemps.

Leur mariage fut remis à plus tard, mais pour eux comme pour leurs familles la chose était conclue.

C‘est avec la tête pleine de rêves fous que Marius arpentait à grandes enjambées le chemin  conduisant  vers son cher Gourdon.

A la mi-journée, il avait sorti de sa musette un quignon de pain et une épaisse tranche de lard accompagnée d’un bout de fromage dont l’avait gratifiés Gaspard Féraud, le cuisinier de la compagnie, un grassois qui l’avait pris en sympathie. Assis pour une courte pose face au paysage calcaire ourlé de neige où Gourdon se dressait fièrement sur le bord de l’échancrure sombre des gorges du Loup, il mesurait la distance le séparant encore de l’objet de ses affectueuses retrouvailles.

En fin d’après-midi, à Opio, il rencontra le charron Zéphirin Alzial, un ami de son père, qui l’invita à boire une goutte pour se réchauffer avant d’entamer la rude montée vers son village. Zéphirin ne lui cacha pas que là haut la neige encombrait les chemins et qu’il devrait être attentif au sol gelé. Il ajouta : «  Ne coupe pas par le travers, dans ta hâte à gagner du temps, ce serait un mauvais calcul. De plus, les loups rôdent affamés par le froid, ils sont prêts à tout… Méfie-toi ! »

Fort de ces recommandations, dont il n’avait que faire, Marius entreprit sa dernière étape dans un environnement sauvage privé de toute habitation.

Plus haut, les platitudes du causse, balayée par les vents, n’accueillaient que les rares cabanes de bergers, entourées d’enclos de pierres sèches, aujourd’hui désertées après le départ de la transhumance.

Déjà le soleil baissait sur l’horizon vers Grasse, alors que Marius progressait dans une neige crissant sous ses pas. Le court crépuscule de saison laissa bientôt place à une ombre froide activée par une brise légère. Au loin sur la crête, Marius aperçut bientôt les lumières tremblotantes de Gourdon, mêlées à la voûte scintillante des étoiles. 

Les traces laissées par le passage d’autres voyageurs tranchaient  sur  la blancheur du tapis neigeux, aidant Marius dans sa marche.

Parvenu au vallon de la Combe, Marius décida d’emprunter un  raccourci vers le Garagaï, évitant un large lacet plus commode pour les attelages. L’obscurité de la nuit, seulement atténuée par la clarté blafarde de la lune permettait à Marius de suivre les marques du sentier couvert de neige gelée. Bien que désormais hésitante, sa progression ne s’était pas ralentie.

Soudain quelle ne fut pas sa surprise d’entendre raisonner dans le bois voisin un hurlement terrible déchirant le silence de la nuit, un « Hou hou hou ! », repris en écho, propre à vous glacer le sang. Marius connaissait l’origine de ce cri, les loups n’étaient pas loin, clamant leur faim à la recherche d’une proie possible.

Après ce signal d’alerte Marius se déplaçait attentif au moindre bruit, scrutant la nuit pour y deviner la menace d’une présence.

Son attention ne tarda pas à être attirée par des ombres furtives remontant plus bas sur le sentier qu’il avait emprunté. Nul doute les animaux avaient flairé son passage suivant sa trace à grande allure. Guidés par leur instinct de chasseurs, aiguisé par la faim, ils ne tarderaient pas à le rejoindre. Marius n’avait pour se défendre qu’un pauvre bâton et son petit couteau, bien peu de choses face à la détermination d’aussi redoutables adversaires.

Puis les événements s’enchaînèrent très vite, deux énormes bêtes sautèrent sur le malheureux Marius qui chancela, glissa sur la glace, chavira en essayant de protéger son visage des atroces morsures. Sa position couchée offrait l’avantage à ses adversaires, au milieu des cris de l’homme et des grognements des fauves la curée débutait. Egorgé, l’infortuné Marius perdit connaissance, son ultime pensée alla vers la douce Léonie dont il entrevit le beau visage éclairé par la blancheur d’un lys sauvage…

Plus tard, des gens de Gourdon descendus à la foire de Grasse trouvèrent sur le bord du sentier les restes d’un homme déchiqueté par les loups. Près de lui, un morceau de papier enveloppant un petit flacon de parfum en faïence finement décoré rempli d’essence de rose, accompagné d’un coupe-papier en cuivre gravé des initiales M. F., permirent d’identifier le soldat Marius Funel.

 

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

 

Le loup est de retour en France et plus exactement près de nous, dans le Parc du Mercantour et les Alpes du Sud.

Ce « grand méchant loup », cauchemar de nos nuits d’enfant, traînant dans la mémoire collective des générations de « mères-grand » et de « chaperons » dévorés tout cru, revient cette fois sur notre territoire nanti du statut intouchable d’espèce protégée par le Conseil National de la protection de la nature et la Convention de Berne.

Réhabilité et qualifié de « prédateur indispensable à la chaîne alimentaire et aux rétablissements des équilibres naturels », le voici blanchi de tous ses crimes passés et à venir et toléré aux portes de nos villages.

L’homme encore une fois a décidé du destin de la bête  avec sa propre logique.

Pourtant, les souvenirs laissés dans la mémoire de nos aïeux ne sont pas tendres et méritent qu’on s’y arrête.Les Alpes Maritimes ou « Pays d’Azur », nées de la rencontre des Alpes et de la Provence, offrent un cadre exceptionnel fait de vallées aux forêts sauvages et de villages perchés aux traditions vivaces.

Edmond Rossi, auteur niçois de différents ouvrages sur le passé et mémoire de sa région, présente ici une trentaine de récits recueillis dans les annales de la Provence orientale et du Comté de Nice.

Témoignages authentifiés touchants de vérité, ces textes évoquent les péripéties du loup, dans ce vaste territoire.

Parfois issus d’une tradition orale qui se perpétuait jadis aux veillées, ces contes portaient le plus souvent sur des faits réels, auxquels nos anciens se trouvaient mêlés.

Partons sur la piste mystérieuse de ce grand perturbateur que l’imagination populaire a toujours travesti familièrement de ses propres fantasmes.

A travers les « Histoires de loups au Pays d’Azur » retrouvez les contes de jadis, cette vieille magie des mots qui vous emmène au pays du rêve et de l’insolite.

Pour un temps, laissez-vous emporter vers un passé troublant celui où nos ancêtres vivaient en compagnie du loup avec des rencontres riches d’émotion.

 

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