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27/07/2012

HISTOIRE DE LOUP DANS LE MERCANTOUR

 HISTOIRE

 LA LOUVE NOIRE

C’est au milieu de la nuit que s’acheva la veillée. Mon grand-père s’était encore surpassé en nous racontant pour l’énième fois ses souvenirs de la Grande Guerre, alors que militaire du XV éme corps, sa bravoure et celle de ses compagnons avaient été mises en doute par un officier vindicatif. 

Sorti de la douce moiteur de l’étable où nous étions réunis, je regagnais la ferme de mes parents sans avoir allumé le « lanternin » tant la clarté de la lune était vive.

Le froid m’avait très vite saisi et j’avançais à petits pas prudents sur le chemin  gelé encadré d’un ourlet de neige.

Alors que j’approchais du hameau du Mounard, une lueur soudaine attira mon attention. Entrouverte et aussitôt refermée, la porte de la maison d’Augusta laissa échapper une ombre qui se dissipa dans la nuit. Intrigué, je m’approchais pour n’apercevoir sur la neige que les traces de pattes d’un animal, sans doute un chien, que je décidais de suivre avant de les perdre à la sortie du village.

Augusta, veuve solitaire n’avait pourtant pas de chien mais plutôt la compagnie de chats, noirs de préférence ! Cette étrange femme connue sous le sobriquet de « la masca » ( la sorcière) à cause de ses dons de guérisseuse et de voyante qui avait fait sa renommée dans tout le canton.

Estimée et crainte à la fois, elle savait enlever le mal, mais aussi le donner si on le lui demandait. Femme sans âge, toujours vêtue de noir, elle sortait rarement chacun lui livrant en rétribution de ses services le nécessaire et le superflu.

Le lendemain, j’avisais mon grand-père de cette curieuse vision nocturne. Celui-ci hocha la tête avant d’ajouter : « Ceci ne m’étonne guère, nous étions le vendredi soir et de plus tu nous as quitté un peu avant minuit. Si tu veux en savoir plus, il te faudra patienter une semaine et guetter de nouveau à la même heure aux abords de chez Augusta.»

Nous étions début février, après la saint Agathe, mais si les jours rallongeaient les rituelles veillées se poursuivaient comme au cœur de l’hiver. Dans ce monde clos bloqué par la neige, la veillée offrait un agréable lieu de rencontre. Si les hommes s’affairaient à fabriquer des outils, des instruments nécessaire à la vie courante comme les paniers, les femmes filaient la laine et le chanvre. Les enfants ne restaient pas inactifs, munis d’un maillet et d’une planche trouée ils cassaient les noyaux des abrignons (petites prunes sauvages) pour en recueillir les amandes destinées à fournir une huile fine très appréciée. Si les mains étaient occupées, les contes, avec leur inévitable cortège de  sorcières, de loups et de revenants pimentaient également ces soirées.

Plus tard l’assemblée chantait avant de déguster pommes, poires, nèfles ou sorbes cuites au four, fruits offerts par les hôtes.

Durant cet hiver rigoureux, les histoires de loups captivaient d’autant plus, depuis leur insistante menace.

En particulier, une louve noire, apparemment familière des lieux, semblait conduire la meute non seulement vers les étables mais aussi en direction des enfants jouant aux alentours.

Un soir, naïf, j’avais questionné pour savoir comment reconnaître le masc ou la masca ? J’appris que certains détails ne trompent pas : ses yeux cernés, ses mains sèches, même quand elles sortent de l’eau, les nombreux chats qui l’accompagnent, sa façon de marmonner seraient autant d’indices révélateurs. Il fallait se rendre à l’évidence, Augusta, bien que jamais nommée,  correspondait bien à ce portrait.

J’appris encore que ces serviteurs du Diable rencontraient leur maître lors de sabbats où ils se livraient à des rondes infernales, avant de recevoir leur ordre de mission pour aller tourmenter les pauvres humains

Le vendredi suivant, prétextant une grosse fatigue, je quittais la veillée plus tôt qu’à l’habitude, pour venir me poster à proximité de la demeure d’Augusta.

Le volet de la cuisine entrebâillé laissait filtrer un trait de lumière découpant la blancheur de la neige. Je m’approchais, et ce que je vis me glaça le sang.

Debout devant sa cheminée, Augusta après s’être entièrement dévêtue, enduit son corps de suie de la tête aux pieds. Puis, aux douze coups de minuit égrenés par le clocher du village, elle s’accroupit et se plaça à quatre pattes, pour ensuite changer d’aspect et se transformer en ce qui semblait être un animal à poil noir que j’identifiais à une sorte de gros chien. Son corps élancé, aux flans rentrés, sa forte encolure portant une tête massive et triangulaire surmontée par des oreilles dressées, correspondaient aux caractéristiques d’un loup. Seule l’étrange nuance sombre de sa robe semblait exclure cette filiation. Je réalisais soudain qu’il s’agissait de la fameuse et tristement célèbre louve noire, venue troubler la quiétude hivernale de notre petit village.

Par quel pouvoir mystérieux Augusta était-elle parvenue à apparaître sous les traits d’un si féroce animal ? Mais je n’étais pas au bout de mes surprises !

La bête sortit furtivement par la porte qui s’entrouvrit, comme le vendredi précédent, avant de trottiner allégrement en direction du pré de David. Je ne lâchais pas la trace et je pus alors assister à un spectacle extraordinaire dont les scènes hanteront ma mémoire à tout jamais…

Autour du gros noyer du pré voletait une nuée obscure de chauves-souris alors que sautillaient au sol quelques gros crapauds en compagnie de loups tout aussi foncés, réunis là par je ne sais quel sortilège !

Une musique étrange venue de nulle part imposait bientôt un rythme syncopé entraînant ces êtres hideux dans une folle farandole. Bientôt un colosse cornu sortit du bois, interrompant la danse traditionnelle du sabbat. Avec des cris gutturaux, soulignés d’atroces grimaces, le monstre présenta son postérieur à l’assistance, puis levant son appendice caudal il invita chacun à venir baiser ses fesses comparables à un second visage. Puis bénissant l’assemblée de ses séides avec de la pisse, le Diable offrit un affreux banquet cannibale où circulaient les plats de tripailles de malheureux défunts dont chacun pouvait se repaître.

Le sinistre festin s’acheva aux premières lueurs de l’aube. Chacun reçut alors les consignes du Maître, avant de retourner dans le monde des humains pour y commettre ses méfaits.

Plus tard, sur le chemin du retour, la louve noire avec son sourire carnassier et ses yeux dorés en amande posa sur moi son fascinant regard. Je compris alors que ma dernière heure était arrivée.

L’écume aux lèvres, l’animal bondit sur moi en grondant, me renversant dans la neige. Déjà ses crocs s’enfonçaient dans mon bras replié pour protéger mon visage.

Si  elle parvenait à refermer sa mâchoire sur ma gorge, ma fin serait immédiate.

Saisissant mon couteau, je plongeais sa lame dans la chaude fourrure vers le cœur de l’animal qui soudain s’amollit avant de m’écraser sous son poids. 

Lorsque je revins sur les lieux de l’attaque, en compagnie de mon grand-père, seule la neige rougie attestait encore de la réalité du combat, curieusement, la dépouille de la bête avait disparu.

Dans la journée, nous apprîmes le décès d’Augusta, à la suite d’une malencontreuse chute sur un chenet. Le jour suivant, le glas sonna vainement pour accompagner le départ de l’âme de la louve noire, vers un au-delà qu’elle avait si souvent fréquenté.

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 €  contacter: edmondrossi@wanadoo.fr

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com 

14/07/2012

PARC NATIONAL DU MERCANTOUR, TOUT SAVOIR...

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Créé en 1979, il a pour objectifs de protéger le patrimoine naturel, de sensibiliser les visiteurs à la fragilité de ses espaces et de valoriser ses richesses qui contribuent au développement local.

Les 68 500 ha qui constituent la zone centrale, à cheval sur les Alpes-Maritimes

(22 communes) et les Alpes-de-Haute-Provence (6 communes), sont la partie française de l'ancienne réserve de chasse des rois d'Italie qui occupait avant 1861 les deux versants des Alpes. Depuis 1987, le Parc national du Mercantour

est jumelé avec son homologue italien le Parco Naturale delle Alpi Marittime, partageant 33 km de frontière. Ces deux organismes s'associent sur différents dossiers: le suivi des espèces animales qui parcourent l'ensemble de

ce domaine protégé, la mise en place d'une signalétique transfrontalière, etc.

Ils travaillent à la présentation d'une candidature commune pour un classement au Patrimoine mondial de l'Unesco (les deux Parcs sont inscrits sur la liste indicative française depuis 2003). En 2013, ils devraient former le premier «parc européen », En 2006, ils ont élaboré un plan d’action commun et en juillet 2007 a débuté le plus vaste inventaire européen sur la.blodiverslté. surun territoire de 10 km’, à la frontière des deux Parcs : il permettra de suivre l’évolution des espèces répertoriées sur 10 ans.

Un milieu préservé

Le Mercantour est le seul massif européen à accueillir les trois ongulés montagnards, amoureux des cirques, vallées glaciaires et gorges profondes du Parc : chamois (plus de 9000), mouflons (890) et bouquetins des Alpes (plus de 520). Les milieux boisés de moyenne altitude abritent le cerf et le chevreuil, ou le lièvre, l’hermine et la marmotte. Les volatiles comprennent le tétras-lyre, la perdrix des neiges, ou lagopède, et un bel échantillon de rapaces : circaète, aigle royal. La réintroduction du gypaète barbu s’y est effectuée avec succès, et pour la première fois en France depuis 1942, des loups ont effectué un retour naturel (des plus controversés) dans le massif du Mercantour, depuis l’Italie où ils sont protégés.

Outre le mélèze, la plus célèbre parmi les 2000 espèces végétales représentées (dont 220 rares) : le Saxifrage florulenta (espèce endémique qui fleurit une fois dans sa vie), premier symbole du Parc. Du rhododendron à la gentiane, en passant par une soixantaine de variétés d’orchidées, le Parc offre toute une palette de couleurs.    .

Entre 590 et 3 143 m d’altitude, de très beaux paysages vous attendent sur un parcours de 600 km de sentiers aménagés, dont le GR 5 et le GR 52A, le sentier panoramique du Mercantour.

Réglementation dans la zone centrale

Des panneaux vous rappelleront les règles à respecter : circulation interdite aux véhicules et aux VTT, chiens non admis (même en laisse), ne pas cueillir de plantes ni prélever de minéraux, ne pas faire de bruit, remporter ses déchets, ne pas allumer de feu, camping interdit.

En savoir plus ?

Consultez les deux ouvrages d’Edmond ROSSI « Les Vallées du Soleil » et « Fantastique Vallée des Merveilles » (Editions Robert Laffont  Paris), ces livres sont disponibles sur demande à edmondrossi@wanadoo.fr au prix de 15 € 

06/07/2012

SAUVAGES ET HÉROÏQUES "BARBETS" DU COMTÉ DE NICE

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La Révolution française déclenche dans le Pays de Nice où elle est importée, une «Chouannerie» animée par les Barbets, paysans montagnards qui combattent au côté des Sardes avant de se reconvertir dans le brigandage lors de leur démobilisation.

Au XV111ème siècle, le Comté de Nice appartient au Royaume de Sardaigne, où, dès 1760, des réformes ont rendu caduques les institutions féodales. Région rurale à fortes pratiques communautaires, le Pays Niçois conserve un attachement inébranlable aux valeurs culturelles du catholicisme. Le peuple reste empreint d'une profonde religiosité incompatible avec l'athéisme républicain, apprécié seulement par une poignée de nobles citadins. La vente des biens nationaux acquise par une minorité bourgeoise sera perçue par les paysans comme une frustration.

Refuge des émigrés provençaux, Nice baptisé «le petit Coblentz» devient dès 1789 un foyer de contre révolution, dont les idées pénètrent une large couche de la population. Très vite, le poids des réquisitions ajouté aux pratiques déchristianisatrices active l'exaspération populaire. Les premiers signes d'opposition entraînent la répression brutale des volontaires nationaux de l'armée française, amplifiant les mouvements de résistance à une occupation étrangère à priori tolérée.

Ces explications du phénomène de refus de la Révolution sont prises et analysées ainsi par le Commissaire Bertrand le 5 septembre 1798: «Les Français entrés dans le Comté de Nice purent parcourir avec des guides les communes du département, sans trouver aucune résistance. Ils étaient partout bien reçus, mais la conduite qu'ils tinrent à U telle, Lantosque, la Bollène, Belvédère et Roquebillière fut cause que les habitants de ces communes et autres voisines prirent les armes pour défendre leurs biens, leurs femmes et leurs propriétés, les en chassèrent et les poursuivirent jusqu'à Utelle. Depuis cette époque s'est formée l'armée des Barbets qui ont tant inquiété les troupes françaises par leur brigandage...».

Les mêmes excès de l'armée française avaient été dénoncés, en leur temps, à la Convention, par le député Goupilleau, le 18 novembre 1792 : «Les vols, les pillages, les viols, les concussions arbitraires, la violation des droits de I 'hospitalité, la bonne foi trahie, la chaumière du pauvre insultée, l'impunité de tous ces crimes se continuent, voilà les fléaux qui affligent une région que vous avez rendue à la liberté et où vous avez voulu que les personnes et les propriétés fussent placées sous l'égide de la République française...».

 L'Abbé Grégoire le 1er juillet 1793 reprendra le même thème accusant les horreurs «qui ont conduit au désespoir et provoqué des vengeances: beaucoup de ces malheureux, voyant leurs familles se traîner dans la misère, sont allés dans l'armée ennemie chercher du pain ou la mort».

Henri Sappia au début de notre siècle donne une description pittoresque de ces terribles francs-tireurs:

«Leur teint fort basané n'est pas embelli par les os saillants de leur figure en triangle: des sourcils fort épais au bas d'un front large et monteux rendent hagards les yeux dont les mouvements dans l'orbite sont bien loin d'être uniformes; leur tête est hérissée de crins que la dent du buis ou du faine n'a jamais divisés; quelques uns même laissent croître leur barbe à peu près de la même espèce que leurs cheveux... Le costume... est le même, je crois depuis l'origine du monde, les peaux de chèvres ou de moutons non préparées en font tous les frais. Sur ces peaux, ils jettent quelquefois une mandrille de joncs non tressés ou tissus, dont le bruissement n'est pas fort agréable; sans la tête qui domine, on les prendrait pour des bêtes fauves à couvert sous une tanière mobile, leurs tempes à l'époque des neiges et des frimas sont entourées de bandelettes blanches, dépouilles de leurs nombreuses victimes... De leur épaule gauche pend une espèce de bissac ou gibecière dans laquelle se trouve toujours, avec quelques aliments grossiers, l'image d'un saint ou le jeu du «tarroco»...».

Le théâtre de leurs exploits couvre les hautes vallées des Alpes Maritimes et l'est du département. Quels motifs poussent ces hommes à lutter aussi farouchement contre leur intégration dans la nouvelle République française ? Il semble surtout s'agir d'un refus radical de tout ce qui bouleverse les structures sociales ancestrales. Les Barbets s'opposent en cela au nom d'une idéologie réactionnaire au progrès social et à l'émancipation civile, estimant que le monde de la tradition leur garantit plus d'équité.

Voici la déclaration faite à Masséna par un chef des Barbets d'Utelle, arrêté près de Duranus au tristement célèbre «Saut des Français»:

«Je défends mon pays; vous êtes les plus nombreux et nous multiplions nos forces par la ruse et l'audace. Que nous font vos libertés et la gloire d'appartenir à une nation plus grande que la nôtre. Nous leur préférons les franchises (privilèges accordés par les souverains) de nos ancêtres et nos petites tribus montagnardes. Nous n'avons pas été vous attaquer chez vous, c'est vous qui êtes venus nous piller et nous chasser de nos foyers. Faites de moi ce que vous voudrez, le sacrifice de mon existence appartient à mon Roi...».

La complicité du clergé jointe à la ferveur religieuse encourage la haine des principes républicains et de leurs symboles, les arbres de la liberté. Systématiquement coupés et arrachés, la destruction de ces emblèmes de l'administration française s'accompagne de processions publiques et de chants liturgiques.

De 1793 à 1796, les actes de guérilla des Barbets soutiennent la guerre de position poursuivie entre la France et le Royaume de Sardaigne. On recense encore 1670 Barbets en 1797 et près de 400 en 1801. La population attentiste choisit la loi du silence, quand ce n'est pas la solidarité. Proches de leurs villages, de nombreux Barbets poursuivent leurs activités de bergers ou de bûcherons avec le soutien de leurs familles et de leurs amis.

Le traité de paix du 15 mai 1796 mettant fin aux hostilités entre le Royaume de Sardaigne et la République française, les Barbets seront incorporés jusqu'à cette date

dans les compagnies sardes des «Chasseurs de Nice». Les trois quarts d'entre eux sont des paysans, le reste se compose d'artisans et de commerçants. Ces auxiliaires intrépides connaissent le terrain, conduisent leurs coups de main comme une chasse aux chamois. Les moyens mis en oeuvre pour neutraliser leurs bandes qui infestent la montagne ne font pourtant pas défaut (900 hommes à Tende en août 1796). On créera des commissions militaires ou Tribunaux Criminels encourageant la délation, on exécutera les suspects, emprisonnera les otages (l'Escarène), on promènera jusqu'à Nice le cadavre d'un de leurs chefs (Fulconis août 1796). La répression reste impuissante.

Pendant la période napoléonienne, les rangs des Barbets vont se gonfler de nombreux conscrits réfractaires. Dans les Alpes Maritimes 80 % des conscrits échappent au service militaire! A ces insoumis s'ajoutent des déserteurs, des proscrits politiques et des hors-la-loi en tout genre. Le Barbétisme évolue vers le brigandage profitant d'une période trouble. Le phénomène se poursuivra jusqu'à la chute de l'Empire en 1815 et au retour du Pays de Nice à la maison de Savoie.

En dehors du sinistre «Saut des Français» près de Duranus, où les Barbets poussaient dans l'abîme les suspects de sentiments républicains, bien des lieux conservent le souvenir de leurs exploits légendaires. De leur repaire, dans les ruines de Roccasparvièra au-dessus de Coaraze, les Barbets contrôlaient les communications sur les artères vitales de 12 Vésubie et du Paillon. Ils s'installèrent même à proximité de Nice au quartier du Ray! Mai~ autour des villages des centaines de bastides, éparpillées dans la campagne pour permettre une culture éloignée des villages, leur servirent longtemps de refuge.

Pour illustrer le climat de résistance farouche et de répression impitoyable, voici deux témoignages recueillis dans «l 'Histoire de la Révolution Française dans les Alpes Maritimes» du chanoine Tisserand (1878): «Mais jugez par le crime suivant

l 'horreur qu'inspiraient les Barbets. Dans une pauvre maison située entre Laude et Lantosque étaient restées une femme et ses deux filles. Le père de famille et son fils, déserteurs, et des Sardes et des Français, couraient la montagne avec les Barbets. Ils ne revenaient au logis que la nuit, et avant le point du jour, ils s'en allaient armés. Ces gens là avaient eu une certaine aisance et tenu auberge avant 1793. Ils étaient doués, raconte Alexandre Dumas, d'une force herculéenne. Or, par une soirée brumeuse de novembre l794, vers quatre heures du soir, dix éclaireurs français surpris par la neige et par la pluie frappèrent à la porte de la maison. On ne répondit rien d'abord. Ils frappèrent encore rudement, et la pauvre femme ayant caché ses deux filles dans une espèce de réduit que fermait une porte vermoulue se hasarda d'ouvrir: «Dieu vous en a pris, la femme, dit le sergent-major; sans cela vous passiez un mauvais quart d'heure. Avez-vous quelque chose à nous donner à manger ? Allons vite, dépêchons, entendez-vous, la mère ?

- Messieurs, répondit-elle alors, vous ne savez que nous n'avons plus rien dans ce pays-ci. Je vais vous offrir du peu qu'il nous reste».

Et elle tira de l'armoire du pain dur comme la pierre puis une sorte de chose qui ressemblait à du fromage. Elle mit quelques fascines dans l’âtre, et chacun se blottit là comme il put. Le sergent-major paraissait jouir d'un grand ascendant sur ses hommes. Ainsi quand ils demandèrent du vin:

«Est-ce qu'il y a du vin dans ce pays-ci ? dit le sergent à ses soldats. Quand on a pas de vin, on boit de l'eau. Faites comme moi.

- Quel pain de chien! dit l'un d'eux.

- Encore heureux d'en trouver. Si tu le trouves trop dur, fais comme moi, trempe le dans l'eau».

La pauvre femme revenait un peu à elle et la conversation s'engageait même entre elle et le sergent, si bien qu'elle alla tirer du fond d'un placard une bonne bouteille d ' eau-de-vie. Ce qui mit chacun en liesse. La bonne femme avait parlé de ses filles. Les soldats demandèrent aussitôt où elles étaient, et voilà qu'ils font le tapage. Les filles s'élançaient par la fenêtre en fuyant. Cependant entrent le père et son fils. Les soldats restent interdits à la vue de ces rudes montagnards qui portaient leurs fusils en bandoulière, et avaient sous leur large chapeau une figure qui imposait.

- Femme, dit le père, en regardant les éclaireurs français, as-tu donné à ces braves ce qu'ils demandent ?

- Oui, tout ce que j'avais, mais...

- Allons, ne vois-tu pas qu'il fait froid, que chacun de nous est fatigué. Vas nous chercher ce que tu as de mieux dans la cachette.

- J'y vais, répondit la femme.

- Il ne sera pas dit que des soldats français soient venus chez nous sans être satisfaits».

Le sergent ne soufflait mot, les autres soldats se félicitaient d'avoir si bien rencontré. L'eau-de-vie arrive., Le Lantosquin verse rasade sur rasade et trinque avec eux, jusqu'à ce que nos soldats déraisonnent, et tombent d'ivresse. Oh! Maintenant, écoutez. Quelle horreur! Le père et le fils s'armant chacun d'une hache abattent l'une après l'autre les têtes de ces infortunés, et les jettent dans le gouffre à côté. La nuit cacha cet horrible forfait. En une heure, tout fut expédié. Le lendemain éclaira ces deux crimes. lorsqu'on eut trouvé ces corps mutilés, on avisa le général Garnier; on fouilla dans tous les environs. A Nice, le comité et les administrations poussèrent de hauts cris, on redoubla de sévérité à l'égard des Vésubiens, surtout à l'approche des fêtes de Noël. Mais plus l'on sévissait, plus les Barbets frappaient dans l'ombre.

Ils continuèrent leurs scélératesses en 1795 et conspirèrent même contre les jours de Kellermann. Le vainqueur de Valmy , montant en voiture la pente escarpée qui conduit sur les hauteurs de l'Escarène, au même endroit où Sallicetti avait failli périr, entend le sifflement d'une balle qui traverse la portière et effleure son front. L'aide de camp s'élance aussitôt, et le pistolet à la main court aux brigands, et aidé de ses hommes, il parvient à en arrêter trois, qu'on expédia bien vite...

«Pour en finir, on forma des meilleurs tireurs et des gens les plus décidés une troupe de chasseurs qui eurent pour chef le Corse Albertini, et dont le quartier général fut à Lantosque. On mit de nouveau à prix la tête des Barbets. C'est ainsi que nous lisons sur les registres de Belvédère 50 fr. de gratification à Joseph Castelli de Belvédère pour avoir tué de sa main le Barbet, Otto de Lantosque. Le maire de Lantosque écrit au juge de Coni que le Barbet Salari, dit Renard, poursuivi par ses gardes nationaux, s'est réfugié dans sa province. Grasse, Saint-Paul, Puget-Théniers, tous les districts en 1795 font la chasse aux Barbets.» Parmi les chefs de bandes, un des plus fameux Charles Christini de la Vésubie se livra à toutes sortes d'exactions, faisant trembler les habitants de la vallée par le seul énoncé de son nom. Passé plusieurs fois au travers des mailles du filet, il revint à la fin de la guerre à Roquebillière pour y terminer une existence paisible et s 'y éteindre en 1844. Sur ses vieux jours, il se vantait encore avoir tué plus de Français qu'il n'avait de cheveux sur la tête! On affirmait alors qu'il avait enfoui des trésors dans le vallon d'Espagliart, malheureusement perdus à cause des crues. Dans les villages de la montagne, de nombreuses familles se flattent encore aujourd'hui d'avoir eu comme ancêtre un de ces terribles Barbets, défenseurs en leur temps des valeurs traditionnelles du Pays de Nice.

 

 

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

  

Des histoires extraordinaires naissent sous tous les cieux, mais seul un cadre favorable les fait éclore. 

La situation géographique du Pays d’Azur où les Alpes plongent dans la mer dans un chaos de montagnes et de vallées profondes lui confère déjà un caractère exceptionnel. Les climats qui s 'y étagent de la douceur méditerranéenne de la côte aux frimas polaires des hauts sommets sont tout aussi contrastés. Si l'on ajoute que l'homme a résidé sur ces terres d'opposition depuis ses origines, on ne peut s'étonner de trouver en lui la démesure du fantastique révélée par les outrances du décor. 

Cet environnement propice ne devait pas manquer de pro­duire dans la vie de ses habitants une saga où l'imaginaire rejoint naturellement la réalité. 

Depuis les milliers d'étranges gravures tracées à l'Age du Bronze sur les pentes du Mont Bégo dans la Vallée des Merveilles, en passant par les fabuleux miracles de la légende dorée des premiers chrétiens, ou les fresques tragiques des chapelles du Haut-Pays, jusqu'aux héroïques faits d'armes des Barbets pendant la Révolution française, longue est la chronique des «Histoires extraordinaires» du Pays de Nice, s'étalant dans la pierre et la mémoire de ses habitants. 

Par un survol du passionnant passé de cette région, qu'il connaît bien, Edmond Rossi nous entraîne à travers une cinquantaine de récits mêlant la réalité historique au fantastique de la légende. 

Rappelons qu'Edmond ROSSI, né à Nice, est entre autres l'auteur de deux ouvrages d'Histoire appréciés, dont «Fantastique Vallée des Merveilles», d'une étude sur les traditions et le passé des Alpes du Sud: «Les Vallées du Soleil» et d'un recueil de contes et légendes de Nice et sa région: «Entre neige et soleil».

 

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