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06/07/2012

SAUVAGES ET HÉROÏQUES "BARBETS" DU COMTÉ DE NICE

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La Révolution française déclenche dans le Pays de Nice où elle est importée, une «Chouannerie» animée par les Barbets, paysans montagnards qui combattent au côté des Sardes avant de se reconvertir dans le brigandage lors de leur démobilisation.

Au XV111ème siècle, le Comté de Nice appartient au Royaume de Sardaigne, où, dès 1760, des réformes ont rendu caduques les institutions féodales. Région rurale à fortes pratiques communautaires, le Pays Niçois conserve un attachement inébranlable aux valeurs culturelles du catholicisme. Le peuple reste empreint d'une profonde religiosité incompatible avec l'athéisme républicain, apprécié seulement par une poignée de nobles citadins. La vente des biens nationaux acquise par une minorité bourgeoise sera perçue par les paysans comme une frustration.

Refuge des émigrés provençaux, Nice baptisé «le petit Coblentz» devient dès 1789 un foyer de contre révolution, dont les idées pénètrent une large couche de la population. Très vite, le poids des réquisitions ajouté aux pratiques déchristianisatrices active l'exaspération populaire. Les premiers signes d'opposition entraînent la répression brutale des volontaires nationaux de l'armée française, amplifiant les mouvements de résistance à une occupation étrangère à priori tolérée.

Ces explications du phénomène de refus de la Révolution sont prises et analysées ainsi par le Commissaire Bertrand le 5 septembre 1798: «Les Français entrés dans le Comté de Nice purent parcourir avec des guides les communes du département, sans trouver aucune résistance. Ils étaient partout bien reçus, mais la conduite qu'ils tinrent à U telle, Lantosque, la Bollène, Belvédère et Roquebillière fut cause que les habitants de ces communes et autres voisines prirent les armes pour défendre leurs biens, leurs femmes et leurs propriétés, les en chassèrent et les poursuivirent jusqu'à Utelle. Depuis cette époque s'est formée l'armée des Barbets qui ont tant inquiété les troupes françaises par leur brigandage...».

Les mêmes excès de l'armée française avaient été dénoncés, en leur temps, à la Convention, par le député Goupilleau, le 18 novembre 1792 : «Les vols, les pillages, les viols, les concussions arbitraires, la violation des droits de I 'hospitalité, la bonne foi trahie, la chaumière du pauvre insultée, l'impunité de tous ces crimes se continuent, voilà les fléaux qui affligent une région que vous avez rendue à la liberté et où vous avez voulu que les personnes et les propriétés fussent placées sous l'égide de la République française...».

 L'Abbé Grégoire le 1er juillet 1793 reprendra le même thème accusant les horreurs «qui ont conduit au désespoir et provoqué des vengeances: beaucoup de ces malheureux, voyant leurs familles se traîner dans la misère, sont allés dans l'armée ennemie chercher du pain ou la mort».

Henri Sappia au début de notre siècle donne une description pittoresque de ces terribles francs-tireurs:

«Leur teint fort basané n'est pas embelli par les os saillants de leur figure en triangle: des sourcils fort épais au bas d'un front large et monteux rendent hagards les yeux dont les mouvements dans l'orbite sont bien loin d'être uniformes; leur tête est hérissée de crins que la dent du buis ou du faine n'a jamais divisés; quelques uns même laissent croître leur barbe à peu près de la même espèce que leurs cheveux... Le costume... est le même, je crois depuis l'origine du monde, les peaux de chèvres ou de moutons non préparées en font tous les frais. Sur ces peaux, ils jettent quelquefois une mandrille de joncs non tressés ou tissus, dont le bruissement n'est pas fort agréable; sans la tête qui domine, on les prendrait pour des bêtes fauves à couvert sous une tanière mobile, leurs tempes à l'époque des neiges et des frimas sont entourées de bandelettes blanches, dépouilles de leurs nombreuses victimes... De leur épaule gauche pend une espèce de bissac ou gibecière dans laquelle se trouve toujours, avec quelques aliments grossiers, l'image d'un saint ou le jeu du «tarroco»...».

Le théâtre de leurs exploits couvre les hautes vallées des Alpes Maritimes et l'est du département. Quels motifs poussent ces hommes à lutter aussi farouchement contre leur intégration dans la nouvelle République française ? Il semble surtout s'agir d'un refus radical de tout ce qui bouleverse les structures sociales ancestrales. Les Barbets s'opposent en cela au nom d'une idéologie réactionnaire au progrès social et à l'émancipation civile, estimant que le monde de la tradition leur garantit plus d'équité.

Voici la déclaration faite à Masséna par un chef des Barbets d'Utelle, arrêté près de Duranus au tristement célèbre «Saut des Français»:

«Je défends mon pays; vous êtes les plus nombreux et nous multiplions nos forces par la ruse et l'audace. Que nous font vos libertés et la gloire d'appartenir à une nation plus grande que la nôtre. Nous leur préférons les franchises (privilèges accordés par les souverains) de nos ancêtres et nos petites tribus montagnardes. Nous n'avons pas été vous attaquer chez vous, c'est vous qui êtes venus nous piller et nous chasser de nos foyers. Faites de moi ce que vous voudrez, le sacrifice de mon existence appartient à mon Roi...».

La complicité du clergé jointe à la ferveur religieuse encourage la haine des principes républicains et de leurs symboles, les arbres de la liberté. Systématiquement coupés et arrachés, la destruction de ces emblèmes de l'administration française s'accompagne de processions publiques et de chants liturgiques.

De 1793 à 1796, les actes de guérilla des Barbets soutiennent la guerre de position poursuivie entre la France et le Royaume de Sardaigne. On recense encore 1670 Barbets en 1797 et près de 400 en 1801. La population attentiste choisit la loi du silence, quand ce n'est pas la solidarité. Proches de leurs villages, de nombreux Barbets poursuivent leurs activités de bergers ou de bûcherons avec le soutien de leurs familles et de leurs amis.

Le traité de paix du 15 mai 1796 mettant fin aux hostilités entre le Royaume de Sardaigne et la République française, les Barbets seront incorporés jusqu'à cette date

dans les compagnies sardes des «Chasseurs de Nice». Les trois quarts d'entre eux sont des paysans, le reste se compose d'artisans et de commerçants. Ces auxiliaires intrépides connaissent le terrain, conduisent leurs coups de main comme une chasse aux chamois. Les moyens mis en oeuvre pour neutraliser leurs bandes qui infestent la montagne ne font pourtant pas défaut (900 hommes à Tende en août 1796). On créera des commissions militaires ou Tribunaux Criminels encourageant la délation, on exécutera les suspects, emprisonnera les otages (l'Escarène), on promènera jusqu'à Nice le cadavre d'un de leurs chefs (Fulconis août 1796). La répression reste impuissante.

Pendant la période napoléonienne, les rangs des Barbets vont se gonfler de nombreux conscrits réfractaires. Dans les Alpes Maritimes 80 % des conscrits échappent au service militaire! A ces insoumis s'ajoutent des déserteurs, des proscrits politiques et des hors-la-loi en tout genre. Le Barbétisme évolue vers le brigandage profitant d'une période trouble. Le phénomène se poursuivra jusqu'à la chute de l'Empire en 1815 et au retour du Pays de Nice à la maison de Savoie.

En dehors du sinistre «Saut des Français» près de Duranus, où les Barbets poussaient dans l'abîme les suspects de sentiments républicains, bien des lieux conservent le souvenir de leurs exploits légendaires. De leur repaire, dans les ruines de Roccasparvièra au-dessus de Coaraze, les Barbets contrôlaient les communications sur les artères vitales de 12 Vésubie et du Paillon. Ils s'installèrent même à proximité de Nice au quartier du Ray! Mai~ autour des villages des centaines de bastides, éparpillées dans la campagne pour permettre une culture éloignée des villages, leur servirent longtemps de refuge.

Pour illustrer le climat de résistance farouche et de répression impitoyable, voici deux témoignages recueillis dans «l 'Histoire de la Révolution Française dans les Alpes Maritimes» du chanoine Tisserand (1878): «Mais jugez par le crime suivant

l 'horreur qu'inspiraient les Barbets. Dans une pauvre maison située entre Laude et Lantosque étaient restées une femme et ses deux filles. Le père de famille et son fils, déserteurs, et des Sardes et des Français, couraient la montagne avec les Barbets. Ils ne revenaient au logis que la nuit, et avant le point du jour, ils s'en allaient armés. Ces gens là avaient eu une certaine aisance et tenu auberge avant 1793. Ils étaient doués, raconte Alexandre Dumas, d'une force herculéenne. Or, par une soirée brumeuse de novembre l794, vers quatre heures du soir, dix éclaireurs français surpris par la neige et par la pluie frappèrent à la porte de la maison. On ne répondit rien d'abord. Ils frappèrent encore rudement, et la pauvre femme ayant caché ses deux filles dans une espèce de réduit que fermait une porte vermoulue se hasarda d'ouvrir: «Dieu vous en a pris, la femme, dit le sergent-major; sans cela vous passiez un mauvais quart d'heure. Avez-vous quelque chose à nous donner à manger ? Allons vite, dépêchons, entendez-vous, la mère ?

- Messieurs, répondit-elle alors, vous ne savez que nous n'avons plus rien dans ce pays-ci. Je vais vous offrir du peu qu'il nous reste».

Et elle tira de l'armoire du pain dur comme la pierre puis une sorte de chose qui ressemblait à du fromage. Elle mit quelques fascines dans l’âtre, et chacun se blottit là comme il put. Le sergent-major paraissait jouir d'un grand ascendant sur ses hommes. Ainsi quand ils demandèrent du vin:

«Est-ce qu'il y a du vin dans ce pays-ci ? dit le sergent à ses soldats. Quand on a pas de vin, on boit de l'eau. Faites comme moi.

- Quel pain de chien! dit l'un d'eux.

- Encore heureux d'en trouver. Si tu le trouves trop dur, fais comme moi, trempe le dans l'eau».

La pauvre femme revenait un peu à elle et la conversation s'engageait même entre elle et le sergent, si bien qu'elle alla tirer du fond d'un placard une bonne bouteille d ' eau-de-vie. Ce qui mit chacun en liesse. La bonne femme avait parlé de ses filles. Les soldats demandèrent aussitôt où elles étaient, et voilà qu'ils font le tapage. Les filles s'élançaient par la fenêtre en fuyant. Cependant entrent le père et son fils. Les soldats restent interdits à la vue de ces rudes montagnards qui portaient leurs fusils en bandoulière, et avaient sous leur large chapeau une figure qui imposait.

- Femme, dit le père, en regardant les éclaireurs français, as-tu donné à ces braves ce qu'ils demandent ?

- Oui, tout ce que j'avais, mais...

- Allons, ne vois-tu pas qu'il fait froid, que chacun de nous est fatigué. Vas nous chercher ce que tu as de mieux dans la cachette.

- J'y vais, répondit la femme.

- Il ne sera pas dit que des soldats français soient venus chez nous sans être satisfaits».

Le sergent ne soufflait mot, les autres soldats se félicitaient d'avoir si bien rencontré. L'eau-de-vie arrive., Le Lantosquin verse rasade sur rasade et trinque avec eux, jusqu'à ce que nos soldats déraisonnent, et tombent d'ivresse. Oh! Maintenant, écoutez. Quelle horreur! Le père et le fils s'armant chacun d'une hache abattent l'une après l'autre les têtes de ces infortunés, et les jettent dans le gouffre à côté. La nuit cacha cet horrible forfait. En une heure, tout fut expédié. Le lendemain éclaira ces deux crimes. lorsqu'on eut trouvé ces corps mutilés, on avisa le général Garnier; on fouilla dans tous les environs. A Nice, le comité et les administrations poussèrent de hauts cris, on redoubla de sévérité à l'égard des Vésubiens, surtout à l'approche des fêtes de Noël. Mais plus l'on sévissait, plus les Barbets frappaient dans l'ombre.

Ils continuèrent leurs scélératesses en 1795 et conspirèrent même contre les jours de Kellermann. Le vainqueur de Valmy , montant en voiture la pente escarpée qui conduit sur les hauteurs de l'Escarène, au même endroit où Sallicetti avait failli périr, entend le sifflement d'une balle qui traverse la portière et effleure son front. L'aide de camp s'élance aussitôt, et le pistolet à la main court aux brigands, et aidé de ses hommes, il parvient à en arrêter trois, qu'on expédia bien vite...

«Pour en finir, on forma des meilleurs tireurs et des gens les plus décidés une troupe de chasseurs qui eurent pour chef le Corse Albertini, et dont le quartier général fut à Lantosque. On mit de nouveau à prix la tête des Barbets. C'est ainsi que nous lisons sur les registres de Belvédère 50 fr. de gratification à Joseph Castelli de Belvédère pour avoir tué de sa main le Barbet, Otto de Lantosque. Le maire de Lantosque écrit au juge de Coni que le Barbet Salari, dit Renard, poursuivi par ses gardes nationaux, s'est réfugié dans sa province. Grasse, Saint-Paul, Puget-Théniers, tous les districts en 1795 font la chasse aux Barbets.» Parmi les chefs de bandes, un des plus fameux Charles Christini de la Vésubie se livra à toutes sortes d'exactions, faisant trembler les habitants de la vallée par le seul énoncé de son nom. Passé plusieurs fois au travers des mailles du filet, il revint à la fin de la guerre à Roquebillière pour y terminer une existence paisible et s 'y éteindre en 1844. Sur ses vieux jours, il se vantait encore avoir tué plus de Français qu'il n'avait de cheveux sur la tête! On affirmait alors qu'il avait enfoui des trésors dans le vallon d'Espagliart, malheureusement perdus à cause des crues. Dans les villages de la montagne, de nombreuses familles se flattent encore aujourd'hui d'avoir eu comme ancêtre un de ces terribles Barbets, défenseurs en leur temps des valeurs traditionnelles du Pays de Nice.

 

 

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

  

Des histoires extraordinaires naissent sous tous les cieux, mais seul un cadre favorable les fait éclore. 

La situation géographique du Pays d’Azur où les Alpes plongent dans la mer dans un chaos de montagnes et de vallées profondes lui confère déjà un caractère exceptionnel. Les climats qui s 'y étagent de la douceur méditerranéenne de la côte aux frimas polaires des hauts sommets sont tout aussi contrastés. Si l'on ajoute que l'homme a résidé sur ces terres d'opposition depuis ses origines, on ne peut s'étonner de trouver en lui la démesure du fantastique révélée par les outrances du décor. 

Cet environnement propice ne devait pas manquer de pro­duire dans la vie de ses habitants une saga où l'imaginaire rejoint naturellement la réalité. 

Depuis les milliers d'étranges gravures tracées à l'Age du Bronze sur les pentes du Mont Bégo dans la Vallée des Merveilles, en passant par les fabuleux miracles de la légende dorée des premiers chrétiens, ou les fresques tragiques des chapelles du Haut-Pays, jusqu'aux héroïques faits d'armes des Barbets pendant la Révolution française, longue est la chronique des «Histoires extraordinaires» du Pays de Nice, s'étalant dans la pierre et la mémoire de ses habitants. 

Par un survol du passionnant passé de cette région, qu'il connaît bien, Edmond Rossi nous entraîne à travers une cinquantaine de récits mêlant la réalité historique au fantastique de la légende. 

Rappelons qu'Edmond ROSSI, né à Nice, est entre autres l'auteur de deux ouvrages d'Histoire appréciés, dont «Fantastique Vallée des Merveilles», d'une étude sur les traditions et le passé des Alpes du Sud: «Les Vallées du Soleil» et d'un recueil de contes et légendes de Nice et sa région: «Entre neige et soleil».

 

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http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

 

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