Au début du XIIIème siècle, la Provence est dirigée par le Comte Raymond Bérenger V qui rétablit son autorité tout en confirmant les franchises. Il se heurtera dans sa démarche au désir d’indépendance des grandes villes et à l’indocilité de certains de ses vassaux, particulièrement situés à l’Est du Var. Le comte sera secondé dans ses entreprises par un fidèle et zélé serviteur : le grand Romée de Villeneuve. Le jour où le futur sénéchal de Provence croisa la route de Raymond Bérenger, il se rendait en pèlerinage à Rome depuis sa Catalogne natale. Le comte, lui aussi d’origine catalane, avait demandé peu de temps auparavant à Dieu de lui venir en aide, alors que seul il doutait de la fidélité et de la sincérité de son entourage. Pour le comte, cette rencontre ne pouvait être le fait du hasard, il y vit comme le signe évident d’une intercession divine. Il offrit sans hésiter le gîte et le couvert à cet étrange messager. Il faut dire que « Romieu », conduit vers Rome sur la tombe du premier martyr de la chrétienté, avait déjà accompli le fameux pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. L’homme portait la tenue habituelle des pèlerins : un large chapeau de feutre, une robe de bure, la panetière en bandoulière, un grand bâton en main avec, accrochée au sommet, la gourde traditionnelle. Son costume, son visage barbu emprunt d’une pieuse dignité inspiraient au premier coup d’œil un sentiment de respectueuse sympathie. Le pèlerin accepta l’hospitalité qu’il supposait offerte par un simple particulier, ignorant avoir à faire au comte de Provence. Chemin faisant, il répondit librement aux interrogations du noble personnage. La délicatesse de Romée, son désintéressement, son apparente droiture d’esprit achevèrent de convaincre Raymond Bérenger. Cette rencontre ne pouvant être fortuite, ce pèlerin était envoyé là par la Providence. Puis, les relations devenant plus intimes, le comte dévoila au voyageur sa véritable identité en le priant de rester à ses côtés pour l’aider à gouverner la Provence de manière juste et équitable. Le soir même, après avoir obéi aux sollicitations du comte, le Romieu s’installait au château en qualité d’intendant avant de devenir l’homme de confiance et le premier ministre du souverain de Provence. Romée, dépouillé de son habit de pèlerin, revêtit les brillantes parures dévolues à son rang, siégeant avec les principaux gentilshommes de Provence, sans se laisser aveugler par ses nouvelles fonctions. Le jour où il dut quitter sa robe de bure pour revêtir sa nouvelle tenue, il rangea soigneusement ses pauvres vêtements de voyageur dans un coffre qu’il dissimula dans un coin secret de son nouvel appartement. Devenu seigneur de Villeneuve, Romée entreprit de gouverner avec sagesse, justice, rigueur et piété. Conduite avec de telles dispositions d’esprit, sa politique ne pouvait que réussir et ses efforts être récompensés. Le gaspillage et la concussion disparaissant, la prospérité réapparut. Le nouveau ministre mit fin aux injustices, punissant les profiteurs de tout rang, jusque là maintenus à l’abri des rigueurs de la loi. Cette équité eut les meilleurs effets sur la tranquillité publique. Un climat de paix s’instaura enfin dans tout le royaume, faisant de la Provence un véritable petit paradis. Raymond Bérenger, dégagé des soucis du pouvoir, était devenu un homme heureux, s’en remettant à son intendant pour la direction des affaires de l’état, lui laissant le pouvoir de faire le bonheur de ses sujets en châtiant les plus turbulents. L’habile ministre réussit la prouesse de doter les quatre filles du comte et à les marier à quatre puissants monarques. Ainsi, grâce à la sagesse et à la vigilance de cet ancien pèlerin, la Provence oublia peu à peu les temps de misère et de tristesse pour enfin connaître une ère de prospérité et d’allégresse. Mais l’envie et les rivalités n’avaient pas été désarmées par les vertus de Romée, sa subite promotion et sa réussite rapide attisaient les jalousies de plus d’un courtisan. L’intendant et sénéchal de Provence va devenir sans raison l’objet de calomnies et d’accusations malveillantes visant à ternir sa réputation. Au début, le souverain accueillit très mal ces critiques infondées, puis cédant à la persistance des attaques, la méfiance s’insinua dans son esprit. Il en vint même à douter de la bonne foi et de la droiture de son ministre. En dépit de son dévouement et d’une évidente compétence, l’honnête Romée, victime d’intrigues de cour, sera bientôt accusé de malversations et finalement convoqué par le comte pour s’expliquer. Fort de son intégrité, l’intendant avoue être prêt à se soumettre à un contrôle permettant de vérifier d’éventuelles malversations. Le comte, suivi par les détracteurs de Romée, réclame alors une visite fouillée du logement de son ministre. L’appartement se révèle modeste et sans l’apparat que l’on pourrait s’attendre à trouver chez un personnage de ce rang. Le comte commence à regretter ses soupçons lorsqu’un courtisan lui fait remarquer une porte fermée à clé au fond d’un corridor. Romée, sommé de l’ouvrir refuse : « Monseigneur, je vous en prie, rien de ce qui peut vous intéresser ne se trouve dans cette pièce. » Il n’en faut pas davantage pour raviver la défiance de la cour. Nul doute le fruit de ses frauduleux détournements dort là, bien dissimulé. Après force hésitations, l’intendant se laisse convaincre et remet au souverain les clés de la porte de ce cabinet secret. La pièce, sorte d’alcôve, sitôt ouverte on s’y bouscule pour y pénétrer. Dans cet obscur et étroit local trône un coffre, lui aussi soigneusement clos. Chacun voit là le meuble renfermant le magot de Romée. Menacé de voir la serrure fracturée, ce dernier s’exécute. Sortant une clé glissée dans une fissure du mur, il ouvre le coffre. Chacun plonge alors son regard dans le fond du meuble, hélas, déception, point de pièces d’or pas davantage de bijoux ou de pierres précieuses. On fouille alors pour extraire un vieil habit de pèlerin, un large chapeau, une gourde, une panetière vide et rien d’autre ! Tête basse, décontenancés, les médisants rivaux de Romée quittent sans mot dire l’appartement laissant le comte conclure : « Votre innocence est prouvée à la face du royaume, je regrette d’avoir mis en doute votre probité ! » Heureux d’avoir fait taire une rumeur malveillante qui touchait un serviteur qu’il aimait, le souverain demanda à ses familiers comment se faire pardonner d’un tel affront public. Il vit alors arriver celui qu’il avait si méchamment accusé de forfaiture, non plus en habits de cour mais tout simplement vêtu en pèlerin. Parvenu au pied du trône, il tint ce langage : « Monseigneur, lorsque vous m’avez demandé de vous aider à remettre de l’ordre dans votre royaume, vos finances étaient au plus bas, votre pouvoir chancelant et la misère touchait votre peuple. Aujourd’hui, la prospérité est revenue, votre autorité est assurée et les Provençaux vivent bien. Si Dieu m’a aidé dans ma tâche, il n’a pu m’éviter d’être critiqué par vos courtisans, votre ingratitude m’a déçu. Je suis arrivé chez vous en pauvre pèlerin et j’en repars de même. Que Dieu vous bénisse et que sa volonté soit faite. » Raymond Bérenger très affecté, fit l’impossible pour retenir celui dont il reconnaissait les mérites après s’être laissé entraîner par la médisance de son entourage. Rien n’y fit, inflexible, Romée salua respectueusement le comte et la cour ébahie, avant de reprendre la route vers l’Orient. Des paysans croisèrent sur les chemins de Provence un pèlerin de haute stature, le visage placide et résigné, marchant d’un pas tranquille, s’arrêtant devant chaque oratoire pour mettre genoux à terre et prier un court instant avant de poursuivre sa quête spirituelle vers le Levant.
D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage dédicacé de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55. Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé :
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