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02/12/2012

"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR":UN DESTIN EMPORTÉ PAR LE MISTRAL...

15 LA FERME DES RANCUREL.jpg

«Toute vocation est un appel »

 

Bernanos

 Là-haut à Belluce, à près de 1300 mètres d’altitude, l’hiver était rude. Marius Auda, le nouvel instituteur, n’avait pas choisi cet exil imposé par les nécessités du « mouvement » du personnel enseignant au sortir de l’Ecole Normale de Nice. Il remplaçait là, un collègue malade qui avait trouvé dans l’alcool et l’abandon de soi l’oubli de son difficile isolement. Sa triste déchéance sonnait comme un sombre présage pour son successeur conduit à occuper le logement de fonction transformé en taudis où les marques du désespoir s’attestaient en nombre des bouteilles vides. Seuls les enfants semblaient pouvoir le réconforter par une assiduité sans faille doublée d’un réel intérêt de connaissance.

 La neige avait blanchi le paysage chapeautant les quelques masures d’où s’échappait  un constant filet de fumée unique témoin d’une présence humaine.

 Noël approchait sans laisser entrevoir le moindre signe de festivités, excepté une messe carillonnée et chantée par les quelques paroissiens requis pour l’occasion.

 Pour Marius persistait le souvenir du dernier délicieux souper, servi par la mère Grassi, qui l’avait hébergé à sa descente du car. Elle ne lui avait pas caché que la daube de renard qui accompagnait les gnocchis pouvait surprendre par son goût de sauvagine, tempéré par quelques champignons. Marius avait apprécié ce met nouveau au point d’en reprendre, il en conservait encore la forte saveur au fond de sa bouche. Ce souvenir gastronomique particulier, resterait sa seule satisfaction à la veille de la Nativité.

 Venu du Bourguet, au bas de la vallée, pour y retrouver ses parents, le notaire Jules Rancurel apparut au village emmitouflé dans une chaude pelisse fourrée, coiffé d’un feutre à plume de faisan, les mollets enserrés dans de guêtres à boutons surmontant de solides chaussures à semelles bordées de clous en ailes d’abeille. Accueilli comme un hôte de marque et salué dignement par le curé Boniard, sous le poche de la petite église, le notaire connu et apprécié de l’assistance, se tailla un vif succès auprès des enfants admiratifs, bouche bée, face à ce personnage à la tenue insolite.

 Le comble fut atteint jusqu’au délire lorsque puisant dans ses poches Rancuel tout souriant sortit des bonbons multicolores qu’il lança à la volée vers les gamins provoquant une bagarre que le curé parvint difficilement à maîtriser ! Son numéro de père Noël achevé, le notaire ouvrit dignement la marche pour pénétrer dans l’église et s’installer au premier rang face à l’autel.

 Gros homme, au visage pale et lisse percé de petits yeux porcins, Jules Rancurel célibataire endurci à plus de cinquante ans savait trouver au foyer familial en plus de la chaleur affective de ses parents, les tendres ardeurs de Rosalie la toute jeune bonne, fille de l’Assistance Publique, à l’origine de ses premiers émois tardifs. Cette attirance expliquait la fidèle assiduité du bonhomme pour ce hameau sans attrait perdu au bout du monde.

 Après ce bref intermède festif la torpeur hivernale reprit ses droits. Tout paraissait dormir engourdi par le froid dans la rigueur d’un interminable hiver. Dans la classe, seul indice encourageant, la progression quotidienne régulière du rayon de soleil éclairant le pied de l’estrade, face au tableau noir. Nous étions ainsi parvenu à la veille de la Chandeleur, déjà chargée des promesses du renouveau printanier, lorsqu’un événement brutal et inattendu secoua la quiétude du village.

 Venu pour la fin de semaine, Jules Rancurel tardait en ce beau matin à sortir de sa chambre en dépit des chaudes senteurs de café émanant de la vaste cuisine où les femmes s’activaient déjà à préparer le repas de fête du midi.

 Rosalie fut désignée avec un clin d’œil appuyé pour aller choquer la porte de la chambre du notaire, obstinément close. Puis comme rien ne bougeait la mère vint à son tour heurter la porte en interpellant l’impénitent dormeur, avant que le père décide lui aussi d’agir en ouvrant brutalement la porte. Parvenu dans la chambre de Jules, les familiers n’obtenaient pas davantage de réaction de sa part. Enseveli sous l’édredon il refusait de répondre aux appels répétés de son nom. Il fallu le découvrir pour qu’il apparaisse alors immobile, coiffé d’un bonnet de nuit en laine, dans une chemise de nuit blanche, le visage livide. Son corps glacé ne laissait plus de doute, Jules Rancurel était mort.

 Au milieu des pleurs, le médecin monté du Bourguet ne put que constater le décès. Sur la table de nuit, un bol vide attestait de la prise la veille au soir d’un bon vin chaud parfumé à la cannelle, tendrement servi par la douce Rosalie.

 La nouvelle parcourut les quelques maisons village soulignée de maints commentaires attristés. Le docteur Agnely à l’examen remarqua la langue curieusement bleue du défunt, ainsi que des filets de bave à la commissure des lèvres, indices d’un possible empoisonnement ce qui le conduisit à refuser le permis d’inhumer. Alertée, la gendarmerie organisa le transport du corps pour des examens plus approfondis. Compte tenu des éléments connus, rien ne semblait devoir expliquer la mort de Jules Rancurel par l’absorption d’un aliment ou d’une boisson quelconque.

 Faute d’un indice probant, les autorités admirent la mort naturelle de Jules qui fut enterré avec solennité à Belluce.

 Seule Rosalie connaissait la raison de cette triste fin… A la suite de sa douloureuse confession, le curé Boniard fut conduit à partager le poids de son terrible secret. Pieuse catholique, elle lui avoua bouleversée qu’elle ne supportait plus sa condition de bête à plaisir imposée par son amant, sans la perspective honnête de l’épouser un jour pour fonder famille. Profitant du bol de vin chaud, elle l’avait corsé  avec des fleurs de belladone et de digitale dans le seul but de fléchir la volonté intransigeante de Jules, afin qu’il lui signe une promesse de mariage.

 Tenu au secret de la confession, la  conscience torturée par la gravité de cet aveu, le curé chercha longuement comment aider Rosalie dont la sincérité des intentions ne pouvait être mise en doute.

 Après ce drame l’infortunée jeune fille ne pouvait poursuivre son existence à Belluce dans la famille de son défunt amant. Le curé tenta sans succès de la placer dans une bonne famille du Bourguet. En désespoir de cause, il s’en ouvrit par lettre auprès d’une lointaine cousine religieuse bénédictine de l’abbaye de Sainte Lioba de Simiane dans les Bouches du Rhône, avec le secret espoir de lui confier le sort de Rosalie. La réponse vint, prometteuse, invitant la protégée du curé Boniard « à choisir le chemin du salut par la prière et le travail » dans la communauté des moniales. La religieuse insistait sur «le choix de vie imposé à Rosalie, d’avoir entendu avec sincérité l’appel du Seigneur, pour tout abandonner et suivre le Christ dans le célibat, la fidélité à la communauté avec le désir de vivre d’une écoute obéissante par l’amour de Dieu. »

 Rosalie confirma sa vocation, accepta son nouveau destin et quitta Belluce pleine de ferveur et d’espoir pour le couvent de Simiane-Collongue.

 Là bas, ses talents empiriques d’herboriste furent très vite appréciés et encouragés pour aboutir à établir un catalogue détaillé de prescriptions médicales à l’efficacité reconnue. Ainsi, Rosalie courait la garrigue sous le chaud soleil provençal, stimulée par le chant des cigales, dans la recherche de diverses espèces de plantes aux vertus médicinales.

 Lorsque la mère supérieure lui proposa de transmettre et enrichir sa pratique aux Antilles, sœur Rosalie n’hésita pas un instant et c’est ainsi qu’elle entreprit de rejoindre au terme d’un long voyage, le Prieuré de Sainte Marie des Anges situé à Bout Bois au Carbet en Martinique.

 Embarquée à Toulon à bord du vaisseau de ligne, le « Mistral » en compagnie d’un millier de personnes, parmi lesquelles plus de cent vingt religieuses, Rosalie vit s’éloigner la côte avec un pincement au cœur, soutenue par la certitude de mieux servir sa foi.

 La promiscuité, les rudes conditions matériels et la mer forte rendaient déjà ce voyage en Méditerranée pénible d’autant plus que l’état de la mer, à la veille de l’équinoxe, accentuait la houle au point  de malmener sévèrement le navire.

 Accusant une très forte gîte sur bâbord, le paquebot affronta une mer déchaînée dont on essuya les vagues déferlantes. L'eau atteignait déjà le niveau du pont-promenade et si l'on en jugeait par l'absence de panache de fumée à la sortie des deux cheminées, le navire semblait avoir déjà perdu tout ou partie de sa propulsion.

 Vers 16h30, le « Mistral »  malmené par les flots impétueux subit de graves avaries, sa coque est endommagée par les coups de butoir de la mer. A 18h ordre est donné de quitter le navire qui croise au large des côtes marocaines. Malgré les canots de sauvetage, beaucoup de passagers et de marins se noient, emportés par des vagues de plus de 10m, d’autres meurent de froid dans l'eau glaciale. Le « Mistral » a beaucoup de mal à manœuvrer pour s'approcher de la côte vers laquelle il est drossé. Très vite bloqué sur les hauts fonds et les nombreux récifs, il achève de sombrer dans la baie d’ d'Al Hoceima sur la côte du Rif.

 Quelques centaines de passagers et de marins réussissent à accoster sur de nombreux petits îlots rocheux et les minuscules îles de Sabaadiya.

 Les jours suivants, grâce à des radeaux de fortune, les rescapés  se dirigent vers les falaises hostiles d’une côte inhospitalière. Après avoir réussi à rejoindre une anse abritée des vents ils aborderont enfin sur la terre ferme.

 Entourés d’hommes en armes de la tribu des Hoceimi,  hommes et femmes sont séparés et conduits dans la montagne au douar d’Ait Kamara. Les quelques hommes qui s’opposeront à ce transfert seront égorgés.

 Le destin des survivants sera désormais entre les mains du caïd Ahmed Al-Raïsuni, un brigand hostile à toute autorité administrative, sorte d’hobereau local régnant en maître sur la province.

 Si les hommes valides furent vendus comme esclaves ou rapatriés moyennant de fortes rançons, les femmes, furent réparties dans les harems selon leur attrait au gré des dignitaires de la tribu, les malades et les jeunes enfants seront égorgés.

 La jeune et jolie Rosalie, rescapée du naufrage, va ainsi connaître une nouvelle destinée en devenant d’abord la favorite du caïd, puis très vite, grâce à sa science, une guérisseuse reconnue et estimée dans toute la contrée.

 Les religieuses restèrent aux mains des tribus et "épousèrent" des indigènes.

 En sa qualité de supérieure, Rosalie prit un ascendant sur les populations du bled car elle s'était rendue indispensable par ses connaissances médicales, à tel point qu'on lui éleva une Kouba (sanctuaire). Quelques bonnes sœurs, les sourettes, engendrèrent beaucoup de petits montagnards, les "tournis", en général rouquins. 

 

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edondrossi@wanadoo.fr

11/11/2012

"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR": LE FEU DE LA SAINT JEAN

LE BAL DE LA SAINT JEAN.jpg

 «L’amour qui meut les soleils et les autres étoiles.»

Dante

Une large flaque de soleil inondait la place de Villeplane, occupée en son centre par les vastes bassins de la fontaine-abreuvoir, autour desquels s’activaient quatre lavandières bavardes, chapeautées de paille, torturant le linge extrait de paniers ronds.

Il fallait parler haut, pour couvrir à la fois le bouillonnement de l’eau jaillissante et les fracas des battoirs, renvoyés en écho par les façades des maisons de la place.

Soudain tout se tut lorsque déboucha à l’angle de la Mairie, un, puis deux, puis tout un cortège de mulets lourdement chargés, conduits par de solides gaillards à peau noire, portant  la chéchia rouge des tirailleurs sénégalais.

Avec des ordres brefs, un sous-officier plaça la troupe en colonne pour permettre aux bêtes de s’abreuver, sous l’œil stupéfait des villageoises, dévisagées par les militaires souriant de toutes leurs dents trop blanches.

Très vite, la nouvelle de l’arrivée des soldats au village s’était propagée, au point de prolonger la récréation des élèves de l’Ecole, venus assister curieux au spectacle de cet étonnant remue-ménage.

Prévenu, Payan, le Maire, accueillait déjà le sous-lieutenant et le brigadier encadrant l’escouade, pour leur désigner un terrain, aux abords du village où ils pourraient dresser leur campement.

Avec son toit à pignon, l’auberge des Grassi, située sur la grande place bordant la route nationale, avait fière allure.

De plus, tenu par deux femmes avenantes, la mère veuve d’origine italienne et sa fille Paola, cet hôtel convivial pouvait se flatter d’une table familiale de qualité.

En cette matinée de printemps, Paola préparait en cuisine d’appétissants raviolis lorsque des pas pesants grimpèrent l’escalier, avant qu’une main n’écarte le rideau de lamelles métalliques et qu’une voix mâle n’en couvre le bruissement.

« Madame Grassi, bonjour ! C’est Payan ! » Pénétrant dans la salle du Café, le Maire venait s’enquérir de la possibilité de prendre en pension le sous-lieutenant Hanachi qui l’accompagnait.

Lorsque Paola les rejoignit dans la pièce, en essuyant ses mains enfarinées au tablier de toile bleue, elle excusa l’absence de sa mère, partie au jardin.

Après un bref salut à Payan, vieil habitué des lieux, elle se trouva face à un homme jeune, de haute stature, au teint basané, sanglé dans un uniforme de drap kaki.

Le militaire avait retiré son képi et après s’être légèrement incliné dans sa direction, il murmura quelques paroles de politesse. Le Maire, plus direct, expliqua le but de leur visite.

Oui, une chambre libre au premier étage pouvait accueillir ce nouvel hôte qui  séjournerait deux semaines, pour la durée des manœuvres.

Hanachi, mulâtre né à Saint Louis, d’un père noir et d’une blanche postière normande, nommée à la Recette Principale de ce port du Sénégal, découvrait enfin cette France dont il rêvait depuis son enfance. Après sa réussite au Brevet Supérieur, il avait fui les prétentions divergentes d’un père commerçant et d’une mère fonctionnaire, désireux chacun, de projeter sur ce fils unique leurs propres ambitions. Hanachi préféra s’engageait dans les troupes coloniales.

Posant son regard sombre et pénétrant sur Paola, l’officier exprima en peu de mots sa satisfaction, ajoutant que son ordonnance déposerait sous peu sa cantine, dans la chambre réservée.

Courtois, Payan proposa un rafraîchissement au militaire, Paola se glissa alors derrière le comptoir et sortit deux verres qu’elle remplit. Si le Maire avait choisi un panaché, Hanachi se limita à une limonade, refusant la bière porteuse d’alcool.

La cuisine résonnait des accents de « Sombreros et Mantilles » chantés à tue-tête à la radio par Rina Kéty. Sans doute encouragés par les échos de la chanteuse, les oiseaux voletant dans la treille de la terrasse redoublèrent leurs piaillements.

Cette année là, profitant des tous nouveaux congés payés, Antoine Grassi, sa femme Céline et leur fils, «montés » de Nice, avec leur première voiture un «trèfle » Citroën, séjournaient à l’auberge familiale. Alors qu’Antoine, habile mécanicien, réparait une faucheuse, Céline aidait sa belle sœur au restaurant.

Célibataire, Paola entretenait une complicité admirative pour Céline, déjà mère de Claude, un garçonnet de sept ans. Qualifiée de «fleur bleue » par cette sorte de grande sœur, Paola cultivait encore la candeur naïve d’un cœur pur, entretenue par les rêves alimentés dans la lecture régulière des récits romanesques de «Marie Claire», l’hebdomadaire féminin à la mode.

C’est en remontant de la cave que Céline, chargée d’un panier de bouteilles, croisa les deux hommes sortant du Café.

Payan tint à présenter  la jeune femme, en ajoutant flatteur que son service s’égayait toujours d’un charmant sourire.

Hanachi, troublé par ces yeux bleus rieurs qui le détaillaient avec assurance, bredouilla quelques compliments. Il pivota, le temps de voir disparaître, dans l’entre bâillement du rideau de l’entrée, deux fins mollets et une croupe bien dessinée.

Céline, toujours rayonnante, gracieuse et magique était devenue une serveuse peu ordinaire, d’un restaurant qui ne l’était pas moins. Par sa façon de prendre le meilleur soin des clients dont une bande de vieux ronchons très inquiets sur leur vitalité sexuelle, elle était devenue la star de l’établissement.

Paola, jolie brunette timide et rougissante, fuyait les propos galants comme les allusions directes que ne manquait pas de lui adresser la clientèle essentiellement masculine du Café.

Mais au-delà des sourires lui permettant d’esquiver ces velléités, sa mère se préoccupait de la voir toujours célibataire. Elle avait même organisé une rencontre avec un garagiste communiste, qui  s’était révélé mener une vie fantasque, faite de passades frivoles. Il sera à l’origine de sa prise de conscience politique.

Les rodomontades de Mussolini, périodiquement transmises par la radio, réclamaient au nom de l’irrédentisme, un espace vital pour la prolifique Italie, avec des visées précises sur Nice, la Savoie, la Corse et la Tunisie !

Chaque fois, ces prétentions déchaînaient la colère de la mère Grassi dont le mari tailleur de pierre avait fui la misère au début du siècle, pour s’installer dans sa nouvelle patrie.

Elle prétendait qu’il avait trouvé là, du travail, du pain et la dignité pour lui et sa famille.

Ces menaces verbales, jointes à celles toutes aussi violentes, éructées par Hitler inquiétaient une opinion publique avant tout pacifique. Les manœuvres militaires, engagées sur les confins des Alpes, ne rassuraient qu’à demi, chacun espérant qu’elles suffiraient à dissuader les intentions belliqueuses de nos voisins.

Ainsi, durant deux semaines, les tirailleurs sénégalais opéraient à marches forcées, vers les cols de montagne, pour y dégager les chemins d’accès et en fortifier la défense.

Hanachi apparaissait épisodiquement à Villeplane où était installé le camp de base.

Un soir, au retour d’une tournée d’inspection, l’officier apparut à l’auberge avec un magnifique et odorant bouquet de narcisses, cueillis aux abords des alpages. Ces fleurs étaient destinées à Céline dont la piquante beauté avait enflammé le cœur d’Hanachi. Hélas, la belle était absente. Déçu, il remit le bouquet à la mère Grassi, en précisant soudain qu’il  l’avait fait cueillir à l’intention de Paola, pour décorer les tables du restaurant…La vieille dame, comme éclairée, esquissa un sourire complice, ajoutant : « Ma fille n’est pas habituée à recevoir des fleurs, votre intention va la toucher ».

Revenu dans la salle du Café, à l’heure de l’apéritif, en compagnie d’autres hommes du village, Hanachi fut l’objet d’un long regard significatif de Paola. Puis, s’inclinant pour le servir à table, elle lui murmura à l’oreille un mot de remerciement. Surpris par cette méprise, le militaire considéra alors la jeune femme d’un œil différent. Il l’observa tout au long du service, penchant vers lui son décolleté troublant, virevoltant plus gracieuse que jamais, alors qu’elle se glissait au milieu des tables dépourvues de fleurs.

Ce soir point de Céline, descendue avec les siens jusqu’au Bourguet.

Un rien grisé, Hanachi traîna à table, réclama le journal, jusqu’à se trouver enfin seul en tête-à-tête avec Paola.

S’asseyant à l’envers sur une chaise voisine, les cuisses entrouvertes, elle croisa ses bras blancs sur le dossier, y posant son menton, elle fixa Hanachi dans cette position d’attente interrogative.

Ses longs cheveux noirs se mêlaient au torchon qu’elle conservait dans une main, comme une preuve de soumission, elle exprimait ainsi la raison de sa présence, face à cet inconnu qui la troublait. Elle se souvint tout à coup de l’appréciation sans détour de Céline : « Il est bel homme notre Hanachi, si j’étais toi… ». C’est elle qui rompit le silence : « Où avez-vous trouvé ces narcisses ? C’est rare… »

Hanachi expliqua, évoqua le parfum enivrant des fleurs si différentes de son pays, il compara leur éphémère beauté à celle des femmes, puis sa voix se fit caressante, alors qu’il effleurait du bout des doigts l’épaule dénudée de Paola.

Captivée, la jeune femme sentait monter en elle une sensation inconnue, sorte de vague envahissant son être, mêlant à la fois chaleur et frissons. Puis elle se dénoua, lui tendit la main qu’il  portait déjà à ses lèvres, sans qu’elle lui résiste.

Brusquement, quelques coups frappés à la porte interrompirent ce galant tête-à-tête. Le petit Claude fit irruption sautillant et joyeux, précédant ses parents. Peu soucieux de rompre le charme, l’enfant commentait déjà les divers événements de sa soirée.

Paola, debout, tourna son visage vers Hanachi avec un regard chargé de regrets, souligné par un haussement caractéristique des sourcils.

Nous étions parvenus à la fin des manœuvres et le dimanche suivant, à l’occasion de la Saint Jean, un important  méchoui réunissait la troupe et les notables du village. L’occasion de « rendre un  hommage appuyé, à l’hospitalité fraternelle, témoignée par la population de Villeplane à nos fils d’Outre-mer ». C’est ainsi que le sous-lieutenant acheva son propos de bienvenue, en présence du Maire, entouré du conseil municipal, du Curé, de l’Instituteur et de quelques privilégiés, parmi lesquels figuraient, coquettes, Céline et Paola.

Au-dessus de tranchées remplies de braises, six moutons rôtissaient, objets des soins attentifs d’un nombre égal de grands diables habillés de blanc, s’activant à tourner et humecter la chair ruisselante et dorée, fixée sur de solides broches.

La chaleur dégagée par le rougeoiement des braises, combinée à celle du soleil de cette claire matinée, encourageait les tournées répétées d’apéritif offert par la municipalité. Si la discipline militaire et le Coran interdisaient l’usage de l’alcool, il n’en était pas de même pour les gens du lieu portés sur les boissons anisées !

Légères et court vêtues dans leurs robes de rayonne aux couleurs vives, Céline et Paola, entourées de l’attention particulière d’Hanachi, furent servies les premières, des meilleurs morceaux.

Fasciné par autant de beauté féminine, Moussa l’ordonnance de l’officier, d’un geste maladroit heurta le verre de Céline, le renversant sur sa robe. Hanachi furieux lui intima  l’ordre de s’excuser et comme l’autre souriait hébété, il le cravacha violemment avec sa badine. Surprises par la sévérité du traitement infligé, les deux femmes tentèrent d’amoindrir l’incident, provoquant une vive réplique d’Hanachi. Selon le règlement militaire : « la discipline constituant la force principale des armées, il importait que tout supérieur obtienne la soumission entière, totale et instantanée, de son subalterne ».

Dans la confusion qui suivit, Céline et Paola partirent d’un éclat de rire dévastateur qui suscita la curiosité générale. Le Maire se rapprocha de leur groupe, rappelant qu’il comptait sur tous, pour venir assister le soir même au feu de la Saint Jean.

Promesse fut faite et rendez-vous pris, pour assister à la fête du solstice d’été. Traditionnellement, depuis toujours, à l’occasion de la nuit la plus courte de l’année, il fallait écarter les forces obscures, en prolongeant la lumière par le biais des flammes.

Dans la soirée, Paola qui  ne savait pas se maquiller, suivit les conseils avisés de Céline. Du visage au bout des ongles, dans ses mains expertes, rien ne fut négligé et surtout pas le parfum !

Sa belle sœur, blonde élancée, savait jouer les élégantes libérées. Son apprentissage dans un atelier de couture l’avait conduite un temps, à présenter les collections sur la Côte. De sa carrière prometteuse, prématurément interrompue par un Antoine jaloux, elle avait conservé un charme conquérant, propre à franchir les limites d’un milieu ouvrier où l’avait condamné sa naissance.

Critique et toujours vêtue de noir, la mère Grassi l’avait définie comme une »petite bourgeoise », sans pour autant parvenir à décourager son fils, éperdument amoureux de celle qu’il appelait sa  reine. Son oisiveté, mieux acceptée par l’entourage familial à la naissance de Claude, donnait lieu à des commentaires acides, depuis qu’elle conduisait leur voiture.

Paola, souvent invitée à Nice par le couple, se laissait parfois entraîner par les fantaisies de sa belle sœur. Les deux femmes inscrites à « Ski Montagne » découvraient le ski à Valberg, fréquentaient les salles de cinéma niçoises de l’Esplanade, de l'Odéon et du Politéama. Cette conduite de femmes à la page, affranchies d’un monde rural étroit et borné, ne pouvait que séduire Paola, élevée au lait d’une tendresse maternelle d’une autre culture et d’un autre âge.

L’après-midi le Mistral se leva soufflant en fortes rafales, il fut même question d’annuler le feu. Le bûcher édifié sur un terre-plein extérieur au village, devait éviter tout risque d’incendie. Villeplane avec ses toits de bardeaux, avait déjà connu un sinistre mémorable, propre à inciter à la prudence. Le vent ne s’apaisa que la nuit venue, pour aboutir enfin au calme plat, propice au déroulement des festivités.

Tout le village était réuni autour du bûcher lorsqu’on alluma les fagots de genêt sec qui  s’enflammèrent très haut en crépitant.

Le grand cercle des spectateurs éclairés par les flammes dansantes, apparut soudain, poussant loin derrière l’obscurité de la nuit.

Comme à l’accoutumée, les jeunes débutèrent une joyeuse farandole, rythmée par les accords de l’accordéon d’Emile Pons et de la clarinette de Maximin Barret. Bientôt tous dansèrent entraînant les plus réservés dans une folle sarabande. Le bûcher  étant bientôt réduit à un amas de braises, les jeunes gens s’élancèrent au-dessus du foyer, invitant les filles plus timorées à en faire autant. Il était admis que ces sauts rituels devaient apporter une année de bonheur et pour les célibataires un mariage prochain, si l’on bondissait avec sa promise.

La musique n’avait pas faibli, les reprises de la clarinette, soulignées par les sonorités allègres de l’accordéon, mêlées aux chansons et aux rires, couvraient le brouhaha de la foule.

Déjà les couples se formaient pour un bal improvisé. Paola avait retrouvé Norbert Ginésy, connu sur les bancs de l’école, soupirant obstiné et silencieux qui  ne la lâchait plus après lui avoir pris la main pour la farandole. Heureux de cette aubaine, bien que piètre danseur, il enchaînait les paso-dobles et les javas en se dandinant, avant de chalouper sur la série des tangos.

Céline, encadrée par Antoine et Hanachi, s’offrait tour à tour aux bras des deux hommes.

Antoine, endimanché pour la circonstance, portait une courte veste, casquette et foulard de soie rouge noué autour du cou. Très à l’aise dans cette assemblée faite de visages connus, il abandonnait finalement la danse, pour converser, à l’occasion de sympathiques retrouvailles.

Hanachi dont les yeux sombres reflétaient les lueurs des flammes, paraissait encore plus grand.

Céline sensible au charme indéfinissable de l’officier où se mêlaient l’attrait physique, le prestige de l’uniforme et la prévenance, batifolait sans retenue en sa compagnie.

A l’occasion d’une pause au bord de la piste du bal, elle s’abandonna, captivée, aux paroles caressantes et aux manières enveloppantes du militaire.

Il lui avait pris le bras et elle marchait à ses côtés lorsqu’il l’entraîna à l’écart de la foule, dans cette première nuit lumineuse de l‘été.

Ils levèrent les yeux vers le firmament où brillait la lune. Céline lui nommait les étoiles et les principales  constellations, bien différentes de celles du ciel africain où scintille la croix du sud.

Lorsqu’ils baissèrent leurs regards, ceux-ci se croisèrent, se pénétrèrent. Elle ne lui laissa pas reprendre le fil de son propos, d’un fougueux baiser elle lui ferma la bouche. Dans la nuit complice, un même élan d’amour réunissait ces deux êtres, aux destinées si différentes. Les échos lointains de la fête ne leur parvenaient plus que comme les signes d’un monde qui  leur était désormais étranger. La nuit de la Saint Jean est toujours trop courte et celle-ci le fut plus que d’autres. Ils se séparèrent dans une ultime étreinte, avant de rejoindre par des chemins détournés et séparément, les quelques irréductibles, encore accrochés aux tréteaux de la buvette.

Des femmes ramassaient avec précaution, dans leurs mouchoirs, des poignées de cendre chaude dotée de pouvoirs surnaturels, propres entre autres, à écarter les maléfices pour l’année à venir. Il s’avérera que leurs vertus seront plus que jamais utiles, face aux menaces d’une nouvelle guerre !

Céline justifia son absence, en prétextant être allée veiller au sommeil de son fils. Pas dupe, Paola qui avait remarqué le manège, ajouta bonne fille : « Et puis il a fallu rapporter des verres et des bouteilles ». Antoine se laissa facilement convaincre par cet alibi, incapable d’imaginer autre chose.

Les amants se retrouvèrent au matin, dans l’escalier conduisant aux chambres de l’auberge, pour échanger un baiser d’adieu passionné et la folle promesse de se revoir. Ils se séparèrent ensuite de manière plus conventionnelle, en présence de Paola et de sa mère. Jusqu’au départ d’Hanachi, Céline conserva dans sa main crispée, enfouie au fond de la poche de sa blouse, un morceau de papier plié, sur lequel était notée l’adresse de celui qui avait bouleversé sa vie.

Lorsque le couple Grassi rejoignit son appartement niçois sur la rive gauche du Paillon, la vie reprit son cours. Antoine, délaissé, regagna son atelier, rentrant chaque soir avec cette odeur tenace de sueur et de cambouis. Répétitives, les journées de Céline se découpaient en quatre, avec les entrées et sorties de classe de Claude qu’elle  accompagnait à l’école de la place Risso. Cette monotonie enfermait son quotidien vide et sans attrait.

Le couple cohabitait, continuant de fréquenter chaque semaine, par habitude, le cinéma de l’Esplanade et de s’évader, parfois le dimanche, au bord de la mer, pour pêcher et se baigner sur les rochers du Cap Ferrat ou de la Garoupe.

Céline n’avait plus goût à rien, si elle offrait souvent une glace à Claude, au kiosque de la place Risso, désormais elle se privait de ce savoureux plaisir.

Neurasthénique, envahie par une grande lassitude, elle avoua un soir à Antoine qu’elle  souhaitait retravailler comme couturière. Quant à Claude, la voisine l’accompagnerait avec ses enfants. Antoine, lui qui trimait, ne comprenait pas que sa  femme fut incapable de profiter, du rare privilège, d’être dégagée de cette servitude.

Le projet déboucha sur de la confection à domicile, après l’achat d’une machine à coudre.

Chaque semaine, Céline était sûre d’avoir des nouvelles d’Hanachi, en se présentant le mercredi après-midi, au bureau de Poste de la place Garibaldi. Là, en poste restante, elle retirait les enveloppes bleues doublées que lui remettait l’employée avec un regard réprobateur appuyé.

Sitôt sortie sous les arcades, elle ne résistait pas impatiente, à la lecture des longues lettres passionnées, expédiées en franchise militaire, depuis la caserne de Fréjus.

L’officier poursuivait là une existence morose, consacrée à la formation de nouvelles recrues venues des colonies. Le mess et les sorties dans cette petite ville de garnison, semblable aux autres, n’avaient rien d’exaltant.

Il fut convenu qu’il viendrait à Nice à l’occasion de sa prochaine permission. « Enfin, je pourrai à nouveau te serrer dans mes bras. Toi, ta bouche, ton corps, tu me manques tant… »

Lorsqu’ils se retrouvèrent face à face, à la sortie de la Gare, lui botté, assuré et radieux, elle rougissante, émue, une larme au coin de l’œil, sous la voilette d’un curieux petit chapeau de paille noire à fleur rouge, ils surent que la vie avait encore un sens.

Dans l’étroite chambre de l’hôtel de la Marine, rue Ségurane, le dessin du papier de la tapisserie représentait des angelots roses qui  assistèrent complices, aux ébats amoureux du couple, réuni pour un temps.

Une semaine durant, Céline découvrait cet homme inconnu, sa délicatesse caressante, mais aussi sa fougue passionnée. La volupté, l’ardeur et l’intensité de leurs rapports transportaient chaque fois la jeune femme, dans une extase de jouissance exceptionnelle. Le plaisir renouvelé, l’entraînait dans une ivresse, un vertige où elle plongeait dans un abîme d’inconscience. Elle sortait de là chavirée, impudique, oublieuse de ses devoirs et de sa condition de femme mariée.

Le soir venu, c’est lui qui la poussait dehors, vers cet appartement  modeste, cadre d’une pauvre vie, creuse, pourtant partagée avec deux êtres qui l’aimaient, Antoine et son fils Claude.

Les mois passaient sans que Céline ne se résolve à les quitter.

La liaison se poursuivit avec des rencontres toujours aussi passionnées. Elles s’opéraient chaque mois, au rythme des permissions d’un Hanachi, lui aussi follement amoureux.

 

Soudain tout va basculer, éclate la guerre un temps repoussée. Antoine, mobilisé au «Train des équipages », se prépare à «mourir pour Dantzig », en rejoignant les troupes cantonnées en Champagne. Fuyant Nice, après l’offensive italienne, Céline, vaillante, au volant de sa petite voiture surchargée, partira avec Claude, chez des cousins à Salon, en suivant d’interminables colonnes de réfugiés.

Hanachi, à la tête de ses tirailleurs sénégalais, repousse avec gloire les attaques des chemises noires, dans la vallée de la Roya. Moussa tombera sous les balles ennemies, en portant fièrement en trophée, un collier d’oreilles coupées aux assaillants fascistes égorgés !

Après l’Armistice, Hanachi s’embarquera pour rejoindre l’Algérie, puis les forces françaises libres.

Céline, de retour à Nice, espacera ses palpitantes visites à la poste restante, avant de réaliser que tout était fini.

Solitaire, avec son seul fils, elle patientera de longs mois, pour revoir Antoine, démobilisé au sortir de l’Hôpital. Une aussi longue et cruelle absence, rapprocha à tout jamais les cœurs de ces deux êtres, séparés un temps, par la magie envoûtante d’une nuit de la Saint Jean.

 

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

04/11/2012

"DU MISTRAL SUR LE MERCANTOUR", DES RÉCITS DIGNES DE GIONO...

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.Si les hautes terres du sud des Alpes reçoivent quelques«queues » de Mistral, affaiblies par la traversée de la Provence, le rythme de leur durée respecte la règle immuable de trois, six ou neuf jours. Chasseurs de nuages et de pluie, les caprices du vent influent curieusement sur les humeurs des hommes, les pliant à leurs cycles inexplicables, comme pour mieux imposer leur volonté.

Dans les vallées du Nord des Alpes, le souffle du fœhn, vent chaud et sec, bouleverse aussi de manière incompréhensible le comportement humain, au point de rendre fou et d’être reconnu comme une circonstance atténuante à l’occasion d’un procès criminel.

Bien que soumis aux effets perturbateurs du Mistral, les populations des vallées du Mercantour ne bénéficient pas d’une telle indulgence.

Comparables à l’emprise d’une drogue, les rafales qui balaient les vallées et les pentes des sommets, troublent l’homme et lui font perdre parfois son jugement.

Que de passions latentes activées soudain par les seuls effets du Mistral !

Le nom même de ce vent impose la notion de maître incontestable et magistral du destin.

Aujourd’hui associé à l’idée de Parc et de préservation de la nature, le Mercantour constitue une terre de hautes montagnes exceptionnelles. Cette zone d’altitude bénéficie de l’ensoleillement des Alpes du Sud et se caractérise par un relief contrasté de cirques et de vallons glaciaires, de gorges profondes et d’étroites clues qui découpent cette région en unités compartimentées, isolées, originales.

L’homme a vécu là longtemps en autarcie, y forgeant les traits d’un particularisme encore vivace.

Les relations évoquées se déroulent dans ce Mercantour qui offre une grande diversité de paysages, formés de sites rocheux, de hautes vallées parsemées de lacs, de pâturages, de forêts, de vallons étroits aux adrets arides et aux ubacs boisés.

La démesure du décor renvoie à celle des passions qui  agitent souvent le cœur et l’âme de ceux qui y vivent.

Il suffit parfois simplement du souffle brutal du Mistral pour que chavire le précaire et subtil équilibre entre l’être et son environnement grandiose, à la dimension de ses propres fantasmes intérieurs.

Envahi par une force incontrôlable, l’homme se laisse alors emporter par d’obscurs penchants qui le conduisent bientôt à défier les règles, en commettant les actes les plus regrettables.

Vent redouté, le Mistral n’active pas seulement les incendies de forêt, il enflamme aussi dangereusement le cœur des hommes avec des conséquences toutes aussi funestes.

Il appartenait à un observateur attentif d’apporter la preuve de cette réalité vécue, en dressant une patiente chronologie de certains récits et «faits divers », recueillis sur place. Le hasard devait me permettre de les découvrir et de pouvoir ainsi les présenter, après plus d’un demi-siècle.

Connaissant ma passion pour les choses du passé, je fus contacté par le nouveau propriétaire de la ferme de la Loubière, désireux de se débarrasser de vieux papiers et de journaux accumulés par l’ancien occupant des lieux.

Habité par quelques scrupules, après avoir acquis son bien sur un coup de chance, grâce à un viager réduit à seulement trois mois, l’heureux bénéficiaire m’attira dans son capharnaüm.

Sans doute gêné par une telle aubaine, il hésitait à tout brûler, peut-être pour respecter la mémoire de celui qui, par sa mort, l’avait fait riche en si peu de temps.

Après un emploi d’aide géomètre, Félicien Giraud s’était installé dans la demeure familiale au décès de sa mère, avant d’aller la rejoindre, quelques années plus tard.

Fin lettré, Félicien avait amassé quantité de livres divers, empilés dans un ancien pigeonnier, avec des liasses de vieux journaux soigneusement ficelés.

C’est sous l’une d’elles qu’apparurent quatre cahiers d’écolier d’un autre âge, à couvertures cartonnées, ornés chacun d’une étiquette cadrée, sur laquelle figuraient, tracées d’une écriture aux pleins et déliés appuyés : « Faits Divers ». En feuilletant les pages jaunies, couvertes d’une fine écriture noire, je découvris des paragraphes, précédés parfois de dates s’échelonnant au fil des années, semblables à celles relatives à la tenue d’un journal.

A la lecture, il s’agissait de bien d’autre chose, car les écrits de Félicien Giraud s’apparentaient à de véritables études de caractères.

Ces « Faits Divers » reflets d’une réalité contemporaine témoignaient d’une vérité troublante. Ces pages relataient en quelques mots, au-delà de la banalité du quotidien, d’émouvantes anecdotes chargées de lourds secrets, de situations révélées, interprétées, jugées avec délicatesse et sobriété.

Tel un entomologiste observant les mœurs d’insectes bizarres, l’auteur examinait et restituait avec froideur et détachement, les péripéties et les crises traversées par ses semblables.

Chose étonnante, chaque intrigue se développait jusqu’au dénouement, avec l’évocation aux moments critiques du souffle impétueux du Mistral, véritable catalyseur des agissements humains.

Les actions judiciaires étant prescrites, après que les auteurs de ces malheureux débordements aient quitté aujourd’hui le monde des vivants, nous avons décidé, en changeant les noms des personnages et des lieux cités, de remonter le temps, à travers la mémoire écrite de Félicien Giraud.

Il est donc évident que toute analogie avec des personnages ayant existé ou des situations réelles, ne peut être fortuite. Les possibles coïncidences ne traduisent qu’une vérité récalcitrante.

Si vous quittez Nice pour Paris par les airs, vous survolerez, dix minutes plus tard, les hautes terres du Mercantour. Penchez vers le hublot, observez alors les minuscules villages écrasés par les montagnes grises, ornées parfois par des lacs étincelants au soleil.

Semblable au maître de l’univers, vous dominerez pour quelques instants, ces espaces sévères où s’entremêlent les caprices ravageurs du Mistral et des Hommes.

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en contactant edmondrossi@wanadoo.fr

Les dieux se sont réfugiés au cœur des régions montagneuses, prédisposant les sommets à devenir de fascinants hauts lieux de l’étrange. A l’extrémité des Alpes du Sud, le « Parc naturel du Mercantour » confirme avec éclat cette vocation établie depuis les origines de l’humanité.

Accrochés à la caillasse au-dessus de gorges étroites et impénétrables, les villages perchés, maintenus à l’écart des bouleversements, ont su résister au temps et garder d’admirables témoignages du passé. Parmi ceux-ci, des récits originaux véhiculés jusqu’à nous par les bourrasques du mistral comme autant de feuilles d’automne. Edmond Rossi, originaire du val d’Entraunes, nous invite à pénétrer l’âme de ces vallées, grâce à la découverte de documents manuscrits inédits, retrouvés dans un grenier du village de Villeplane.

Si les « récits d’antan » présentent des histoires colportées aux veillées depuis la nuit des temps, les « faits divers » reflètent une réalité contemporaine d’une troublante vérité. Edmond Rossi est depuis son plus jeune âge passionné par l’histoire de sa région. Il signe ici son troisième ouvrage aux Editions Alan Sutton

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

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