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16/12/2012

LE BARBE BLEUE DE VALDEBLORE

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«Il n’est nullement besoin d’être aimé pour bien jouir et…l’amour nuit plutôt aux transports de la jouissance qu’il n’y sert. »

Donatien Alphonse François marquis de Sade

 

Lorsque l'Empire romain s'effondre sous les coups redoublés des invasions, une période de grands troubles s'installe dans la région, elle ne prendra fin qu'après le sursaut libérateur qui chassera les Sarrasins. Nous sommes alors autour de l'an mille.Six siècles durant, les habitants, peureusement regroupés çà et là autour d'une tour de guet, se sont placés volontairement sous l'autorité d'un chef local à la valeur militaire reconnue. Ces premiers seigneurs jouiront d'une autorité absolue sur les populations qu'ils protègent, s'arrogeant toute une série de droits sur les hommes, leurs biens et leurs activités. L'Eglise, un temps défaillante, va renaître et relayer en les adoucissant les ardeurs de ces premiers feudataires.

Parmi les droits outranciers nés de cette sombre époque figure celui de cuissage, qui permet au seigneur de passer avec la femme du serf la première nuit des noces. Impliquant une double allégeance, ce droit immoral semble être né des nécessités de procréer pendant les périodes d'insécurité. Par la suite au XIVème siècle il sera changé en une redevance, véritable impôt sur le mariage.

La légende et l’histoire de la région sont fertiles en révoltes provoquées par l'abus de ce droit: à Breil (Stacada), à Thiéry ( où le seigneur de Beuil sera assassiné) ainsi que dans le Valdeblore. De lubriques personnages vont ainsi marquer de leurs excès, la mémoire des malheureuses communautés livrées à leur merci.

Il y a bien longtemps régnait sur les hautes terres de Valdeblore, entre Tinée et Vésubie, un certain Guillaume Rainart, obscur seigneur, dont le nom aujourd'hui n'évoque plus rien. Pourtant, à l'époque, l'énoncé de ce vocable suffisait à remplir de terreur les malheureux habitants de ces quelques paisibles hameaux étalés au soleil sur les pentes de la montagne. Guillaume Rainart, oisif et sans autre divertissement que la chasse, s'ennuyait entre les murs gris et froids de son château. Après avoir épousé très jeune Claudia, une blonde transalpine venue des brumes du Pô qui lui avait donné cinq enfants, le seigneur de Valdeblore, lassé de ses charmes, passait son temps à rêver de conquêtes faciles que l'isolement de sa situation ne pouvait lui offrir. Battant la campagne en quête d’heureuses rencontres il commença à s'intéresser aux filles du lieu, jeunes et jolies bergères, paysannes gracieuses toutes flattées de l'attention qu'elles suscitaient chez un personnage aussi important.

Mais ces créatures n'étaient pas toujours des proies faciles. Elles souriaient sous les compliments galants, répondaient sans rougir aux plaisanteries coquines et se dérobaient lorsque Guillaume tout excité essayait de les piéger. Bien souvent il arrivait à ce dernier de rester sur sa faim en particulier avec les plus jolies donc les plus désirables. Aussi, lassé par ces jeux stériles et pour cueillir à loisir ces fleurs insaisissables de la montagne, Guillaume Rainart décida tout simplement de rétablir le droit de cuissage que ses sages prédécesseurs avaient laissé tomber en désuétude. 

Au physique, le seigneur de Valdeblore apparaissait comme un homme fort et de haute stature, dominé par les traits d'un visage lourd où seule brillait la flamme d'un étrange regard. En présence d'une jouvencelle, pour masquer ses intentions cyniques, il arborait alors un sourire charmeur que la fixité déformait très vite en rictus. Dans les pauvres maisons au toit de lauzes, les parents des filles en âge de se marier tremblaient devant ces avances réitérées n'osant braver le maître des lieux. 

Où pouvait se nicher la séduction d'un tel homme? Ce n'était pas dans ses cheveux gris fer ni dans son regard bleu, froid et dur. Pas davantage dans son nez bulbeux, fort sans être spirituel, ni dans sa mâchoire taillée pour les effets de menton.

Non le volcan en éruption de ses passions, les désirs qui l'animaient, tout cela se concentrait dans sa voix. Une voix puissante et grinçante, forcée même quand il murmurait. Guillaume Rainart fascinait, enjôlait et terrifiait, tissant les liens de son pouvoir avec ses seules cordes vocales.

Délaissée, outrée par son intempérance, Dame Claudia essaya vainement de modérer les ardeurs de son époux. Ses remarques déclenchèrent de violentes discussions et attirèrent le courroux du terrible Don Juan qui décida pour ne plus entendre ses jérémiades de l'enfermer dans une tour éloignée du village, au fond d'un vallon perdu. Là, la pauvre femme ne recevait pour toute nourriture et qu'une fois par semaine, une jatte de lait et un morceau de pain noir. La malheureuse, abandonnée dans sa prison, criait sa disgrâce à longueur de journée clamant sa faim et maudissant son impitoyable tortionnaire.

 Si la tour n'est plus aujourd'hui qu'un tas de ruines, le vallon porte toujours le nom de «Bramafan» (crie la faim) en souvenir de cet affreux épisode.

Pris de pitié, le geôlier lui offrit un soir la liberté à condition qu'elle ne reparaisse pas au village. C'est ainsi que l'infortunée Claudia entreprit de rejoindre son pays natal. 

Après s'être abritée dans une grotte de la montagne qui porte encore son nom: le Baous de la Frema, elle chemina dans la neige où son pied gelé fut gagné par la gangrène au sommet du Pépouïri (le Pied Pourri).

Elle parvint jusqu'à la frontière où elle mourut à bout de force au Col de la Fremamorta. 

Débarrassé d'un fardeau encombrant, grisé par ses succès, Guillaume poursuivait sa traque, réussissant à capturer quelques filles du canton, se réservant les plus belles pour leur nuit de noces. 

Quand les pauvres fiancées blondes, brunes ou rousses avaient cessé de soulever les passions amoureuses de l'odieux seigneur, celles-ci se voyaient à leur tour enfermées dans la terrible bâtisse de Bramafan.

Là mourant de faim, leurs cris lugubres et leurs plaintes atroces s'échappaient des fenêtres de la tour maudite emplissant de leurs échos la campagne environnante.

Les nuits de vent, la bourrasque charriait leurs gémissements jusqu'aux maisons du village où ces hurlements glaçaient d'effroi les paysans qui n'avaient d'autres ressources que de se signer en invoquant une intervention divine.

Après des jours de souffrance, les malheureuses victimes agonisaient sans que personne au village n'osât les délivrer.

Or un jour, alors que l'abominable seigneur se promenait à cheval dans la montagne son regard fut attiré par une belle adolescente nommée Céline, dont l'éclat et la grâce suscitait l'admiration de toute la contrée.  S'efforçant de provoquer des rencontres fréquentes, l 'habile séducteur entreprit de se conduire en homme courtois pour parvenir à ses fins. Déployant des trésors de galanteries il alla même jusqu'à parler mariage!

Devant ces manières élégantes, la délicate Céline était d'autant plus troublée qu'elle était fiancée à Pierre, un jeune et courageux charpentier très jaloux.

Quand Pierre apprit que le seigneur courtisait sa promise il entra dans une violente colère.

«Non je ne te laisserai pas périr comme les autres en dépit de ses promesses !»

 

Un matin d'hiver, alors que Guillaume Rainart visitait le chantier de réfection du toit de l'église paroissiale, il rencontra son rival.

Fou de rage le charpentier se met alors à équarrir de travers, Guillaume s'approche de lui et s'exclame :

«Mais c'est tout tordu! Que fais-tu l'ami !

- Mais non Monseigneur, venez à côté de moi et penchez-vous, vous verrez que ma poutre est bien droite».

 L'autre s'approche sans méfiance, se baisse et alors Pierre d'un coup de hache lui tranche le cou. Ce geste héroïque fut le signal d'un soulèvement populaire. 

Les paysans armés de fourches et de bâtons envahirent le château qu'ils détruisirent pierre par pierre ainsi que la sinistre tour de Bramafan. 

Après la mort de l'affreux baron, le Valdeblore vécut heureux, adoptant pour armoiries une curieuse demi-lune rappelant l'instrument libérateur de Pierre le charpentier, à côté du coq symbole de la virilité.

 D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

 

 

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