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29/01/2008

SAINT ETIENNE DE TINÉE : LE PRÉ DU DIABLE

Comme chaque année au mois de juin, j’avais quitté Vinadio sur les bords de la Stura avec ma fille Lucia pour aller chercher du travail de l’autre côté des Alpes. Après avoir fait halte à l’hospice de Sainte-Anne, nous avions franchi le col de la Lombarde pour rejoindre Isola dans la vallée de la Tinée. Là, commençait la quête incertaine d’un emploi. A l’auberge on m’indiqua un particulier de Douans qui cherchait un faucheur à la tâche. Le lendemain, je me présentais à Firmin Rapuc qui m’expliqua où se situait son pré au quartier du Bourguet. L’aubergiste m’avait bien dit : « Tu es robuste, mais méfie-toi, son pré porte malheur, il recrute toujours des faucheurs du dehors qui, le travail fait, disparaissent sans laisser de trace… ». L’homme m’apparut franc du collier, si ce n’était son étrange regard gris dont il m’avait toisé en  précisant : « Quand tu auras fauché le pré et rassemblé le foin, passe chez moi, je te réglerai d’un écu de trois livres. ». J’attaquais la coupe l’après-midi, malgré la chaleur. Lucia ratissait, tout allait comme je le souhaitais. Le soir épuisés, nous dormîmes dans la grange et, au premier chant d’oiseau, dans l’air frais du matin, nous étions à nouveau sur le pré. En fin d’après-midi, parvenu au bout de mon travail, je demandais à Lucia d’aller décrocher la gourde suspendue à un noyer poussant en bordure du pré. Alors qu’elle escaladait une branche basse, la gamine remarqua du côté de Douans une curieuse fumée qui se déplaçait à raz de terre, à la vitesse d’un cheval au galop. « Père, Père, le nuage viens vers nous ! Il voltige, je le vois qui s’amasse, il avance ! Attention Père, c’est un animal énorme, un gros chien ! ». Elle n’avait pas fini sa phrase que je vis apparaître au bout du pré, un loup monstrueux fonçant sur moi. Bien campé sur mes deux jambes, la faux levée, je fis face à la bête furieuse qui ne pu éviter un magistral coup de faux à la patte droite. Blessé, claudiquant, le loup fit demi-tour et repartit en gémissant d’où il était venu. Lucia qui applaudissait, parti d’un tel éclat de rire qu’elle en dégringola de son perchoir. Je commençais à deviner le destin tragique des malheureux venus avant moi pour faucher le terrible pré. Le matin suivant, nous frappâmes à la porte de Firmin Rapuc pour nous faire régler. Une voix sourde nous invita à entrer : « Venez mon brave et toi aussi petite, approchez-vous, excusez-moi de vous recevoir dans ma chambre, je suis obligé de garder le lit, une mauvaise chute, on se fait vieux ! ». Le pauvre homme pâle, dans sa chemise de lin, se pencha, fouilla en maugréant dans la poche de son gilet accroché à une chaise voisine du lit…Lucia me jeta un coup d’œil complice, en me donnant un coup de coude. Je remarquais que Firmin se servait maladroitement de sa main gauche, alors que son bras droit pendait suspendu en écharpe à l’épaule. Lucia pouffa et lui dit : « Maistre, pourquoi ne pas vous servir de votre main droite ? – Voilà, voilà j’y arrive » poursuivit le bonhomme en lui jetant un regard noir : « T’es bien trop maligne pour tes douze ans, si tu n’avais pas été là… ». Il sortit enfin un écu brillant qu’il me tendit en ajoutant comme à regret : « C’est bien ça n’est ce pas ? ». J’opinais du chef. Il conclut : « Ah ! Les temps sont durs, adieu l’ami ». Quand nous fûmes dehors, je n’avais pas posé mon chapeau sur la tête que Lucia impatiente commentait : « Tu as compris, c’est lui ! ». J’essayais d’imaginer comment cet homme  pouvait se changer en loup et dévorer ceux qu’il ne voulait pas payer et par quel pouvoir extraordinaire ? Mais la leçon avait-elle porté ? J’en aurai le cœur net.   L ‘année suivante, je repassais le col à la même époque, la barbe et les cheveux longs, teintés en blanc. Je me présentais chez Maître Rapuc, voûté sous le poids des ans, traînant les pieds, accompagné cette fois de mon âne. L’autre me reçut tout revigoré et ne parut pas me reconnaître. Le marché fut vite conclu et je repartis tondre le pré maudit. A la fin du troisième jour de fauche, j’attachais avec soin mon baudet au noyer, puis j’allais achever mon travail. Je n’avais pas donné le dernier coup de faux que l’animal se mit à braire et à sauter, tirant sur sa corde pour m’avertir de l’imminence d’un danger. Quelques secondes ne s’étaient pas écoulées qu’un loup roux d’une taille impressionnante déboulait de la haie, fonçant vers moi en grognant de rage. Un coup de faux aiguisée bien ajusté, décapita l’affreuse bête qui vint mourir à mes pieds. On n’entendit plus parler du diabolique Firmin Rapuc, rusé serviteur du Malin.

Le « Pré du Diable » ou « Pré du Loup » existe toujours, mais étonnamment morcelé. Les divers propriétaires ne seraient autres que les descendants du faucheur justicier, venu d’Outre-Monts.

 

D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé :

 

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http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

 

                         

16:25 Publié dans MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : HISTOIRE

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