16/04/2011
ASPREMONT (06) : LE CHÂTEAU DU MOYEN AGE
« On ne le soulignera jamais assez, entre la chute de l’Empire romain et les premières lueurs de la Renaissance féodale, ce Haut Moyen Âge prend l’allure d’un mirage, d’une longue hibernation. On pressent l’homme sans jamais le saisir ». Philippe Sénac
« Le Pays de Nice » n’évoquera pas la ville de Nice qui n’offre plus aucun vestige médiéval de forteresses ou d’ouvrages défensifs, si ce n’est le nom d’une colline « Le Château ». Un vaste parc recouvre ce monticule calcaire truffé de souterrains et de catacombes, rien ne subsiste du premier château (le palais) détruit par les Niçois lorsqu’ils se donnèrent à Gênes en 1215 et qui dut être rebâti aussitôt après en 1230. Le château neuf est antérieur à 1249, il remonterait au règne de Raymond Bérenger V.
En effet, ce domaine comtal primitif fut repris fermement en main par Raymond Bérenger V qui supprima le Consulat de Nice (1229-1230) animé de velléités d’indépendance.
La tour grosse ou tour ronde, édifiée en 1315, servit de prison. Une tour d’observation couronnait le Mont Boron (bâtie en 1340).
Les ouvrages militaires et la citadelle remaniés au fil du temps, seront rasés en 1706 comme les remparts de la ville basse, sur ordre de Louis XIV.
Au nord de Nice, sur un versant dominant la rive gauche du Var, Aspremont vit sa communauté se déplacer à deux reprises au cours des siècles.
C’est sur le site primitif, au sommet du Mont Barri à 815 m d’altitude au nord du village actuel que se trouvent les ruines d’Aspremont-Villevieille entourant les restes d’un château témoignant des constructions édifiées autour de l’an mille.
L’historien local, Pierre Bodard, indique : « les populations ont évacué les villages antiques dépourvus de toute protection pour se fixer en des lieux moins riants, certes, mais aisément défendables et d’où la vue portait très loin : ce sont nos villages perchés, en somme. Peut être s’est-il agit d’incursions sarrasines … de raids lombards ».
Edifié sur une crête rocheuse d’environ 2000 mètres de long, bordée d’à-pic, sur une plate-forme ne dépassant pas 15 mètres de large, cet ouvrage offre un exemple parfait de ces lieux de défense efficaces, isolés, entourés de pentes abruptes, sur un faîte allongé et étroit, recherchés vers les XIme et XIIme siècles.
Les populations sont à la même époque rassemblées autour de ces points fortifiés comme à Bairols (Tinée), à Dos Fraïres (près du Broc) et Revel (au-dessus de St André de Nice). Les vestiges de ce nid d’aigle, offrant une défense remarquable, se composent de la base d’un donjon carré de 5,70m de côté en appareil assez régulier, de courtines percées d’archères, de traces de portes et d’une grande enceinte enserrant les restes du village médiéval.
L’ensemble occupe une surface de cent mètres sur trente. Les ruines intéressantes d’une chapelle romane du XIIme siècle sont incluses dans l’intérieur des remparts.
Selon G. Brétaudeau, la structure reposerait sur l’emplacement d’un castellaras ligure dont subsiste un mur protohistorique de 47m de long, de 1,50m de large et d’un mètre de haut.
La population victime de l’épidémie de peste de 1327, sans doute propagée par la pollution de l’eau des citernes, fut totalement décimée, entraînant l’abandon des lieux et une installation sur le petit plateau, en contrebas, au col où s’achève aujourd’hui la route carrossable. Il subsiste là les vestiges de la chapelle de N.D. des Salettes, mentionnée par Caïs de Pierlas dès 1246, comme le prieuré des Salettes d’Aspremont cité le 13 juin 1247, lorsque le pape Innocent garantit au monastère de Saint Pons : « Ecclesiam sancte Marie d’Aspromonte ». Il y avait là un couvent où les moines devaient être assez nombreux, puisque au printemps, on y trouvait encore 80 charges de vin !
Dans sa monographie, l’historien local, P.R. Garino, note que le premier seigneur d’Aspremont (castrum de Asper-monte) est un Rostaing de la famille des Thorame-Castellane-Glandèves qui possède alors les fiefs de Castellane, Thorame, Valdeblore, Venanson, Rimplas, Isola et Roure, son nom est cité pour la première fois en 1009. En 1043, il participe à la donation de Castellane à l’Abbaye de St Victor de Marseille. Il épouse ensuite une fille de la maison seigneuriale de Nice, laquelle vicomtesse, lui apporte en dot le fief d’Asper-monte. Dès qu’il prend possession du lieu, Raymond Rostaing fait édifier le premier château fort. C’est un ouvrage important car il comprend le château proprement dit, une chapelle, le logement des gens d’armes, des serviteurs et de leurs familles. Le tout est englobé dans une vaste citadelle. Les vestiges actuels rappellent cette description première.
Plus bas, à 681m d’altitude, sur la piste d’Aspremont moyen autour du prieuré des Salettes, un village regroupe une partie des habitants qui rejoint l’enceinte du château en cas de menace.
La famille Rostaing va conserver le fief pendant plus de deux siècles, avant de le vendre en 1240 à Raymond Chabaud, appartenant à la noblesse niçoise.
Aspremont est cité d’abord comme castrum en 1226, puis dans les Statuts de Fréjus de 1235, dans l’Enquête de Charles 1er d’Anjou en1251-52 et enfin en 1325 dans la circonscription administrative de la « Viguerie de Vintimille-Lantosque », avant que d’être atteinte et partiellement détruite par la peste en 1327.
Anecdote :
Pour illustrer les mœurs fantasques de la famille Chabaud et leurs rapports difficiles avec l’Eglise, rappelons que les trois fils de ce même Raymond Chabaud, seigneur d’Aspremont défrayèrent la chronique au XIVme siècle.
Milon Chabaud est alors chevalier de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem, capitaine de galère, partisan des guelfes, il s’est distingué en mer pour son habileté et sa bravoure..
Son frère Manuel a été condamné plusieurs fois pour rixes et port d’arme prohibée par la Cour de Nice. Un différent va les opposer aux moines du prieuré des Salettes, à propos de la répartition des dîmes. Descendant de leur nid d’aigle Milon et ses frères Manuel et Hugues, maltraitent, frappent et blessent les moines bénédictins de la paroisse d’Aspremont. Pendant l’office, ils enfoncent la porte du presbytère, forcent les cassettes, brisent les coffres fermés à clé, prennent l’argent, les parements de l’église, les livres, les meubles et les emportent. Puis, défonçant la porte du cellier, ils s’emparent de 80 saumées (environ 77 hl) de vin et des légumes qui s’y trouvaient. Le prieur Don Paul Cays s’étant plaint auprès du pape de ces actes de violence et de brigandage, Milon est cité à comparaître à Avignon devant l’auditeur des causes apostoliques. Il se dérobe entraînant les évêques de Fréjus, Digne et Vence à prononcer contre lui une sentence d’excommunication, notifiée aux autorités ecclésiastiques d’Embrun, Arles, Vienne, Milan et Naples !
« Milon, oublieux de son salut et fils d’iniquité, est excommunié jusqu’à ce qu’il soit venu humblement comparaître et mériter l’absolution. Que personne ne lui parle, ne lui donne à boire ou à manger, ne le reçoive dans sa maison, château ou monastère, ni publiquement ni en cachette, ni de nuit, ni de jour et n’ose lui donner aide ou conseil ». (Bulle papale de 13 juin 1343).
L’Histoire ne dit pas si comme son père, à l’approche de la mort, Milon revint à des sentiments plus chrétiens. En effet, Raymond Chabaud imposa à ses exécuteurs testamentaires l’obligation de payer pendant sept ans un chapelain qui célèbrera tous les jours une messe pour le repos de son âme. Raymond Chabaud, possesseur du château d’Aspremont, promet s’il guérit d’aller en Terre Sainte, croix en main et s’il meurt d’envoyer à sa place un chevalier.
A la mort de la Reine Jeanne en 1382, ses héritiers se disputent le Royaume de Naples et de Provence. Si Nice se déclare favorable aux Duras, Pierre Chabaud, seigneur d’Aspremont, comme la majorité des nobles et des prélats prend parti pour les Angevins.
Le château du mont Barri est attaqué et investi par les Niçois qui annexent le fief (1385) et le conservent durant 21 ans.
Pierre Chabaud dit rebelle est expulsé de son village. Devenu propriété du Comte de Savoie, Aspremont est vendu en 1406 à Ludovic Marquesan, un noble fidèle à la Maison de Savoie.
En 1426, Ludovic Marquesan réunit le baile et les chefs de famille en parlement général sur la place du château, pour exposer les désagréments de la position du château et du village perché.
A la difficulté d’approvisionnement en eau, s’ajoute une position au nord du territoire distant des campagnes. De plus, les forêts environnantes exposent le château aux ouragans et à la foudre qui occasionnent souvent des dégâts. Enfin, la sécurité qu’assurait à la population, dans le passé, la position escarpée de la citadelle, devient maintenant illusoire, du fait de l’utilisation de la poudre et des canons.
Le nouvel emplacement proposé, celui de l’actuel village, remédie à la plupart de ces inconvénients. L’assemblée décide donc de déplacer à nouveau le château et le village. L’abandon de la crête et de l’ancien château ainsi que du village primitif, partagé entre le sommet du Mont Barri et les alentours du monastère des Salettes, sera définitif au bout de 12 ans en 1428, après l’aménagement du nouveau village.
D’après « Les Châteaux du Moyen-âge en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 20 € : téléphoner au 04 93 24 86 55
Le Moyen Âge a duré plus de mille ans, presque une éternité ! Aussi, les différences l’emportent largement sur les points communs.Quel rapport entre la Provence romaine, soumise aux déferlements des hordes barbares et celle annexée au Royaume de France de Louis XI ?Terre de passage et de partage, les Alpes Maritimes – ou Provence orientale – sans ignorer ces disparités, conservent les facteurs d’une unité enracinée dans le sol et dans les mentalités.
Qu’il s’agisse de la langue latine, de la religion chrétienne, de la contruction des états modernes aux œuvres de l’intelligence, cette époque fournit en ce lieu tous les éléments nécessaires pour appréhender dix siècles de cataclysme et de grandeur.
La découverte des châteaux et des forteresses médiévales d « Pays d’Azur » (Alpes Maritimes), témoins authentiques des bouleversements de cette période clé n’est pas aisée ; elle constitue pourtant le meilleur moyen de retrouver ces temps disparus.
Les plus anciennes constructions datent d’un millénaire ; en parties détruites ou restaurées, elles offrent rarement leur visage primitif, laissant le plus souvent à l’imagination le pouvoir de les faire renaître.
L’archéologie de l’âme peut nous aider à retrouver l’image vivante de la chevalerie et des nobles hantant ces demeures oubliées.
Elle nous sera restituée grâce à de nombreuses anecdotes émaillant l’austère description des sites. Puisées dans les chroniques et les légendes, elles restituent une vision de valeurs fondées sur l’honneur et la foi.
Confronté à l’hostilité et à la violence d’un monde obscur, l’homme médiéval exprimera une part de ses ambitions et de ses craintes par des ouvrages défensifs. Ces orgueilleux édifices inscrivent dans le paysage les premières empreintes de l’histoire mouvementée des Alpes Maritimes.
Laissons-nous entraîner à la fabuleuse découverte de ces 140 châteaux et vestiges médiévaux présentés avec précision par Edmond Rossi, un niçois passionné par le passé et les traditions d’une région qu’il connaît bien. Il nous offre en plus la part d’imaginaire qui entoure ces vieilles pierres.
Rappelons qu’Edmond Rossi est l’auteur de plusieurs ouvrages traitant de l’Histoire des Alpes Maritimes et de la mémoire de ses habitants.
Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur
10:47 Publié dans Découverte du Pays d'Azur, HISTOIRE, Livre, MEMOIRE, TRADITION | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alpes maritimes, côte d'azur