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13/01/2016

LES JUIFS DANS LES ALPES MARITIMES AU MOYEN AGE

histoire

C'est un des traits originaux de la société provençale au Moyen-Age que la proportion notable des juifs, rencontrée non seulement dans les grandes cités commer­çantes mais aussi dans certains bourgs. Ecartés de la vie publique, les juifs trouvent dans les transactions commerciales et dans le crédit un emploi utile de leur activité, le seul même qui leur est permis. Ils consentent des prêts aux paysans, et même, à Avignon où ils représentent les compagnies florentines, aux communautés, seigneurs et commer­çants. Ils s'adonnent en outre à une grande variété d'occupations (la médecine, l'artisanat etc.). Leurs droits en Provence sont égaux à ceux des chrétiens; ils sont sous la protection de la Cour royale qui lève une taille sur l'ensemble des communautés.

A Nice, après la dédition, la communauté est soumise à des règles plus strictes et d'esprit moins tolérant surtout à partir de 1430 et de l'édit d'Amédée VIII qui révoque et annule toutes les tolérances et privilèges passés, oblige les juifs à vivre dans un quartier séparé, à porter un signe distinctif sur l'épaule gauche, leur fait défense absolue de prêter à usure.

Voici quelques pièces d’archives révélatrices de la vie des Juifs à cette époque.

1 - Publication en la viguerie de Puget Théniers de l'ordonnance du sénéchal sur l'application de l'édit contre l'usure, donnée à Aix le 14 mai 1302-1302, 27 mai A.D. Bouches-du-Rhône, B 416

« Nous avons appris que certains juifs... qui n'habitent pas dans des lieux relevant de notre autorité... se livrent à l'usure dans les comtés de Provence et de Forcalquier... en infraction avec la constitution royale... parce qu'étant placés sous une autre juridiction, il ne pensent pas pouvoir être punis par la cour royale... Nombre de nos sujets... sont tombés dans un extrême dénuement à cause de... leur voracité extrême... Nous ordonnons que la dite constitution soit proclamée... afin qu'aucun contrat ne soit passé avec des juifs relevant d'une autre juridiction... Vous ferez faire de cette proclamation un instrument public, dont vous garderez un exemplaire, un autre étant dressé, sous quinzaine, au maître rational à la Cour royale d' Aix ; il vous sera restitué après avoir été enregistré dans le cartulaire de la cour, et vous nous en accuserez réception... ».

2 - Juifs et chrétiens à Grasse (1386) Marie de Blois, régente durant la minorité de son fils Louis Ill, enjoint aux of­ficiers de Grasse d'interdire des ventes de vin au détail faites par les Juifs dans des conditions jugées abusives et de limiter à 25 % le taux d'intérêt de l'argent que les Juifs prêtaient aux chrétiens. Ce texte est significatif de la méfiance et de l'hostilité la­tente qui inspiraient alors les rapports entre Juifs et chrétiens. «Marie, par la grâce de Dieu reine de Jérusalem et de Sicile, duchesse des Pouil­les, d'Anjou, comtesse de Provence et de Forcalquier, du Maine, de Piémont et de Roucy, gardienne, tutrice et régente de notre illustre très cher fils Louis, par la mê­me grâce roi, duc et comte des susdits royaumes, duchés et comtés, aux officiers de la cour royale de la ville de Grasse présents et futurs et à chacun d'eux ou à leurs lieutenants, grâce et bonne volonté. De la part de la communauté des hommes et des ambassadeurs de la ville royale de Grasse un rapport récemment présenté à notre majesté exposait que quelques juifs habitant dans la susdite ville achètent aux chrétiens pauvres des raisins au temps des vendanges et parfois les leur extorquent en quantité importante et achètent du vin pour le revendre au-delà de leur provision et ensuite vendent­ ce vin aux chrétiens et à tous ceux qui veulent en acheter pour une grande quan­tité d'argent; de plus ils prêtent aux chrétiens, et en reçoivent et exigent de l'argent à des intérêts plus élevés qu'il n'est d'usage au préjudice et très grand dommage de la­dite communauté et de ses particuliers pauvres; c'est pourquoi on nous implore instamment d 'y remédier en droit. Nous voulons et mandons à votre fidélité par les présentes, en le prescrivant de notre science certaine, que vous ne permettiez à l'avenir sous aucun prétexte aux susdits Juifs de vendre aux chrétiens le vin au détail, mais seule­ment en gros, et que lesdits Juifs ne reçoivent en intérêts ou pour le profit de leur argent qu'ils accordent ou accorderont dans l'avenir en prêt aux chrétiens que cinq sous pour une livre annuellement, selon la forme des statuts édictés sur ces points à leur encontre dont nous voulons et ordonnons l'observation; ne le souffrez dorénavant en aucune matière ne le permettez, si vous désirez éviter la lourde peine qui vous se­rait imposée à notre jugement…»

3 - Lettre d'Amédée VIII, duc de Savoie, sur l'exécution des dispositions relatives aux juifs, contenues dans les statuts de réformation générale.- Thonon, 1433, 16 juillet, A.M Nice, GG 46 bis

« Nous ordonnons..., sous peine de cent livres reforciat... de faire observer par les juifs résidant dans la dite ville de Nice,... tant les dispositions contre l'usure... que la réclusion de leurs habitations (c'est-à-dire leur séparation d'avec les chrétiens » ).

Le taux de l'usure était alors fixé aux environs de 27 %, le taux majeur d'intérêt des prêts de la « casana » ou banque de prêt, était de 20 % .

4 - Lettre de Louis I, duc de Savoie, ordonnant l'installation d'un banc à part pour les juifs au mazel (boucherie).- Genève, l446, l0 décembre, A.M Nice, GG 46 bis

« ... Vue la demande annexée, à laquelle il nous semble (bon) de nous conformer, en séparant les juifs des chrétiens,... nous ordonnons qu'il y ait au mazel de Nice un étal séparé et un seul, pour les juifs habitant (la ville), sur lequel vous ordonnerez qu'ils achètent leurs viandes... leur interdisant... d'en acheter à un autre étal... ».

5 - Lettre de Louis I, duc de Savoie, ordonnant que les juifs portent un signe distinctif.­ Genève, l446, 12 décembre,A.M. Nice, GG 46 bis

« Nous ordonnons... que vous fassiez proclamer dans les lieux habituels de notre cité de Nice que tout juif habitant dans la dite cité, tant homme que femme, devra porter la rouelle ( « rotam » ) ou un grand signe, comme les autres juifs de nos États, et à un endroit visible et non caché... afin de pouvoir les distinguer des chrétiens... ».

La rouelle était un morceau d'étoffe rouge de 3 doigts de diamètre.

6 - Contrat de louage d'un domestique par un juif.- l452, 22 mars A.D. Alpes-Maritimes, 3 E 74/119

Le respect des règles religieuses, notamment du sabbat se traduit par une clause spéciale: « Egalement, il fut convenu que tous les samedis de l'année ledit Antoine aura congé... ».

D’après « Les Châteaux du Moyen-âge dans les Alpes Maritimes », pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 23,50 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

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19:29 Publié dans HISTOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire

16/04/2013

LES LOUPS À GOURDON AU XIX ème SIÈCLE...

histoire

Le pittoresque village de Gourdon, juché sur une arête rocheuse, offre encore aux randonneurs qui ont le courage de l’aborder par son ancienne voie, « le chemin du Paradis », un bon exemple des difficultés d’accès opposées aux bandes armées à l’époque où les habitants devaient se garder de leurs attaques.

Accessible aujourd’hui par d’excellentes routes, au départ de Pré du Lac et de la vallée du Loup, il est devenu un des belvédères touristiques les plus fréquentés de la Côte 

En 1955, le commandant Octobon entraîne en ce lieu le groupe de recherches de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes Maritimes.

Dans le tome IV de cette vénérable association, il relate d’intéressants témoignages historiques  portés à sa connaissance par des anciens du village.

Un paragraphe relatif aux loups rappelle brièvement quelques souvenirs d’une époque pas si lointaine où les loups étaient dangereux.

«  Le vieux curé de Gourdon se rappelait avoir participé dans sa jeunesse à des battues et des charivaris  et des tintamarres faits avec de vieilles casseroles pour éloigner ces fauves des troupeaux et des bergeries.

Il reste aujourd’hui le souvenir et les ruines de nombreux courtils qui ont été quelquefois confondus avec des camps ou des refuges préhistoriques. »

En effet, il faut avoir parcouru les solitudes des plateaux calcaires des Préalpes étalés au nord de Vence et de Grasse, pour retrouver nombre de bergeries ruinées, bordées de solides enclos de pierres sèches.

Ces parcs à moutons, clôturés de massives et hautes murailles appareillées, surmontées parfois de pierres taillées en angles vifs, rappellent leur vocation dissuasive face à la menace permanente des loups.

Dans ces refuges le berger regroupait ses bêtes la nuit venue, pour les protéger des attaques sournoises des hordes aux féroces appétits.

C’est dans ce contexte que se déroule en 1882 l’anecdote qui suit.

Nous étions à la veille de Noël. Marius Funel, jeune artilleur fraîchement incorporé au fort carré d’Antibes, venait d’achever avec succès sa formation. Sorti premier de son peloton, les qualités de ce brillant militaire avaient retenu l’attention du commandant de compagnie, au point de le gratifier d’une première permission exceptionnelle de quarante huit heures, doublée d’un délai de route équivalent, pour rejoindre sa famille à Gourdon à l’occasion des fêtes.

Ainsi, le jeune homme se voyait autorisé à franchir d’un cœur allègre la sinistre poterne du fort en ce 22 décembre vers midi, pour s’engager d’un bon pas en direction de la ville d’Antibes, puis de là vers Valbonne. Il lui faudrait ensuite compter près de sept heures de marche pour atteindre son cher village.

Marius partait avec plein de projets en tête et deux cadeaux destinés aux deux femmes de son cœur, sa mère bien sûr, mais aussi la douce et tendre Léonie qu’il n’avait plus embrassées depuis juillet.

A sa mère il destinait un coupe-papier en cuivre gravé de son nom, objet, tiré d’une douille d’obus, qu’il avait façonné lui-même. Pour Léonie, il emportait un petit flacon de parfum en faïence finement décoré, rempli d’essence de rose, acquis après un détour obligé dans une boutique du vieil Antibes.

Léonie, originaire du village voisin de Cipières, avait de suite bouleversé Marius.

Elle était devenue, depuis, ce qu’il était convenu d’appeler sa « calignaïre », mot savoureux exprimant à la fois la notion de fiancée attitrée, de petite amie officielle, avec en plus l’idée d’une donneuse de câlineries amoureuses.

La jeune fille avait conservé ce mélange piquant de puérilité rêveuse et de vulgarité troublante des filles de la campagne, alliant naïveté avec un rien de fourberie propre à émouvoir Marius dès leur première rencontre.

Celle-ci s’était produite en avril, à l’occasion du mariage de cousins communs à leurs familles. Au bal qui suivit les agapes, Léonie, un peu soûle, se déhanchait  de façon suggestive en souriant aux garçons d’une manière effrontée ; séduit, Marius se laissa très vite captiver. La friponne semblait s’offrir, mais ce n’était là qu’un jeu, une illusion. Les quelques baisers volés et les caresses fugitives partagées sous la lune entraînèrent bien des promesses, un rien malmenées par le départ de Marius à l’armée.

Lors de leur  séparation, vécue comme une déchirure, Léonie lui avait remis en gage de serment, un lis sauvage à l’éclatante blancheur virginale. Ce témoignage d’amour devait sceller leur relation à tout jamais, par-delà ce pénible contretemps.

Leur mariage fut remis à plus tard, mais pour eux comme pour leurs familles la chose était conclue.

C‘est avec la tête pleine de rêves fous que Marius arpentait à grandes enjambées le chemin  conduisant  vers son cher Gourdon.

A la mi-journée, il avait sorti de sa musette un quignon de pain et une épaisse tranche de lard accompagnée d’un bout de fromage dont l’avait gratifiés Gaspard Féraud, le cuisinier de la compagnie, un grassois qui l’avait pris en sympathie. Assis pour une courte pose face au paysage calcaire ourlé de neige où Gourdon se dressait fièrement sur le bord de l’échancrure sombre des gorges du Loup, il mesurait la distance le séparant encore de l’objet de ses affectueuses retrouvailles.

En fin d’après-midi, à Opio, il rencontra le charron Zéphirin Alzial, un ami de son père, qui l’invita à boire une goutte pour se réchauffer avant d’entamer la rude montée vers son village. Zéphirin ne lui cacha pas que là haut la neige encombrait les chemins et qu’il devrait être attentif au sol gelé. Il ajouta : «  Ne coupe pas par le travers, dans ta hâte à gagner du temps, ce serait un mauvais calcul. De plus, les loups rôdent affamés par le froid, ils sont prêts à tout… Méfie-toi ! »

Fort de ces recommandations, dont il n’avait que faire, Marius entreprit sa dernière étape dans un environnement sauvage privé de toute habitation.

Plus haut, les platitudes du causse, balayée par les vents, n’accueillaient que les rares cabanes de bergers, entourées d’enclos de pierres sèches, aujourd’hui désertées après le départ de la transhumance.

Déjà le soleil baissait sur l’horizon vers Grasse, alors que Marius progressait dans une neige crissant sous ses pas. Le court crépuscule de saison laissa bientôt place à une ombre froide activée par une brise légère. Au loin sur la crête, Marius aperçut bientôt les lumières tremblotantes de Gourdon, mêlées à la voûte scintillante des étoiles. 

Les traces laissées par le passage d’autres voyageurs tranchaient  sur  la blancheur du tapis neigeux, aidant Marius dans sa marche.

Parvenu au vallon de la Combe, Marius décida d’emprunter un  raccourci vers le Garagaï, évitant un large lacet plus commode pour les attelages. L’obscurité de la nuit, seulement atténuée par la clarté blafarde de la lune permettait à Marius de suivre les marques du sentier couvert de neige gelée. Bien que désormais hésitante, sa progression ne s’était pas ralentie.

Soudain quelle ne fut pas sa surprise d’entendre raisonner dans le bois voisin un hurlement terrible déchirant le silence de la nuit, un « Hou hou hou ! », repris en écho, propre à vous glacer le sang. Marius connaissait l’origine de ce cri, les loups n’étaient pas loin, clamant leur faim à la recherche d’une proie possible.

Après ce signal d’alerte Marius se déplaçait attentif au moindre bruit, scrutant la nuit pour y deviner la menace d’une présence.

Son attention ne tarda pas à être attirée par des ombres furtives remontant plus bas sur le sentier qu’il avait emprunté. Nul doute les animaux avaient flairé son passage suivant sa trace à grande allure. Guidés par leur instinct de chasseurs, aiguisé par la faim, ils ne tarderaient pas à le rejoindre. Marius n’avait pour se défendre qu’un pauvre bâton et son petit couteau, bien peu de choses face à la détermination d’aussi redoutables adversaires.

Puis les événements s’enchaînèrent très vite, deux énormes bêtes sautèrent sur le malheureux Marius qui chancela, glissa sur la glace, chavira en essayant de protéger son visage des atroces morsures. Sa position couchée offrait l’avantage à ses adversaires, au milieu des cris de l’homme et des grognements des fauves la curée débutait. Egorgé, l’infortuné Marius perdit connaissance, son ultime pensée alla vers la douce Léonie dont il entrevit le beau visage éclairé par la blancheur d’un lys sauvage…

Plus tard, des gens de Gourdon descendus à la foire de Grasse trouvèrent sur le bord du sentier les restes d’un homme déchiqueté par les loups. Près de lui, un morceau de papier enveloppant un petit flacon de parfum en faïence finement décoré rempli d’essence de rose, accompagné d’un coupe-papier en cuivre gravé des initiales M. F., permirent d’identifier le soldat Marius Funel.

 

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

 

Le loup est de retour en France et plus exactement près de nous, dans le Parc du Mercantour et les Alpes du Sud.

Ce « grand méchant loup », cauchemar de nos nuits d’enfant, traînant dans la mémoire collective des générations de « mères-grand » et de « chaperons » dévorés tout cru, revient cette fois sur notre territoire nanti du statut intouchable d’espèce protégée par le Conseil National de la protection de la nature et la Convention de Berne.

Réhabilité et qualifié de « prédateur indispensable à la chaîne alimentaire et aux rétablissements des équilibres naturels », le voici blanchi de tous ses crimes passés et à venir et toléré aux portes de nos villages.

L’homme encore une fois a décidé du destin de la bête  avec sa propre logique.

Pourtant, les souvenirs laissés dans la mémoire de nos aïeux ne sont pas tendres et méritent qu’on s’y arrête.Les Alpes Maritimes ou « Pays d’Azur », nées de la rencontre des Alpes et de la Provence, offrent un cadre exceptionnel fait de vallées aux forêts sauvages et de villages perchés aux traditions vivaces.

Edmond Rossi, auteur niçois de différents ouvrages sur le passé et mémoire de sa région, présente ici une trentaine de récits recueillis dans les annales de la Provence orientale et du Comté de Nice.

Témoignages authentifiés touchants de vérité, ces textes évoquent les péripéties du loup, dans ce vaste territoire.

Parfois issus d’une tradition orale qui se perpétuait jadis aux veillées, ces contes portaient le plus souvent sur des faits réels, auxquels nos anciens se trouvaient mêlés.

Partons sur la piste mystérieuse de ce grand perturbateur que l’imagination populaire a toujours travesti familièrement de ses propres fantasmes.

A travers les « Histoires de loups au Pays d’Azur » retrouvez les contes de jadis, cette vieille magie des mots qui vous emmène au pays du rêve et de l’insolite.

Pour un temps, laissez-vous emporter vers un passé troublant celui où nos ancêtres vivaient en compagnie du loup avec des rencontres riches d’émotion.

 

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27/07/2012

HISTOIRE DE LOUP DANS LE MERCANTOUR

 HISTOIRE

 LA LOUVE NOIRE

C’est au milieu de la nuit que s’acheva la veillée. Mon grand-père s’était encore surpassé en nous racontant pour l’énième fois ses souvenirs de la Grande Guerre, alors que militaire du XV éme corps, sa bravoure et celle de ses compagnons avaient été mises en doute par un officier vindicatif. 

Sorti de la douce moiteur de l’étable où nous étions réunis, je regagnais la ferme de mes parents sans avoir allumé le « lanternin » tant la clarté de la lune était vive.

Le froid m’avait très vite saisi et j’avançais à petits pas prudents sur le chemin  gelé encadré d’un ourlet de neige.

Alors que j’approchais du hameau du Mounard, une lueur soudaine attira mon attention. Entrouverte et aussitôt refermée, la porte de la maison d’Augusta laissa échapper une ombre qui se dissipa dans la nuit. Intrigué, je m’approchais pour n’apercevoir sur la neige que les traces de pattes d’un animal, sans doute un chien, que je décidais de suivre avant de les perdre à la sortie du village.

Augusta, veuve solitaire n’avait pourtant pas de chien mais plutôt la compagnie de chats, noirs de préférence ! Cette étrange femme connue sous le sobriquet de « la masca » ( la sorcière) à cause de ses dons de guérisseuse et de voyante qui avait fait sa renommée dans tout le canton.

Estimée et crainte à la fois, elle savait enlever le mal, mais aussi le donner si on le lui demandait. Femme sans âge, toujours vêtue de noir, elle sortait rarement chacun lui livrant en rétribution de ses services le nécessaire et le superflu.

Le lendemain, j’avisais mon grand-père de cette curieuse vision nocturne. Celui-ci hocha la tête avant d’ajouter : « Ceci ne m’étonne guère, nous étions le vendredi soir et de plus tu nous as quitté un peu avant minuit. Si tu veux en savoir plus, il te faudra patienter une semaine et guetter de nouveau à la même heure aux abords de chez Augusta.»

Nous étions début février, après la saint Agathe, mais si les jours rallongeaient les rituelles veillées se poursuivaient comme au cœur de l’hiver. Dans ce monde clos bloqué par la neige, la veillée offrait un agréable lieu de rencontre. Si les hommes s’affairaient à fabriquer des outils, des instruments nécessaire à la vie courante comme les paniers, les femmes filaient la laine et le chanvre. Les enfants ne restaient pas inactifs, munis d’un maillet et d’une planche trouée ils cassaient les noyaux des abrignons (petites prunes sauvages) pour en recueillir les amandes destinées à fournir une huile fine très appréciée. Si les mains étaient occupées, les contes, avec leur inévitable cortège de  sorcières, de loups et de revenants pimentaient également ces soirées.

Plus tard l’assemblée chantait avant de déguster pommes, poires, nèfles ou sorbes cuites au four, fruits offerts par les hôtes.

Durant cet hiver rigoureux, les histoires de loups captivaient d’autant plus, depuis leur insistante menace.

En particulier, une louve noire, apparemment familière des lieux, semblait conduire la meute non seulement vers les étables mais aussi en direction des enfants jouant aux alentours.

Un soir, naïf, j’avais questionné pour savoir comment reconnaître le masc ou la masca ? J’appris que certains détails ne trompent pas : ses yeux cernés, ses mains sèches, même quand elles sortent de l’eau, les nombreux chats qui l’accompagnent, sa façon de marmonner seraient autant d’indices révélateurs. Il fallait se rendre à l’évidence, Augusta, bien que jamais nommée,  correspondait bien à ce portrait.

J’appris encore que ces serviteurs du Diable rencontraient leur maître lors de sabbats où ils se livraient à des rondes infernales, avant de recevoir leur ordre de mission pour aller tourmenter les pauvres humains

Le vendredi suivant, prétextant une grosse fatigue, je quittais la veillée plus tôt qu’à l’habitude, pour venir me poster à proximité de la demeure d’Augusta.

Le volet de la cuisine entrebâillé laissait filtrer un trait de lumière découpant la blancheur de la neige. Je m’approchais, et ce que je vis me glaça le sang.

Debout devant sa cheminée, Augusta après s’être entièrement dévêtue, enduit son corps de suie de la tête aux pieds. Puis, aux douze coups de minuit égrenés par le clocher du village, elle s’accroupit et se plaça à quatre pattes, pour ensuite changer d’aspect et se transformer en ce qui semblait être un animal à poil noir que j’identifiais à une sorte de gros chien. Son corps élancé, aux flans rentrés, sa forte encolure portant une tête massive et triangulaire surmontée par des oreilles dressées, correspondaient aux caractéristiques d’un loup. Seule l’étrange nuance sombre de sa robe semblait exclure cette filiation. Je réalisais soudain qu’il s’agissait de la fameuse et tristement célèbre louve noire, venue troubler la quiétude hivernale de notre petit village.

Par quel pouvoir mystérieux Augusta était-elle parvenue à apparaître sous les traits d’un si féroce animal ? Mais je n’étais pas au bout de mes surprises !

La bête sortit furtivement par la porte qui s’entrouvrit, comme le vendredi précédent, avant de trottiner allégrement en direction du pré de David. Je ne lâchais pas la trace et je pus alors assister à un spectacle extraordinaire dont les scènes hanteront ma mémoire à tout jamais…

Autour du gros noyer du pré voletait une nuée obscure de chauves-souris alors que sautillaient au sol quelques gros crapauds en compagnie de loups tout aussi foncés, réunis là par je ne sais quel sortilège !

Une musique étrange venue de nulle part imposait bientôt un rythme syncopé entraînant ces êtres hideux dans une folle farandole. Bientôt un colosse cornu sortit du bois, interrompant la danse traditionnelle du sabbat. Avec des cris gutturaux, soulignés d’atroces grimaces, le monstre présenta son postérieur à l’assistance, puis levant son appendice caudal il invita chacun à venir baiser ses fesses comparables à un second visage. Puis bénissant l’assemblée de ses séides avec de la pisse, le Diable offrit un affreux banquet cannibale où circulaient les plats de tripailles de malheureux défunts dont chacun pouvait se repaître.

Le sinistre festin s’acheva aux premières lueurs de l’aube. Chacun reçut alors les consignes du Maître, avant de retourner dans le monde des humains pour y commettre ses méfaits.

Plus tard, sur le chemin du retour, la louve noire avec son sourire carnassier et ses yeux dorés en amande posa sur moi son fascinant regard. Je compris alors que ma dernière heure était arrivée.

L’écume aux lèvres, l’animal bondit sur moi en grondant, me renversant dans la neige. Déjà ses crocs s’enfonçaient dans mon bras replié pour protéger mon visage.

Si  elle parvenait à refermer sa mâchoire sur ma gorge, ma fin serait immédiate.

Saisissant mon couteau, je plongeais sa lame dans la chaude fourrure vers le cœur de l’animal qui soudain s’amollit avant de m’écraser sous son poids. 

Lorsque je revins sur les lieux de l’attaque, en compagnie de mon grand-père, seule la neige rougie attestait encore de la réalité du combat, curieusement, la dépouille de la bête avait disparu.

Dans la journée, nous apprîmes le décès d’Augusta, à la suite d’une malencontreuse chute sur un chenet. Le jour suivant, le glas sonna vainement pour accompagner le départ de l’âme de la louve noire, vers un au-delà qu’elle avait si souvent fréquenté.

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 €  contacter: edmondrossi@wanadoo.fr

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