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28/02/2007

LES TEMPLIERS DANS LA COMMANDERIE DE GRASSE (SUITE)

              LA FIN DE L'ORDRE 

Le 24 janvier 1308 à l’aube, le juge Campanus Ruffi de la Cour de Grasse, en compagnie du notaire Michel Gauthier et de quelques hommes d’armes, se rendent à l’église Saint Jacques de la cité de Grasse. Conformément à l’Ordre lancé par le Comte de Provence le 13 janvier précédent, ils procèdent à l’arrestation de deux Templiers présents dans la commanderie : le chapelain Guillaume Guigonis et le frère servant Guillaume Bérenger.

Le notaire rédige l’inventaire des biens de la maison et reçoit ensuite, trois jours durant, les dépositions des tenanciers de l’Ordre convoqués par la voix du crieur public. L’inventaire, minutieusement dressé en latin, indique dans l’église Saint Jacques : Trois ornements sacerdotaux, deux manteaux dorés, un grand et un petit, une chasuble dorée en soie dans une aube sacerdotale, une chape teinte en rouge et une chasuble violette, un froc de brocart pour le diacre sur lequel est l’image ou la forme d’un lion rouge et une chape rouge sur laquelle se trouve l’image d’un léopard en couleur safran, une chasuble de toile avec une croix de couleur safran, dix sept nappes d’autel pour les quatre autels de l’église, une couverture romane, une aube, une petite nappe d’autel, trois couvertures de croix, deux coussins, un de couleur safran, l’autre de toile, deux candélabres d’autel en cuivre, deux autres en bois et deux autres en fer. Ils découvrirent également divers livres pour les offices de l’église : un missel, un évangéliaire, un capitulaire, un épistolaire, un livre de répons, deux psautiers, un ordinaire, un livre pour le baptême des enfants, un encensier. Ils trouvèrent dans une armoire de nombreux documents et une caisse pleine de divers privilèges, tant du Pape que d’autres, une caisse en laiton, un mors de cheval, une petite croix en argent, un reliquaire contenant des reliques de Saint Barthélemy et Blaise, une grande croix en laiton et une petite. Deux brandons de cire, un vase en fer pour l’eau bénite, une chasse sur l'autel de Saint Jacques, dans laquelle se trouve plusieurs reliques de saints et au-dessus un cadre représentant la Vierge, deux petits manteaux de soie…ainsi que du linge d’église. Figurent ensuite à l’inventaire, des objets de première nécessité de facture en apparence rudimentaire : 2 brocs, 5 vases à vin, une crémaillère, un siège, de quoi faire une table, un peu de literie et quelques caisses. Pour se vêtir : 2 ou 3 peaux de bêtes, autant de «garde-corps », 3 paires de chausses, 2 épitoges, un manteau et quelques chemises. En plus d’un cheval maure, « avec une étoile au front », sont également signalés deux cloches sur le clocher, deux de taille réduite dans l’église. La saisie des biens du Temple à Grasse, comporte 76 redevances foncières et deux rentes de biens loués, les témoins convoqués sont : Etienne de Vence, Bertrand Fulcosi, Paul de Palena, Guillaume Meyfred, Baudet de Gourdon, Pierre Mollerat d’Apt. A Châteauneuf de Grasse, la saisie s’opère sur cinq pièces de terre. Il est admis par J.A. Durbec que les procès verbaux de saisie ont pu être amputés des déclarations faites dans des centres moins importants, ils seraient donc partiels pour la viguerie de Grasse. Etablis localité par localité, les procès verbaux de la saisie de 1308 permettent de retrouver les droits généraux et les biens propres à l’Ordre, avec les noms des hommes et femmes du Temple, la liste  des personnes qui tenaient ces biens, le détail de ces biens et le décompte des services et redevances recueillis par les frères de l’Ordre. Ils représentent la source d’information la plus fiable, bien que parfois incomplète.

 

Dans la juridiction de la commanderie de Grasse, certains vestiges moyenâgeux ont été attribués à l’Ordre du Temple, entre autres, le château du Tignet et le Castellaras de Thorenc (Moris). J.A. Durbec indique le Tignet et Thorenc comme des localités où les possessions templières sont incertaines, faute d’archives spécifiques et ceci en dépit d’intéressants vestiges datables du XIII ème siècle. Le Castellaras du Tignet dresse fièrement ses ruines sur un contrefort dominant la route à proximité du village. Cette orgueilleuse forteresse du XIII ème siècle, avec son enceinte polygonale, ses deux tours en éperon et ses meurtrières, fut probablement érigée par les princes de Grasse soucieux de défendre les limites occidentales de leur territoire. Partiellement détruite en 1387, lors d’un raid de Raymond de Turenne, la place forte sera ensuite abandonnée tout comme le village voisin, rasé dans les mêmes circonstances. Historiquement le fief du Tignet dépendant de la famille de Grasse, n’est pas mentionné dans les domaines ayant appartenu au Temple. Le Castellaras de Thorenc, magnifiquement perché sur une acropole, présente également les restes imposants d’une citadelle médiévale dont  les origines troublent plus d’un historien, dans la mesure ou l’Ordre militaire et religieux des Hospitaliers y laissa son empreinte, créant ainsi une possible confusion.

 

A la fin du XII ème siècle, suite aux foyers de guerre qui s’allument simultanément à Grasse et Castellane vers 1180, puis au début du XIII ème siècle, en 1227, le Comte de Provence confie à l’une de ses troupes d’élite, les Hospitaliers, la mission d’isoler ses ennemis Boniface de Castellane et les aristocrates grassois. Après s’être emparé du château de Pugnefort, au-dessus du hameau de la Ferrière (Valderoure), proche de Thorenc, les Hospitaliers assiègent le Castellaras de Thorenc, qu’ils soumettent également, ces deux places fortes étaient tenues par des nobles rebelles au Comte de Provence. Le château de Pugnefort est donné aux Hospitaliers par le Comte de Provence en 1207. La famille d’Andon, initialement installée dans le Castellaras de Thorenc, dressé au début du XI ème siècle, quitte les lieux pour un nouveau site après avoir capitulé. De 1200 à 1225, le Castellaras est indiqué comme « château » dans les actes des comtes de Provence, selon F. Benoît. Le fief de Thorenc passe tour à tour des seigneurs d’Amirat aux consuls de Grasse, pour aboutir en 1227, aux puissants et turbulents comtes de Castellane. Enfin le 13 décembre 1229, Romée de Villeneuve, sénéchal de Provence, reçoit du Comte de Provence Raymond Bérenger V, le titre de baron et en autres fiefs celui de Thorenc. A sa mort son fils Paul hérite de la seigneurie qui en 1252 est partagée avec le Chapitre de Vence. Une branche de la famille de Villeneuve, les Villeneuve-Thorenc, conserve le fief jusqu’à la fin du XVII ème siècle. L’acquisition du château de Pugnefort par les Hospitaliers en 1207, est complétée par le castrum (village fortifié) contigu. Lors des troubles du XIV ème siècle, le château un temps reconstruit est abandonné. A la Ferrière, au pied de l’ancien site médiéval de Pugnefort, s’élève encore une importante bastide du XV ème siècle, dénommée « la Commanderie ». Sa porte principale est surmontée d’une croix de Malte, rappelant qu’il s’agit là d’une maison des Hospitaliers. Les biens du fief de Pugnafort, tout comme une partie de ceux voisins de Thorenc, seront exploités par l’Ordre de l’Hospital jusqu’à la Révolution. L’enquête de 1338, sur les biens hospitaliers, indique les revenus de Pugnefort : « 300 séterés de terres cultivées en trois termes, donnant 400 setiers d’avoine ; 60 souchoirs de prés rapportant à Pugnefort et Thorenc, 300 charges de foins ; 40 ruches produisant deux livres ; un pasquerium rapportant 10 livres ». Les cens et services, perçus par la maison de Pugnefort, s’élèvent pour « Séranon à 11 sous et en nature, à huit setiers et une émine de blé ; pour Thorenc à un sou, et, en nature, à 2 setiers de blé et une émine, plus 10 sous de lods ». Ainsi donc, Thorenc fut bien annexé à une proche commanderie, ne relevant pas de l’Ordre du Temple, mais de celui concurrent de l’Hospital, d’où la méprise des historiens, séduits par la majesté du site médiéval du Castellaras. Dans une étude recensant les vestiges templiers de la région, Edmond Reynaud n’hésitait pas à indiquer : « Une des principales citadelles des Templiers était le Castellaras dans la vallée de Thorenc. Sa chapelle romane subsiste encore ». Magnifique belvédère, le sommet aplati de l’acropole fortifiée est aujourd’hui encore surmonté par les restes de trois édifices caractéristiques : au centre, une chapelle romane en mauvais état, à l’ouest, les murs en partie ruinés d’une forteresse, protégée par une série de remparts, enfin à l’est, une vaste bâtisse de facture plus récente (XV ème siècle ), certainement une bergerie ou une écurie. L’abandon du site est situé à la fin du Moyen-Age, au XV ème siècle, selon l’archéologue Pierre Bodard. Le médiéviste J.C. Poteur précise que les Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem édifièrent, peu avant 1200, un château de siège pour contrer la forteresse du Castellaras, sur un site voisin qui porte aujourd’hui le toponyme Saint Jean. Château que l’Ordre conserva après les hostilités. Il révèle également que le Castellaras de Thorenc, occupé dès le XI ème siècle, sera restauré et modifié jusqu’au XIV ème siècle, tout comme le village établi en contrebas sur les pentes méridionales. L’ensemble est encore habité en 1386, lorsque la place est investie par un chef de bande, Vita de Blois. Les vicissitudes des luttes d’influence entre Angevins et Savoyards, sur les marches de la Provence, entraînent le condottiere dans le camp du Comte de Savoie en 1388, avec sa troupe de 25 lances, soit quelques 300 hommes. Les Provençaux ne lui laissent pas occuper longtemps ce point stratégique et la vaste forteresse est prise et détruite en 1391. Le village subit le même sort funeste. Ils ne seront plus jamais reconstruits L’énigme des vestiges moyenâgeux du Castellaras de Thorenc est aujourd’hui pratiquement élucidée. Attribué par erreur aux Templiers, à cause de la présence voisine des Hospitaliers, cette citadelle n’a pas perdu de son pouvoir de fascination. La légende se perpétue avec l’évocation d’un fabuleux trésor, encore enfoui dans les flancs de l’acropole que certains n’hésitent pas à qualifier de templier ! Cette supposition a même entraîné des recherches récentes… Voici dans l’ordre chronologique, la liste (établie d’après les actes) des dignitaires de l’Ordre du Temple (précepteurs ou commandeurs) des Maisons de Nice, Grasse, Biot et Rigaud avec les dates extrêmes de leur activité : Hugues de Saliers, 1193, administrateur. Guillaume Geoffroy du Muy, 1202 Nice. Raimond de Pamias, 1205-1206 Nice. Guillaume Riquier, 1206 Nice. G. Olivier Audier, 1208-1211 Grasse. Pons Fabre, 1210-1211, Nice. Olivier Audier, 1211 Grasse. Bernard Aimie, 1212 Grasse. Olivier Audier, 1213-1219 Grasse et Biot. Rostang de Saint Laurent, 1222 Nice et Grasse. B. Saltet, 1225 Nice. Guillaume Bordat, 1225 Grasse. Bertrand Faraud, 1226 Grasse et Biot. Bernard de Cambolano, 1227-1233 Nice, Grasse et Biot. Isnard, 1237 Nice, Grasse et Biot. Bernard de Cambolano, 1240 Nice, Grasse et Biot. Bertrand Austarda, 1243 Nice, Grasse et Biot. Geoffroi de Grasse, 1244 vice commandeur de Biot, 1246-1248 Nice, Grasse et Biot. P. Capion, 1250 Biot. Pierre Geoffroi, 1251-1256 Grasse. Pierre Amendarius Bernard de Bellano, 1258-1259 Grasse et Nice. Guillaume de Clumans, 1258 Biot. Geoffroi d’Alençon, 1263 Nice et Grasse. Pierre Geoffroi, 1264 Nice et Grasse. Pierre Giraud, 1267-1269 Grasse et Nice. J. de Valono, 1277 Nice, Grasse et Biot. Pierre de Roseto, 1277 (?) Nice, Grasse et Biot. G. Capion, 1285 Nice, Grasse et Biot. Foulques Bérenger, 1286-1288 Nice, Grasse et Biot. Arnaud de Fonte, 1291 Grasse et Biot Pierre Geoffroi, 1292 Nice et Grasse. Pierre Ricau, 1295-1301 Nice, Grasse et Biot. Pierre Balbi, 1301 Biot. Selon L. Dailliez, Pierre Ricau commandeur de Grasse assista en 1292 au chapitre général de Limassol, en compagnie du commandeur du Puy en Velay, tous deux délégués de la province templiére de Provence. Ils éliront à cette occasion Jacques de Molay dernier Maître du Temple.  D’après «Les Templiers en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

 

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21/02/2007

LA DIFFICILE COHABITATION DES BERGERS ET DU LOUP

   LE BERGER, LE LOUP ET L’AGNEAU

Une meilleure connaissance du pastoralisme des Alpes Maritimes, confronté aujourd’hui à la menace du loup nous paraît indispensable.

Le berger, acteur principal des relations conflictuelles qui se sont imposées avec le retour du loup, personnage mystérieux, en communion permanente avec la nature mérite notre attention. A la fois protecteur et guérisseur de son troupeau, ce magicien des alpages n’hésite pas parfois, à tutoyer la sorcellerie pour parvenir à ses fins.

Défiant la science, les pratiques éprouvées venues du fond des âges, conservent encore une étonnante vigueur qui tient avant tout au succès obtenu.

Si en 1975 le troupeau d’ovins du département s’élevait à 70.000 têtes en hiver, pour en atteindre 120.000 en période d’agnelage, le troupeau de bovins était moins nombreux avec environ 4000 bêtes.

A ces chiffres, s’ajoutaient les animaux transhumants, venus de Provence (Crau et Comtat Venaissin) et d’Italie.

Bien que la transhumance concerne surtout les ovins, des troupeaux de génisses montés du Piémont fréquentaient la Haute Vésubie et la Haute Roya.

Au total plus de 130.000 bêtes transhumaient dans les hautes vallées du Mercantour dont 2000 bovins venus du Piémont.

Aujourd’hui, le cheptel s’est notablement appauvri. On recense des chiffres plus faibles pour l’ensemble des Alpes Maritimes : 1500 caprins répartis dans 50 exploitations, 1500 bovins laitiers relevant de 40 exploitations, mais  seulement 53000 brebis, agneaux et moutons, élevés pour le lait et la viande, le tout conduit par 178 bergers. Au total, 454 exploitations se répartissent sur 96 % de la surface agricole utilisée.

La production de fromages constitue le principal revenu de ces éleveurs sédentaires. Grâce aux fromages le Haut-Pays peut lutter contre la désertification.

La transhumance se maintient avec les apports significatifs de 85000 ovins et environ 1500 bovins, sur l’ensemble des alpages traditionnels.

Très ancienne, la transhumance est déjà codifiée au Moyen-Age.

Ce déplacement de personnes et de bétail s’opère deux fois l’an. D’une part au mois de juin, des milliers de têtes animales montent de la Crau vers la Tinée, du Vaucluse vers le Val d’Entraunes et des bassins de Fayence et Sillans vers la montagne de l’Alp.

Réciproquement, une transhumance inverse s’opère en octobre. Elle envahit l’hiver l’Esterel avec des animaux venus de Tende et La Brigue.

En automne et en hiver, les troupeaux reviennent toujours vers des altitudes plus clémentes mettant en rapport le Haut-Pays avec les environs de Nice.

Précisons que dans le Comté de Nice, « le droit de bandite » d’origine féodale donnait à celui qui le possédait, la faculté de faire paître ses troupeaux sur du terrain qui ne lui appartenait pas.

Supprimé en 1964, ce droit frappait dans les Alpes Maritimes 20.000 hectares de terrain dont 5000 de forêts.

Utelle, La Roquette, Peille, Aspremont, Duranus, Lucéram, Coaraze, Châteauneuf de Contes, Breil accueillaient ainsi pendant l’hiver les troupeaux descendus de la montagne.

Aujourd’hui, l’urbanisation et le changement de destination des terrains de parcours côtiers forcent les éleveurs à quitter le département ou à garder le troupeau à l’étable.

Traditionnellement, les moutons du Val de Blore s’installent à Aspremont, sur les pentes du Mont Cima. Ceux d’Auvare autour d’Eze et les troupeaux de Pierlas à Revest les Roches.

Cette migration saisonnière est à l’origine des premières voies de communication intérieures

Dans le passé, le courage et la résistance des anciens permettaient de surmonter les difficultés de relation imposées par le relief tourmenté de la montagne.

De nombreux chemins permettaient d’aller d’un village à l’autre et de relier bassins et vallées, quitte à affronter des pentes raides et à franchir des cols.

Les troupeaux transhumants suivaient ces sentiers appelés « draïo » dans la langue du pays.

Lors de leur passage, les bergers acquittaient, au profit des localités traversées, les « droits de pulverage », en rapport avec la poussière déplacée par leurs bêtes.

Ces migrations s’articulaient autour de grandes foires qui se perpétuent encore à Guillaumes dans la Haute Vallée du Var et à Saint-Etienne-de-Tinée.

Cette tradition d’échanges commerciaux remonte au Moyen-Age. Les habitants d’alors, attendaient les foires pour se pourvoir en objets divers, vêtements et animaux dont ils avaient besoin. Ils en profitaient également pour vendre une partie des produits du bétail dont ils devaient se défaire.

Toutes sortes de produits y étaient ainsi échangées.

Saint Etienne de Tinée connaît une foire mensuelle, celles d’août et septembre sont les plus importantes pour les ventes de bétail.

A Guillaumes, la foire aux « tardons » (agneaux nés au printemps) se déroule à la mi-septembre. Descendus à pied par centaines, aux premières lueurs de l’aube depuis les alpages, les agneaux nés au printemps qui n’ont connu comme seule nourriture que le lait de leur mère et l’herbe tendre des pâturages, attendent sur le champ de foire de trouver preneur.

Dès le Moyen-Age, Sauze, au-dessus de Guillaumes, détenait plusieurs montagnes pastorales appréciées. Au XVI ème siècle, les plus importantes appartenaient à la famille seigneuriale des Faucon qui les louait.

La communauté réservait sa montagne pastorale pour le troupeau communal, dans lequel, chaque famille pouvait mettre l’été son menu bétail.

En 1580, on comptait à Sauze, 45 « trentaniers », soit environ 1350 ovins et caprins.

Les pâturages étaient loués à des bergers étrangers, venus généralement de la Crau (Miramas, Istres).

Les dates de transhumance dépendaient des conditions climatiques : montée fin mai, descente fin septembre (Saint Michel) ou fin octobre (Saint Simon).

Le bayle ou chef berger recrutait à Sauze quelques aides qui plus tard quittaient leur village, pour suivre le troupeau et s’installer en Provence (Salon, Arles, Aix et Draguignan).

Le troupeau commun était confié à un chef berger, agréé par le conseil de ville, rémunéré par une taxe minime par tête de bétail, plus une rétribution en blé et fromages.

A La Brigue, toujours au Moyen-Age, l’importance de l’élevage ovin était tel que ce bourg devint un centre de production et de commercialisation d’une laine pour étoffes solides, attirant les marchands étrangers, venant même de Marseille !

De nos jours, les villages prolongeant la tradition pastorale sont rares. Saint Dalmas le Selvage persiste à se spécialiser dans l’élevage des ovins indigènes qui forment la majeure partie du cheptel sédentaire de la vallée de la Tinée.

Le spectacle de la transhumance traversant les villages avec ses brebis porteuses de sonnailles, ses ânes lourdement chargés, encadrés par des chiens attentifs à leurs maîtres, n’est plus que le privilège des hautes vallées.

Les camions semi-remorques transportent ensuite les moutons depuis la moyenne vallée, pour un voyage jugé plus commode et rapide, sacrifiant ainsi une tradition séculaire.

La réapparition du loup dans les Alpes menace aujourd’hui le pastoralisme extensif des vallées du Mercantour, déjà affaibli par une impitoyable concurrence internationale.

Le berger, maître incontesté de la montagne, en symbiose avec la nature depuis les origines de l’humanité, ne méritait pas un destin aussi cruel.

Le berger entoure son troupeau d’une magie protectrice, dite magie « propitiatoire et symbolique » qui se manifeste sous la forme de rites, de talismans ou d'objets sculptés, préparés à l'intention des meneuses (menouns en provençal), ces bêtes qui marchent en tête et conduisent le troupeau.

Depuis la nuit des temps, le pâtre se fie au dicton, forgé par l’expérience,  affirmant que : « Si le chien est du bon Dieu, le loup est du Diable ».

Dans sa démarche l’amour dépasse souvent la magie par des gestes simples, comme ceux évoqués par Marie Mauron : « Tiens longtemps dans tes mains du pain, du sel et du maïs, puis donne les chauds de toi, chauds d’amour et de bon vouloir. Alors, la bête consentira à souffrir de tes soins, s’il le faut, elle s’abandonnera sans peur ni recul et guérira. »

Les soins s’apparentent parfois à des pratiques étranges, comme le recours à la « pierre à venin ». Lorsqu’un homme ou une bête est mordu par une vipère, on applique la « pierre à venin » sur la morsure, cette pierre a le pouvoir d’extirper la substance toxique en s’en imprégnant, puis de la rejeter après avoir subi un trempage dans du lait. Des manuscrits précisent que si ce lait était bu accidentellement par un chat ou un chien, l’animal mourrait empoisonné. Le phénomène a été confirmé lors d’une expérience effectuée par la Faculté de Médecine de Montpellier.

Si la vie du troupeau respectait le cycle des saisons, le solstice d’été en constituait une date carrefour. La nuit qui le précède (entre le 20 et le 21 juin) et celle de la Saint Jean Baptiste (entre le 23 et le 24 juin) donnaient lieu à des pratiques induites par des croyances venues du fond des âges.

A la lueur de la lune, les bergers ramassaient les plantes qui possédaient un pouvoir de guérison ou un effet magique sur les bêtes. C’était le cas de l’herbe Tume récoltée la « nuit de vigile » de Saint Jean Baptiste.

Placée secrètement dans les bergeries, elle protégeait des dangers de la clavelée, une maladie contagieuse semblable à la variole.

La nuit de la Saint Jean, les pâtres prélevaient également les spores des feuilles de fougères mâles, capables d’écarter les sortilèges et maléfices et de guérir les animaux qui en mangeaient.

Le matin de la Saint Jean, comme le voulait la tradition, les bergers faisaient passer le troupeau dans les cendres du bûcher, afin de le préserver du piétin.

D’autres pratiquaient des attouchements sur les animaux, en utilisant des feuilles grillées aux flammes des feux ou les marquaient avec un bouquet enduit de cendres en disant : « Que Saint Jean te garde ! ».

Certains estimaient que le troupeau devait voir le feu, ils allumaient un petit feu

devant chaque bergerie, en faisant en sorte que la fumée enveloppe l’ensemble du troupeau pour garantir sa protection.

Les cendres du foyer précieusement recueillies, tout comme celle de la bûche de Noël consumée durant neuf jours, entraient dans la composition de différents remèdes.

Jadis, dans le Haut-Verdon, les pâtres faisaient mariner le premier loup abattu dans des herbes aromatiques apportées de Provence. Après l’avoir mangé rituellement, ils éparpillaient les restes et les entrailles aux carrefours des sentiers montagnards.

Cette pratique mystique et superstitieuse « apprenait leurs heures aux autres loups ».

Tout près de là, dans le Val d’Entraunes, on renforçait le pouvoir de la sonnaille  dont le son repousse les vipères, en accrochant dans un coin de la bergerie quelques- unes de leurs semblables desséchées.

Pour éloigner les serpents, le berger dépeçait une couleuvre vivante, récupérait sa peau fraîche pour en gainer son fouet avec des clous.

Dans la Haute-Ubaye, une démarche visant au même effet, consistait à placer chaque soir une jatte de lait, dans laquelle le berger, possédant le don, avait craché trois fois.

Ce breuvage absorbé par les vipères était réputé les empoisonner instantanément.

Divers talismans, accrochés au cou des meneuses, avaient pour fonction de protéger l’ensemble du troupeau.

La « pierre pigote », contre la clavelée ou variole du mouton, se présentait comme un caillou de variolite dont l’aspect tacheté et marbré évoquait cette maladie de la peau. Cette pierre était suspendue dans un sac au cou d’une meneuse ou utiliser comme battant de leurs sonnailles.

La « pierre pigote » pouvait également être immergée dans le bachas où venait boire les bêtes. De même, la peau d’un crapaud grillé, placée dans la sonnaille écartait les risques de clavelée.

La « pierre de foudre », morceau de roche vitrifiée, vraisemblablement par Satan, posée sous le faîtage des cabanes ou sur le seuil des bergeries, protégeait les animaux de l’orage. Ce talisman servait aussi de battant dans les sonnailles du troupeau.

Transmises de génération en génération, citons aussi les pierres vertueuses : celle moulée en terre cuite, ovoïde et rougeâtre semblable aux boutons du pestiféré, éloigne la peste, la « pierre rouge » sang stoppe les hémorragies, la « pierre de lait » en quartz blanc guérit les troubles de la lactation, la « pierre noire » en forme de croc soigne les morsures des serpents.

Les objets sculptés possédaient les mêmes vertus magiques et propitiatoires. Ainsi, la croix à virgules hélicoïdales, représentant le soleil en mouvement, plaçait le troupeau sous la protection de cet astre.

Les rosaces, signes protecteurs sculptés sur les colliers, évoquaient l’étoile à six branches des Juifs et Musulmans, sous le nom de sceau de Salomon.

Les cercles et roues astrales s’inspirent de figures de rites chaldéens et l’étoile symbolise celle qui guida les rois-mages

Le berger, perdu dans la nature, doit faire face seul aux maladies et aux blessures.

Guérisseur par nécessité, avec de faibles moyens, il soigne grâce aux ressources de son environnement en employant : les plantes, les principes homéopathiques et les conjurations récitées. L’ensemble constitue un héritage de connaissances acquises et transmises de père en fils.

Les remèdes, tirés des diverses plantes de l’alpage, composent une pharmacopée efficace. Selon le cas, la flore régionale dotée de vertus médicinales est administrée en infusions, décoctions, onguents, liqueurs, sirops, lotions, cataplasmes ou fumigations.

Les fleurs, baies, plantes et racines ramassées dans les pâturages sont classées et suspendues tiges en bas, aux solives des greniers.

Après séchage, feuilles et corolles entières ou réduites en poudres remplissent les vieilles boîtes métalliques de la « pharmacie pastorale ».

Aujourd’hui encore, l’usage des produits vétérinaires et des antibiotiques n’a pas écarté les bons vieux remèdes tirés des plantes.

Les mystérieuses conjurations récitées, aux effets probants, constituent toujours une énigme inexpliquée.

Quelques bergers détiennent des prières secrètes, capables de chasser la maladie, uniquement par le pouvoir de conjurations récitées. A l’occasion, elles s’accompagnent de signes de croix, de cercles tracés avec le doigt sur la partie à guérir et d’onctions de salive.

Le cahier de l’un de ces pâtres, transhumant dans le Val d’Entraunes, nous a restitué les formules utilisées.

Pour un chien victime de morsure : « Essuyer ses plaies avec un morceau de pain en disant : PRIIOR RHUD HER FÉRÉ et le lui faire avaler ».

Ou encore : « Prononcer sur le mal ces paroles : Fils de la Vierge Marie, enfant Jésus, je te supplie de guérir ce chien voici présent, doncoeur, d’entrecoeur, de charbon et d’enflure et de mauvaise pourriture et que tu as à temps retourner comme tu es damné, par venin ou par chaleur ou par feu. DEUS MEUS VENIT AD TE », on répète trois fois ces mots latins.

Les talents du berger étaient souvent mis au service des hommes qui venaient les solliciter de fort loin.

Pour guérir une entorse, le berger porte le pouce à la bouche, l’humecte de salive, le promène autour de l’enflure et termine par un petit signe de croix au milieu du pied, après avoir récité la formule conjuratoire. Vingt quatre heures après, le mal est dissipé…Parfois la formule récitée à distance suffit pour guérir l’animal.

Sensible aux caprices de la nature qui l’enveloppe, le berger ait capable de prévoir les changements du temps. Ces prévisions météorologiques, souvent empiriques, sont capitales pour la protection et parfois la survie de son  troupeau.

La Crirdabelle ou Fleur de Chardon :  se ferme avant le temps pluvieux.

Les Cheveux de Vieille : sont des graminées qui retombent à l’approche de la pluie.

Les signes de la nature et le comportement du troupeau sont autant d’indices qui permettent au berger, de prévoir les orages et les humeurs du temps, comme le tintement des sonnailles, la nervosité ou le regroupement des bêtes.

Les pompons accrochés aux meneuses serviraient de leurre aux jeteurs de sort, au mauvais œil. De même la sonnaille est un moyen de défense de protection et de signalisation sonore des troupeaux transhumants.

La tonte des meneuses respecte des exigences à la fois décoratives et pratiques, particulièrement en Provence. La coutume veut qu’on lui laisse trois touffes de laine ou flocs sur le sommet du dos (d’où son nom de floucat), ce qui permet au berger de la saisir plus aisément.

Quant à la touffe de laine maintenue près du cou, elle favorise le calage de l’ensemble collier-sonnaille, souvent très pesant.

Autrefois les flocs servaient à dissimuler l’argent, pendant le chemin de la transhumance ou à cacher des médailles religieuses.

Aujourd’hui souvent mal compris dans leur acharnement désespéré à défendre leurs brebis contre les attaques du loup, les bergers des Alpes Maritimes maintiennent une tradition séculaire en voie de déshérence. Leur fonction reconnue de protecteur intégré de la montagne qu’ils nettoient et régénèrent pour mieux la sauvegarder, devrait suffire à encourager leur présence.

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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14/02/2007

DECOUVRIR BERRE LES ALPES AU MOYEN AGE

                 LE CHATEAU DE BERRE-LES-ALPES

Placé sur un promontoire de grès, l’actuel village de Berre offre une vue dégagée sur les Pré-Alpes de Nice.

Le castrum qui l’a précédé aurait occupé, un site voisin plus au nord au sommet du mont Castel. Les ruines d’un village du Haut Moyen Âge placées là, confirmeraient cette hypothèse.

Le « castellum Berra » est cité seulement en 1108, les moines de Saint Pons ayant installé un prieuré en ce lieu.

Les seigneurs de Berra, possesseurs du fief, furent longtemps co-seigneurs de Châteauneuf. C’est ainsi que Gaspard de Berra épousera Yolande Galléan qui donna de splendides fêtes en son château de Berre.

Leur fils, Honoré de Berra, serviteur fidèle de la Reine Jeanne de Provence, homme de guerre renommé, sera lieutenant du Comté de Nice.

Il dirigera en 1363 le corps expéditionnaire chargé de ramener à la raison les Lascaris de Tende qui refusaient de prêter hommage à la Reine Jeanne.

Après le succès de son entreprise, Honoré recevra en récompense la seigneurie d’Entraunes.

Le château féodal, aujourd’hui ruiné, fut construit au XIIIème siècle par Raymond Gaghieri, officier de Charles d’Anjou et agrandi en 1355, il sera détruit à la Révolution.

Ses murs résonnèrent des échos des fêtes magnifiques organisées par la baronne Yolande au cours desquelles se produisaient jongleurs et troubadours.

A cette époque (XIVème siècle), les cours d’amour fleurissaient et celle de Berre est restée célèbre dans les chroniques.

A la Révolution, le château servit d’asile un temps à la marquise de Cabris, sœur de Mirabeau, en fuite devant la progression des troupes françaises.

Petite anecdote : Un parchemin du 1er juillet 1326 fait état d’un appel interjeté par le damoiseau Bertrand de Berre contre un arrêt du juge de Nice, concernant Raymond Brocard. Au motif que ce dernier étant son sujet, il avait seul le droit de le corriger et le punir. Ce qui est significatif de la condition servile imposée aux manants en ce début du XIVème siècle.

D’après « Les Châteaux du Moyen-âge en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 20 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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