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06/05/2012

LES BRIGANDS DANS LES ALPES MARITIMES

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 Le mot de brigand a le pouvoir singulier d’éveiller notre imagination et de faire éclore des rêves où se mêlent les images d’attaques de diligences et de cavernes pleines de trésors entassés. Par-delà ces fantasmes de la mémoire collective, le brigandage est une réalité historique qui remonte aux époques les plus lointaines.

Dans sa stricte définition, le brigandage désigne les violences commises par des particuliers, le plus souvent organisés en troupe, afin de voler ou piller les biens d’autrui. La notion de violence va évoluer au fil des siècles selon les types de société, mais le vol sera lui toujours sévèrement puni. Le massacre et les destructions systématiques perpétrés par de nombreuses troupes de brigands disparaissent au XVIIème siècle, après avoir atteint son apogée avec les Sarrasins des IXème et Xème siècles. L’anarchie féodale et la guerre de Cent ans (XIVème et XVème siècles) avec les “ Grandes Compagnies ” (troupes de mercenaires) puis les guerres de religion de la fin du XVIème maintiendront le phénomène. Les temps de crise, de désordre en banalisant la violence favorisent le brigandage. Aussi est-il bien normal de voir refleurir cette activité avec la Révolution.

Dans la Provence orientale et le Comté de Nice, comme ailleurs, l’Histoire et la légende ont véhiculé jusqu’à nous les échos des pillages et des exactions de ces terribles brigands. C’est dans la montagne, hors de portée de la justice et du pouvoir, qu’opèrent et s’abritent les bandits de grand chemin. Ainsi près de Tende, la sauvage vallée des Merveilles garde le souvenir gravé dans la pierre du bandit d’honneur Bensa. Redresseur de torts, détroussant le riche pour donner au pauvre, il reste présent dans la mémoire de plus d’un berger des vallées proches du mont Bégo. Ici, la tradition locale du brigandage remonte certainement à l’origine des temps, lorsque les premiers colporteurs quittant la Côte devaient s’engager dans les Alpes, vers le Nord, sur “ la route de l’ambre ”.

Les seigneurs de Tende, au XIVème siècle, feront de la rançon une véritable institution, au point de soulever les protestations réitérées des voyageurs et des marchands niçois. Maîtres du col le plus commode à franchir, ils imposèrent de lourds péages à tous ceux qui l’empruntaient, charge à eux de garantir la sécurité de la route. Cette dernière tâche ne fut pas aisée lorsqu’en 1387, un certain Jean de Cornio, chef de bande, décida lui aussi de prélever sa part en ces mêmes lieux. Après avoir écumé la Provence, de Cornio décida de se reconvertir dans l’attaque des caravanes muletières et des riches personnages transitant par la célèbre route du sel, au col de Tende.

Son activité dura trois ans sans qu’il puisse être capturé. Le comte de Tende cerna enfin Jean de Cornio et sa bande dans une grotte dominant le lac Agnel.

A cours de munition, les bandits firent dévaler les lourds coffres chargés d’or et de pierres précieuses sur leurs assaillants. Malheureusement, le riche butin roula et plongea dans les eaux profondes du lac.

Dans le Val de Blore, aux barres de Gasques, s’ouvre la grotte de la Balme muraù (murée), légendaire repaire de brigands transalpins. La tradition orale rapporte que les raids organisés depuis cette base permettaient d’écumer les vallées de la Vésubie, de la Tinée et même du Cians ! D’autres cavernes plus modestes servaient à abriter le butin, comme à la Gianari. Un ou deux gardes y veillaient nuit et jour, leurs complices étaient reconnus grâce à des sonnailles. Le produit de leurs rapines était écoulé en Piémont, atteint par le bien nommé “ Pas des Ladres ” ou par Ste Anne de Vinadio (selon J. Guigonis).

Ces mêmes bandits transalpins apparaissent dans les chroniques au petit hameau de la Blache (entre Isola et St Etienne de Tinée) en 1663. Jean Lombard qui s’acheminait vers St Etienne avec ses trois mules chargées de barils de vin, en compagnie d’un marchand de tissus venu de Grasse, fut attaqué ici et dépouillé par une dizaine de bandits Piémontais. En 1665, des brigands de même origine seront utilisés à Isola dans un différend familial, pour investir la maison de feu Pierre Puons par des héritiers dépossédés.

La mémoire a également conservé le souvenir des “ auberges rouges ” où voyageurs et riches marchands se voyaient non seulement dévalisés mais aussi quelquefois assassinés par les tenanciers de ces sinistres relais. Citons, au-dessus de Nice, sur le chemin de Levens, l’“ auberge des voleurs ” à la Colle de Revel (attesté par la découverte de squelettes). A la sortie de Revest les Roches, village étape sur le chemin de Puget-Théniers, les ruines de la “ taverne ” sont encore hantées par les fantômes des malheureux voyageurs détroussés, qui terminaient là leur voyage d’une manière imprévue.

Mais le véritable âge d’or des bandits de grand chemin, par les chroniques qu’il nous a laissé, reste sans conteste le XVIIIème siècle avec les grands noms tels que Mandrin, Cartouche et plus près de nous Gaspard de Besse. Mme V. Eleuche Santini, dans une passionnante étude sur le “ Brigandage dans le Comté de Nice au XVIIIème siècle ”, a analysé les minutes des sentences du Sénat de Nice, donnant connaissance des crimes et délits commis par des bandes armées dans notre région. Le Comté de Nice y apparaît comme un milieu favorable au brigandage avec un relief accidenté, propre à isoler vallées et villages, refuges commodes des malfaiteurs. Territoire enclavé entre trois états (France, Gênes, Monaco), les frontières du Comté, perméables, facilitent l’évasion. Enfin, pour lutter contre ce phénomène, le gouvernement de Turin ne dispose que d’un faible effectif de police (50 soldats de justice) peu mobile sur les rares routes de la Province. N’existent que des sentiers muletiers reliant villages et vallées par les crêtes, exposant voyageurs et marchandises au danger permanent des embuscades.

Plus le passage est fréquenté, plus le butin est conséquent, aussi le trajet par la Vésubie (Roquebillière) vers le Piémont, la route du sel (l’Escarène, Sospel, Saorge, Tende), ou encore le moyen pays (La Turbie, Peille) sont autant d’itinéraires visés par les voleurs. Dès les portes de Nice franchies, les négociants et leur caravanes muletières sont exposés aux agressions à main armée.

Précisons de plus, que les armes à feu sont très répandues au XVIIIème siècle dans le Comté de Nice pour permettre la chasse aux sangliers et aux loups, presque chaque homme en possède et le couteau est porté par tous.

En 1779, le Sénat de Nice déclare dans un manifeste : “ Les brigandages et les vols qualifiés, qui journellement se commettent dans la cité et ses alentours, sont chose fréquente portant atteinte à la sûreté publique ; les habitants ne peuvent sortir de leurs maisons, surtout la nuit, sans risquer d’être assaillis par les mauvais vivants et les brigands qui sont rendus audacieux pour commettre d’énormes délits, car dans l’obscurité des ténèbres, enveloppés dans des manteaux ou des capotes de marin, ils sont quasi sûrs de ne pas être reconnus et découverts … “ De jour, on noircit son visage comme le pratique le génois Louis Borfiga et sa bande, pour dévaliser un chirurgien et un paysan. Cette préméditation l’entraînera aux galères lors de sa condamnation en 1751. Fusil, pistolet mais aussi bâton servent aux brigands qui raflent un fromage, une chemise et parfois seulement quelques lires !

La prise peut être meilleure lorsqu’il s’agit d’un capitaine grainetier piémontais : mille lires ! En 1764, le brigand chef de bande Bernard Siffredi sera condamné aux galères à vie, après une capture délicate. Vivant dans la montagne, il rançonna, huit ans durant, voyageurs et muletiers pour obtenir non seulement de l’argent mais aussi des victuailles (pain, fromage, vin). Le bétail est également une proie convoitée, transféré après le vol au-delà des frontières. A cette époque, les bandes sont composées d’un effectif réduit, maximum quatre hommes, souvent de la même famille ou du même village. Ainsi les Gioanni (plus de 37 noms) de Fontan qui défrayent la chronique judiciaire de 1755 à 1769 pour brigandage, vie “ scandaleuse ” coups et blessures et homicide. Le plus célèbre, Ambroise, sera condamné par contumace à cinq ans de galères en 1755 pour avoir assommé et tué son adversaire au cours d’une rixe.

Recherché, il se cache chez ses parents qui blessent les soldats venus l’arrêter. Ambroise Gioanni récidive en 1762 en tentant d’assassiner François Gioanni et en étant complice de la mort d’une femme enceinte, Marie Gioanni. Il ne sera condamné qu’à trois ans de bannissement. Ambroise n’en a cure, en 1765 avec cinq autres Gioanni, ils attaquent, armés, une taverne du lieu. Il sera condamné avec les siens à des peines de bannissement par contumace. Ambroise sera enfin capturé en 1769. Cet “ homme criminel ”, accusé de “ vie scandaleuse, d’attentat à l’honneur des filles et des femmes de Saorge, d’insultes et de menaces avec des couteaux … ” écope de cinq années de galères.

A Tende, en 1752, à la suite de l’assassinat du notaire Gaétan Guidi, sur huit inculpés dont deux femmes, un seul homme sera puni de cinq ans de bannissement. Deux ans plus tard, les mêmes individus sont à nouveau accusés de meurtre après avoir formé une organisation dite la “ Compagnie de Cartouche ” pour attaquer et rançonner les voyageurs franchissant le col de Tende. L’écho flatteur des exploits du glorieux bandit Cartouche avait donc atteint la haute Roya !

Mandrin, un autre bandit célèbre, traverse le Comté de Nice au début de 1755, pour rejoindre la Savoie par le Piémont, poursuivi par 80 gardes français des gabelles “ armés de fusils, pistolets, armes tranchantes, tambours et fifres ”. Cette violation du territoire s’opère de Gattières à Roquesteron, tout au long de la vallée de l’Esteron, entraînant la protestation de l’ambassadeur à Paris de Charles Emmanuel III.

Gaspard de Besse, le roi des brigands de l’Esterel, opérait à la même époque sur la voie royale (à proximité de la RN7), alors seul axe de communication entre la France et l’Italie.

Pilleur de pataches, détrousseur de voyageurs, ce varois de souche, grand amateur de jolies femmes et de lingeries fines (volées), bandit d’honneur pour les uns, brigand de la pire espèce pour les autres, règne en maître absolu sur l’Esterel pendant deux ans (1779-1780).

Réfugié dans la grotte du Mont Vinaigre, à la tête d’une trentaine de malfaiteurs, il interceptera même le courrier de Rome, assurant la liaison officielle entre la France et l’Italie !

Au début de notre siècle, le chemin reliant St Laurent du Var à Saint Jeannet était toujours baptisé “ la route des brigands ”. Serpentant le long des collines à travers les solitudes forestières, cette voie conserve, près de La Gaude, le souvenir des fameux bandits de la Garbasse opérant également en 1780.

Dans le Comté de Nice de 1736 à 1792, 92 personnes seront accusées de brigandage. En 1723, la loi punit de mort le brigand de plus de 18 ans utilisant une arme. Une précision supplémentaire est donnée en 1770 : “ Si lors du brigandage, quelqu’un use de quelque traitement barbare, la peine sera la roue, ou bien le coupable sera conduit au gibet tiré à la queue d’un cheval ”. Dans la réalité, les peines de galère allègent parfois la sentence. Pour 69 brigands traduits en justice, seuls 23 seront condamnés à mort, 18 aux galères, les autres écoperont de peines diverses : galères, chaînes, prison ou bannissement.

Retenons quelques châtiments exemplaires dont le spectacle est propre à frapper l’imagination des foules :

- Laurent Brun assaille en Février 1775, sur la route de Nice à Menton, près de la Turbie, un Napolitain qu’il assomme à coups de pierre avant de l’égorger, pour s’emparer de ses affaires. Brun sera pendu et son bras coupé exposé sur le lieu du crime.

- Plus cruelle sera la peine infligée à Jules César Gioanni et J.B. Cuggia de Saorge qui avaient commis de nombreux actes de brigandage contre des muletiers, le maître de poste de Sospel et un homicide contre un parent.

Soumis d’abord au supplice des tenailles rougies, avant d’être pendus au gibet, ils furent transportés décapités au col de Brouis pour y être exposés, là où ils avaient commis leur crime (1738).

-François Bottero, autre condamné, sera également cloué sur cette même route du col de Brouis (1741).

- Avant d’être pendu, François Lions de Barcelonnette connaîtra lui le cruel supplice de la claie, pour avoir commis un meurtre atroce. En effet, ce brigand avait attaqué un aubergiste pour le voler alors qu’il était couché ! Après l’avoir enroulé dans une couverture, il l’avait une heure durant frappé à la tête avec une pierre puis lardé de coups de couteau. La malheureuse victime n’avait eu la vie sauve qu’en s’enfuyant en sautant par la fenêtre (1771).

Malgré ces châtiments édifiants, le brigandage augmente à la fin du XVIIIème siècle.

Dans la région, la peur ou la complicité des villageois, qui souvent connaissent ces bandits familiers, préparent la suite logique développée par les Barbets, durant la Révolution.

L’épopée glorieuse de ces Chouans niçois sombrera dans le banditisme, après 1796. Là encore, le relief accidenté du Comté de Nice aidera et protégera leurs entreprises, jusqu’au premier quart du XIXème siècle, en dépit d’une impitoyable répression.

Aujourd’hui, la confusion et le trouble qui atteignent notre société, réactualisent un phénomène que nous pensions relégué aux rayons de l’Histoire : celui d’un brigandage toujours vivant.

 

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

 

Des histoires extraordinaires naissent sous tous les cieux, mais seul un cadre favorable les fait éclore.

La situation géographique du Pays d’Azur où les Alpes plongent dans la mer dans un chaos de montagnes et de vallées profondes lui confère déjà un caractère exceptionnel. Les climats qui s 'y étagent de la douceur méditerranéenne de la côte aux frimas polaires des hauts sommets sont tout aussi contrastés. Si l'on ajoute que l'homme a résidé sur ces terres d'opposition depuis ses origines, on ne peut s'étonner de trouver en lui la démesure du fantastique révélée par les outrances du décor.

Cet environnement propice ne devait pas manquer de pro­duire dans la vie de ses habitants une saga où l'imaginaire rejoint naturellement la réalité.

Depuis les milliers d'étranges gravures tracées à l'Age du Bronze sur les pentes du Mont Bégo dans la Vallée des Merveilles, en passant par les fabuleux miracles de la légende dorée des premiers chrétiens, ou les fresques tragiques des chapelles du Haut-Pays, jusqu'aux héroïques faits d'armes des Barbets pendant la Révolution française, longue est la chronique des «Histoires extraordinaires» du Pays de Nice, s'étalant dans la pierre et la mémoire de ses habitants.

Par un survol du passionnant passé de cette région, qu'il connaît bien, Edmond Rossi nous entraîne à travers une cinquantaine de récits mêlant la réalité historique au fantastique de la légende.

Rappelons qu'Edmond ROSSI, né à Nice, est entre autres l'auteur de deux ouvrages d'Histoire appréciés, dont «Fantastique Vallée des Merveilles», d'une étude sur les traditions et le passé des Alpes du Sud: «Les Vallées du Soleil» et d'un recueil de contes et légendes de Nice et sa région: «Entre neige et soleil».

 

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