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30/06/2011

LA SAGA DES SEIGNEURS GRIMALDI

histoire

     UN FABULEUX DESTIN ( 1 )

Présente depuis le haut Moyen Age jusqu'à nos jours, à tous les carrefours de l’Histoire du Pays d’Azur, la famille noble des Grimaldi va nous permettre à travers sa «saga» d'en revivre les grands moments.

Nul mieux qu'elle ne pouvait offrir un reflet plus exact du particularisme de ces terres marginales, soumises aux influences antagonistes de ce qui devenait la France et L'Italie.

L'histoire de la Provence orientale, du Comté de Nice et de Monaco a été durant des siècles indissolublement liée au sort tumultueux d'une puissante famille originaire de Gêne: les Grimaldi.

Ambitieux, entreprenants, versatiles parfois pour aboutir à leurs fins, les Grimaldi vont marquer d'une empreinte indélébile la destinée de ces régions.

Tout part de Gênes, où cette grande famille patricienne prétendait remonter à Grimaldi, maire du palais du roi Childebert en 714. Dans le premier quart du Xème siècle, Grimaldi 1er quitte Gênes et chasse les Maures qui occupaient Monaco. L'empereur Othon 1er lui confirme alors la possession de cette ville. Mais là ne s'arrêtent pas ses exploits contre l'Infidèle. Quelques années plus tard en 973, lorsque le comte Guillaumes de Provence libèrera son pays de la mainmise des Sarrasins, Grimaldi 1er sera à ses côtés (Il s'agit de Gibelin de Grimaldi ). C'est pourquoi il se verra remettre les terres qui entourent le golfe de Sambracie (l'actuel golfe de Saint Tropez) auquel la famille de ce dernier donnera son nom après la fondation de la ville nouvelle de Grimaud.

Ayant choisi le parti de la Maison de Provence, son successeur Grimaldi II participera au siège de Nice d'août 1166 contre les Génois. Bataille au cours de laquelle le Comte de Provence Raymond Béranger sera mortellement blessé. Ce sera le premier prince de Monaco.

Devenu un grand feudataire de la Provence, Grimaldi II avait quatre frères qui choisiront avec éclat la carrière ecclésiastique. Luc et Guido devinrent cardinaux, Manfroi; évêque d'Antibes et Boson abbé de la puissante abbaye de Lérins.

Les fils de Grimaldi II suivront l'exemple de leurs ancêtres et feront très vite la pluie et le beau temps dans cette partie de la Provence. Eubert ou Oberto succède à son père, Raymond devient évêque d'Antibes en 1190, Passau sera sénéchal de Normandie avec les Plantagenets et Pierre évêque de Vence en 1193.

A cette époque, va se déchaîner la lutte entre les Guelfes et les Gibelins.

Les Guelfes et les Gibelins sont les noms de deux partis politiques qui divisèrent l'Allemagne au Xllème et au XIIIème siècle. Cette rivalité va se transporter en Italie, les Guelfes étant partisans de l'indépendance italienne et des papes, les Gibelins ceux des empereurs et de la Maison de Souabe qui prétendaient asservir l'Italie, principalement Frédéric Il de Hohenstaufen.

Toute la partie centrale de la Provence va se diviser et les Grimaldi, véritables roitelets de la région, passeront d'un côté comme de 1'autre selon les honneurs qu'ils pourront recevoir. C'est ainsi qu'Oberto, Commissaire de la République de Gênes, annexera le titre de Seigneur de Gattières.

Le guelfe François Grimaldi dit «malizia» (malice), déguisé en moine franciscain, retourne le 8 janvier 1297 à Monaco passé aux mains des Génois. Il s'en empare mais ne peut s'y maintenir. Son protecteur Robert d'Anjou Comte de Provence donne alors en compensa­tion à Rainier 1er ( 1267 - 1314) les châteaux de Villeneuve, Vence et Cagnes. Rainier 1er deviendra amiral de France. Avec lui vont se concrétiser les différentes branches de la famille. Il fera construire à Cagnes une forteresse à donjon carré qui domine toujours la ville actuelle. Ce fief passera successivement à ses fils Vinceguerra (1314- 1334) et Charles 1er de Monaco (1334- 1358) (Les dates sont celles du règne et non celles de la naissance et de la mort.)puis à Rainier Il de Monaco. Ce dernier cèdera Cagnes à ses deux cousins Marc et Luc Grimaldi qui achèteront Antibes pour 9000 florins d'or au Pape Clément VII. Marc et Luc seront à l'origine des Grimaldi de Cagnes - Antibes.

Descendant d'un fils de Rainier 1er, Andaron épouse en 1300 la fille du Seigneur de Bueil (Beuil), Guillaume Rostang, dont la fin tragique mérite d'être racontée. Elle reflète les rudes mœurs des feudataires de la montagne. Guillaume, inhumé à Thiery, mourra assassiné parce qu'il abusait du droit de cuissage. Lors d'un mariage, les jeunes époux à la sortie de la cérémonie nuptiale durent se soumettre à ce fameux droit. Or selon la coutume, celui-ci consistait en une redevance que l'on devait au seigneur. Guillaume Rostang appliqua le terme et la fonction à la lettre et voulut passer la nuit avec la jeune mariée. Les habitants de Beuil outrés par ce geste se révoltèrent, se jetèrent sur le seigneur et le tuèrent. Avec Andaron prend naissance la maison des Grimaldi de Beuil.

Charles 1er Grimaldi mort en 1358, lui aussi amiral de France, bénéficie du soutien de la Reine Jeanne pour être enfin reconnu par Gênes, suzerain de Monaco et Roquebrune. Il reçut en outre Menton, Vintimille et Castillon. Charles 1er combattit à Crécy sous la bannière française. Sa descendance masculine s'étant éteinte, sa succession fut assurée par le mariage d'une fille d'un de ses descendants avec un Grimaldi seigneur d'Antibes qui devint ainsi seigneur régnant à Monaco et chef de la branche dite d'Antibes. ( Il s'agit de Lambert d'Antibes qui épousa Claudia de Monaco fille de Catalano ( 1457), petite fille de Jean de Grimaldi 1er que nous retrouverons ultérieurement (1414 - 1454).

La principauté de Monaco n'admet d'ailleurs pas la loi salique. A défaut d 'héritier mâle, la fille aînée ne règne pas par elle-même, mais transmet automatiquement la couronne à celui qu'elle épouse. Ce dernier doit être monégasque d'origine ou naturalisé. Cette règle a joué trois fois au cours de l 'Histoire: une première fois au XVème siècle, une seconde au XVIIIème avec les Matignon, une troisième au XXème avec le prince de Polignac. Au gré de ces alliances on retrouve en 1363 René de Grimaldi nanti des fiefs de Vence, Tourettes, Gattières et Bouyon. Le seigneur prend ensuite le titre de prince de Monaco, baron de Vence, seigneur de Vintimille, Cagnes, Villeneuve Loubet, Menton, Roquebrune et Castillon. Plusieurs membres de la famille sont alors seigneur de Villefranche, Antibes alors que les Grimaldi de Beuil poursuivent leur influence sur le haut-pays.

Les Grimaldi qui envahissaient la Provence orientale depuis le XIlème siècle deviennent alors de véritables souverains. Pendant les siècles qui vont suivre les différentes branches de Monaco, Beuil, Cagnes - Antibes vont être mêlées à l 'histoire mouvementée de cette région et leurs destins vont s'entrecroiser: essayons de suivre chacune d'elle dans ses péripéties.

 LES GRIMALDI MAITRES  DU ROCHER DE MONACO ( 2 )

Les successeurs de Charles 1er eurent à lutter contre les Gibelins de Gênes, car Gênes n'avait pas admis l'indépendance que les Grimaldi s'étaient attribuée à Monaco et aussi contre les Milanais et les Ducs de Savoie. Ces derniers, devenus en 1388 suzerains de Nice, auraient volontiers mis la main sur ce redoutable rocher que les Génois avaient commencé à fortifier dès le XIIIème siècle. Ce fut le début du château actuel. Charles 1er dota également Monaco d'une flotte qui continua par la suite à jouer un rôle important dans I 'histoire de ce petit pays.

En Provence, à la mort de Robert d'Anjou règne sa petite fille Jeanne, elle épouse le 20 janvier 1343 André de Hongrie qu'elle fera étrangler deux ans plus tard. Ce crime va entraîner les Duras (Charles puis son frère Robert), cousins de la Reine Jeanne, ainsi que les Hongrois, frustrés dans leurs droits de succession à la couronne, dans une guerre impitoyable contre la souveraine. Précisons que Jeanne après diverses aventures et quatre mariages successifs toujours sans enfant, avait adopté à Naples d'abord son cousin Charles de Duras, élevé en Hongrie, puis Louis d'Anjou, frère du roi de France Charles V. D'où rivalité accentuée par la grosse question religieuse d'alors, on était en effet en plein schisme d'Occident. Tandis que Jeanne et Louis d'Anjou soutenaient le pape d'Avignon Clément VII, Charles de Duras soutenait le pape romain Urbain VI. Ce désaccord se termina par le meurtre de la reine Jeanne, étouffée entre deux matelas, sur l'ordre de son fils adoptif. Après sa mort, sa succession fut disputée entre les Hongrois de Duras et la maison de Provence. C'est sur cette toile de fond tumultueuse que les Grimaldi vont régner.

Amédée VI de Savoie enlève alors le Piémont à la reine Jeanne, Rainier de Monaco, (le futur Rainier II) sénéchal du Piémont, représentant la souveraine d'Anjou, perd pratiquement tout et recueille douze mille florins d'or. En 1388 il ne possède plus que Roquebrune et la Mortola. Son soutien à la maison d'Anjou l'avait entraîné à perdre aussi son fief de Monaco, dont s'emparèrent en 1395 les Grimaldi de Beuil qui, eux, avaient choisi le parti des Duras.

Le Maréchal français Boursicaut les en chassa en 1402. Finalement Monaco resta à Louis II d'Anjou qui le rendit aux Grimaldi de Monaco. Rainier II reprit possession de la région côtière s'étendant de Grimaud à Menton.

Au XVème siècle, les liens se resserrent entre les Grimaldi de Monaco et les rois de France. C'est l'époque où Louis XI fait rentrer la Provence dans le giron national excepté le comté de Nice. Monaco conserve alors son indépendance. Celle-ci sera néanmoins troublée au XVlème siècle par une dernière tentative des Génois, désireux de rétablir leur souveraineté sur la région. Retrouvons dans ce contexte les successeurs de Rainier II, Jean 1er * (1410 - ­1454) et Lambert (1457 - 1494) qui durent à leur tour lutter contre des appétits rivaux. Au terme de ces vicissitudes, la Savoie et la France reconnurent l'indépendance de Monaco et la placèrent sous leur commune protection.

Rappelons qu’à la mort de Charles 1er (1358), son frère amiral génois perd une grande bataille navale sur les côtes de Sardaigne contre les Aragonais et les Vénitiens. A la suite de ce revers, la république de Gênes dut se mettre sous la suzeraineté de Jean Visconti seigneur de Milan (1453). Jean 1er Grimaldi fils du précédent mort en 1454, allié des Milanais, infligea une importante défaite à la flotte vénitienne (1431). Avec son fils Catalano (1457) s'éteignit la ligne directe.

Par le mariage de Claudia sa fille, la principauté passa dans la branche des seigneurs d'Antibes.

En échange de leur dévouement à la France, les Grimaldi reçurent le gouverne­ment de toute la Riviera occidentale de Gênes. Jean Il de Monaco était alors l'un des plus puissants seigneurs d'Italie, lorsqu'il fut lâchement assassiné par son frère Lucien (1505 ­1523). Ce crime faisait de Lucien le nouveau Duc de Monaco. Mais le peuple de Gênes, en révolte contre les nobles qui avaient appelé l'étranger, bannissait de la ville les familles aristocratiques. Les proscrits se réfugièrent à Monaco où Lucien leur prêta sa flottille pour arrêter les navires de commerce de la République. Afin de mettre un terme à cette piraterie, une flotte imposante montée par 14000 hommes de troupe quitta en 1506 le port de Gênes et mouilla dans les eaux monégasques. Pendant 102 jours la garnison de Monaco se défendit avec la plus grande énergie. L'arrivée des renforts envoyés par le Duc de Savoie, celle du Français Yves d'Allègre et l'approche de Louis XII déterminèrent les Génois à se retirer. Lucien de Grimaldi reçut le 13 mars 1506 les lettres de rémission qui le sauvaient de la déchéance féodale, Louis XII lui confia le titre de Grand Chambellan.

En 1523 Lucien, le meurtrier de son frère, était à son tour assassiné dans son propre palais par son neveu Barthélemy Doria de Dolceacqua, cousin du célèbre André Doria.

Un autre frère de Lucien, Augustin, évêque de Grasse, abbé de Lérins, n'ayant pu obtenir de la France la punition du coupable se plaça par dépit sous la protection de Charles Quint en 1524.

Jusqu'en 1641, les rois d'Espagne protégèrent d'abord la principauté de Monaco. Mais en 1604 une révolte de Monégasques entraîne la mort du Duc Hercule assassiné et jeté à la mer par ses sujets. Son successeur, le mineur Honoré Il (1604- 1662), ne peut empêcher l'Espagne de profiter de ces circonstances pour s 'y établir en maîtresse absolue.

Avec l'âge, celui-ci se ressaisit, en 1641 le prince engage des tractations secrètes avec Richelieu qui aboutissent au traité de Péronne (14 septembre 1641) signé avec Louis XIII, plaçant Monaco sous le protectorat français. Le 14 novembre suivant, fort de cet appui, il attaque par surprise la garnison espagnole presque sans coup férir. Le roi de France le fit duc du Valentinois (titre porté par ses héritiers présomptifs), marquis des Baux, comte de Carladez (en Auvergne) et pair de France.

Louis 1er (1662 - 1701) épousa Charlotte de Gramont, une des plus brillantes jeunes femmes de la Cour de France. Elle fonda en 1663 le Couvent de la Visitation. Louis 1er fut ambassadeur de France auprès du Saint Siège.

Antoine 1er né en 1661 règne de 1701 à 1731 et fut un allié efficace de la France pendant la guerre de succession d'Autriche où Monaco fut un bastion français. N'ayant pas de fils, il marie sa fille aînée Louise Hyppolite avec le Maréchal de France Jacques-François Léonor Goyon de Matignon qui appartenait à une famille normande des plus riches et des mieux posées à la Cour de Louis XIV. Jacques de Matignon prend le nom et les armes des Grimaldi. Ses descendants ont régné et règnent encore sur la principauté de Monaco. Son fils naturel, le Chevalier de Grimaldi, fut régent pendant la minorité d'Honoré III (1731 - 1795), il soutint victorieusement le siège de Monaco pendant la guerre de succession d'Autriche ( 11 octobre 1746 - 4 juin 1747).

Pendant la Révolution française, Honoré III doit résister à Paris pour défendre ses droits féodaux français menacés. En 1792 l'armée française franchit le Var et en 1793 une révolution locale destitue le prince, proclame la république indépendante puis demande son rattachement à la France qui fut voté par la Convention le 14 février 1793. Le 15 octobre suivant, le nom de la ville à consonance trop monastique est changé en celui de Port-Hercule. Comment expliquer l'effondrement soudain du règne des Grimaldi sur leur rocher ? Sans doute les impôts prélevés étaient-ils devenus trop lourds. Outre les droits sur le sel, le blé, l 'huile et d'une façon générale toutes les denrées nécessaires à la vie, les princes avaient établi un impôt de 2 % sur la valeur de la cargaison de tous les navires débarquant dans leur port, ou passant simplement dans leurs eaux en direction du Levant. On suppose les conflits qui en résultaient. Pourtant leurs possessions françaises (le Valentinois, les Baux, les biens des Matignon en Normandie) procuraient aux princes de Monaco d'appréciables ressources qui faisaient d'eux de très opulents seigneurs. De plus indépendamment de ces revenus, des impôts spéciaux étaient prélevés pour la vie commune de la population: moulins, magasins, routes, services religieux, écoles, etc... Il semble que la richesse des princes, comparée à la pauvreté d'un pays qui ne produisait rien, jointe aux absences trop fréquentes de ces derniers (Honoré III passant la plus grande partie de son règne à Paris ou en Normandie) aient été la cause primordiale d'une désaffection des Monégasques à l'égard de leur souverain. Tout ceci à un moment où le loyalisme des peuples était mis à rude épreuve. Dans la tourmente révolutionnaire les biens des princes et des églises furent vendus et dispersés, le palais transformé en caserne, puis en hôpital et enfin en dépôt de mendicité. Le couvent de la Visitation devint lui aussi caserne, toute trace d'étalage de luxe disparut. Honoré III est arrêté dans son hôtel parisien. Emprisonné, il échappe de peu à la guillotine et meurt à Paris en 1795. Son fils connu sous le nom d'Honoré IV, de santé chancelante ne devait pas régner.

Sous la République et l'Empire la principauté devient un simple canton des Alpes Maritimes après avoir été un chef lieu de sous-préfecture bientôt transféré à San Remo. Quant aux princes ruinés par la Révolution, ils poursuivirent leur destin en France.

Les deux fils d 'Honoré IV, le futur Honoré V et son frère Florestan servirent avec honneur dans les armées impériales. Grièvement blessé à Hohenlinden Honoré V combattit à Eylau, devint aide de camp de Murat et fit 300 prisonniers à Guttstadt. Pour récompenser ses états de services, l'Empereur le nomma baron de l'Empire et écuyer de l'Impératrice Joséphine. Florestan engagé en 1806 dans l'armée française participa en 1812 à la campagne de Russie.

Au terme de cette période agitée, l'Europe déchirée par la guerre voit disparaître pour un temps la principauté de Monaco.

 Avant de pénétrer plus avant vers l'époque contemporaine, effectuons un retour vers le Moyen Age pour suivre le destin mouvementé des rudes Seigneurs de Beuil, cousins des Grimaldi de Monaco.

LES TURBULENTS GRIMALDI DE BEUIL ( 3 )

L 'Histoire de la famille des Grimaldi, barons puis comtes de Beuil, est une succession violente d'événements reflétant les ambitions d'une noblesse féodale indiscipli­née, en constante difficulté avec leur suzerain, cherchant sans répit à accroître leur patrimoine particulier par une suite d'intrigues.

Pour mieux situer Beuil, cœur de leur fief dans le Haut-Pays, rappelons qu'il fallait deux journées minimums le long de pénibles sentiers muletiers pour rejoindre depuis Nice ce village austère perdu au fond des Alpes. La souche montagnarde des Grimaldi de Beuil prend naissance avec Andaron qui épouse en 1300 Astruge Rostang, fille unique de Guillaumes assassiné pour avoir abusé du droit de cuissage. Avec leur fils Barnabé, démarre la chronique sanglante qui montre bien les mœurs sauvages des montagnards de l'époque. Un certain François Caïs avait acheté la terre de Roure et se dispensa de prêter hommage au baron de Beuil. Barnabé outré par cette désinvolture exigea réparation. Mal lui en prit, Bertrand le fils de François le poignarda pour toute réponse! Le baron en réchappa et promit de venger l'affront. Assiégeant le château de Roure, Barnabé s'en empara, après avoir fait Bertrand prisonnier il lui fit couper la main droite et crever les deux yeux, le malheureux en mourut en 1353. Une variante romanesque de cette affaire rapporte que Bertrand de Caïs, seigneur de Roure, esquiva la croisade où s'étaient enrôlés les seigneurs des alentours à la suite du comte de Beuil. Profitant de leur absence, il courtisa toute la noblesse en jupons de la région y compris la comtesse de Beuil !

Revenu de Jérusalem, l'époux déshonoré apprit la turpitude de son vassal et organisa dans la foulée une expédition punitive. Il fit subir à son rival le supplice de la roue. Non content de l'avoir écartelé, il lui coupa le sexe, les poignets, transperça son corps de flèches et lui creva les yeux... Son courroux ne s'apaisa que lorsqu'il eut démoli le château de Roure.

Les deux fils de Barnabé, Jean et Louis, vont jouer un rôle actif dans la création du Comté de Nice, cette province sœur de la Provence qui s'étendra du Var à l'Italie et dans l'intérieur vers les sources du Var et de ses affluents la Vésubie et la Tinée. Partisans actifs de la dédition de cette région à la Savoie, ils profiteront de l'éloignement de la cour de Chambéry pour manœuvrer habilement et pratiquer une politique particulariste favorable avant tout à leurs intérêts. Après son assassinat, la Reine Jeanne avait laissé deux héritiers: Duras et Anjou. Jean Grimaldi était lieutenant et gouverneur de la Provence «entre Siagne et Alpes» pour les Duras (1387). Les Anjou se faisaient reconnaître progressivement par les différentes cités de Provence. Si le haut Comté niçois restait fidèle aux Angevins, la ville elle-même était plutôt acquise aux Duras. Déjà en 1385 pour leur sécurité, les habitants de la haute Ubaye (Jausiers) avaient demandé la suzeraineté du Comte de Savoie installé dans le Piémont. Ce nouvel état en développement, s'étendant de Chambéry à Turin, couvait l'espoir d'un débouché maritime qui romprait son isolement continental, d'où ses ambitions sur la partie niçoise de la Provence divisée par les rivalités des Anjou et des Duras. Le comte de Savoie, Amédée VII «le rouge», va concrétiser ce projet avec l'aide de Jean de Grimaldi. Tout débute par l'envoi d'une délégation de la ville de Nice auprès des Duras à Gaete pour obtenir des renforts (mars 1388). Impuissant à aider ses partisans, le jeune prince Ladislas leur conseille verbalement de chercher un soutien extérieur pour repousser à tout prix la menace angevine. Fort de cette déclaration, Jean de Grimaldi, depuis son château de Thiery, fait établir une procuration devant notaire, chargeant son frère Louis de contacter le Comte rouge pour l'inciter à venir à Nice.

Les deux frères se voyaient déjà à la tête d'un vaste fief s'étendant de la Siagne aux Alpes après avoir adroitement profité de la querelle des trois prétendants: Savoie, Duras, Anjou. Leurs ambitions se confirment grâce à un acte d'avril 1388, où Ladislas nomme Jean, Sénéchal de Provence, semblant ainsi prendre le parti d'abandonner Nice. Mais les Angevins campent aux portes de la ville à Levens, Aspremont, Falicon, les événements se précipitent. Après plusieurs délibérations du Conseil niçois où Jean chauffe les esprits, son frère effectue plusieurs voyages à Chambéry pour préparer le pacte. Le 1er août les manœuvres des Grimaldi commencent à payer, lorsque le Comte reconnaît à ses «protégés et dévoués serviteurs» la possession de 23 fiefs dans le Val d'Entraunes et la moyenne vallée du Var. Presque aussitôt, Louis, toujours au nom de Jean, signe avec Amédée VII un véritable traité où les frères Grimaldi s'engagent à faire rendre hommage à la maison de Savoie: les vigueries de Nice et Puget, les baillages de Villeneuve et Barcelonnette et le Val de Lantosque encore favorable aux Angevins. Il ne reste plus qu'à préparer la venue du Savoyard.

Après avoir prudemment prévenu le roi de France et le Pape de ses intentions, le comte est à Barcelonnette le 12 septembre où l'accueil est favorable. Mais sitôt franchi le col de Vermillon (col des Granges communes) pour pénétrer dans le Haut-Comté de Nice, les difficultés commencent à Saint Etienne-aux-Monts, dans la vallée de la Tinée. Les notables déclarent vouloir rester fidèles aux Duras et souhaitent un délai de réflexion de huit ans ! Apaisant, Amédée VII leur accorde satisfaction avec la subtile réserve qu'ils s'engageront à régler les frais qui lui incomberaient pendant cette période transitoire. Poursuivant sa tournée, il évite le Val de Blore et apparaît le 23 septembre à Saint Martin de Lantosque dans la Vésubie, puis à l'Escarène dans la vallée du Paillon où il est bien reçu. Aux portes de Nice, étape décisive, les frères Grimaldi ont battu le rappel, rassemblant le parlement et le grand conseil, corsant le tout en répandant la rumeur d'une attaque angevine imminente. Ainsi conditionnés, les notables niçois hésitants, manœuvrés par quelques hommes de paille, s'engagent à accepter le protectorat du Comte de Savoie après d'interminables palabres. Le 28 septembre 1388, quatre syndics signent l'accord conjointement avec le Comte «devant le monastère de Saint Pons». Amédée VII peut enfin goûter à un bain de foule dans Nice en liesse où il entre le 1er octobre. Très vite les réticences tombent dans le Haut-pays à Utelle, Sospel, et même dans la Tinée, Massoins, Gattières se rallient également.

Les mérites de Jean de Grimaldi sont récompensés. En plus d'un vaste domaine, le comte le nomme Sénéchal et en fait son lieutenant pour ses terres de Provence. Forts de cette autorité, les sires de Beuil décident alors de s'emparer du rocher familial de Monaco en 1395. Puis leur appétit n'ayant plus de limite, ils organisent une expédition contre Vintimille où ils seront blessés et faits prisonniers par les Génois. Profitant de cette captivité, le jeune Amédée VIII désigne alors un autre sénéchal, épure l'administration niçoise au profit d'officiers savoyards fidèles, s'assurant ainsi une main-mise réelle sur le Comté. Libérés en mai 1397, les frères Grimaldi s'estimant trahis se tournent alors vers la maison d'Anjou. Réfugiés sur leurs terres, ils mènent une véritable guérilla contre les Savoyards du Maréchal Boniface de Challant, commissaire général de la Provence, qui s'empare de quelques châteaux beuillois. Une trêve, survenue entre la Savoie et l'Anjou, réconcilie pour un temps Amédée VIII et les turbulents Grimaldi. Leurs places leur sont rendues le 31 juillet 1403. Mais après la perte de Monaco en 1402, les sires de Beuil se rebellent à nouveau en 1409 à Villars dans la vallée du Var. Pour mater ce soulèvement, les Savoyards engagent une opération en octobre 1411. Le 4 février 1412 Massoins se rend et le château de Villars est pris par trahison le 5 mai et repris par les Grimaldi le 8 mai et finalement par les Savoyards le 29 mai. Il sera enfin démantelé le 29 octobre 1412. A l'issue de ces péripéties les Grimaldi se réconcilièrent tout de même avec leur suzerain! Louis le représentera auprès de l'empereur Sigismond en 1413, ainsi qu'au Concile de Constance en 1415. Lors de l'accord définitif avec l'Anjou, c'est lui qui défendra les intérêts de la Savoie.

« JE SUIS LE COMTE DE BEUIL ET JE FAIS CE QUI ME PLAIT ! » ( 4 )

Pierre, seigneur de Levens succèdera à son père Jean. Après s'être insurgé contre la Savoie, il rentrera en grâce en 1461.

Son fils Jacques (1463 - 1490) (Les dates sont celles du règne, et non celles de la naissance et de la mort.)seigneur de Massoins, Chambellan et conseiller du Duc de Savoie, apparaît sur l'avant scène en 1462, en devenant Gouverneur de Nice. Georges (1488 - 1508) commençait à comploter pour préparer une insurrection contre le Duc de Savoie. On soudoie son barbier Esprit Testoris et un jour où Georges, le menton levé, attend la caresse du rasoir il s'affaisse dans son fauteuil la gorge tranchée. Ainsi finit Georges Grimaldi dans son château de Villars.

Son frère Honoré 1er (1508 - 1537) fera une brillante carrière diplomatique et mourra centenaire.

Avec René, un nouveau vent de drame souffle sur la famille. Dès sa jeunesse il s'associe à son frère Jean-Baptiste, seigneur d'Ascros, dans une folle expédition contre les villages des Ferres et de Gilette.

Ces deux fils de Georges n'oubliaient pas le meurtre de leur père, lors des guerres contre les Espagnols. Ils profitèrent de la Paix des Dames signée par François 1er pour assouvir leur vengeance. Les Grimaldi se liguèrent contre Claude de Tende, prévenu en secret par le seigneur de Gilette, qui avait fui son château en habit de mendiant pour éviter la lame de ses agresseurs. Les deux frères se divisèrent face aux armées de Savoie qu'ils tinrent en respect pendant près de deux mois. Seule la famine démantela leurs troupes. Battus en 1526, leurs biens confisqués, René trouva refuge chez son cousin seigneur de Cagnes et Jean-Baptiste chez François 1er. Ils ne seront amnistiés qu'au traité de Cambrai en 1529.

Devenu baron, René achète Entrevaux et se tourne vers la Provence. Soudoyé par le Duc de Savoie, son valet de chambre Florent de Goret le poignarde pendant la sieste alors qu'il enfilait son pourpoint (1542). Le meurtrier arrêté à Marseille sera pendu à Villars. Le fils de René, Louis II, sera évêque de Vence de 1560 à 1574.

Pour venger son frère, Jean-Baptiste Grimaldi d'Ascros, au service de François 1er, reprend les hostilités en 1542 et porte la guerre dans le Haut-Comté. Il pille Entraunes dont il brûle le château, les villages de la Tinée (St Etienne, Isola, St Sauveur, La Tour), de la Vésubie (Lantosque, Belvédère, La Bollène); Coaraze, Bonson, Tourette-Revest se soumet­tent pour échapper à l'incendie.

Honoré II (1542- 1590) grand et loyal seigneur devient Comte de Beuil le 26 mai 1561. Il laissera son fief à son fils Annibal dont la geste funèbre hante encore la mémoire des habitants du Comté de Nice.

Annibal (1590- 1621), gouverneur général de la ville et du Comté de Nice (1591), comte de Beuil, baron de Massoins est l'un de ces derniers féodaux qui n 'hésitent pas à défier leur suzerain. Son histoire se place peu avant la Fronde qui représente en France les derniers sursauts des grands seigneurs contre le pouvoir central. Sa fière devise : « Io son Conte di Boglio faccio qual che voglio ! » sonne comme une provocation. Indépendant il prétendait n'avoir d'autre autorité que celle, floue et éloignée, du Saint Empire. Lorsque éclate à Nice en 1613 une émeute contre la création de l'Insinuation (taxe d'enregistrement), le Comte reste étrangement passif, il va même jusqu'à prendre la défense des révoltés contre le Duc de Savoie, Charles Emmanuel 1er. Celui-ci, flairant les intrigues entre Annibal et les cours de Madrid et Paris, prend les devants et débarque impromptu à Nice, le 6 janvier 1614, escorté d'un millier d'hommes sous le prétexte d'hiverner sur la côte. Charles Emmanuel propose alors à Annibal d'échanger ses terres de Beuil pour des fiefs plus riches situés en Piémont, plus proches de Turin, donc plus faciles à surveiller. Par ce moyen il espère déjouer le plan français d'un rattachement du Comté de Beuil à la Provence. Pas dupe, Annibal remercie mais refuse. Avant de quitter la région niçoise, le Duc tente une nouvelle démarche le 20 avril, il invite le Comte de Beuil et son fils à Villefranche. Sitôt ceux-ci hors des murs de Nice, un édit est publié nommant un nouveau gouverneur à la place de Grimaldi. Le 25 avril, le Duc, méfiant, entraîne le Comte de Beuil et son fils dans son escorte jusqu'à Turin. Annibal contraint et forcé va vivre deux mois à la cour sous surveillance. Rusé, il feint la maladie et obtient au bout de ce délai l'autorisation de soigner ses rhumatismes au Bains de Vinay (Bagni di Vinadio). Parvenu aux thermes, le prétendu malade retrouve toute sa vigueur pour escalader le col enneigé de la Guerche et se réfugier à pied dans son château de Villars (juin 1614). Profitant de la guerre entre la Savoie et l'Espagne, il s'empresse de négocier avec les Espagnols sur la côte. Puis en mars 1617, il commet l'erreur de signer une convention qui le place sous la sauvegarde de Louis XIII. La guerre finie, l'Espagne ne réclame pas le Comté de Beuil, ce qui aurait pour effet de la brouiller avec la France. D ' autre part Louis XIII recherchant l'amitié de la Savoie tout en ménageant l'Espagne, le sort du Comte de Beuil ne dépend plus que du Duc de Savoie.

Charles Emmanuel fait alors instruire un procès par le Sénat de Nice, à l'issue duquel le vassal félon et son fils André, baron de Laval (la vallée du Var), sont condamnés à mort le 2 janvier 1621 en dépit des timides démarches françaises. Annibal Badat, gouverneur de Villefranche, est chargé d'exécuter la sentence. A la tête de 2000 hommes, il occupe Levens et marche sur Villars. André Grimaldi, au lieu de faire face dans la vallée du Var comme le lui demande son père, s'enfuit en Provence avec sa mère et sa femme. Solitaire, Annibal résiste, entouré de quelques fidèles, dans son nid d'aigle de Tourette-Revest. Ce grand seigneur, possesseur de 30 terres seigneuriales, maître de plusieurs châteaux-forts défendus par des hommes d'armes, avait agi jusque là en véritable souverain. C'était sans compter sur I 'inflexible Charles Emmanuel, son suzerain, esprit défiant, disciple de Machia­vel, qui, après l'avoir isolé, allait se venger d'une manière impitoyable. Le sire de Beuil, abandonné par son protecteur Louis XIII, connaîtra une fin tragique par une froide journée de janvier 1621.

Un témoin oculaire, le Chevalier de Lascaris a rapporté les circonstances du drame, voici sa relation :

«Ainsi, le 2 janvier 1621, trois trompettes parcourant les rues de Nice à 10 heures invitaient les hommes de 18 à 60 ans à se rendre en armes dans leur quartier; 6000 hommes furent réunis à 16 heures, on en retint 1200; on fit de même dans la campagne environnant Nice: 1800 hommes furent rassemblés; on en retint 600 pour l'artillerie et 400 comme soldats. La nuit du samedi, les Niçois enrôlés partirent pour Saint Martin du Var afin d'y traverser le Var en barques.

La machine judiciaire était arrivée à 1 'heure de la sentence; après les informations ordonnées au Sénat de Nice par le Duc contre Annibal depuis 1617, la peine de mort était réclamée contre lui et son fils. Le samedi matin, tous les capitaines de milices sont placés sous les ordres de Badat, Gouverneur de Villefranche; les Gouverneurs militaires de Puget, Ascros, Toudon, surprennent le lundi 4 les villages fortifiés du Villars, de Massoins, Malaussène et de Touët. Le lundi matin, le Comte de Lode part de Nice avec le Chevalier Badat (frère du précédent) avec 500 canons, 30 livres de balles et de poudre, conduits par 300 esclaves des galères, 600 péonniers et 100 maîtres-charpentiers de Nice et Comté. Le Comte de Lode saisit Revest le lundi dans la matinée; 400 hommes (Suisses et Valaisans), plus 300 hommes du capitaine Martigny et le sieur de Bonson, investissent le village de Tourette. Le mardi 5, le Marquis de Douilhane, Gouverneur de Nice, partit avec 100 jeunes hommes de bonne maison, avec pistolets, cuirasses et piques que portaient des valets; arrivés à Revest ils donnèrent l'alarme à Tourette et tirèrent quelques mousquetade; n 'y moururent qu'un Suisse et un de Sospel.

Le mercredi à midi, le Capitaine Martigny essaie de parlementer avec Annibal enfermé dans la citadelle assiégée de Tourette, une manière comme une autre de s'assurer de sa présence. Le jeudi matin, le Capitaine César Ménégon y parvient, Annibal répond que s'il a la vie sauve et qu'on lui rétablit les honneurs, grades et dignités, si on lui laisse ses fiefs, si on ne retire aucun impôt sur ses fiefs, si on lui laisse ses coutumes, s'il n 'y a aucun acte d'hostilité contre ses sujets et lui, s'il est pardonné, alors il se rendra; telle est sa réponse à son Altesse le Duc.

Le Marquis de Douilhane et le Comte de Lode répondirent ne pouvoir accorder de telles compositions et retranchèrent beaucoup de choses; après cela, eut lieu un échange d'otages. A la nuit, Annibal, Sire de Beuil, s'en remettait à la bénignité de son Altesse.

Le vendredi 8 janvier 1621 au matin, le Comte de Lode entre dans la citadelle de Tourette où il est reçu par le Baron; une partie de la garnison soit 50 mousquetaires sortent; puis le Capitaine Rossignol commandant la place porta les clés au Comte de Lode entre 100 mousquetaires. Rossignol s'établit par la suite à Roquesteron avec une belle somme d'argent en paiement de sa fidélité au Duc.

Le sire de Beuil se retira dans une petite maison du village où il fut visité par la noblesse niçoise présente au siège, et entretenu jusqu'au vendredi soir. Rossignol avait entre temps évacué les lieux et emporté meubles et victuailles. Le Chevalier de Caïs soupa avec le Baron et le garda.

Le samedi 7 heures, le Baron demande à assister à la messe; au sortir de l'office, il est dirigé vers une petite chambre où brûle un feu de bois et qui n'a pour tous meubles qu'une chaise basse. On vient lui dire la sentence du Sénat: condamné pour félonie, ses biens saisis... Annibal répond: «Son Altesse est maître des miens et de ma personne et j'irai où il voudra» ; puis se rassit.

Le religieux demande au greffier d'être plus explicite, car le Baron n'a pas compris le sens de l'acte: « Vous êtes 4 heures avant la mort ! » Annibal répond: «Mais de quelle mort ?». On fit entrer deux Turcs et quatre soldats de justice (Le Comte aurait dit au temps de sa grandeur: «Je préfère être tué par des Infidèles plutôt que de me soumettre».)... Il demanda: «N'y aurait-il point par charité de poison pour moi ou un coup de pistolet ?».

Il fut confessé, chanta les psaumes, remit ses bijoux (bracelets, reliquaire) aux différentes paroisses pour qu'on priât pour le repos de son âme. Puis il demanda à ce que l'on hâte l'exécution. Alors les deux Turcs s'avancèrent vers le Sire de Beuil assis sur la chaise, ils commencèrent à l'étrangler à l'aide de deux barres de bois; il tomba de sa chaise et les deux esclaves achevèrent leur besogne pendant que le religieux lui tenait sur les lèvres une médaille sainte. On suspendit le dimanche à midi son corps à une perche au haut du bastion principal; il fut enterré au pied du bénitier, nu et en terre bénite.

Le Marquis de Douilhane resta tout ce temps à Revest pour ne pas voir en vie le Comte de Beuil. »

Les châteaux du fief furent démantelés, Beuil fut donné à un Comte, Cavala de Parme (1623), puis par sa fille, il échut au Baron Le Long de Chenillac de la noblesse du Bourbonnais. Ainsi s'éteint la famille seigneuriale des Grimaldi de Beuil et avec elle la féodalité niçoise.

 Avant de retrouver le règne des Princes de Monaco du XIXème siècle à nos jours, suivons l 'histoire de la branche des Grimaldi de Cagnes - Antibes.

DES GRIMALDI DE CAGNES - ANTIBES A CEUX DE TENDE ( 5 )

Le destin de cette branche provençale des Grimaldi reste liée au cours du XIVème siècle à celui de la famille de Monaco dont elle est issue.

Rappelons qu'en 1309, Cagnes est donné en fief par Robert d'Anjou à Rainier 1er, souverain de Monaco, qui y édifie un château-forteresse avec un imposant donjon carré, dominant encore la petite cité. Le fief passera à ses fils Vinceguerra ( 1314 - 1334) et Charles 1er de Monaco (1334- 1358) et enfin à Rainier II de Monaco. Ce dernier cèdera Cagnes à ses cousins Marc et Luc Grimaldi, qui achètent Antibes au pape Clément VII d ' Avignon. Yolande leur unique héritière est la mère de Nicolas 1er qui vers 1425 aura deux fils, Lambert et Gaspard.

Lambert prend le titre de Seigneur de Monaco (1457- 1494) par son mariage avec sa cousine Claudia. Les terres de Cagnes - Antibes restent à Gaspard. Nicolas II fils de Gaspard devient, par sa femme, Seigneur de Courbon dans le Dauphiné.

L 'histoire des Grimaldi de Cagnes - Antibes est moins mouvementée que celle de leurs cousins de Monaco et de Beuil. La situation géographique de leurs fiefs, à l'ouest du Var, les tiendra à l'abri des tentations d'alliances scabreuses avec les ennemis de la maison d'Anjou - Provence puis de la couronne de France.

Au XVlème siècle, les Grimaldi de Monaco se lient à l'Empereur Charles Quint, leurs parents Augustin et Jean Grimaldi, successivement évêque de Grasse et abbé commen­dataires de Lérins de 1483 à 1527, font de même. Profitant de leur juridiction temporelle sur une multitude de prieurés provençaux, ils permettent à Charles Quint de s'emparer de points stratégiques importants comme les îles et le monastère de Lérins.

Nicolas II seigneur d'Antibes, fidèle à François 1er, organise la défense de la région (1526) en préparant la riposte à un éventuel débarquement des galères espagnoles croisant autour des îles de Lérins.

Louis, successeur de Nicolas, assistera ses cousins de Beuil René et Jean-Baptiste, après leur désastreuse expédition contre les Savoyards en 1527. En 1560 René Grimaldi de Cagnes - Antibes épouse Yolande de Villeneuve, son fils Alexandre vend en 1608 la seigneurie d'Antibes à la couronne de France. Le vieil Antibes conserve le souvenir des Grimaldi avec son château, l'actuel Musée Picasso.

Le fief de Cagnes passe ensuite au frère d'Alexandre, Honoré 1er qui le laissera à son fils Jean-Henri. Ce dernier, sacré baron de Cagnes et marquis de Courbon, avait épousé Anne de Grasse du Bar, il restaure l'austère château, en fait une demeure élégante où se déroulent de nombreuses réceptions. Jean-Henri incitera son cousin Honoré II de Monaco à rompre avec l'Espagne et à se mettre sous la protection avantageuse de la France. Il meurt en 1651. Son fils Honoré II devient marquis de Cagnes après qu'il eût vendu le marquisat de Courbon.

Le Comte d'Artagnan, gouverneur de Grasse, débarque à Cagnes le 5 avril 1710 sur ordre de sa majesté Louis XIV. Cet envoyé spécial du roi vient arrêter dans son château le marquis de Grimaldi, seigneur de Cagnes, pour trafic de fausse monnaie. Une perquisition des mousquetaires entraîne la découverte d'un atelier aménagé dans les caves! Cette fraude mérite quelques explications. Nous étions alors en pleine guerre de succession d'Espagne, les passages et les retraites des armées françaises et savoyardes accompagnés par les pillages, les contributions de guerre jointes aux rudes hivers de 1707 et 1709, avaient entraîné famine et désolation. Face à cette situation catastrophique, le bon marquis de Cagnes avait trouvé une solution facile. Sauveur Grimaldi sera le dernier seigneur de Cagnes, il se rendra célèbre par un procès intenté contre les princes de Monaco, prétextant qu'en vertu de la loi salique, la couronne aurait dû revenir à la branche cadette de Cagnes et non aux Matignon descendants de Jacques par Louise-Hyppolite. Mais la loi salique n'étant pas reconnue à Monaco, ses prétentions ne furent soutenues ni par Paris ni par Vienne.

A la Révolution française, Sauveur émigre à Gênes berceau des origines de sa famille. Son château est pillé par ses sujets puis vendu. Ce n'est qu'en 1937 qu'il sera racheté par la municipalité de Cagnes.

Au Nord-Est du Comté de Nice, la bourgade de Tende a connu elle aussi dans son passé des seigneurs Grimaldi, lointains parents de la célèbre famille de Monaco. Les comtes de Tende commandaient le passage du col. Lors du grand schisme de Provence en 1388, ils restèrent indépendants, coupant la route unissant les Etats de Savoie (Piémont) avec Nice et la mer.

Ce n'est qu'en 1579 que s'opèrera l'annexion de Tende à la Maison de Savoie, faisant du col de Tende la grande route de communication entre Nice et Turin.

Au Xllème siècle, Guido Balbo, seigneur de Tende, qui combattit aux côtés de l'Empereur Frédéric 1er, obtient de celui-ci le titre de Comte de Vintimille. Sa fille unique épouse Othon Grimaldi. Ses successeurs Guillaumes 1er, Manuel et Guillaumes II lutteront contre Gênes pour asseoir leur indépendance.

Pierre-Guillaumes épouse au XIlIème siècle une fille de Théodore II Lascaris, Empereur de Constantinople, chassé de son trône par Michel Paléologue en 1259; il prendra le nom prestigieux de sa femme.

En dépit de leurs manigances, les différentes branches des Grimaldi perdent leurs fiefs et s'éteignent au cours des temps modernes. Une seule survivra, traversant la période contemporaine jusqu'à nos jours: les Grimaldi de Monaco.

LES GRIMALDI DE MONACO A L'EPOQUE CONTEMPORAINE ( 6 )

A la chute du régime impérial en 1814, et à la suite du désistement d'Honoré IV qui mourra en 1818, son fils Honoré V retourne à Monaco. Il rencontrera l'Empereur Napoléon à Golfe-Juan, à son retour de l'île d'Elbe, le 1er mars 1815. Après Waterloo, la principauté passera du protectorat de la France à celui du Royaume de Sardaigne, conservant son indépendance comme avant 1793. Honoré V ( 1815 - 1841) réorganise son petit état avec trois consuls chargés de l' administration municipale et un tribunal basé sur le code Napoléon. Il maintient le poste de gouverneur général et réunit les biens communaux à son propre domaine. Siégeant à la chambre des Pairs au titre de prince français (Duc de Valentinois), il reprend bientôt le chemin de Paris. Son absence jointe à l'institution impopulaire d'un monopole sur le pain et de taxes sur les citrons lui aliènent la sympathie de ses sujets. Il meurt à Paris en 1841.

Son frère Florestan 1er (1841 - 1848), d'un tempérament artiste, vit à Paris, passionné par le théâtre. Il laisse à sa femme la princesse Caroline, très réactionnaire, le souci des affaires. La Révolution française a marqué les esprits et les peuples réclament des mesures libérales. Si les sujets du Roi de Sardaigne Charles-Albert obtiennent satisfaction en 1847, il n ' en est pas de même pour Monaco où l’on souhaite les mêmes avantages. En 1848, à l'exemple des mouvements révolutionnaires qui se déclenchent un peu partout en Europe, les villes de Menton et Roquebrune, dépendantes de la principauté depuis le XIVème siècle, se révoltent contre leur souverain. Elles proclament leur indépendance le 28 mai 1849 sous la tutelle du gouvernement sarde, favorable à cette scission. L ' opposition des Français et des Anglais empêche l’annexion des deux cités au Royaume de Piémont - Sardaigne. Tout sera réglé en 1860 par Charles III de Monaco (1848 - 1889) (fils de Florestan) à la suite du plébiscite rattachant le Comté de Nice à la France. Les électeurs du Mentonnais se prononcent majoritairement pour la réunion à l'Empire français, et des négociations s'engagent entre Napoléon III et le prince de Monaco. Charles III renonce à tous ses droits sur les deux communes moyennant la somme de 4 millions de francs, et se libère de toute obligation vis à vis de la Maison de Savoie. Le prince s'engage d'autre part à n'aliéner aucun de ses droits de souveraineté, si ce n ' est en faveur de la France, devenant par là même un chef d'état indépendant.

Pour rétablir les finances de la principauté, Charles Ill, actif, intelligent et ambitieux, décide l’ouverture d'une maison de jeux. La fermeture des casinos allemands draine aussitôt une riche clientèle cosmopolite dans le nouveau Monte-Carlo (1866).

Albert 1er (1889 - 1923) succède à son père Charles Ill. Homme de sciences et d'action ayant servi dans la marine espagnole et française, il entreprend des recherches océanographiques. Devenu membre de l'Institut de France, il fonde en 1899 à Monaco le célèbre musée de la mer. En 1911 Albert 1er octroie une nouvelle constitution, légèrement modifiée en 1917, qui régit toute la vie de l’actuelle principauté.

A la mort du prince savant en 1922 succède son fils Louis II le prince soldat. Renouant avec la tradition de ses ancêtres du XVlème siècle, le nouveau souverain combat à son tour sous les drapeaux de la France. Ce Saint-Cyrien sert dans la Légion et les Chasseurs d’Afrique, et, en 1914, dans divers états-majors. Promu général de l'armée française en 1929, il préside avec beaucoup de zèle et d ' autorité aux destinées de son pays. Sa descendance est assurée par sa fille, la princesse Charlotte, qui épouse en 1920 le Comte Pierre de Polignac, préalablement naturalisé monégasque. Deux enfants naîtront de cette union, la princesse héréditaire Antoinette (1920) et le prince Rainier (1923). Ce mariage ayant été rompu par un divorce en 1933, la succession de Louis II pose une question de droit assez délicate en raison des parentés étrangères de la famille régnante.

Les conflits seront évités à la mort de Louis II le 9 mai 1943, par l'accession de son petit-fils Rainier III. L'actuel prince a participé aux campagnes d'Alsace et d'Allemagne en 1944- 45 avec la 1ère Armée française. Il épousera le 19 avril 1956 une vedette du cinéma Miss Grace Kelly. Trois enfants sont issus de cette union: Caroline, Albert et Stéphanie. En 2005,Albert succédera à son père après son décès.

De nos jours, après s’être mariées, les «demoiselles de Monaco» à l'avant scène de la vie mondaine, continuent de fixer l'intérêt de la chronique sur la famille Grimaldi, dont le fabuleux destin se poursuit avec vigueur depuis plus d'un millénaire.

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage de 15 € : téléphoner au 04 93 24 86 55 ou s'adresser à edmondrossi@wanadoo.fr

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

09:28 Publié dans HISTOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire

26/06/2011

LES TOURRÈS UN HAMEAU PERDU DU VAL D'ENTRAUNES

 

VAL D'ENTRAUNES SEPTEMBRE 2006 MONUMENT AUX MORTS LES TOURRES.JPG

Cette chronique des villages oubliés, perdus là haut quelque part au fond des vallées alpines, serait incomplète sans citer le hameau des Tourrès, mentionné brièvement à propos de Châteauneuf d’Entraunes et dont il constitue un des écarts. Il mérite plus d’intérêt par la richesse et la vigueur des témoignages de son passé.

 Nous faisons ici référence aux relations orales des anciens du lieu et à l’attachante étude de Mme J. Cazon “ Le long de la Barlatte ”.* 

 Ce lieu est aujourd’hui traversé par une des branches du fameux sentier de randonnée pédestre GR52, qui parcourt les Alpes du Nord au Sud. Il est avant tout desservi par une piste carrossable, ouverte l’été sur un parcours accidenté, franchissant une géographie perpendiculaire, faite de roches abruptes coupées d’abîmes et de gorges impressionnantes. En effet, après avoir quitté Châteauneuf et grimpé le long de coulées marneuses grises, la voie s’engage dans un cirque hostile de bout du monde, écrasé par les falaises jaunes du calcaire jurassique dominant les gorges encaissées de Saucha-Nègre, puis de la Barlatte. Inespéré, un étroit tunnel s’ouvre alors pour franchir l’hostile barrière rocheuse et permettre un débouché vers le large bassin de la haute vallée de la Barlatte, qui se développe ensuite en de vastes alpages.

Au lieu dit les “ Palus ”, la chapelle privée de Notre Dame des Grâces a été restaurée. Les premières maisons regroupées formant le hameau des Tourrès s’étagent plus haut dans les près, à 1680m d’altitude. Aujourd’hui, le plus souvent désert, cet écart témoigne de la présence d’une ancienne communauté médiévale, installée là au centre de prairies entourées d’un cirque majestueux de montagnes, dominé par la pyramide de la cime de Pal.

Autrefois, un chemin muletier suivait la rive droite de la Barlatte avant de prendre son élan pour se hisser en lacets vertigineux sur la rive gauche.

Il reliait pour les foires les sentiers de Guillaumes à ceux de Saint Etienne de Tinée par le col de Pal. Egalement route du sel, il apportait cette denrée indispensable à l’économie depuis les salins d’Hyères et de Nice, jusqu’aux Alpes et aux confins piémontais via Ascros et Puget Théniers.

Draille de transhumance de temps immémoriaux, il drainait aussi les troupeaux au rythme des saisons.

Au-delà des gorges, la Barlatte reçoit sur sa rive droite de paisibles rioux qui jadis faisaient tourner des moulins. L’autre rive offre des pâturages étagés sous l’ombre des mélèzes et des alisiers, l’ensemble surmonté par les crêtes sévères de Chabrièra.

Cette chaîne aride, traversée plus haut par le passage du col de Pal, sépare les bassins du Var et de la Tinée.

Roya, autre hameau perdu d’Isola, se niche au-delà de cette muraille rocheuse escarpée.

Entre la barrière de Chabrièra et la forêt de Barels, un ravin creusé depuis la crête de la montagne, transporte des blocs de grès plus rose que celui d’Annot. Ce matériau, résistant au feu, a servi à des générations pour construire voûtes et soles des fours familiaux, aujourd’hui définitivement éteints. Ceux-ci jouxtent encore chaque ferme des Tourrès.

Fermes ruinées, fours morts, chapelles aux toitures effondrées, moulins sans roue, cimetières aux murs croulants, rares fermes désertées tel est le triste inventaire qu’offre de nos jours les Tourrès, modeste agglomération qui connut son heure de gloire au XVIIème siècle.

L’ensemble est centré sur le clocher à peigne, portant encore ses trois cloches, dressé sur la chapelle Sainte Anne à toit de bardeaux. A côté, la fontaine qui l’automne n’égrène plus qu’un mélancolique chapelet de gouttes. Autour, trois ou quatre toits aux bardeaux disjoints ne fumant même plus l’hiver tant est décourageante la route d’accès enneigée.

A la belle saison, rares sont les sonnailles, comme les échos familiers de la vie des fermes. Plus d’aboiement joyeux ni d’âne qui braie. Finies aussi les typiques senteurs ammoniacales du migon (fumier de mouton) s’échappant d’étables aujourd’hui abandonnées.

Il faut se souvenir des troupeaux de moutons ondulants dans les replis herbeux des “ cluots ”, réunis le soir dans l’écurie ou les parcs. Ces bêtes y étaient “ embarra ” (enfermées), alors que d’autres passaient la nuit dehors sans pour cela vagabonder, chose proscrite actuellement avec le retour des loups !

Qu’il pleuve ou qu’il vente, les animaux se regroupaient, la tête appuyée à l’arrière train de leur voisin de devant, et dormaient ainsi à la belle étoile. De même, aux chaudes heures ils “ chômaient ” (de cauma), sagement rassemblés à l’ombre de quelques arbres.

Chaque troupeau transhumant venu du Var, les “ charoubés ”, comptait de 600 à 1000 bêtes. Il faut s’élever plus haut en altitude, sur les alpages, pour trouver encore une ou deux bergeries occupées l’été par ces estives traditionnelles.

Avant la première guerre mondiale, le hameau vivait encore en vase clos comme au temps de ses origines, avec une quinzaine de familles prolifiques de huit à douze enfants auxquels s’ajoutaient ceux confiés par l’Assistance Publique. Les enfants constituaient une main d’œuvre productive dès l’âge de cinq ou six ans. Ils allaient “ faire de l’herbe ”, s’occupaient de la pâtée des poules, effrayaient les éperviers, gardaient les chèvres. Cette main d’œuvre docile parvenue à sa majorité restait entièrement soumise à l’autorité paternelle.

De vastes champs de blé, de seigle, de méteil ou d’orge occupaient les prés des zones moyennes ou inférieures. Le grain restait ici quatorze mois sous terre. Lentilles, vesces, pommes de terre alternaient sur les pentes sèches des adrets. La farine de vesces fournissait chaque matin une soupe épaisse “ la potrole ”. Les actes du XVIIIème siècle révèlent que la moitié du sol, soit 650 hectares, était cultivée avec de faibles rendements.

Chaque maisonnée possédait une centaine de moutons, quelques chèvres, une ou deux vaches, deux cochons, parfois un âne et deux mulets, l’ensemble assurant nourriture et travail pour l’année. S’y ajoutaient quatre ou cinq ruches rustiques et quelques volailles.

Les fruits provenaient des cerisiers, groseilliers et pruniers sauvages (les affatous), complétés par les noisetiers bordant les chemins. L’huile rare était extraite des noix de quelques noyers, ainsi que des nombreux noyaux des affatous.

La chènevière des bords de la Barlatte et la laine des troupeaux fournissaient la toile de drap de lit, les couvertures métis à carreaux bruns et blancs, les vêtements en drap dont les fameuses houppelandes. L’hiver, on filait dans chaque foyer et on tissait à Villeneuve et Saint Martin.

Dans le Val d’Entraunes, une cinquantaine de métiers à tisser, assez simples, fournissaient draps et couvertures. Ces draps grossiers pour les vêtements de travail étaient presque inusables. A cette production, s’ajoutaient également des “ serges ” plus fines destinées aux habits de fête des femmes ainsi qu’aux gens riches. Rappelons que cette étoffe une fois filée et passée au foulon était colorée en rouge, vert ou fauve au moyen de plantes locales telles que la garance, l’épine-vinette, le sumac, le brou de noix et l’écorce d’aulne.

Les différents corps de métier : cordonnier, tailleur, maréchal, bourrelier, scieur de long, maçon faisaient dans chaque maison des séjours de quelques semaines pour y fabriquer chaussures, vêtements, outils, planches, pour y réparer toits ou planchers et aménager éventuellement granges ou bergeries.

La vannerie faite avec l’osier (amarine) du lieu, servait à faire les lourds paniers bruns, les mouraux (muselières), pour les mulets voraces, les banastres pour transporter terre et fumier. Tous ces paniers étaient tressés, les longues soirées d’hiver, dans la salle ou l’étable faiblement éclairées par des éclats de bois résineux, “ les téas ” ou encore par des lampions “ les calens ”. On y taillait et sculptait également dans du bois d’érable (l’ajax) ou dans du bois de buis les différents outils du ménage : mortiers, écumoires, faisselles, ainsi que les fourches et râteaux tirés du noisetier pour les travaux d’été.

La vie s’écoulait dans ces grandes masures basses, enfoncées à l’arrière jusqu’au toit dans le sol avec lequel elles font corps contre les vents d’hiver. Cette disposition facilite aussi le balayage des toitures écrasées de neige.

Si l’humidité tavèle les murs enterrés, ce type de construction protège de la rudesse du climat. Les fenêtres étroites à petits carreaux dispensent peu de lumière mais répondent aux mêmes nécessités.

Les linteaux, souvent datés, rappellent les origines des bâtisses. La chapelle Saint Jean Baptiste ruinée (ancienne paroissiale) qui jouxte le cimetière, nous interpelle à sa façon : “ J’étais là toute neuve en 1641 ”. “ Les Caires ”, rustique château-donjon restauré, indique sur l’une de ses trois portes “ 1766 ”.

Une étrange dame sculptée dans sa robe à paniers, parée d’un collier de perles vous accueille là, après une attente de plus de deux siècles.

La coïncidence et la répétition de ces dates indiquent que la fin du XVIIIème siècle et particulièrement la période de paix qui suivit le Traité de Turin de 1760 (où le territoire voisin de Guillaumes fut rattaché au Comté de Nice) sont perçues ici comme une époque de prospérité. Dans la petite vallée, les bâtisseurs s’activent avec un goût particulier pour la décoration. La poussée démographique n’est pas étrangère à ce sursaut constructeur.

N’oublions pas le passé chargé de litiges entre communes voisines : Guillaumes, maîtresse des hameaux de Barels et Bouchanières, enchevêtrait ses terres autour de la Barlatte avec celles de Châteauneuf. Si jusqu’en 1760, Guillaumes était Provence, Châteauneuf était Savoie, ce qui ne manquait pas de compliquer les démêlés entre villages au sujet des “ pascoli ” (pâturages) puisqu’il s’agissait de frontière d’états (France et Savoie).

Ce n’est pas pour rien que les gens de Barels s’étaient vus gratifiés du surnom
d’“ avocats ”, ceux de Bouchanières de “ sorciers ”, sans doute sujets à d’occultes machinations et les Guillaumois carrément d’“ orgueilleux ” à cause de leurs prétentions démesurées.

Le langage pratiqué “ lou gavuot ”, vieux provençal influencé par l’apport des transhumants de la basse Provence et du Piémont voisin, est aujourd’hui presque abandonné. La scolarisation a laissé progressivement place à l’usage du français qui s’est imposé. Seuls quelques anciens perpétuent encore la langue colorée et rocailleuse de leurs ancêtres.

L’acte de décès de cette active communauté est gravé sur la plaque qui sert de monument aux morts. S’y étale la liste douloureuse des noms de dix-sept de ces jeunes hommes, fauchés là-bas sur de lointains champs de bataille lors de la première guerre mondiale.

On se moquait gentiment des habitants des Tourrès en les gratifiant eux aussi d’un étrange surnom : “ les chambeirouniers ” parce qu’ils portaient l’hiver pour se déplacer dans la neige de grossières raquettes en osier, retenues aux jambes par des guêtres en toile.

C’est muni de ces mêmes raquettes que ces “ fourastiés ” (habitants de hameaux isolés) descendaient, déguisés pour le Carnaval, jusqu’au café de Châteauneuf, pour y célébrer la fin de l’hiver.

Là, réunis dans une chaude ambiance avec ceux du chef-lieu on échangeait les dernières nouvelles, racontait des histoires en buvant et dansant, alors que circulaient les corbeilles de ganses (les échaudées). Les plus habiles se livraient à un spectacle improvisé : mimes et tours de passe-passe.

Autre rassemblement, l’été à l’occasion de la fête patronale de la Sainte Anne, célébrée aux Tourrès le dernier dimanche de Juillet.

Vauban disait déjà en parlant de ce canton : “ On ne voit guère de pays dans le royaume plus rude et moins praticable. Les chemins sont fort étroits, pierreux et très difficiles. Toujours monter et descendre avec péril ”. Cette critique est encore valable pour la route accidentée qui grimpe en lacets jusqu’à Châteauneuf puis de là aux Tourrès.

L’Abbé Grégoire, envoyé par la Convention dans la région en 1793, reste plus optimiste puisqu’il compare ce territoire à une “ pierre précieuse qui attend le ciseau du lapidaire pour la mettre en valeur ”. Les siècles sont passés, aujourd’hui dépeuplés, enclavés dans le Parc du Mercantour comme dans une réserve, les Tourrès peuvent-ils encore espérer quelque orfèvre ?

D’après «Du Mistral sur le Mercantour» (Editions Sutton),

En vente sur Internet http://www.editions-sutton.com

ou dédicacé, au prix de 21 euros, plus frais d’envoi, en téléphonant au

04 93 24 86 55

Les dieux se sont réfugiés au cœur des régions montagneuses, prédisposant les sommets à devenir de fascinants hauts lieux de l’étrange. A l’extrémité des Alpes du Sud, le « Parc naturel du Mercantour » confirme avec éclat cette vocation établie depuis les origines de l’humanité.

Accrochés à la caillasse au-dessus de gorges étroites et impénétrables, les villages perchés, maintenus à l’écart des bouleversements, ont su résister au temps et garder d’admirables témoignages du passé. Parmi ceux-ci, des récits originaux véhiculés jusqu’à nous par les bourrasques du mistral comme autant de feuilles d’automne. Edmond Rossi, originaire du val d’Entraunes, nous invite à pénétrer l’âme de ces vallées, grâce à la découverte de documents manuscrits inédits, retrouvés dans un grenier du village de Villeplane.

Si les « récits d’antan » présentent des histoires colportées aux veillées depuis la nuit des temps, les « faits divers » reflètent une réalité contemporaine d’une troublante vérité. Edmond Rossi est depuis son plus jeune âge passionné par l’histoire de sa région. Il signe ici son troisième ouvrage aux Editions Alan Sutton

 

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

 

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

19/06/2011

EDMOND ROSSI: TOUS LES LIVRES EN LIGNE

EDMOND 2011.JPG

  • «Fantastique Vallée des Merveilles, Le Testament du Mont Bégo »

Editions Robert Laffont, Paris, 1978

 

  • « Saint Laurent, Porte de France » - Editions SERRE, Nice, 1980

 

  • « Les Vallées du Soleil » - Editions Robert Laffont, Paris, 1982

 

  • « Entre Neige et Soleil, Contes et Légendes de Nice et sa région »

Alp’Azur Editions, Antibes, 1985

 

  • « Histoires et Légendes du Pays d’Azur » - Editions du Cabri,

Breil sur Roya, 1993

 

  • « Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes »

Equinoxe Editions, Barbentane, 2002

 

·       « Châteaux du Moyen Age en Pays d’Azur »  Alandis Editions, Cannes, 2003

 

·       « Saint Laurent du Var à travers l’Histoire » Alandis Editions, Cannes, 2004

 

·       « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » Alandis Editions, Cannes, 2005

 

·       « Les Templiers en Pays d’Azur » Alandis Editions, Cannes, 2006

 

·       « Histoires de Loups en Pays d’Azur » Alandis Editions, Cannes, 2007

 

  • « Un Peu d’Histoire de Saint Laurent du Var » Editions Alan Sutton, Saint Cyr sur Loire, 2009

 

  • « Contes et Légendes du Pays d’Azur » Editions Alan Sutton, Saint Cyr sur Loire, 2010

 

Tous ces titres sont disponibles dédicacés par l’auteur, sur simple demande au

04 93 24 86 55

ou à edmondrossi@wanadoo.fr

 

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