30/07/2008
BARELS, SOUVENIRS D'UN VILLAGE FANTÔME
La piété des habitants de cette paroisse (depuis 1802) est également attestée par la présence de neuf oratoires, jumelés à de grandes croix de la passion, répartis le long des chemins reliant les trois écarts. Ces “ pilons ” protecteurs, aux niches décorées d’étranges dessins ocres, étaient dédiés à St Michel, St Etienne, Ste Elisabeth, etc ... chargés d’éloigner les mauvais esprits et d’apporter prospérité et bonheur aux récoltes, bêtes et gens. Si nécessaire, des processions dûment chantées se chargeaient d’éveiller l’attention de ces saints patrons, parfois oublieux de leurs devoirs.
Barrels (avec deux r) est déjà cité en 1270 par le notaire Clary, venu dans ce lieu-dit arbitrer un différent entre les délégués de Guillaumes, Péone, et Châteauneuf : “ Et moi, Pierre Clary, donnant audience dans un pré, assis sur une pierre que je choisis pour banc, ayant Dieu devant ses yeux et invoqué son saint nom en disant In nomine Patris et filii et Spiritus Sancti Amen, ne penchant ni à droite ni à gauche, avec la balance du droit en main, je dis, je prononce et je déclare que la limite sera à la colle de Barrels où je recommande qu’on fasse une croix ... ” Croix qui a traversé les siècles, limitant de 1388 à 1481 la Provence et les terres de Savoie, puis ces dernières et le Royaume de France de 1481 à 1760.
En 1471, les enquêteurs de Roi René recensent cinq feux, soit déjà environ 25 habitants, dans l’entre-deux guerres (au XXème siècle) une moyenne de cinq familles par hameau en totalisera le triple. On dénombre encore 11 résidants en 1975, égarés là avec leurs chèvres à la suite de la révolution écologiste de 1968.
Les témoignages (Mmes Ione Rossi, Charlotte Jusbert) que nous avons recueillis sur l’époque florissante où la vie animait ce village aujourd’hui déserté, reflètent une économie rurale traditionnelle dans un contexte austère et laborieux de frugale autosuffisance.
Les promeneurs qui traverseront ce village éparpillé où croulent les toits de grandes fermes, parfois ouvertes aux quatre vents, pourront peut-être imaginer et à nouveau entendre les échos d’un temps où le travail permettait une existence rude et simple bien éloignée de celle de nos contemporains.
Les Baret, Cason, Lance, Mandine, Toche élevaient leurs moutons à la Palud pour en vendre les agneaux, leurs vaches aux Laves et à Serre y produisant lait et fromage, cultivaient le blé pour leur pain, l’orge pour les bêtes, accueillaient aussi les troupeaux pour les revenus de l’estive.
Chaque famille possédait un cochon, des volailles et un à deux mulets. L’eau nécessaire aux cultures se partageait entre propriétaires, permettant ici comme ailleurs dans les Alpes-Maritimes d’irriguer les campagnes grâce à un habile système de canaux distributeurs patiemment entretenus.
Installée à Serre, l’école s’ouvrait l’hiver pour une douzaine d’élèves dans les années trente. Beaucoup d’enfants de l’Assistance Publique, accueillis dans les familles, offraient à la belle saison une main-d’œuvre agricole et pastorale docile à peu de frais.
Le curé de Châteauneuf venait toutes les deux semaines soulager les consciences et veiller à la paix de ces âmes exilées au bout du monde. Il catéchisait parfois au moulin de la Barlatte, où chacun faisait la moitié du chemin pour s’y rencontrer. Le sentier qui grimpe de ce même moulin vers Barels, situé en altitude 500m plus haut, porte le nom significatif de “ calvaire ”, épreuve que le curé s’infligeait pour aller dire la messe !
Le Moulin de la Barlatte (aujourd’hui restauré tel un musée) fournissait la farine nécessaire au pain que chaque famille cuisait dans son four. Fodéré signale que, dans cette haute vallée, durant les disettes du XVIIIème siècle, on récoltait les baies d’aubépines pour en extraire une pauvre farine après séchage. Il en sera de même pendant les grandes famines de 1816-17 et 1846-47. Plus près de nous en 1942-43, durant l’occupation, les alises, cueillies dans les bois fournissaient également une farine coupe-faim.
Lorsque frappait la maladie, on allait avec le cheval en trois heures de marche jusqu’à Guillaumes pour y chercher le médecin. L’hiver, la neige obligeait à un détour par Châteauneuf allongeant le parcours de plus d’une heure.
C’est à Guillaumes qu’on s’approvisionnait en huile, sucre et café et où l’on vendait aux foires les produits du terroir.
La vie l’hiver, sous la neige, s’égayait grâce aux veillées dans les étables où, à la faible lueur des chandelles, les femmes tricotaient et les hommes confectionnaient des paniers ou des chaussures. On cardait et filait la laine des moutons. La veillée se déplaçait d’une ferme à l’autre regroupant plusieurs familles. Le villageois de retour de Guillaumes, entouré de tous, apportait les nouvelles de l’actualité que chacun commentait. Les contes, avec leurs inévitables histoires de sorcières, de loups et de revenants, pimentaient également ces soirées. Plus tard, l’assemblée chantait avant de déguster pommes, poires, nèfles ou sorbes cuites au four, fruits offerts par les hôtes.
Chacun regagnait ensuite sa demeure dans la nuit glacée par des chemins parfois couverts d’un tapis blanc effaçant la trace des pas. Le dimanche, la veillée devenait fête et l’on dansait au son de la musique aigrelette de l’ariston, sorte de limonaire muni d’un répertoire varié de disques en papier. D’autres jeunes gens, venus en voisins de Tourres (où vivaient trois familles de 9 à 10 enfants), se joignaient quelquefois à ces festivités dominicales. On savourait alors beignets et gances. Les escapades depuis et vers les Tourres ne se faisaient qu’au creux de l’hiver lorsque le neige durcie par le gel pouvait porter le pas des marcheurs.
Ici, comme dans d’autres villages d’altitude, on récoltait les amandes des noyaux brisés des “ affatous ” (les abrignons), petites prunes jaunes. Ces amandes apportées au moulin donnaient une huile comestible d’une grande finesse. Munis d’un maillet et d’une planche trouée, les enfants cassaient les noyaux le soir à la veillée. La fin de cette activité saisonnière était prétexte à une petite fête.
Avant Pâques, on sortait les “ ténébras ”, ces crécelles substituées aux cloches. L’été démarrait le 1er Juillet, par la fête patronale de Sainte Elisabeth. Si l’hiver, la table s’était garnie de raviolis de boudins, aux grandes occasions apparaissaient alors les raviolis de courge et les “ cruis ” (carrés de pâte plissés) à la sauce de noix pilées. On ne craignait pas d’aller festoyer à Roya, village d’outremont (Tinée), atteint par le col de Pal au prix de six heures de marche. Les escarpins de bal étaient alors accrochés autour du cou, pour leur éviter les sentiers rocailleux.
Au plus haut de la Palud, un cadran solaire porte cette devise implacable : “ Crains la dernière ” ; à ces côtés se dresse la ferme des Baret dite “ maison du capitaine ”. Là, un ancêtre - soldat du Second Empire - avait peint sur les murs les armées de Napoléon III défaites à Sedan. Le dernier habitant, natif du lieu, partira avant la deuxième guerre mondiale, alors que débutaient les travaux prometteurs d’une route carrossable depuis Bouchanières.
Les “ Avocats ” (surnom des gens de Barels), réputés plus intelligents que leurs voisins les “ Sorciers ” (ceux de Bouchanières), capables d’utiliser des moyens peu orthodoxes pour aboutir à leurs fins, se sont aujourd’hui dispersés. Après le départ des derniers “ beatniks ”, seul un berger et son troupeau ou quelques randonneurs hantent ce lieu perdu chargé de présence. Si cette évocation du passé vous incite à découvrir ce village “ mort ” dans le Parc du Mercantour, notre but sera atteint.
D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage dédicacé de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55.
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