02/07/2008
LA VALLÉE DES MERVEILLES : OÙ LES SORCIÈRES RENCONTRENT LE DIABLE
Lorsque, en 1460, Pierre de Montfort, voyageur de la lointaine Touraine, vint s’égarer dans ce site dantesque, il relata ainsi à sa femme le récit de sa visite : « C’estoit lieu infernal avecques figures de diables et mille démones partout taillez es rochiers, peu s’en faut qu’asme ne me faille ».
Déjà le décor était planté dans une odeur de soufre qui ne se démentira pas de sitôt ! Les récits qui s’y succéderont, feront aux veillées frissonner de terreur des générations de montagnards.
Quelques-unes unes de ces légendes, encore vivantes dans la mémoire des bergers tendasques ou des habitants des villages environnants, essaient de donner une explication en rapport avec les noms des lieux.
L’association diable, sorcière, enfer, apparaît d’une manière explicite dans un conte où les Merveilles tiennent encore lieu de toile de fond.
Cette histoire est celle de la Valmasque. Il s’agit d’une série d’enchantements dont usa une sorcière familière des lieux, pour soumettre à sa volonté les paysans et pasteurs des vallées voisines.
Donc, dans un haut vallon des Merveilles, près d’une source, gîtait une sorcière qui hantait la région, chevauchant les crêtes déchiquetées et les roches instables avec la mâle assurance d’un chamois. Ceux qui inconsciemment, traversaient ces quartiers hostiles, l’avaient rencontrée quelquefois, les jours de brouillard ou les après-midi d’orage à la tête d’une troupe de démons espiègles.
En effet, elle retrouvait là-haut bon nombre de sujets cornus, s’activant librement en leur compagnie, dans des jeux destinés à séduire et à duper les pauvres humains égarés.
Elle réussit ainsi à capter la confiance de quelques pâtres voisins, de qui elle exigera, en retour de certaines garanties, quatre beaux moutons, livrables annuellement, pour être sacrifiés dans le lac du Diable, en offrande au Prince des Ténèbres. Les bergers méfiants s’exécutèrent régulièrement afin de ne pas froisser la susceptibilité de cette puissante magicienne.
Un après-midi d’été, un violent orage éclata, les forces du mal se déchaînèrent à un point tel que la sorcière disparut à tout jamais avec ses compères cornus au fond du lac Carbon.
Soulagés de ne plus la revoir, les bons pasteurs durent malgré tout subir ses maléfices. Bêtes et gens, tour à tour, furent la proie d’une fièvre maligne. Certains moururent et il fallut quitter l’alpage, l’eau semblant contaminée. Seul Dieu pouvait conjurer le mauvais sort et rendre la paix à ces malheureux.
On prévint le couvent situé dans la vallée de la Béonia. Le chapelain fit diligence. Averti, le prieur de Saint-Dalmas de Pedona délégua sept moines décidés à prendre les choses en main.
Les saints pères escaladèrent le Bégo et entreprirent d’exorciser ces terres possédées du Démon. Armés de crucifix et d’eau bénite, ils ne négligèrent aucune formule consacrée. Aussi après avoir brûlé les livres et instruments du Mal, ils assistèrent stupéfaits à la disparition de la lumière du jour, masquée par une nuée de corbeaux venus de toute part.
Fuyant en débandade sur les pentes maudites, ils furent tour à tour figés par un éclair et transformés en mélèzes. Fallait-il abandonner la partie après une telle réplique ? Oui, il en fut ainsi pendant de longues années, jusqu’au jour où un ermite s’enhardit à monter vivre aux Merveilles. Par la force de ses prières, il fit reculer le Malin et le chassa lui et ses serviteurs.
Les traces de cette lutte violente sont encore inscrites dans le relief tourmenté de ces vallées où la volonté du saint homme mit en fuite le Démon.
Avant de mourir, le vieil ermite grava un signe mystérieux sur une des pierres de la Vallée des Merveilles. Pendant des siècles, cet exemple sera repris par les bergers qui allèrent chaque été sculpter des motifs sur les roches voisines, en souvenir de ce religieux solitaire. De cette façon, ils lui rendaient grâce d’avoir libéré les alpages du Bégo de ses sortilèges sataniques.
Dans ce récit transparaît, en plus de la malédiction jetée sur ces lieux par le christianisme, une explication des ex-voto repris en compte par la nouvelle religion, après destruction du vieux paganisme.
Les croix tracées entre les cornes de certaines gravures préhistoriques, confirment le souci d’exorciser ces représentations diaboliques, exprimant un culte antérieur qu’il faut neutraliser ou s’approprier à tout prix.
L’antique culte des Merveilles où la sorcière personnifie le grand prêtre sacrificateur de moutons, dégage de puissantes forces redoutées durant des siècles par les populations locales.
Ainsi s’explique cette toponymie faisant place aux maléfices et aux frayeurs diaboliques. Il faut retenir de ces légendes le sens général donné à la démarche des pasteurs, adorateurs tour à tour du grand sorcier immolant ses victimes aux forces naturelles, puis d’un Dieu chrétien difficilement accepté.
La succession des cultes et des pratiques religieuses est restée marquée par la douleur et la violence, comme en témoignent certains passages.
La localisation des faits aux Merveilles et sur le Bégo concentre toute la signification des mythes dans des strictes limites géographiques.
Mais lorsque le Diable est évoqué dans des légendes propres au Pays niçois, sa terre d’exil se retrouve chaque fois circonscrite autour du Bégo.
En voici quelques exemples.
Il y a bien longtemps, les habitants de Belvédère, animés par une foi solide, renforcée par les craintes de voir leurs génisses de la Gordolasque de nouveau menacées par la maladie, décidèrent une grande procession à la chapelle Saint-Grat. Tout le village, crucifix en tête, repoussa inexorablement les puissances du Mal, par de-là le Capelet et la cime du Diable, dans les vallées de l’Enfer et de la « Masque », vers le mystérieux Bégo. Dès lors, les hordes sataniques se répandirent en de perpétuels sabbats, jusque sur les versants opposés, dans les vallées du Caïros et de la Maglia vers Breil-sur-Roya.
C’est dans ce dernier village qu’une brune sorcière aux yeux verts, Malvina, usa de son charme pour éliminer une rivale avec la complicité des forces infernales !
Les messes noires que célébrait la prêtresse en compagnie de quelques possédés se déroulaient dans le cadre du vallon de la Maglia en présence des serviteurs du Diable habitués de ces lieux maudits.
Les récits, développés au début de cet ouvrage, se déroulent dans un territoire plus vaste, celui des vallées du Paillon. Ils mettent en scène les habitants de plusieurs villages de ce canton.
On rapporte que le Diable s’était installé dans ces quartiers, infestant les lieux de ses manifestations intempestives. La légende veut que les mésaventures du Diable se soient accumulées depuis Eze en passant par l’Escarène, Berre-les-Alpes, Contes et Coaraze. Berné, mutilé où pensez-vous que l’Ange du Mal courut se cacher ? En Enfer bien sûr, mais en y pénétrant par un des lacs sombres de la Vallée des Merveilles !
A travers leur côté anecdotique et populaire, ces relations apportent une première révélation. Elle concerne la lutte d’influence au cours de laquelle le christianisme dut repousser pied à pied et dans chaque village un culte opposé au sien.
Religion où le Diable symbolise le contraire de la nouvelle foi qui s’impose. Faut-il y voir les réminiscences des obstacles rencontrés par les premiers apôtres au début de la christianisation des Alpes Maritimes ? Cette évangélisation progressive des populations paysannes du Pays niçois semble avoir rencontré une certaine résistance.
Une autre contestation réside dans la localisation précise de la Mecque de l’ancien culte où se replie le Démon : La Vallée des Merveilles.
Là, convergent toutes les vieilles croyances païennes, travesties pour la circonstance des oripeaux du Diable. S’agit-il d’une simple coïncidence ou bien les mentalités conservaient-elles encore les souvenirs des grandes cérémonies où tout un peuple communiait dans l’antique vénération du Bégo ?
D’après « Les Aventures du Diable en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55Où mieux rencontrer le Diable que dans les Alpes Maritimes, sur ces terres chargées de contrastes où s’opposent mer et montagne, au carrefour de la Provence et de l’Italie ?
Ici, le Diable est aussi à l’aise sur la Côte d’Azur où s’étalent d’outrageantes richesses que vers l’intérieur où se cachent une humilité austère.
Puits du Diable, Château du Diable, Cime du Diable, longue est la liste des sites, marqués par la forte empreinte de celui qualifié par Bernanos de « Singe de Dieu ».
De Nice, à la Vallée des Merveilles, devenue son « domaine réservé », le Diable hante les villages, plastronne sur les murs des chapelles et persiste à enflammer l’imaginaire de ses habitants.
Il fallait raconter l’extraordinaire aventure du Diable dans les Alpes Maritimes. Grâce à Edmond Rossi, auteur niçois de plusieurs ouvrages sur l’histoire et la mémoire de son pays, cette lacune est aujourd’hui comblée.
Laissons-nous entraîner, à travers les siècles, sur la piste attrayante et mouvementée, de l’éternel et fascinant tourmenteur du cœur et de l’âme.
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