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02/05/2007

UN LOUP TROP GOURMAND !

DE SI DÉLICIEUX BEIGNETS !

Cette année là, Mardi gras tombait début mars. Si les journées s’allongeaient facilitant le réchauffement de l’atmosphère, la neige se maintenait encore avec la persistance du gel nocturne.

Il faut dire qu’à Bousieyas, ce hameau perdu au bout de la vallée de la Tinée et le plus haut des Alpes Maritimes, l’hiver s’étalait impitoyable sur plus de sept mois de l’année.

Pour mieux résister, les fermes bien qu’agglomérées constituaient chacune un monde à part, capable de réunir sous le même toit toutes les réserves et les fonctions nécessaires à la vie, y compris l’aire de battage des céréales !

Cette conception garantissait un hivernage confortable, en dépit des forts enneigements.

Les festivités du Carnaval et le Mardi gras, annonciateurs du retour des beaux jours, rompaient à point la monotonie d’interminables mois d’isolement et de solitude.

Le Carnaval, symbole de la fin tant attendue d’une période particulièrement rude pour les montagnards, déchaînait alors la gaîté avec ses chants, ses déguisements, ses danses, ses farces et ses jeux.

L’ensemble de la population, jeunes et vieux, assistait à ces sortes de saturnales où l’on se libérait enfin d’un long engourdissement. La vie reprenait ses droits, bafouant parfois l’autorité en place, pour instituer un règne éphémère mettant pendant quelques jours le monde à l’envers. Le Mardi gras, les choses atteignaient au paroxysme, mais hélas, il fallait tuer le roi de la fête.

A Bousieyas, « Carémentrant » ou « lou Paillassou » (mannequin de paille) serait brûlé sur la place du village, après un dernier tour et le mercredi des Cendres tout rentrerait dans l’ordre avec l’arrivée du Carême.

Le rituel primitif du passage de la léthargie hivernale au réveil printanier de la nature s’accompagnait ici de facéties et de simulacres de combat où le dieu Hiver recevait chaque fois une sévère correction. Divers personnages de blanc vêtus représentaient alors la froidure, avant d’être victimes de jugements fantaisistes ou de farces cruelles à base de suie ou de charbon de bois ! Bal et repas collectif clôturaient en général ces épisodes favorables à la venue de la belle saison.

C’est dans ce joyeux contexte que Cyprien Issautier, venu du village voisin de Saint Dalmas, avait pu retrouver sa promise la fille cadette des Brun, la charmante Jeanne. Les poursuites endiablées dans les ruelles, émaillées de rires et de tendres étreintes, avaient précédé le plantureux banquet servi dans la vaste cuisine familiale des hôtes.

A la fin des agapes, pour égailler l’assistances, Cyprien sortit de son étui sa « viole d’amour » à sept cordes, puis s’assit et joua sur le genou un air guilleret. Le musicien martelait le sol de son pied droit dont la cheville s’entourait de petits grelots rythmant allégrement la mélodie.

Le succès fut tel que bientôt l’assistance, claquant des mains en cadence, se leva pour esquisser quelques pas de danse. Encouragé, Cyprien développa son répertoire, tout en chantant de sa belle voix de ténor, entraînant au refrain le chœur de l’assemblée.

Radieuse, Jeanne souriait, émerveillée par les multiples talents de son prétendant.

Les joues empourprées, elle avait d’abord fredonné timidement, avant de s’égosiller en contre-point de sa petite voix aiguë.

Hélas, toute fête ayant une fin, au matin il fallut bien se séparer. Les anciens avaient sagement initié le départ. Certains rejoignaient le « Poli » (le grenier) pour s’étendre quelques heure sur la paille, d’autres regagnaient leur ferme.

Cyprien, tenu par les soins qu’il devait apporter à ses bêtes, entreprit à regret de reprendre le chemin du retour vers Saint Dalmas.

Jeanne, emmitouflée, l’accompagna en trébuchant sur la neige gelée jusqu’à la passerelle franchissant la Tinée. Un long baiser conclut cette trop courte rencontre. Cyprien conserva encore sur la joue, le froid contact du petit nez de sa douce et tendre, alors qu’elle le quittait enfin pour s’éloigner et n’être plus qu’une lumière vacillante sur le sentier.

La nuit épaisse n’était troublée que par le sourd murmure de l’eau glissant sous la glace.

Cyprien connaissait bien le chemin du retour pour l’avoir cent fois parcouru. Après avoir gravi la rive gauche du vallon de l’Alpe, il contourna la base des escarpements du Rocher du Prêtre de sinistre mémoire.

Cyprien se souvenait de la dramatique histoire du curé Fabron, évoquée avec forces détails dans la douce chaleur des veillées.

Tout avait débuté lors de la sélection des Rosières, par des tête-à-tête prolongés avec Baptistine, la mignonne cadette des Fulconis. De confessions en questions troublantes, Tine, aguicheuse jeune fille aux yeux clairs, avait chaviré le cœur de l’homme d’église.

Le malheureux, incapable de résister au jeu puéril et suggestif de l’adolescente n’avait pu réprimer ses pulsions. Le scandale fut révélé par les sœurs aînées de Tine, mises dans le secret après de flatteuses et naïves confidences.

Lorsqu’un soir il reçut une convocation de l’évêché, le prêtre décida d’en finir en se jetant du haut du rocher qui porte désormais son nom. Au sommet une croix rappelle encore son tragique destin.

Tout en poursuivant ses pensées, Cyprien parvenait au col de Colombière sans trop de dommage, en empruntant les pas laissés dans la neige à l’aller.

L’aube commençait à blanchir l’horizon dominant la haute chaîne des montagnes.

Passant sur le versant sud du col où débutait la descente vers Saint Dalmas, l’obscurité reprit ses droits. C’est alors qu’il avançait à grandes enjambées vers les granges de Rochepin que Cyprien sentit comme une présence. Mis en éveil, il observa les alentours pour enfin entrevoir une inquiétante silhouette, celle d’un loup suivant sa trace. L’homme réalisa très vite qu’il s’agissait d’un loup affamé en quête d’une proie possible.

La bête se rapprochait dangereusement avec des intentions évidentes.

Cyprien accéléra le pas, mais comprit très vite qu’il ne pourrait pas échapper au loup déjà sur ses talons après quelques bonds rapides.

Soucieux d’éviter l’attaque, Cyprien s’arrêta et tira de sa besace un torchon noué renfermant quelques beignets,  tendre cadeau de la douce Jeanne.

Il lança à regret le premier de ces beignets dorés que le loup avala goulûment. Voulant témoigner de ses qualités de fine pâtissière, Jeanne n’avait pas lésiné sur les pommes ni sur le sucre, ces beaux beignets gonflés à souhait disparaissaient dans la gueule de l’animal peu soucieux de les déguster. Cyprien réalisa bientôt que le dernier beignet allait être englouti.

Après cette mise en bouche, le loup souhaiterait très vite passer au plat de résistance !

Saisi par la peur l’homme se mit à trembler, en recommandant son âme à Dieu dans une ultime prière.

Déjà il décrochait l’étui de sa viole, pendu à son dos pour s’en servir de massue, lorsque lui vint l’idée de sortir l’instrument pour jouer un dernier air en forme de supplique. Les doigts gourds Cyprien saisit l’archer, puis portant sa chère viole à l’épaule, il pinça les cordes pour en faire sortir quelques notes stridentes.

La bête attentive s’était immobilisée dressant ses oreilles mobiles au son des premiers accords. Elle leva la tête, tendit le cou pour accompagner ensuite la ritournelle désespérée par un long hurlement de douleur.

Epouvanté, le loup fit demi-tour et s’enfuit en poursuivant ses cris de détresse.

Cyprien ne ralentissait pas le rythme, entraîné tour à tour dans l’exécution tumultueuse d’une mazurka puis d’une polka toute aussi alerte, achevant de faire détaler le loup !

La menace s’étant dissipée, Cyprien conclut : « Si j’avais su !  Quel péché d’avoir dû sacrifier de si délicieux beignets ! »

Là haut dans la vallée, lorsqu’on sert des beignets réussis comparables à ceux de Jeanne, cette anecdote inspirée d’un fait réel hante encore la mémoire des gens  du lieu.

D’après «Les Histoires de loups en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 18 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

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08:30 Publié dans MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : HISTOIRE

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