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21/09/2006

HISTOIRE DE LOUP DANS LA HAUTE VALLEE DU VAR

            UN AMOUR CONTRARIÉ

                                                                                 

Lorsque le père de Caroline rentra chez lui en cette fin de journée d'août, de retour des Tourrés, un sourire malicieux éclairait son visage buriné de mon­tagnard. Sans prendre le temps de retirer son chapeau de feutre noir il interpella sa femme: « Si tu savais ce que j'apporte! Tu ne devineras jamais! » Posant sur les dalles de la salle commune son sac gonflé, il le dénoua pour en laisser s'échapper une boule informe de poils gris qui partit de suite sur ses pattes malha­biles en direction de sa fille. Salué par des exclama­tions joyeuses, le chiot exprimait son émotion en couinant, puis sous l'assaut des caresses, il ne résista pas, abandonnant une flaque d'urine qui fit repartir les rires. Caroline, la fille cadette des Jusbert, adopta Faraud comme son enfant. Il ne quittait plus la jeune fille, trottinant sur ses talons à travers les chemins et les champs où l'on récoltait le regain.

Un mystère planait sur les origines de Faraud, né en avril à la ferme des Mandine à la Gardivole. Emile Mandine avait du mal à s'expliquer comment sa chienne Barbette avait pu être prise par un mâle alors que les solitudes neigeuses de la fin de l'hiver cernaient leur hameau perdu, loin de toute vie. Il en était arrivé à la conclusion que la Barbette avait dû succomber au charme sauvage d'un loup venu rôder dans les parages, une nuit de février.

Faraud, né de ces incertitudes, forcissait au gré des mois, révélant les traits de ce croisement inattendu. Sa taille élevée, son corps maigre aux flancs rentrés, ses pattes minces et sa queue pendante lui donnaient la silhouette caractéristique d'un loup.

Sa grosse tête oblongue avec un long museau pointu issu d'un front incliné surmonté par des oreilles droites, ses yeux obliques, achevaient de trahir ses ascendances. Caroline, jolie brune au regard clair s'épanouissait dans la beauté de ses dix-sept ans. Active et travail­leuse, elle avait la charge des moutons et des chèvres du troupeau familial qu'elle menait paître chaque jour au-delà du col de Barels. Faraud s'avérait être un berger scrupuleux et attentionné, gardien prévenant les moindres intentions de sa maîtresse. Leurs longs tête-à-tête à l'alpage avaient créé des liens intimes entre ces deux êtres. Le chien-loup, compagnon fidèle, partageait les rires et les caresses de son amie qu'il aimait prolonger, étalé sur le dos comme un enfant joueur. Caroline lui parlait souvent, confiant ses états d'âme et ses espoirs. S'il ne pouvait répondre, l'ani­mal manifestait tant par ses regards que par ses mimiques tout l'intérêt qu'il portait aux révélations de sa jeune maîtresse.

Bientôt les premières neiges blanchirent les sommets gris, roussissant les mélèzes, limitant la sortie du troupeau. Caroline et son inséparable Faraud firent alors de longues promenades dans les bois, rapportant des seaux de myrtilles. Malheur à qui s'approchait du couple isolé dans la forêt! Doué d'un flair infaillible, le chien prévenait en grondant puis se portait à la rencontre de l'intrus, n'acceptant de calmer sa fureur que sur un signe ou un mot de sa patronne.

Faraud était devenu le chien de Caroline. Lors­qu'il fallut descendre à Guillaumes avec le mulet pour y faire une dernière fois les provisions de l'hiver, Faraud fut du  voyage. Sur la place du petit bourg ce « loup » suscitait la curiosité et les com­mentaires de chacun: un bel animal, au pelage gris mêlé de noir sur le dos, avec des poils plus longs au ventre et aux cuisses où ils prenaient une chaude teinte ocrée. Faraud très fier se serrait contre les mollets de Caroline, n'appréciant pas toujours les jugements équivoques des chasseurs et des bergers.

Au fil des années, la fille des Jusbert poursuivait sa vie de petite montagnarde, flanquée de son insé­parable compagnon. Pour les fêtes et les bals Faraud ne la quittait jamais. Assis à l'écart, attentif, il suivait de son regard gris et impénétrable les évolu­tions de sa maîtresse, attendant patiemment l'instant où celle-ci déciderait du retour.

 L'animal avait pris très jeune l'habitude de venir coucher dans la chambre de Caroline, avec la com­plicité attendrie de la mère. Le père n'appréciait pas ces gamineries et l'avait chassé plusieurs fois hors du lit. Devenu adulte, Faraud avait très vite compris le manège. Soulevant le loquet avec sa patte, il rejoignait sa patronne lorsque toute la maisonnée s'était endormie. Caroline se pelotonnait alors entre les pattes dans la chaude fourrure de son protecteur. Malin, Faraud sortait comme il était venu avant l'aube.

Il était de tradition l'hiver à Barels de recevoir à la veillée les jeunes du village de Roya, niché au creux de la vallée voisine au-delà d'un col de quelque 2500 mètres d'altitude. Ces héroïques expéditions n'avaient lieu que lorsque la neige gelée pouvait porter le pas de l'homme. De ces rencontres insolites devaient naître des mariages extérieurs aux commu­nautés bloquées sans cela dans leur consanguinité. Ainsi à la veille de la Saint Sébastien, un groupe de jeunes gens débarqua tout joyeux, raquettes aux pieds, lanternes à la main, emmitouflés dans la laine et la fourrure, répandant une animation inhabituelle dans les fermes du village. Trois jours de visites et de fêtes rompaient ainsi le long engourdissement de l'hiver.

La dernière veillée eut lieu chez les Jusbert. On dansa au son du violon et de la iorgina» (sorte d'accordéon diatonique) jusqu'au petit matin. Caroline et Alphonse, un grand garçon au visage rieur, sautillaient sur des airs allè­gres, sous l’œil bienveillant des parents et amis martelant du pied et des mains les reprises endiablées des musiciens. Caroline connaissait bien Alphonse, l'aîné des Murris, chasseur de chamois et coureur de cimes. C'est lui qui avait conduit le groupe à travers les pièges de la montagne. De son côté, Alphonse, sensible à la beauté de cette fille sauvage, n'avait pas manqué de lui apporter en présent un ruban de soie noué autour d'un gros bouquet d'edelweiss cueillis l'été précédent au cours de ses randonnées. Caroline rougissait quand on la plaisantait sur sa coquetterie.

Ne portait-elle pas à son corsage le bouquet offert par Alphonse ?

Lorsque les gens de Roya se remirent en route, ceux de Barels les accompagnèrent un bout de chemin, promettant d'aller l'an prochain leur rendre leur visite. C'est alors qu'à l'écart du groupe serrant très fort la main de Caroline, Alphonse lui avait fait promettre de se revoir au printemps à Péone pour le retour des transhumants. Faraud, les oreilles dres­sées, épiait le manège du couple.

Au moment de se séparer, Alphonse, n'y tenant plus, prit la jeune fille dans ses bras, ils échangèrent leur premier baiser. C'est alors que les deux amoureux perdirent l'équili­bre, bousculés dans la neige par un Faraud déchaîné qui s'accrochait de toutes ses dents à la gorge du malheureux jeune homme.

Les cris de terreur de Caroline, les coups de bâton, rien ne pouvait arrêter l'animal furieux qui déchique­tait le corps d'Alphonse roulé dans la neige rouge de sang.

Un coup de feu claqua mettant fin à la tuerie. Le chien-loup cloué au sol par la décharge du fusil lâcha enfin prise.

Il eut encore la force de tourner ses yeux gris et fiévreux vers celle qui l'avait trahi.

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15:18 Publié dans MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : HISTOIRE

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