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02/04/2012

A LA BRIGUE : LES MIRACULEUSES SOURCES DE NOTRE DAME DES FONTAINES

FRESQUES DE N.D. DES FONTAINES A LA BRIGUE 1493.jpg

 

L’Empereur grec d’Orient, Théodore II Lascaris, est chassé en 1259 de son trône de Constantinople par les Croisés qui établissent un Empire latin sur les rives du Bosphore.

Il meurt en laissant un fils âgé de huit ans, Jean IV, soumis à la régence d’un général, Michel Paléologue, qui décide de tourner la situation à son avantage. Après s’être fait nommer empereur, il s’enhardit, obtenant la restitution de Constantinople en 1261. Pour assurer son autorité, il prétexte un complot, fait aveugler Jean IV et le condamne à la prison perpétuelle.

C’est dans ce contexte que Pierre Guillaume de Vintimille, seigneur de Tende et La Brigue, envoyé en mission par la République de Gênes, est reçu à la Cour Impériale. Il conclut le 13 Mars 1261 avec Michel VIII le traité de Nymphée, un important accord commercial contre Venise. Pierre Guillaume épouse alors Eudoxie Lascaris, sœur de Jean IV. Le couple rejoint Gênes et les terres de Vintimille assez éloignées des tragédies byzantines. A dater de cet événement, les Vintimille-Lascaris ajoutèrent à leurs armes l’aigle bicéphale, attribut de l’ancienne famille impériale.

Un jour de début Décembre, à midi précise, la montagne dominant le village de
La Brigue fut prise dans une épaisse brume avant d’être secouée par un violent tremblement de terre. Soudainement, les sources se tarirent. La jeune comtesse Eudoxie de Tende annonça la nuit de Noël que les sources couleraient de nouveau si la population construisait une chapelle expiatoire. On choisit un site proche du village mais, la nuit, les travaux entrepris furent détruits.

Sur les conseils de la comtesse, la construction de la chapelle fut reprise en face des sources asséchées. C’est alors que pendant les travaux, l’une des sources se changea en vin à l’heure des repas. Mais ceux, avides, qui voulaient l’emporter chez eux ne retrouvaient que de l’eau.

Par un caprice inexplicable, les sept sources ne reprirent leur débit que de manière intermittente, troublant encore davantage ceux qui croyaient au caractère miraculeux de cette renaissance. Déjà, le sept qui gouverne le cycle des gestations, symbole vivifiant de la perfection réalisée, marquait de son empreinte la magie du retour de l’eau. Le mystère se corsait avec l’intermittence du débit, soumise à des règles dirigées par des forces obscures.

Pour remercier la Madone d’avoir répondu favorablement au vœu émis par la population de La Brigue, la chapelle devint très vite un sanctuaire, agrandi à la fin du XVème siècle. La grâce divine qui avait fait jaillir l’eau un siècle plus tôt fut honorée par les pèlerins qui trouvèrent là quelque petite maison pour y être reçus. L’église reçue une extraordinaire décoration de Baleison, puis de Canavasio, visible de nos jours.

Quand au caractère merveilleux de l’intermittence des sources, son explication relève des lois de la physique. Le phénomène naturel est dû au siphonnage d’une cavité qui se remplit par le haut d’une façon continue, pour se vider ensuite brusquement par différence entre la pression atmosphérique qui pénètre par l’orifice de la source et celle du débit de l’eau.

Le sanctuaire de Notre Dame des Fontaines est situé à 4,5 km du village de
La Brigue, au-dessus des sept sources aux vertus réputées miraculeuses. Dressé dans un beau cirque verdoyant, au milieu de hautes montagnes, il borde l’ancien chemin muletier conduisant à Triora en Italie.

A l’intérieur de l’église, les murs sont couverts de fresques ainsi que le chœur. Scènes de la Passion et du Jugement Dernier peintes par Canavesio, représentations de la vie de la Vierge et des Evangélistes décrites par Baleison, retiennent l’attention du visiteur transporté au XVème siècle par le décor et les costumes des personnages. Le réalisme est poussé à l’extrême dans le “ Judas pendu ” de Canavesio au visage convulsé, au corps déchiré d’où l’âme est arrachée des entrailles pendantes par un diable.

Lieu où se confondent les influences antagonistes du Bien et du Mal, révélées par une lutte souterraine apportant au jour la victoire, acquise grâce au miracle de la prière. Ce message transmis par delà les siècles n’échappera pas au visiteur sensible à la beauté du cadre et à la majesté du décor intérieur de l’église.

 

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr

Des histoires extraordinaires naissent sous tous les cieux, mais seul un cadre favorable les fait éclore.

La situation géographique du Pays d’Azur où les Alpes plongent dans la mer dans un chaos de montagnes et de vallées profondes lui confère déjà un caractère exceptionnel. Les climats qui s 'y étagent de la douceur méditerranéenne de la côte aux frimas polaires des hauts sommets sont tout aussi contrastés. Si l'on ajoute que l'homme a résidé sur ces terres d'opposition depuis ses origines, on ne peut s'étonner de trouver en lui la démesure du fantastique révélée par les outrances du décor.

Cet environnement propice ne devait pas manquer de pro­duire dans la vie de ses habitants une saga où l'imaginaire rejoint naturellement la réalité.

Depuis les milliers d'étranges gravures tracées à l'Age du Bronze sur les pentes du Mont Bégo dans la Vallée des Merveilles, en passant par les fabuleux miracles de la légende dorée des premiers chrétiens, ou les fresques tragiques des chapelles du Haut-Pays, jusqu'aux héroïques faits d'armes des Barbets pendant la Révolution française, longue est la chronique des «Histoires extraordinaires» du Pays de Nice, s'étalant dans la pierre et la mémoire de ses habitants.

Par un survol du passionnant passé de cette région, qu'il connaît bien, Edmond Rossi nous entraîne à travers une cinquantaine de récits mêlant la réalité historique au fantastique de la légende.

Rappelons qu'Edmond ROSSI, né à Nice, est entre autres l'auteur de deux ouvrages d'Histoire appréciés, dont «Fantastique Vallée des Merveilles», d'une étude sur les traditions et le passé des Alpes du Sud: «Les Vallées du Soleil» et d'un recueil de contes et légendes de Nice et sa région: «Entre neige et soleil».

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

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21/03/2012

LA SANGLANTE ÉPOPÉE DES SEIGNEURS GRIMALDI DE BEUIL

19 LES ARMOIRIES DES BARONS DE BEUIL.jpg

 

La saga des turbulents Grimaldi, seigneurs de Beuil, barons puis comtes, débute par un meurtre pour se poursuivre tragiquement des siècles durant. Reniements, trahisons, rebellions accompagnées de pillages, sont assez fréquents chez ces féodaux d’humeur fière et indépendante, ne supportant aucune des tutelles que leur imposera l’Histoire et cherchant constamment à accroître leur patrimoine particulier.

Tout démarre à Thiéry, un obscur village de montagne, seulement désenclavé à la fin de la deuxième guerre mondiale. Au début du XIVème siècle, le vieux seigneur du lieu, Guillaume Rostaing, abusait tellement de ses jeunes vassales, soumises au droit de cuissage, que les villageois finirent par l’égorger. Une fois inhumé, ils cherchèrent alors un puissant protecteur et marièrent sa fille, la blonde Asturge, au seigneur guelfe Andaron Grimaldi de la famille de Monaco. Le mariage sera célébré en Juin 1315, au prieuré bénédictin de la Madone. Ici se scelle alors pour trois siècles le destin du comté de Beuil, Andaron devenant la tige des Grimaldi de Beuil.

Sous leur fils Barnabé, se place un incident qui montre bien les mœurs sauvages des montagnards de l’époque. Un certain François Caïs avait acheté la terre de Roure et refusé l’hommage au baron de Beuil. Bertrand, le fils de François poignarda Barnabé qui en réchappa. Celui-ci, aidé d’une partie de la population, assiégea le château de Roure en 1353 et s’en empara.

Bertrand fut fait prisonnier et livré au bourreau qui lui trancha les poignets, lui brûla les yeux avant de le décapiter. La Reine Jeanne, comtesse de Provence, obligea le comte de Beuil et les habitants de Roure à payer une amende de 20000 florins d’or pour avoir pris à main armée la forteresse de Roure. De ce manoir, il ne subsiste aujourd’hui que des ruines, seul se dresse encore un pan de mur aux pierres brûlées.

Les deux fils de Barnabé, Jean et Louis seront les actifs artisans de la dédition de Nice à la Savoie en 1388. La Reine Jeanne avait laissé deux héritiers Duras et Anjou. Jean était Gouverneur de Nice et Sénéchal de Provence pour les Duras. Les Anjou se faisaient progressivement reconnaître par les différentes cités de Provence. Une délégation fut envoyée à Gaete pour obtenir des renforts en Mars 1388, mais devant l’impuissance des Duras, les Grimaldi commencèrent les pourparlers avec la Maison de Savoie qui aboutirent le 28 Septembre 1388 au Grand Schisme de Provence. Les Grimaldi obtinrent en récompense sept villages dans les diocèses de Nice et Glandèves. Ils s’emparèrent alors de la Place de Monaco (1395) puis organisèrent une expédition contre Vintimille où ils furent faits prisonniers.

Le comte de Savoie profita de l’occasion pour diminuer l’influence d’un seigneur aussi remuant en nommant Odon de Villars gouverneur de Nice.

De retour de captivité, les deux barons de Beuil se tournèrent alors vers les Anjou et entrèrent en lutte contre le comte de Savoie. Celui-ci répliqua en désignant le Maréchal Boniface de Challant - commissaire général de Provence - qui s’empara de quelques châteaux beuillois.

A la suite de la trêve entre les Anjou et la Savoie, Amédée VIII se réconcilia avec le baron de Beuil et lui rendit ses places le 31 Juillet 1408. Mais un an plus tard, les Grimaldi s’insurgèrent à nouveau dans la Vallée du Var à Villars. Les opérations savoyardes débutèrent en Octobre 1411, le 4 Février 1412 Massoins dut se rendre. Le château de Villars fut pris par trahison le 5 Mai, repris le 8 par les Grimaldi, puis finalement le 20 par les Savoyards. Il sera démantelé le 29 Octobre 1412.

Les Grimaldi se réconcilièrent à nouveau avec leur suzerain, et Louis le représentera auprès de l’Empereur Sigismond en 1413 et au Concile de Constance en 1415. Enfin, Louis défendit les intérêts de la Savoie lors de l’accord définitif avec les Anjou !

Quand il succède à son père Jean, Pierre est seigneur de Levens. Il commence par s’insurger contre la Savoie mais rentre en grâce en 1461. Son fils Jacques sera chambellan et conseiller du duc de Savoie et gouverneur de Nice (1463-1490). Georges prend la suite et règne de 1490 à 1508. Il commença à se rebeller lorsqu’il fut assassiné le 5 Janvier 1508 par son barbier - Esprit Testoris de Bonson - qui lui trancha la gorge en le rasant. C’est encore au château de Villars que quelques années plus tard, Jean Baptiste Grimaldi faillit être empoisonné avec tout son entourage, alors qu’il s’était engagé à livrer Nice à la France.

Un jour, alors que Jean Baptiste jouait à la paume dans l’enceinte du château, un inconnu se présenta pour demander l’aumône. Son allure ayant parue suspecte, on le retint prisonnier et on le tortura jusqu’à ce qu’il avoue être venu pour empoisonner toute la maisonnée. On retrouva effectivement dans la citerne du poison enveloppé dans un parchemin. Il fut pendu et le Duc de Savoie fut suspecté de cette machination. Jean Baptiste Grimaldi se mit au service de la France, ravagea le Haut Pays et mourut dans les rangs français en 1544 à la bataille de Cérisoles.

Son successeur, Honoré 1er (1508-1537), fut un bon diplomate et mourut sans histoire à cent ans. Par contre, René (1537-1542) aura une jeunesse turbulente. Il s’entend avec son frère Jean Baptiste, seigneur d’Ascros, pour se mettre au service du roi de France et attaquer les villages des Ferres et de Gilette. Ils seront battus en 1526 et leurs biens confisqués, une amnistie suivra au traité de Cambrai de 1529. Devenu baron, René acheta la place d’Entrevaux et se tourna à nouveau vers la Provence. Soudoyé par le duc de Savoie, son valet de chambre Florent de Goret l’assassina pendant sa sieste. Arrêté à Marseille, l’assassin fut pendu à Villars.

Honoré II (1542-1590), grand et loyal seigneur, devient comte de Beuil le 26 Mai 1561. Il laissera le fief à son fils Annibal Grimaldi de célèbre et funeste mémoire (1590-1621).

Le nouveau comte de Beuil est un de ces seigneurs féodaux qui n’hésitaient pas à s’insurger contre leur suzerain. Son histoire se place peu avant la Fronde, qui représente en France le dernier sursaut de révolte des seigneurs contre l’autorité centrale. Sa devise était :

“ Io son Comte di Boglio,

Che faccio qual che voglio ”

“ Je suis le Comte de Beuil, je fais ce que je veux ”

Nommé gouverneur de Nice en 1591, il ne sera pas étranger à l’émeute qui éclata dans la ville en 1613 à propos de l’Insinuation (ou Enregistrement). Il s’oppose aussi à la création du Sénat de Nice destiné à contrebalancer la puissance du gouverneur.

Le duc de Savoie lui offre alors d’échanger les terres de Beuil, pour des fiefs plus riches situés en Piémont, plus proches de Turin, donc plus faciles à surveiller. Annibal refusa.

Le duc vint alors à Nice en 1614, sous prétexte d’hiverner sous un climat plus doux. Il invita Annibal et son fils dans son palais de Villefranche et les arrêta le 20 Avril. Le 25 Avril, il les conduisit à Turin, les gardant à la cour. Annibal feignit une maladie et obtint l’autorisation de se soigner aux Bains de Vinay. Il en profita pour passer le col et rejoindre Villars (Juin 1614).

A l’occasion de la guerre entre la Savoie et l’Espagne (1616), Annibal se plaça sous la protection du roi d’Espagne. Puis il commit la faute de se mettre en Mars 1617 sous la sauvegarde de Louis XIII. La guerre finie, l’Espagne ne réclama pas le comté de Beuil, ce qui aurait eu pour effet de la brouiller avec Louis XIII. Celui-ci recherchait l’amitié de la Savoie et voulait éviter le ressentiment de l’Espagne, aussi sacrifia-t-il le vassal félon. Ce jeu dangereux de la recherche de puissants protecteurs aboutit à l’isolement d’Annibal. Charles Emmanuel décida alors d’agir. Il traduisit Annibal et son fils, le baron de Laval, devant le Sénat de Nice, qui le condamna à mort le 2 Janvier 1621.

Annibal se réfugie à Tourrette, confiant dans la position inexpugnable de sa puissante forteresse. A la tête d’une armée de 9000 hommes, Annibal Badat, gouverneur de Villefranche, occupe Levens et marche sur Villars. Le baron de Laval s’enfuit en Provence avec sa mère et sa femme. Annibal est cerné dans son château de Tourrette-Revest. Le 8 Janvier, la garnison se rend, le 9 Annibal capturé est étranglé par deux esclaves turcs.

La rapidité de la chute d’Annibal surprend, alors qu’il apparaissait hors d’atteinte au sommet d’un piton inaccessible, enfermé dans un château solidement fortifié, entouré d’une forte garnison de 400 hommes.

De plus, les rigueurs de la saison devaient freiner les approvisionnements des assiégeants et les obliger à lever un siège difficile. Les hommes d’Annibal auraient été circonvenus, pour capituler sans combattre, entraînant la reddition du comte trahi par les siens.

Annibal avait 64 ans, une semaine seulement s’était écoulée entre sa condamnation et l’exécution de la sentence.

Après avoir démantelé ou rasé les châteaux du comté de Beuil, le duc de Savoie émiettera et distribuera le fief à des nobles fidèles de son entourage. Ainsi s’achèvera la dynastie indépendante, fantasque et souvent insoumise des Grimaldi de Beuil, dont le particularisme farouche marquera l’Histoire et la mémoire du Comté de Nice.

 

D’après « Les Châteaux du Moyen-âge en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 20 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr 

Le Moyen Âge a duré plus de mille ans, presque une éternité ! Aussi, les différences l’emportent largement sur les points communs.

Quel rapport entre la Provence romaine, soumise aux déferlements des hordes barbares et celle annexée au Royaume de France de Louis XI ?

Terre de passage et de partage, les Alpes Maritimes – ou Provence orientale – sans ignorer ces disparités, conservent les facteurs d’une unité enracinée dans le sol et dans les mentalités.

Qu’il s’agisse de la langue latine, de la religion chrétienne, de la construction des états modernes aux œuvres de l’intelligence, cette époque fournit en ce lieu tous les éléments nécessaires pour appréhender dix siècles de cataclysme et de grandeur.

La découverte des châteaux et des forteresses médiévales du « Pays d’Azur » (Alpes Maritimes), témoins authentiques des bouleversements de cette période clé n’est pas aisée ; elle constitue pourtant le meilleur moyen de retrouver ces temps disparus.

Les plus anciennes constructions datent d’un millénaire ; en parties détruites ou restaurées, elles offrent rarement leur visage primitif, laissant le plus souvent à l’imagination le pouvoir de les faire renaître.

L’archéologie de l’âme peut nous aider à retrouver l’image vivante de la chevalerie et des nobles hantant ces demeures oubliées.

Elle nous sera restituée grâce à de nombreuses anecdotes émaillant l’austère description des sites. Puisées dans les chroniques et les légendes, elles restituent une vision de valeurs fondées sur l’honneur et la foi.

Confronté à l’hostilité et à la violence d’un monde obscur, l’homme médiéval exprimera une part de ses ambitions et de ses craintes par des ouvrages défensifs. Ces orgueilleux édifices inscrivent dans le paysage les premières empreintes de l’histoire mouvementée des Alpes Maritimes.

Laissons-nous entraîner à la fabuleuse découverte de ces 140 châteaux et vestiges médiévaux présentés avec précision par Edmond Rossi, un niçois passionné par le passé et les traditions d’une région qu’il connaît bien. Il nous offre en plus la part d’imaginaire qui entoure ces vieilles pierres.

Rappelons qu’Edmond Rossi est l’auteur de plusieurs ouvrages traitant de l’Histoire des Alpes Maritimes et de la mémoire de ses habitants.

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14/03/2012

A ROYA DANS LA VALLÉE DE LA TINÉE, LE SECRET DU SEIGNEUR DE L'ALP

LE MANOIR DE ROYA, HAUTE TINEE.jpg

 

Lorsque Pauline poussa la porte de la chapelle le soleil pénétra largement dans la nef mettant un terme à mon recueillement. Je quittai la pénombre et m'avançai pour l'accueillir. Elle portait un gros bou­quet de fleurs parfumées qui dissimulait la moitié de son corps et ne laissait apparaître qu'un visage rond au teint clair, encadré de deux tresses rousses. D'un pas rapide et souple elle approcha :

- Monsieur le curé, pardonnez-moi, je ne voulais pas vous déranger, je venais simplement fleurir la statue de notre Sainte Mère, vous m'avez fait peur, je ne vous avais pas vu dans l'ombre.

- C'est bien, Pauline, samedi tu conduiras la procession avec les filles du village, je compte sur toi pour confectionner les couronnes de buis.

Un large sourire illumina sa frimousse piquée de taches de rousseur.

En cette veille du quinze août, notre petite commu­nauté de Roya, perdue dans ses montagnes, s'activait à préparer la grande fête de la Vierge, patronne du lieu. La procession constituait le moment essentiel de cette importante journée et chacun se devait d'y tenir son rôle. Les bergers, bâton en main, avec leurs guêtres et gilet en peau de mouton, leur grand chapeau et leur cape, les bûcherons en pantalon de velours sombre, la taille serrée par une large ceinture, les paysans cravatés de cordons multicolores, leurs femmes vêtues de noir, coiffées de dentelles blanches, les bravadiers en gilet, fusil à large embouchure sur l'épaule, tout ce monde suivant gravement la statue vacillante de la Madone portée par six hommes mûrs en bras de chemise, précédée par un essaim de jeunes filles en longue chemise blanche, pieds nus, le front couronné de verdure.

A l'avant de ce cortège, j'avan­çais, suivi des enfants de chœur, avec à mes côtés, très digne, Jules Achiardi, seigneur de l'Alp, maître du village. Cet homme de haute taille, la barbe rousse et les cheveux poivre et sel flottant sur les épaules, fixait les pierres du chemin de ses yeux bleu clair, en tenant dans ses mains jointes un large chapeau de feutre kaki décoré d'une plume de faisan. J'imaginais que cette année encore, pendant deux bonnes heures, nous remonterions les sentiers caillouteux dans la chaude poussière de l'après-midi, s'arrêtant régulièrement devant les divers oratoires pour bénir champs et moissons.

Les falaises rocheuses répercutaient en échos les pétarades de la bravade, avant que le concours de boules ne me ravisse la vedette en réunissant tous les hommes du village.

Lorsque le samedi je reçus mes ouailles en confes­sion, je fus très étonné de ne point entendre les chuchotements de la petite Pauline. Je savais bien que sa conscience légère ne pouvait être entachée que d'intentions et de désirs puérils, mais je me promettais de la rappeler à ses devoirs. Le lendemain matin avant la grande messe, son père et son frère aîné vinrent m'avertir dans la sacristie que la gamine avait disparu depuis vendredi soir.

Partie dans le bois de l'Ubac pour rapporter quelques brassées de buis, comme je le lui avais demandé, elle n'était plus reparue depuis.

Jules Achiardi et ses chiens avaient battu la forêt avec les hommes du village sans trouver trace de la jeune fille.

L'après-midi, la procession fut abrégée à cause d’un violent orage. Le ciel se boucha très vite, devint d'un noir d'encre, le tonnerre claqua vers la cime Nègre, les éclairs zébraient l'atmosphère et bientôt de larges gouttes s'écrasèrent sur la poussière du chemin, nous obligeant à chercher abri sous l'aire de Murris.

Jules Achiardi me proposa de profiter d'une accalmie pour rejoindre son château tout proche et d'y bénir la chapelle. Chacun partit alors en débandade.

Précédé du seigneur et suivi de mes deux enfants de chœur, je franchis l'étroit pont de bois sur le torrent qui grossissait très vite, et quelques minutes plus tard nous étions dans la chapelle. Un cierge brûlait au pied de la statue de la Vierge couronnée d'une tresse de branches de buis frais.

L'hiver se passa sans trop de dommage, la neige tardive ralentit la venue du printemps, et durant les longues veillées on parla souvent de Pauline, mais aussi de Mélanie et Clotilde, disparues dans des circonstances tout aussi mystérieuses. L'une partie cueillir des myrtilles au Colombet, l'autre montée au Jassinette pour y rejoindre son oncle, n'étaient jamais reparues. On évoqua les loups qui n'épargnaient guère les moutons, mais l'étrange absence de cada­vres et de vêtements troublait les meilleurs chasseurs

Bientôt les perce-neige accompagnés de taches vertes qui s'élargissaient très vite, le soleil montant plus haut avec des rayons plus chauds, annoncèrent le retour du printemps tant attendu.

Nous étions à quelques jours de Pâques, lorsqu'une terrible nouvelle endeuilla à nouveau notre commu­nauté. Marie la fille de Fabron, une mignonne brunette, fut emportée par une avalanche dans le vallon du Riou blanc alors qu'elle ramassait du bois mort pour cuire le pain. Du moins c'est ce que nous supposions, car là encore pas de trace du corps de la jeune fille. La seule preuve provenait du bonnet de laine que Jules Achiardi avait découvert en bordure de la coulée de neige.

L'automne suivant, l'épouvantable fatalité qui sem­blait s'en prendre aux filles en âge de se marier s'abattit à nouveau sur Julie, une gracieuse blonde tout en sourires qui avait été notre rosière.

Julie, servante de notre seigneur solitaire, ne revint pas de la foire de Saint-Étienne où elle était descendue faire quelques emplettes. Comme elle n'avait pas l'humeur vagabonde, on se perdit en conjectures sur son sort.

Le bon Achiardi me remit les quelques affaires qu'elle possédait, avec mission de les rendre à sa famille. Le petit baluchon s'étant dénoué, je fis un inventaire involontaire de son contenu. Si les jupes en courtil, les cotillons blancs bordés de dentelles faisaient partie de l'ordinaire d'une fille de sa condition, je fus tout de même surpris de découvrir un corsage moulant damassé de grosses fleurs, avec manches longues et serrées enveloppant des poignets festonnés de fines dentelles, le tout rehaussé d'un magnifique ruban de soie noire portant une croix en argent ciselé décorée d'un cristal de roche: un habit de princesse ! Peut être l'aimable Julie avait-elle longtemps économisé pour s'offrir de pareils atours ?

Les propos les plus divers se répandirent, mettant en cause les Piémontais qui s'embauchaient comme bûcherons et aimaient taquiner les filles du pays. Chaque été dans le torrent, au gros de la chaleur, les femmes à moitié dévêtues lavaient la laine des mou­tons. Quand elles se savaient seules, elles se bai­gnaient nues pour se rafraîchir. Ces ébats n'avaient pas échappé aux « buscatiers » transalpins qui fai­saient ensuite des gorges chaudes sur les rondeurs des filles. Mais ces diables d'hommes parlaient souvent pour cacher une timidité certaine.

Ils avaient même proclamé très haut que notre maître Jules appréciait fort ces spectacles, pêchant dissimulé parmi les saules en ces périodes de grande lessive.

Un homme si pieux, d'une chasteté exemplaire, refusant les meil­leurs partis, consacrant le plus clair de son temps à la chasse et à la sage administration de ses biens, seules de méchantes langues pouvaient répandre des paroles aussi calomnieuses.

Un jour, en confession, Marguerite, la cadette des Dieudonné, m'avait avoué que Jules Achiardi l'avait comparée à une sainte et invitée à visiter son château. La curiosité l'ayant entraînée dans la sombre demeure, Jules lui avait proposé de venir prier avec lui, puis soudain au comble de l'exaltation il lui avait offert de s'occuper de son intérieur, lui promettant des pièces d'or et bien d'autres cadeaux pour récom­penser ses services et sa présence constante. Une étrange lueur avait alors traversé son regard « C'est si triste ici et je suis bien seul, tu es si gentille. » Toute flattée de susciter l'intérêt d'un personnage aussi important, la gamine était réapparue au château à quelques jours de là. Le seigneur l'avait alors attirée dans son parc à bestiaux sous le prétexte de l'aider à la monte du bélier. Les commentaires troubles de Jules Achiardi, lors des scènes d'accouplement et les comparaisons équivoques sur les plaisirs respectifs des animaux et des hommes pendant la saillie achevèrent de fixer Marguerite sur les intentions de son hôte. A la suite de cette édifiante initiation, l'homme avait tenté de trousser son cotillon sans toutefois parvenir à ses fins. Effrayée, la pauvre enfant s'était enfuie pour ne plus réapparaître au château !

Dans ce contexte, je reçus la visite de notre maître qui venait comme à l'habitude avec un chapon bien gras et un panier de noix, pour « discuter avec son prieur des éternels retards du règlement de la dîme ». Je le sentais embarrassé par ces préalables et lorsqu'il me demanda soudain de l'entendre en confession, je compris que le poids de sa conscience réclamait mon secours. S'il se reprocha d'avoir pressuré injustement les paysans de Roya, d'avoir calomnié et cédé à la violence, là n'était pas l'essentiel. Je décidai de l'encourager à parler en énumérant les différents péchés et en lui demandant enfin s'il n'avait pas été tenté par la luxure. Là, cet homme toujours si sûr de lui m'apparut bouleversé. Baissant les yeux, il ouvrit son cœur : « Mon père, la vie n'est pas simple. Mon éducation religieuse m'a fait un devoir d'être chaste, si bien que tout jeune et pour obéir à ma mère j'ai toujours repoussé les tentations. Pourtant je dois l'avouer, depuis deux ans j'ai succombé à plusieurs reprises. Emporté par le démon, j'ai vécu d'insuppor­tables cauchemars au bout desquels je me réveillais tel un somnambule, ne sachant trop où j'en étais.

Croyez que je regrette ce qui a pu se passer, mon repentir est sincère, je souhaite réparer le mal que j'ai fait. Hélas, je n'ai pas votre force d'âme, vous avez pu résister, moi pas... Ce n'est pas faute de me punir ! » Il ouvrit alors sa chemise et me fit voir des traces de flagellation, brutalisant ce corps sanguin qui le pous­sait à commettre ce qu'il appelait « l'ineffable ».

Je m'avançai en lui demandant si t'objet de cette passion vivait prés de nous « Il est partout », me répondit-il. « Je pressens dans chaque créature que je croise sur les chemins un serpent tentateur, d'autant plus qu'elle m'apparaît souriante, douce et ingénue. C'est comme une morsure qui active douloureusement mes désirs et mes rêves, faisant bouillir mon sang. Je ne peux tout de même pas écarter toutes ces incarnations vivantes du Malin, prêtes à m'entraîner dans l’œuvre de chair. » Il me demanda d'être son intercesseur auprès de l'abbé Galléan et du prieur des pénitents noirs de Saint-Étienne-de-Tinée, pour porter la croix le jour de leur procession, afin d'expier ses péchés. Il ajouta, déterminé: « Mon père, pour en sortir je souhaiterais faire retraite chez les capucins, partager leur paix de l'âme en vivant à l'écart des sollicitations permanentes de la vie quotidienne du village. »

Si j'encourageai le malheureux à suivre le chemin du repentir, je lui rappelai qu'il devrait peut-être songer à fonder famille pour vivre en harmonie avec les hommes et assurer sa succession dans l'intérêt de notre communauté. Mais sa décision était irrévocable et j'y vis comme un appel du Très-Haut.

Quelques mois plus tard, Don Jules Achiardi remit tous ses biens à l'Eglise. Il vécut le restant de ses jours à Sospel, au monastère des franciscains, et mourut en odeur de sainteté, entouré de l'estime affectueuse et du respect de ses anciens sujets. Il emporta avec lui son terrible secret.

Environ deux siècles plus tard, en 1885, les nou­veaux propriétaires du château de l' Alp entreprirent des travaux de transformations. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir quantité d'ossements féminins à l'aplomb des oubliettes. Ainsi s'expliquaient les étranges disparitions des jeunes filles du village, qui avaient eu alors le seul tort d'attirer l'impitoyable satyre. Le sinistre château de Don Jules Achiardi, seigneur de l'Alp, dresse encore sa silhouette rustique sur un tertre herbeux, à proximité du hameau de Roya éparpillé au fond d'une vallée, dominée par le Mont Mounier et les pistes de ski de la célèbre station d'Auron.

D’après « Les Histoires et Légendes du Pays d’Azur », pour commander cet ouvrage dédicacé de 15 € : contacter edmondrossi@wanadoo.fr 

Des histoires extraordinaires naissent sous tous les cieux, mais seul un cadre favorable les fait éclore.

La situation géographique du Pays d’Azur où les Alpes plongent dans la mer dans un chaos de montagnes et de vallées profondes lui confère déjà un caractère exceptionnel. Les climats qui s 'y étagent de la douceur méditerranéenne de la côte aux frimas polaires des hauts sommets sont tout aussi contrastés. Si l'on ajoute que l'homme a résidé sur ces terres d'opposition depuis ses origines, on ne peut s'étonner de trouver en lui la démesure du fantastique révélée par les outrances du décor.

Cet environnement propice ne devait pas manquer de pro­duire dans la vie de ses habitants une saga où l'imaginaire rejoint naturellement la réalité.

Depuis les milliers d'étranges gravures tracées à l'Age du Bronze sur les pentes du Mont Bégo dans la Vallée des Merveilles, en passant par les fabuleux miracles de la légende dorée des premiers chrétiens, ou les fresques tragiques des chapelles du Haut-Pays, jusqu'aux héroïques faits d'armes des Barbets pendant la Révolution française, longue est la chronique des «Histoires extraordinaires» du Pays de Nice, s'étalant dans la pierre et la mémoire de ses habitants.

Par un survol du passionnant passé de cette région, qu'il connaît bien, Edmond Rossi nous entraîne à travers une cinquantaine de récits mêlant la réalité historique au fantastique de la légende.

Rappelons qu'Edmond ROSSI, né à Nice, est entre autres l'auteur de deux ouvrages d'Histoire appréciés, dont «Fantastique Vallée des Merveilles», d'une étude sur les traditions et le passé des Alpes du Sud: «Les Vallées du Soleil» et d'un recueil de contes et légendes de Nice et sa région: «Entre neige et soleil».

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