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25/01/2010

"PAYS D'AZUR": LE VIN ET LES VENDANGES D'AUTREFOIS...

VENDANGES EN FAMILLE.jpg

 

LES VIGNES D'AUTREFOIS

(par Jean Emelina)

 

Malaussène, sur son arête au bas du mont Vial, n'a jamais prétendu s' enorgueillir, comme certains villages mieux exposés, d'un glorieux vignoble. Cependant, comme dans tous les villages de la vallée où l'on vivait plus ou moins en autarcie, tout le monde, naguère, y faisait son vin et sa brande (eau-de-vie). De coopérative, point. Chacun avait sa crote (cave), son tuorch(pressoir), ses tomous (grosses bouteilles vertes) et ses boutes (tonneaux). Quant à la tine (cuve), celle-ci n'avait longtemps connu pour fouloir que les pieds des hommes. Du vin, on en faisait souvent juste assez pour pourvoir à la consommation familiale: 300 ou 400 litres par an. Les mieux lotis qui dépassaient 2 000 litres pouvaient se compter sur les doigts d'une main. Aujourd'hui, un seul vrai vignoble demeure, près du village, mais quelques uns achètent encore du raisin dans le Var à l'automne, acharnés à faire "leur" vin.

 

Elles couraient partout autrefois les vignes! Au bord des planches des potagers, sur les treilles des jardins et des cabanons avec leurs pendous(grappes) de chasselas, de framboises mauves ou de rolles blancs. Elles se déployaient en filagnes (rangées} sur les terres de l'adret qu'on avait dû d'abord "défoncer", c'est-à-dire retourner au magaù (pioche) jusqu'à un mètre de profondeur, tenues par des escarassouns (échalas) d'acacia, d'olivier ou, mieux encore, de fustet (sumac) et de chaï (cade), car ces bois ne pourrissaient pas. Souvent, des cannes attachées avec des amarines (brins d'osier) faisaient office de fils de fer. Des vignes, on peut en voir encore des traces au diable vert, sur les pentes qui mènent vers les sommets, vieilles cèpes pathétiques {souches) perdues au milieu des pins des buis et des roumegas (ronces). Quel fou s'était avisé d'aller en planter si loin et si haut ?

 

La vigne occupait les pensées, les conversations et les jours. De la taille aux vendanges, point de répit. L'olivier, le figuier ou l'amandier, le blé, les pois chiches ou l'herbe des prés, peu ou prou, ça poussait tout seul, et les récoltes se gardaient sans problèmes, mais la vigne!.. Avec elle, pour elle, la peine ne se mesurait pas : tailler, lier, bêcher, fumer, désherber, sulfater, soufrer, couper regreùs et cibencs (rejetons et cimes des rameaux), soufrer, sulfater encore. Aux vendanges le raisin se transportait dans de gros gourbins (hottes  d’osier) à dos d’homme ou à dos d’âne.

Il fallait encore, au cœur de l’hiver, remonter les murettes de pierres sèches éboulées et veiller au vin, trembler pour un vin fragile qui risquait sans cesse de se piquer, soufrer les bonbonnes, transvaser une fois, deux fois, trois fois, et par ciel clair boucher les bouteilles.

 

Que de soins, de fatigues, de peurs ! Gelées meurtrières d'avril, mildiou, oïdium, étés pourris ou trop secs. En une demi-heure, un orage de grêle pouvait ruiner des mois de travail. Le pire, au terme de tant d'efforts, à deux doigts du triomphe; c'était les ravages des renards des blaireaux et des sangliers, Qui, alors, aurait pu s'offrir le luxe de tout grillager ? Les épouvantails ne suffisaient pas. Quelques-uns uns quand les grappes commençaient à mûrir, s’en allaient même dormir dans leur cabanon au bord de leur vigne. Un fil de fer enroulé autour du poignet courait entre les filagnes, muni d'une clochette qu'on secouait par intermittence pour effrayer les pillards.

J’ai vu un vieux, fou de rage, s'acharner sur un sanglier tué par les chasseurs. Il lui secouait les défenses, hurlant en « patois » : « Ah, crapule ! On t'a eu ! Toi, au moins tu n'en mangeras plus du raisin ! »...

Piètres vignobles, piètres récoltes en vérité, frôlant parfois la piquette; mais qu’importe ! A la manière de Saint Exupéry, comme pour la rose du Petit Prince, il faut dire « C'est le temps que tu as perdu pour ta vigne qui fait ta vigne si importante ».

 

Elle était orgueil et joie. Quel honneur quand on vous invitait dans une cave -haut lieu de convivialité- pour goûter le vin ! Il fallait le humer, le tâter à petites goulées; le garder en bouche. « Il n’est pas mauvais n’est ce pas ? » Alors d’un air concentré on laissait tomber le verdict : « Pas mauvais ma foi, pas mauvais !" On avait fait un heureux.

 

C'est là, le dimanche, que les hommes tenaient bruyamment salon, "gourmands de.vin », comme j'ai entendu dire, On dissertait, le verre à la main sur les mérites de telle ou de telle cave. (Avoir "une bonne cave" était une marque de haut prestige). On comparait les vertus de la clairette et du gros plant, du cinsault, du pineau, du jaquet ou de l'aramon; on parlait aussi de bœufs et de maïs, du canal ou des grives, et puis montaient les chansons, toujours les mêmes, « Jeanneton », « Ah le petit vin blanc! » ou « La Madelon »,de plus en plus haut. Aux soirs de fêtes, "le tour des caves", véritable rite, s'imposait, car chacun tenait à rendre l'invitation. Des bandes éméchées tournaient alors en zigzaguant dans les carrières de crote en crote, au grand désespoir des épouses qui n’en pouvaient mais. Le dernier carré tenait jusqu'à l'aube.

 

Ainsi vivaient les villages, qui étaient encore des villages: sueur et clameurs, labeurs, joies bruyantes, éclats de voix, chansons, jurons, tours de reins. On ne met plus de tonneaux à gonfler sous les gouttières en septembre et les belles filagnes bleues de "vitriol" ont disparu des coteaux. L'odeur des vendanges en octobre, quand chacun, pendant que "ça bouillait", "enfonçait sa tine" pour empêcher le moût de remonter en surface, a disparu des carrières, et aussi celle de la raque brûlante et fumante (marc bouilli), quand on avait distillé. Les caves ont été pillées par les antiquaires. Les tuorchs et les alambics, polis, astiqués, vernis sont devenus pièces de musée.

 

Quelque chose meurt toujours quand meurt la vigne. Un goût à vivre, un langage une façon d'être au monde et d'être aux autres... Comme un amour.

 

D’après « Les Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes » (Equinoxe-éditions Saint Rémy de Provence), pour commander cet ouvrage dédicacé de 23 € : téléphoner au 04 93 24 86 55.

Avec les "Légendes et Chroniques insolites des Alpes Maritimes", Edmond Rossi, auteur niçois de plusieurs ouvrages sur le passé de son pays, nous offre un recueil d'une centaine de relations confondant la vérité historique et l'imaginaire de la légende.

Pour tous ceux qui désirent connaître non plus une Côte d'Azur artificielle mais une terre de culture et de mémoire, ce recueil constitue une promenade originale puisée aux meilleures sources.

Les Alpes Maritimes possèdent un particularisme né d'un isolement géographique, terre de contraste. Elles offrent une tradition enracinée dans un passé fertile en anecdotes souvent ignorées.

Merveilleux voyage que ces récits qui vont des légendes des origines aux chroniques d'un millénaire de défis naturels, se poursuivant vers des villages du bout du monde pour y traverser un passé où se croisent les silhouettes d'illustres personnages et l'ombre inquiétante des sorcières.

Laissons nous conduire dans les coulisses secrètes de ce théâtre factice qu'est la Côte, vers l'intérieur de ce pays d'Azur, à quelques pas du littoral, pour en découvrir et en pénétrer l'âme.

 

Pour en savoir plus sur un village typique chargé d’anecdotes et d’images du passé : Cliquez sur

http://saintlaurentduvarhistoire.hautetfort.com

06/08/2008

DÉDICACE

L’historien Edmond ROSSI signera ses livres le samedi 9 août à la « Fête des Gueyeurs » place de l'Eglise de Saint Laurent du Var.

A 15h il présentera un exposé intitulé : «  Qui étaient les Gueyeurs ?».

16:31 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, memoire, traditions