07/01/2012
LE DESTIN TRAGIQUE DU DOCTEUR CÉSAR PROVENÇAL, UN RÉPUBLICAIN CAGNOIS DE 1851
César Provençal naquit à Cagnes (Var), le 20 juin 1814. Il était fils de Joseph Provençal, propriétaire, et de Thérèse, sa femme. Le parrain fut César Nicolas, négociant du lieu(1). L’éducation du jeune César fut confiée à son oncle, Michel Provençal, professeur de zoologie à la Faculté des sciences de Montpellier, médecin fort en vogue à l’époque (2).
Après 18 ans de séjour à Montpellier, où il avait été successivement préparateur de leçons d’anatomie, chef de chirurgie à l’hôpital St Eloi, César fut reçu docteur. Ayant alors besoin de repos, le jeune médecin revint à Cagnes, son pays natal. Peu après, de fréquentes hémorragies l’obligèrent à changer de climat. Le Comté de Nice, tout proche, s’offrait à lui. « Forcé comme malade, note-t-il, de faire du Comté de Nice mon séjour habituel, j’ai éprouvé, ainsi que tant d’autres, les heureux bienfaits de ce climat dont la juste célébrité attire toutes les années un concours immense de malades de toutes les parties de l’Europe. Ma profession de médecin me fait en quelque sorte une obligation particulière d’exprimer ma reconnaissance d’une manière différente de la plupart des malades qui se contentent de dire que le climat de Nice est bon parce qu’ils auront été soulagés ou guéris de leurs maladies ; j’ai voulu le prouver en publiant la Topographie médicale du Comté de Nice et des contrées qui l’avoisinent.(3)»
Guéri apparemment, le Dr Provençal revint à Cagnes où il ne tarda pas à sa mêler activement à la vie politique.
La nouvelle de l’abdication du roi Louis-Philippe, suivie de la proclamation de la République, avait été accueillie favorablement dans le département du Var. A l’instar de la capitale, des « clubs » démocratiques se constituèrent dans la plupart des localités. Après les élections à l’Assemblée constituante, du 23 avril 1848. l’agitation se manifesta d’une manière plus sensible dans quelques communes de la rive droite du Var. Le 26 septembre, un banquet de 400 couverts avait lieu à Cagnes, dans l’antique château des Grimaldi; le 6 décembre, Vence faisait un cordial accueil au représentant Marcelin Maurel, natif de cette ville (4). Pendant les mois qui suivirent l’élection présidentielle du 10 décembre, les clubs redoublèrent d’activité. Le 30 juin 1849, le préfet Haussmann les interdit dans tout le département.
A cette époque, le parti républicain du Var était fort bien organisé. Il avait à sa tête un groupe de jeunes gens appartenant à la bourgeoisie, instruits, énergiques et actifs, tels que les avocats Pascal, Pastoret, Pellicot, Emile Ollivier, à Draguignan, le docteur César Provençal à Cagnes. L’Elysée combattait tout ce qui se rattachait à « la Montagne » ; les démocrates étaient taxés de démagogues, d’anarchistes ; les sociétés secrètes étaient surveillées ; la police opérait des visites domiciliaires.
Prévenu d’avoir fait partie, avec Pastoret, d’une de ces sociétés qu’ils auraient organisée, César Provençal fut arrêté en novembre 1850 sur mandat d’amener du juge d’instruction de Draguignan. Jeté en prison, il y fut tenu 64 jours au secret. Finalement la Cour d’Appel d’Aix, « considérant que la prétendue société secrète ne se composait que de deux prévenus (Pastoret et Provençal), jugea qu’il n’y avait pas lieu à exécution », et fit mettre les deux co-inculpés en liberté, au début de janvier 1851.
La nouvelle du coup d’Etat de Louis-Napoléon fut connue à la préfecture du Var dans la nuit du 2 au 3 décembre 1851. Les chefs du parti républicain demeurèrent d’abord dans une indécision profonde. Mais soudain et simultanément l’insurrection éclata dans un grand nombre de localités; dès le 4 décembre, tout le sud du département était en armes, le préfet bloqué au chef-lieu. Sitôt informé des évènements survenus à Paris, Provençal s’était rendu à Nice pour se concerter avec Mathieu, expulsé à la suite des évènements récents de la Garde-Freinet, pour essayer de rassembler une troupe parmi les réfugiés politiques; il revint ensuite à St-Laurent-du-Var et à Vence, où il recruta 60 à 80 hommes qui devaient aider les volontaires de Nice à passer le Var à la Gaude. Mais le maire de cette dernière commune ayant alerté des gardes nationaux, gendarmes et douaniers, la petite troupe dut se replier. Traqué, le docteur Provençal partit pour Gattières où il arriva après minuit. Il alla frapper à la porte d’un de ses anciens clients. Après s’être restauré et réchauffé, il passa le Var sur les épaules de son hôte et attendit le lever du jour, engourdi au pied d’un arbre. A son arrivée à Nice, il eut la désagréable surprise de se voir jeter en prison. Mais il eut l’idée de se recommander du président du Sénat, le comte de Cessole, et de l’évêque Galvano. Il obtint d’être remis en liberté sous la surveillance de la police, jusqu’à une décision définitive de Turin. Grâce à l’esprit libéral de Maxime d’Azeglio, alors président du Conseil, il put ne pas être renvoyé en France pour y être fusillé (5). Dès lors commença sa vie de proscrit dans les Etats du roi de Sardaigne.
Le 15 janvier 1852, il est envoyé en résidence surveillée à Mondovi. Le séjour en cette ville, dont il ne peut sortir à son gré, lui devient bientôt insupportable et il demande au gouvernement piémontais de l’autoriser, pour raison de santé, à aller résider à Menton; il fait appuyer sa demande par Laurent Valerio, député au Parlement de Turin. Il obtient, momentanément satisfaction. Mais bientôt le gouvernement français ayant fait pression sur celui de Turin pour que les réfugiés politiques soient éloignés de Nice et des environs immédiats, le Dr Provençal est obligé de repartir. On lui permet seulement d’aller résider sur la côte Ligure, à la Spezia. A Nice, l’intendant La Marmora lui fait remettre sa feuille de route, avec une somme de 20 lires pour tout viatique. Entre temps, Provençal a appris que le tribunal de Grasse, qui avait fait vendre tous ses biens sur la place publique à Antibes, lui retenait sa pension viagère de 1.200 francs, son unique ressource. Voilà donc le docteur Provençal, tel un « véritable mendiant », rejoignant à pied, par étapes, sa nouvelle résidence. Découragé, malade, sans argent, il trouve refuge pour un temps à l’hôpital de Port-Maurice, en attendant « une occupation, si modeste fût-elle. » Le maire avait demandé pour lui le poste de « médecin des pauvres », on daigna s’occuper de la question à Turin.
A ce moment, en 1854, la grande épidémie de choléra qui se manifeste en Europe atteint nos rivages. A Port-Maurice, Mlle de Maricourt, fille du consul de France, meurt de la terrible maladie; sa plus jeune soeur est atteinte à son tour ; le docteur Provençal, appelé en consultation avec le Dr Orengo, qui la déclare perdue, a le bonheur de la sauver. Il se sauve lui-même du même coup. Dans la circonstance, il découvre un remède pour se préserver de la diarrhée qui précède le choléra. Grâce à lui, plus de « 500 malades de la ville échappent à une mort certaine ». Le journal Il Pensiero fait son éloge; l’évêque d’Albenga lui écrit une lettre de félicitations. Devenu président du Conseil de salubrité publique de Port-Maurice, le Dr Provençal est nommé médecin de l’hôpital des cholériques, en prévision d’une nouvelle invasion du fléau. Le conseil municipal lui accorde une gratification de 200 lires. Il emploie cette somme à faire imprimer un Manuel populaire de santé à l’usage des gens du monde pour se préserver des maladies, et une 3ème édition des Provençaux peints par eux-mêmes. Les journaux Il Diritto et la Gazetta di Genova font l’éloge de ces publications. Sa renommée ne cesse d’augmenter dans toute la province. Il est devenu le médecin du consul de France, Adolphe de Cabarrus, au départ du comte de Maricourt, et de sa mère, la soeur de Ferdinand de Lesseps. Enfin, le roi Victor-Emmanuel II, sur la demande de la ville, lui décerne la médaille d’or.
Après 8 années d’exil à Port-Maurice, et à la suite de nombreuses démarches, le Dr Provençal obtient de Cavour l’autorisation de venir séjourner à Nice, où il élit domicile au n° 20 de la rue Droite. Grâce à des protections il est pourvu de la place de médecin à St Dalmas de Tende, résidence d’été où se trouvaient alors « 80 familles étrangères ». « Ce fut là, note-t-il, au milieu des plaisirs et des fêtes champêtres, que j’appris enfin l’amnistie générale qui eut lieu après la bataille de Solférino (24 juin 1859) en faveur des réfugiés qui, à mon exemple, avaient refusé de faire par écrit une soumission trop blessante pour des gens qui, sans être trop fiers et trop susceptibles, ne pouvaient et ne devaient le faire sans s’avilir. »
Le Dr Provençal mourut, célibataire, le 8 janvier 1868, en son domicile de Nice à l’âge de 53 ans, comme le constate le registre des décès de la mairie de Nice.
(1) Les éléments de cette étude nous ont été fournis par les notes manuscrites que le Dr César Provençal a consignées lui-même dans un carnet actuellement conservé clans la Bibliothèque de Cessole, au Musée Massena.
(2) Jean-Michel Provençal, né à Cagnes le 3 juin 1781, mort à Montpellier le 8 avril 1845, professeur de zoologie à la faculté des sciences de Montpellier (25 juillet 1809), puis professeur d’anatomie à la Faculté de médecine de la même ville. Cf. Pélissier (G), Les papiers du médecin Michel Provençal (Besançon, 1912) ; compte-rendu par G. Doublet dans Nice historique, 1912, p. 447.453.
(3) Nice, 1845, de la Société typographique, in-8°, 330 p.
(4) L’Echo des Alpes-Maritimes, n° du 27 sept. et du 8 déc. 1848.
(5) César Provençal a toujours considéré Massimo d’Azeglio comme son sauveur et son protecteur. Il avait continué de s’adresser à lui, en maintes occasions, durant sa carrière de proscrit ; il conservait dans son cabinet, soigneusement encadrées, les 12 lettres que l’homme d’Etat piémontais lui avait écrites en réponses aux siennes et dont la transcription figure dans son Carnet.
Léonce BONIFACE
(article publié dans Provence historique, tome 3, fasc. 14, 1953, pp. 126-130
D'APRÉS LES "HISTOIRES ET LÉGENDES DES BALCONS D'AZUR": LA GAUDE, SAINT JEANNET, GATTIÈRES, CARROS, LE BROC, BÉZAUDUN, COURSEGOULES, TOURRETTES SUR LOUP, VENCE, SAINT PAUL DE VENCE, LA COLLE, ROQUEFORT LES PINS, VILLENEUVE LOUBET, CAGNES...
De La Gaude à Vence et au Broc, le vaste belvédère qui surplombe la Méditerranée et le Var reste méconnu. La région provençale des « Balcons d'Azur » renferme pourtant des trésors historiques et architecturaux qu'il est urgent de découvrir, au-delà de la splendeur des paysages. C'est à ce voyage insolite que nous invite l'auteur, le long d'un amphithéâtre, au cœur duquel s'égrènent les célèbres fleurons de LA GAUDE, VENCE, SAINT-JEANNET, GATTIÈRES, CARROS, LE BROC.
Passant tour à tour de la réalité des faits historiques, chargés de fabuleuses anecdotes, aux légendes, Edmond Rossi, auteur de divers ouvrages sur le passé et la mémoire des Alpes-Maritimes, a recueilli et réuni quelques moments singuliers de ces villages.
Le choix de La Gaude s'impose comme le centre de gravité de ce « triangle d'or» d'une richesse exceptionnelle. Aux limites de ce secteur, des vestiges témoignent également d'un passé où l'insolite nous interpelle pour mieux conforter la légende: chapelle oubliée de COURSEGOULES, fayard de BÉZAUDUN, tombeau mystérieux de TOURRETTES-SUR-LOUP, ruines austères de VENCE ou cachées de ROQUEFORT-LES-PINS, sentinelle fortifiée de SAINT-PAUL et abbaye de LA COLLE, châteaux de VILLENEUVE-LOUBET et de CAGNES.
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