22/03/2006
INSOLITE
EXCOMMUNICATIONS
( première partie )
Au cours des siècles passés, l'Eglise a laissé dans ses annales des témoignages où l'étrange se mêle curieusement aux préoccupations quotidiennes des habitants du Pays d’Azur. Dans les situations désespérées où la raison demeurait impuissante, on n 'hésitait pas à faire appel en un ultime recours aux rites religieux. Avec ses prières et son bénitier le prêtre rivalisait alors avec le meilleur sorcier. Il chassait le démon d'une maison ou d'une étable infestée par la maladie, par quelques signes de croix, excellant même dans la lutte contre les fléaux naturels.
Ainsi à Nice en novembre 1650, l'évêque en personne, accompagné des chanoines du chapitre, grimpa sur une barque pour conjurer les marsouins qui depuis des semaines déchiraient sournoisement les filets des pêcheurs. Mieux encore, le prêtre de Duranus n 'hésitait pas, après la messe du dimanche, à apporter son concours à la protection de l'agriculture en aspergeant d'eau bénite des feuilles de choux rongées par la vermine, apportées là par les fidèles. Ces précieuses aspersions jointes à des adjurations rituelles appropriées produisaient souvent le meilleur effet. Si les maudites bestioles rechignaient à quitter les champs, elles s'exposaient alors aux menaces du clergé qui leur «donnait quartier», c'est à dire qu'ordre leur était intimé de s'éloigner des cultures, vers des versants plus arides. Si l'injonction restait sans effet, les créatures dévoreuses encouraient alors des sanctions allant de l'exorcisme * à l'excommunication ! Selon P. Canestrier, on rencontre dans les archives, plusieurs cas de refus de prêtres d'exorciser les animaux. Cela s'explique par un préjugé alors répandu. Si l'exorciste n'était pas lui-même sans reproche, le diable incarné dans ces animaux se manifestait au cours de l'exorcisme pour reprocher à l'exorciste son indignité. Il apparaît parfois que le diable donna même la bastonnade à l'exorciste. C'est du moins ce que l'on raconte. Dans toute la région, les témoignages de réussites abondent. A plusieurs reprises, les chenilles seront chassées par ces singuliers procédés à Villeneuve d'Entraunes et à Barels. Tout près de là à Saint Martin d'Entraunes en 1890, des centaines de papillons, avides de nectar, s'attaquèrent aux fleurs des pommiers. Le prieur décida d'utiliser les grands moyens. Une procession, bannières déployées, circula en entonnant des cantiques dans les vergers atteints par les parasites. Parvenu sur un tertre dominant la campagne, le curé prononça d'ultimes invocations en levant les bras au ciel. A ce geste, une nuée de papillons s'éleva, tournoya et disparut vers la montagne.08:30 Publié dans Découverte du Pays d'Azur | Lien permanent | Commentaires (0)
19/03/2006
DIABLE
Des revers de fortune entraînent parfois le Diable dans la défaite, face à des justiciers spécialisés trônant comme Saint Michel à Nice (Musée Masséna) ou Saint Bernard à Roure et Lucéram.
Les substituts du Diable, Dragon, Tarasque et autres monstres, mis eux aussi en échec par des saintes averties, achèvent le cortège des vainqueurs aux quatre coins du département.
Les mentalités changent à la fin du Moyen-Age après le Concile de Trente, ces terrifiantes images s’effacent sous un prudent badigeon. Elles ne seront dégagées qu’au cours des restaurations contemporaines.
Si le Diable abandonne les murs des chapelles et des églises, il ne disparaît pas pour autant dans les mentalités puisque toujours présent dans les traditions orales et les superstitions de la vie quotidienne.
Ses démêlés avec les gens de Coaraze qui lui coupèrent la queue à raz, avec ceux de l’Escarène qui lui ravirent sa bourse ou avec ceux de Contes qui réussirent à l’engluer, émailleront longtemps les veillées de la vallée du Paillon.
A Eze, le Diable sera encore une fois berné par les villageois auxquels il avait construit un pont magnifique, moyennant l’âme du premier à le traverser. Rusés, ils envoyèrent un chien. Dépité, l’Ange du mal détruisit le pont. Evidemment, comme tout ce qui concerne le Diable, ces faits sont sujets à caution !
Non content d’agir lui-même, le Diable envoie sur terre des monstres dressés à faire le mal comme ce dragon, avaleur de Sainte Marguerite qu’on lui oblige à rendre indemne ou ce « magou » malicieux s’insinuant dans les eaux, les forêts ou les souterrains pour effrayer les gens. Le «drac » aussi, ce dévoreur d’enfants et la «coulobre » figurant sur le portail de l’église d’Utelle : énorme serpent mangeur de génisses à qui il fallait sacrifier chaque année une jeune fille ou jeune homme bien tendre.
N’oublions pas ces démons décrits dans un mystère dialectal du XV ème siècle, ayant pour devise « Mal Far », avec leurs mâchoires de loup, leurs oreilles d’âne, guettant les malheureux égarés dans les galeries des mines abandonnées, ces couloirs de l’Enfer où ils soufflent les bougies, comme à Salèse au-dessus de Saint Martin Vésubie. Lorsque le duc de Savoie Emmanuel Philibert désira réexploiter les mines de Salèse, creusées par les Sarrasins, ces amis des démons, il fallut exorciser ces lieux possédés. On eut recours à une Bulle Pontificale (2 août 1560), lue en l’église paroissiale, pour enfin sortir un peu de plomb argentifère.
Mais là ne s’arrêtent pas les facéties du Diable. A l’abri de ces considérations humaines, les desseins de Satan restent aussi impénétrables que ceux de la providence. Si aujourd’hui les temps sont devenus plus durs pour le Diable, il courbe le dos et nous attend au tournant. Pour le prince du déséquilibre, notre nouveau siècle devrait être en or.
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16/03/2006
DIABLE
QUAND LE DIABLE S’EN MÊLE (2 ème partie)
Ailleurs dans la montagne, les cimes déchiquetées figurent autant de caravanes pétrifiées, alors que les taches de rouille que le soleil ensanglante rappellent d’abominables sacrifices, accomplis dans ces lieux hostiles. Nulle surprise à ce que s’y déroulent des sabbats nocturnes, en particulier sur ces pistes de danse que constituent les plateaux : les « balaours », retrouvés dans les hautes vallées de la Tinée et de la Vésubie ou sur celui désolé de Dina de Rigaud.
Rien d’étonnant qu’après toutes ces fréquentations assidues de la nature, le Diable soit omniprésent dans l’imagerie des Alpes Maritimes. L’ange déchu, porteur de lumière, est un personnage assez beau de la mythologie chrétienne jusqu’au milieu du XIV ème siècle. Après quoi, à la fin du Moyen-Age avec la chasse aux sorcières, il devient hideux et odieux.
N’oublions pas qu’en trois siècles, on a persécuté et brûlé plus de 8 millions de personnes, accusées de sorcellerie en Europe, les Alpes Maritimes n’ont pas fait exception. Avec les lumières du XVIII ème siècle, le Diable, mis au chômage par le culte de la raison, ne vivote plus qu’auprès des sorciers montagnards.
Mais le Romantisme, dans sa volonté de renverser les valeurs, le fait revenir sur scène et lance le « satanisme ». Pauvre Satan ! Le voilà devenu motif décoratif, poncif esthétique pour dandys magiciens d’une fin de siècle exténuée. A-t-il depuis repris du poil de la bête ? Rien n’est moins sûr.
Dans la région, vous le rencontrerez dans les modestes chapelles du Haut Pays, trônant au milieu des fresques et des polyptyques. Là aussi, sa représentation varie au gré des périodes et des thèmes abordés. Sa figuration évolue au cours du Moyen-Age, pour devenir de plus en plus bestiale et finir sous les traits d’un monstre composite, avant de disparaître.
Triomphant au début dans les grandes compositions des Jugements derniers, le Diable règne sur l’Enfer et ses tourments. On le voit ainsi sur les murs de Notre Dame des Fontaines à La Brigue, dans la vallée de la Roya et à La Tour sur Tinée, au chevet de la chapelle des Pénitents blancs où chaque homme est porté par un diable dans sa hotte, chaque femme traînant sur son dos un diable qui l’éperonne. Plus discret, il anime des petites scènes à Peillon, Venanson et Saint Etienne de Tinée, tour à tour arracheur d’entrailles et décocheur de flèches symbolisant la peste. Auxiliaire précieux de la mort, il sautille allègrement sur la tête des danseurs de Bar sur Loup. A Roquebillière, dans un retable, le voici sous les traits tentateurs d’une belle jeune fille prête à séduire un ermite. A Roure, au son du fifre et du tambourin, il chevauche d’une manière équivoque une malheureuse femme, rafle l’auréole d’un prêtre, rappelant à tous la mésaventure d’un curé du lieu, avec une de ses paroissiennes. Ailleurs, comme à La Tour, il stimule victorieux la cavalcade des vices.
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