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25/11/2013

ALPES MARITIMES:"POUR UN SORCIER, DIX MILLE SORCIERES", PORTRAIT

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Le mystère a toujours captivé l'homme qui a essayé d'en percer le secret dès le début de son aptitude au raisonnement. Pour atteindre son but, il n'a pas hésité à recourir, entre autres, à des pratiques magiques recensées dès les origines de l'humanité.

La magie est intimement liée à la religion et plus particulièrement à la croyance en l'existence d'esprits désincarnés.

Ainsi, le paganisme des premiers âges attribuait une sorte d'âme ou de force spirituelle à chaque être comme aux éléments divers composant la nature.

La mythologie a personnifié ces entités en divinités imputables aux animaux, aux plantes, aux sources, aux pierres, aux astres (soleil, lune) et aux phénomènes naturels les plus variés.

Face aux manifestations capricieuses d'un monde insaisissable, le primitif a tenté de s'en concilier les faveurs, en domestiquant les puissantes entités, supposées en diriger le cours. De ce dialogue naîtront des pratiques magiques appropriées, adaptées à ses aspirations.

Les témoignages de rites propitiatoires à la chasse peints sur les parois des grottes de la Préhistoire, les cérémonies des Chamans asiatiques et amérindiens, comme les célébrations du culte Vaudou ont exprimé des démarches communes dans des cultures différentes.

Si le médium est un intercesseur passif et réceptif, le mage ou sorcier agit lui avec maîtrise et concentration, grâce à des pouvoirs acquis et cultivés par un apprentissage et une initiation de la connaissance. Ces pouvoirs varient d'un individu à l'autre en fonction de la seule capacité du praticien et de la sincérité du consultant.

L'initiation du mage s'acquiert par la maîtrise de rituels, liés à l'emploi d'objets issus de la tradition antique.

Volonté et concentration doivent donner suffisamment de force et de consistance pour atteindre l'objectif envisagé. Il est admis que le rituel n'est rien sans la puissance subjective. La démarche doit donc être soutenue et animée par une mobilisation des énergies psychiques du mage ou de la sorcière.

La panoplie et les règles en usages chez les adeptes de la sorcellerie dans les Alpes Maritimes sont souvent communes à l'ensemble du monde occidental. Les formules tirées d'ouvrages fameux comme le "Grand Albert" ou les "Clavicules de Salomon" visent à l'évocation des esprits sollicités, pour aider le mage dans l'accomplissement de son projet mais aussi à le protéger de possibles dérives incontrôlées.

Chaque esprit possède ses caractéristiques et sera sollicité pour l'accomplissement d'une opération spécifique. Selon le résultat envisagé, l'invocation s'adressera à de puissantes entités comparables à ce que l'on désigne communément comme des "anges" ou des "démons".

Les informations orales que nous avons recueillies dans les Alpes du Sud et plus particulièrement dans l'ensemble des Alpes Maritimes, ont débuté à la suite d'enquêtes visant la collecte des récits populaires contes et légendes ainsi que de traditions oubliées.

Ces renseignements sont complétés par les relations d'historiens, chroniqueurs, spécialistes du folklore et ethnologues ayant abordé ce thème.

Ce fond de superstition et de pratiques magiques englobe également la médecine traditionnelle. Ses recettes singulières ont le mérite d'avoir soulagé durant des siècles, les maux les plus divers affectant des générations de Niçois et de Provençaux.

L'identification du personnage du sorcier ou de son homologue féminin débute par le nom qui le désigne. Confondus au Moyen Age avec les hérétiques, les sorciers seront appelés "fattuchieri" et aussi "inzabati" à cause de la marque distinctive qu'ils portent sur leurs chaussures. "Fachinier" est un qualificatif utilisé dans les Alpes, tout comme celui d'"embarnaïré", "Magou" appartient lui au Comté de Nice.

"Masc", "marsco" et au féminin "masca" est en usage dans le Comté de Nice, la Provence et les Alpes du Sud. Le masque, synonyme français d'une dissimulation mystérieuse, s'apparente à cette dénomination. Si le féminin "masca" prévaut encore c'est pour la raison évidente qu'il y a plus de sorcières que de sorciers, d'où l'expression "pour un sorcier, dix mille sorcières". Si Michelet admettait à propos des femmes "que la nature les a faites sorcières", le sens commun les voyait s'adonner aux maléfices pour la seule volupté de nuire.

De plus, lors des procès de l'Inquisition, 80 % des victimes étaient des femmes. Cette distinction remonte certainement au matriarcat où la femme exerçait dans la communauté des fonctions particulières, cantonnées dans un domaine réservé. A la fois génitrice et nourricière, elle séduit, donne la vie, élève les enfants, cuisine, nettoie, soigne. Sa fonction reproductrice, mystérieusement liée à des cycles lunaires, l'isole naturellement des hommes qu'elle attire et captive.

Sa fonction, essentiellement féminine, de masca dans le Comté de Nice, le Piémont et la Provence, sera plus équilibrée dans les Hautes Alpes où le sorcier est généralement un homme étranger : travailleur saisonnier, piémontais ou berger transhumant.

La tradition a véhiculé le portrait de la sorcière sous les traits d'une vieille femme édentée, pourvue d'un nez et d'un menton crochus, semblable à ceux de MacBeth. Il peut s'agir plus rarement d'une troublante et vénéneuse beauté.

Généralement veuve ou célibataire, elle transmet ses dons à une proche : fille ou nièce. Elle est souvent fille unique sans frère ni fils.

Ayant pactisé avec le diable pour obtenir certains pouvoirs surnaturels, le sorcier ou la masca porte sur son physique la marque indélébile de cet accord. C'est là un moyen d'identification possible.

Tare, infirmité, difformité sont autant de signes laissés par le diable sur cette créature qu'il s'est appropriée borgne, boiteux, bossu, bigle, bègue, bâtard, tous ces stigmates perceptibles relevant de la lettre B prédestinent les malheureux qui en sont affligés.

Les roux, dont les pilosités sont teintés par les feux de l'enfer, sont tout aussi désignés à la méfiance publique.

Redouté pour son aspect, le sorcier ou la masca se différencie également par son isolement social. Vivant à l'écart comme un ermite, cette veuve, ce mendiant ou cette étrangère ne s'intègre pas à la communauté qui la craint pour ses pouvoirs, la fuit et la rejette.

Certains métiers comme celui de berger, de travailleur saisonnier, ou de mendiant sont soupçonnés de prédisposer à la sorcellerie. Il en était de même jadis pour les colporteurs, ramoneurs et saltimbanques voués à des métiers itinérants.

Isolé dans la nature dont il connaît les plantes et leurs vertus, capable de suivre dans le ciel la course des étoiles, le berger est un mage qui sait guérir les bêtes et quelquefois les gens.

Le mendiant ou la bohémienne "diseuse de bonne aventure" qui peuvent se venger du refus d'une aumône, sont tout aussi inquiétants.

Les étrangers, d'une manière générale par leur particularisme, sont également suspects.

Le prêtre doué de pouvoirs mystérieux, intercesseur reconnu avec l'au-delà, capable de désensorceler peut lui aussi pactiser avec les forces occultes. Il en sera de même de l'ermite prédisposé par l'isolement, la méditation et la prière, à des contacts avec le monde parallèle.

Le sorcier ou la masca sont parfois des êtres victimes d'un destin malheureux qui les entraîne à se venger des autres humains. Nés un vendredi, ou septième enfant d'une famille ne comportant que des garçons ou des filles, ces prédispositions naturelles es conduisent à se soumettre au diable et à servir ses noirs desseins.

Un indice est également à retenir pour distinguer la masca, c'est la présence familière à ses côtés d'un chat noir ou d'une poule noire, capable de l'accueillir à tout instant dans son corps pour servir ses maléfices. C'est d'ailleurs en compagnie de l'un de ces animaux transporté à minuit dans un sac, pour se rendre à un carrefour de quatre chemins et y invoquer trois fois le diable que va se conclure le pacte.

Une fois celui-ci scellé, sorciers et sorcières se réunissent périodiquement pour le sabbat présidé par le diable qui désigne à chacun ses missions. Dans le Comté de Nice, cette réunion s'opère généralement sous un noyer dans la montagne et sous un caroubier sur la côte.

Dans les vallées du Comté de Nice, les "balaours" (St Martin Vésubie, Bousieyas) accueillent les sabbats, tout comme les Valmasques (Antibes et Vallées des Merveilles).

Généralement, chaque village possède un lieu propice à ces réunions nocturnes, connu des habitants. Dans le Comté de Nice, le mois de mai est jugé favorable à la tenue des sabbats.

Les sorciers et leurs consœurs connaissent des formules d'enchantement pour évoquer et communiquer avec le diable, ses démons ou toute autre entité afin de produire des choses stupéfiantes.

Ces secrets ne sont révélés qu'à des personnes de confiance, lorsqu'ils pressentent leur fin prochaine. Douée d'une puissance exceptionnelle, la masca devine l'avenir, découvre les secrets, communique avec les morts, guérit mais peut aussi bien rendre malade et tuer à distance, ceci par simples opérations magiques.

Capables de se changer en chat, en mouton, en oiseau, et même en mouche ou en taon, elles peuvent alors mieux épier les humains sans être aperçues. A ce bestiaire s'ajoutent parfois des animaux familiers comme le chien, le cheval, l'âne, la chèvre et sauvages comme le chamois, le lièvre, le corbeau, le rat et le serpent.

De la même manière, la masca peut vous changer en crapaud ou en chien, vous immuniser contre la douleur et vous assujettir à sa volonté pour vous conduire tel un zombie à commettre un crime (!).

La sorcière peut aussi se métamorphoser en cochon et même en loup dans le seul but d'effrayer les gens. Les preuves de ces incarnations sont données par le simple fait qu'un coup ou une blessure portés à ces animaux étranges, a pour conséquence de retrouver le lendemain la masca alitée et portant une blessure similaire à celle reçue par la bête.

De nombreux récits du Comté de Nice rapportent des événements semblables.

Douée également de la faculté de se dédoubler, le sorcier ou la masca peut laisser échapper de sa bouche un papillon noir, son "double" qui va vagabonder et faciliter l'aboutissement de ses maléfices.

Pour se livrer en toute quiétude à ses multiples entreprises nocturnes, la masca mariée peut tromper son époux en laissant son similaire dans le lit conjugal. La possession du corps d'une victime s'opère aussi bien par contact que par piqûre (de préférence au talon) mais aussi par l'ensorcellement du linge étendu après la lessive.

Les enfants, proies innocentes de sorciers et de leurs semblables se doivent d'être protégés du mauvais sort, et ne pas être laissés libres et exposés sans surveillance. Jadis, sitôt sonné l'Ave Maria, ils devaient regagner la maison.

Les formules et recettes transmises à l'origine oralement seront codifiées au Moyen Age. Les initiés transmettaient le grimoire et les paroles symboliques au lit de mort.

L'imprimerie va faire éclore des ouvrages, véritables recueils soumis avant leur édition à l'imprimatur d'un dominicain. Là sont recensés les recettes pour chaque sortilège et contre-sortilège les paroles et prières, les signes cabalistiques, les objets magiques (talismans, amulettes, plantes, osselets, etc …).

Au fil des siècles, les livres de sorcellerie les plus diffusés dans les Alpes Maritimes seront : "Les admirables secrets du Grand Albert" (ou d'Albert le Grand), "Les secrets du petit Albert", "Le véritable dragon rouge", "La Poule noire", "La merveilleuse chouette noire", "Le secret de la reine Cléopâtre", Le trésor du vieillard des pyramides", "L'Arte della Normandia", "Les clavicules de Salomon", "De occulta philosophia", "L'Enchiridion".

Cette encyclopédie aux titres insolites prouve tout l'intérêt porté par nos ancêtres à des pratiques qui aujourd'hui nous apparaissent injustement fantaisistes.

Il est étonnant de constater que les formules insérées et les rites décrits dans ces ouvrages correspondent à ceux révélés oralement et transmis par la tradition.

Répandus par colportage du Nord au Sud de l'Europe, ces livres diffusent une pensée universelle. Ainsi s'explique l'uniformité relative de la sorcellerie en France et dans le monde occidental. Timide au XVIIIème siècle, la propagation se développera largement au XIXème siècle.

Signalons parmi les auteurs de ces grimoires sulfureux "Albert le Grand", évêque de Ratisbonne et, pour "l'Enchiridion" (ouvrage destiné à conjurer les esprits et lever le mauvais sort) le pape Léon III !

Comment reconnaître et identifier sans erreur un sorcier ou une masca ? Certains traits ou des comportements singuliers offrent des pistes sûres : les yeux souvent cernés, les mains sèches sur lesquelles l'eau glisse sans mouiller même en lavant du linge, ou en les humectant dans de l'eau bénite, leur isolement et leur localisation à l'écart et au fond de l'église durant l'office, une manière particulière de se signer. Enfin, un test infaillible : si on place des épingles en croix dans le fond du bénitier après que le sorcier ou la masca a pénétré dans l'église, ces derniers y resteront bloqués incapables d'en sortir aussi longtemps que les épingles seront en place.

Des précautions élémentaires permettent d'éviter l'ensorcellement comme : jeter une pierre dans l'eau en faisant le signe de croix avant de s'y baigner, placer à nouveau des épingles en croix dans l'eau avant d'y tremper le linge et ne pas se reposer à l'ombre délétère d'un noyer.

D'autres indices peuvent naître d'une mauvaise rencontre. Ainsi, si vous croisez un regard acéré ou éteint, un visage vous mettant mal à l'aise, un étranger qui disparaît soudainement quelques pas plus loin, un chat noir qui est là où il ne devrait pas être, ces signes sont autant d'avertissements significatifs.

La mort du sorcier ou de la masca est tout aussi tragique que son existence.

Une longue agonie précède en général son départ et le dernier souffle ne pourra venir qu'après qu'il ait serré la main de celui appelé à lui succéder.

Souvent, la sorcière meurt seule et oubliée, ou victime d'un subterfuge consistant à lui tendre un bâton à serrer pour éviter de lui avancer la main !

Généralement, un temps épouvantable accompagne son trépas. Souvent, la nuit précédant sa fin est traversée par les fracas du tonnerre ou les hurlements des oiseaux nocturnes, comme autant d'appels des serviteurs du diable annonçant le départ de son âme damnée.

C'est pourtant là l'unique occasion de recevoir la révélation de ses pouvoirs extraordinaires. La réincarnation du sorcier ou de la masca sous l'aspect d'un chat noir (son animal fétiche) est souvent relatée dans l'ensemble du département.

Ces divers traits présentés sans fard définissent la personnalité complexe du sorcier ou de la masca. Aussi vains et bizarres qu'ils puissent nous apparaître aujourd'hui, les portraits de ces mages correspondent à des personnages qui ont exercé une emprise sans limite sur les consciences des siècles durant.

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