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09/03/2013

A LA GAUDE: LES BANDITS DE LA GARBASSE

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Constituant un passage naturel au pied des Alpes, la côte et le moyen pays ont été parcourus à toute époque par des pillards: traînards de troupes en campagne, mercenaires débandés, sans oublier les pirates venus de la mer.

Cette menace permanente entraîna les habitants dès la préhistoire à se regrouper sur des promontoires pour mieux voir et se défendre. Retranché entre les murs des villages perchés, on n'en sortira que pour les nécessités agricoles et pastorales. De là, les petits cabanons, les modestes bastides et bergeries éparpillées dans la campagne offrant, à quelques heures du village, un abri temporaire. Point de grandes fermes isolées, propres aux hautes vallées alpines, mieux protégées parce qu'à l'écart des visiteurs indésirables.

Le souvenir de ces agressions n'a pas quitté la mémoire des anciens. Voici encore quelques dizaines d'années le chemin reliant Saint Laurent du Var à Saint Jeannet était baptisé «la route des brigands». Serpentant le long des collines à travers les solitudes forestières propices aux guets-apens, il ne devait pas faillir à sa réputation jusqu’en 1970. A cette époque et à trois reprises, les fourgons blindés transportant la paye du Centre d'Etudes et de Recherche d' l.B.M. furent attaqués en ces mêmes lieux. La malédiction s'est dissipée aujourd'hui le long de la corniche où les villas résidentielles se succèdent presque sans interruption.

Lorsque Sylvaine déballa les vêtements du coffre ramené à la grotte du Mont Vinaigre, elle poussa des exclamations de joie. Présentant contre son corps juvénile une superbe robe à paniers et dos flottant, décorée de dentelles, elle lança:

«Avec ça Jeannot, tu ne pourras pas dire que tu n'as pas une dame !»

Faisant lestement sauter sa chemise qui cachait deux seins pointus, la jeune fille enfila l’habit puis ajusta soigneusement le corsage lacé à baleines. De gros rires saluèrent la métamorphose de Sylvaine Gastaud. Les hommes assis autour du feu n'en croyaient pas leurs yeux. Surpris par le spectacle, Gaspard de Besse le chef entrant dans la grotte s'écria: «Oh! Mais c'est la Du Barry en personne !»

Encouragée par le succès, Sylvaine souriante se para alors d'un collier et de boucles d'oreilles garnies de brillants... Tenant un miroir à main, elle rejeta en arrière sa chevelure blonde avant d'éclater d'un rire sonore. Son ami Jean Bouis observait la scène, à l’écart, de ses petits yeux noirs pétillants du reflet des flammes qui éclairaient la caverne.

Ce jour-là, la chasse avait été bonne. Lorsque la chaise roulante du Comte de Grimaldi avait quitté l’Auberge des Adrets pour s'engager dans la descente de l'Estérel en direction de Cannes, une trentaine d'hommes et une femme, visages masqués par des foulards, avaient surgi au détour du chemin, pistolets aux poings, immobilisant le convoi.

Rapidement maîtrisés les quelques hommes d'escorte s'étaient rendus.

Le Comte et sa femme furent dépouillés de leur bourse et de leurs bagages au milieu des plaisanteries.

Quelques minutes plus tard apparaissait la patache de Maître Pellegrin, négociant en vaisselle de Brignoles remontant de Vallauris.

Les brigands ayant disparu, désemparé il libéra les malheureux voyageurs bâillonnés et ficelés au tronc d'un pin.

Nous étions le 16 septembre 1780. Le rapport de police détaillant cette opération la mit au compte de Gaspard de Besse et de ses lieutenants Gaspard Augias de la Valette, Jean Bouis de Vidauban, aidés de leur bande de  malfaiteurs.

Alors que la blonde Sylvaine exprima le désir de conserver les atours de Madame de Grimaldi, les choses se gâtèrent. Un partage équitable du butin devait selon

l'évaluation de Gaspard de Besse ne laisser à la jeune femme que les boucles d'oreilles. Jean Bouis exigea davantage et en particulier la robe et le collier, se disant prêt à abandonner galamment sa part au profit de sa belle. Mais Gaspard ne voulut rien entendre.

«Puisque tu refuses, dit-il à Gaspard, et bien je te quitterai, j'en ai assez de dépendre de ta volonté.

- Tu veux en faire à ta tête ? Libre à toi mon gars, mais nous n'avons plus rien à faire ensemble».

La rupture était consommée.

Le lendemain, Jean Bouis et Sylvaine en compagnie d'une douzaine de malandrins s'estimant eux aussi lésés prirent la route de Grasse vers d'autres horizons.

La petite troupe mit cap à l'Est. Jean Bouis avait son idée: opérer à proximité de la frontière du Var, pour fuir sur les rives du Royaume de Sardaigne si les choses tournaient mal.

Trottinant du pas de leurs montures comme de paisibles voyageurs, traversant les villages et la campagne provençale brûlée par le soleil de l'été, la bande parvint à la nuit tombante au-delà de la Gaude.

Rencontrant un groupe de vendangeurs, Jean Bouis les interpella :

 «Eh! Les amis pourriez-vous nous indiquer un gîte pour nous refaire, nous et nos bêtes ? » Abusés par la tenue élégante des malandrins, les paysans leur offrirent d'occuper la bergerie de la Garbasse, abandonnée en cette saison:

«Messieurs, Mademoiselle, vous avez dépassé le bourg et vous ne trouverez plus rien avant la Baronne, la dernière auberge avant le passage du Var. Montez donc vous installer à la bergerie, elle est vaste et pourvue de paille et de foin qui vous feront bonne litière! »

La situation de la bâtisse à l'écart, perchée comme une tour sur la barre rocheuse dominant le chemin de Vence à Saint Laurent et à deux lieues du gué de la Baronne, présentait tous les avantages.

Après avoir déchargé et déballé les coffres, pansé chevaux et mulets, on aménagea tant bien que mal.

Sylvaine alluma un grand feu dans la cheminée de la salle commune pour chasser

l'humidité, le repas fini le chef fit le point. Le jour suivant, les éclaireurs iraient reconnaître les alentours, quelqu'un aurait pour mission de contacter à Saint Jeannet un certain Baptiste Béranger, ancien du bagne de Toulon, vieille relation de chaîne de Jean Bouis, reconverti dans la contrebande.

Tard dans la nuit, Sylvaine rejoignit son amant dans la paille, caressant sa poitrine velue elle posa ses lèvres sur l'échancrure où s'inscrivaient en cicatrices roses les deux lettres G.L. marquées au fer rouge.

Baptistin Béranger, un rouquin vif et trapu accepta avec joie ce renfort inattendu qui allait décupler les profits de ses coupables activités:

«Tu sais, Jean, ce qui marche en ce moment, ce sont les «indiennes», ces étoffes peintes ou imprimées. On en raffole par ici. Ça sert aussi bien pour les toilettes que pour l’ameublement. On les trouve pour rien à Villefranche, le tabac aussi y est détaxé !

- Très bien, mais il faut une mise de fonds pour démarrer notre affaire. Je m ' en charge.

- T'en fais pas je connais le moyen, avec des hommes décidés, on peut faire coup double: éliminer des concurrents et ramasser l'argent qu'il nous faut».

Le marché était conclu.

Dans les semaines qui suivirent, les rapports de police notent des attaques çà et là: une ferme, un hameau, une auberge un peu isolée, sans parler des malheureux voyageurs détroussés alors qu'ils se rendaient des terres de Savoie vers la Provence. Jean Bouis, Sylvaine et leur bande ne chômaient pas.

Ainsi voilà ce qui se passa le 20 novembre 1780.

Ce soir là, la ferme de la Grande Bastide au Touroun devait être mise au pillage. Prétextant venir de la part du roi, pour voir s'il n 'y avait pas de produits de contrebande cachés dans la maison, la bande s'introduisit dans la ferme...

Le lendemain lorsque la maréchaussée parvint sur les lieux, ce sera le spectacle classique si souvent décrit: la demeure dévastée, les malheureux occupants grièvement blessés, les coffres et les armoires éventrés, le linge éparpillé sur le sol et les cachettes si chères aux paysans vidées de leur contenu. Cette fois les bandits avaient emporté mille cent livres en pièces d ' or, puis fouillant la magnanerie deux mille deux cents livres dans une «pignata». Des armes avaient également disparu: trois pistolets, deux fusils, quatre couteaux et tout ce qui pouvait représenter à leurs yeux une quelconque valeur.

Les sommes ainsi recueillies furent investies dans l'achat de ces fameuses «indiennes», ces produits à la mode vendus ensuite à des prix compétitifs.

Grâce à l'habile Baptistin, les débouchés ne manquaient pas. Le commerce de ces marchandises joint à celui du tabac assuraient des revenus plus lucratifs que les incertaines et dangereuses attaques de fermes ou de diligences.

Sylvaine et Jean prospéraient, grisés par leurs succès ils rêvaient souvent les nuits de pleine lune se voyant déjà en bourgeois nantis et respectés, ayant pignon sur rue, entourés d'une foule de valets s'activant dans de vastes entrepôts bourrés de ballots de toutes sortes: «Tu ne changeras pas Sylvaine, je t'ai connue servante dans une auberge et tout de suite tu m'as séduit avec ton teint de lait et tes yeux de renard malicieux. Pour toi, j’ai quitté Gaspard, pour toi, j'ai aujourd'hui arrêté de voler, me limitant à la contrebande quitte à passer auprès des autres pour un couard. Voilà maintenant que tu veux me transformer en bourgeois pansu ! Tu exagères !

-        Jeannot nous serons heureux et tranquilles. Pourquoi risquer sa vie chaque jour ? Je ne veux pas te perdre et puis j'en ai assez de courir les chemins».

Au fil des jours, les brigands de la Garbasse rentrent en relation avec des commanditaires de Vence et Grasse qui vont même jusqu'à leur avancer les fonds nécessaires à leur trafic!

De l'autre côté de la frontière, les marchands du port franc s'engagent à les ravitailler pourvu qu'ils assurent l'écoulement de leurs produits. Organisés et efficaces, Jean Bouis et sa troupe sillonnent alors de nuit des itinéraires d'approvisionnement tortueux.

Leurs caravanes muletières franchissent les gués du Var puis par des chemins détournés livrent leurs cargaisons aux quatre coins de la région.

Oubliant leur vocation première de brigands, les hôtes de la Garbasse se transfor­ment en «margandiers» c'est à dire en négociants contrebandiers scrupuleux et responsables.

Pourtant sur leurs têtes pèsent des menaces aussi lourdes que celles encourues par des bandits de grand chemin. L'exemple se doit d'effrayer le peuple en le dissuadant de se livrer à pareil négoce: c'est la galère à perpétuité et pour le récidiviste la peine de mort, écartelé sur la roue.

Déjà Jean Bouis envisage de s'installer avec sa belle, rue Saint Lambert à Vence, non loin de l'évêché. Pourtant tout bascule à nouveau un beau matin de mars 1781.

Alors que Sy1vaine se préparait à aller ferrer un couple de mulets jusqu'à Saint Jeannet, elle eut la curiosité de se pencher vers le vallon. Ecartant les genêts humides de rosée, elle aperçut en contrebas une tunique bleue à demi cachée par les buissons, puis deux, puis trois! Son sang ne fit qu'un tour.

Des tuniques il y en avait partout autour de la bergerie !

Bientôt au son des tambours et des fifres comme à la parade, les quatre vingts gardes de la gabelle encerclaient le repère des bandits. Le combat s'engagea impitoyable, les hommes du lieutenant Audibert ne lâchaient pas prise. Au crépuscule, les gardes malgré la vigueur de leurs attaques, n'étaient pas parvenus à escalader les rochers derrière lesquels se retranchaient les brigands.

Profitant de la nuit tombante Jean Bouis et Sylvaine rassemblèrent les rescapés, la retraite s'effectua en bon ordre. Franchissant les lignes adverses en rampant dans l'obscurité, ils s'enfuirent vers le col du Pilon et par la forêt jusqu'à la Baronne où, traversant le Var ils trouvèrent refuge dans le Comté de Nice.

De là, par le Piémont et la Savoie, les malandrins réapparurent plus tard dans le Dauphiné pour y poursuivre leur vie aventureuse.

Aujourd'hui il ne subsiste que les ruines d'une bergerie accrochée sur une barre rocheuse. En ces temps lointains, avant de s'engager sur cette portion du chemin reliant Saint Laurent du Var à la Gaude, le voyageur recommandait son âme à Dieu. Accélérant le pas il fixait alors avec inquiétude ces murs gris et sinistres qui abritaient les terribles brigands de la Garbasse.

EXTRAIT DES "HISTOIRES ET LÉGENDES DES BALCONS D'AZUR": LA GAUDE, SAINT JEANNET, GATTIÈRES, CARROS, LE BROC, BÉZAUDUN, COURSEGOULES, TOURRETTES SUR LOUP, VENCE, SAINT PAUL DE VENCE, LA COLLE, ROQUEFORT LES PINS, VILLENEUVE LOUBET, CAGNES...

De La Gaude à Vence et au Broc, le vaste belvédère qui surplombe la Méditerranée et le Var reste méconnu. La région provençale des « Balcons d'Azur » renferme pourtant des trésors histo­riques et architecturaux qu'il est urgent de découvrir, au-delà de la splendeur des paysages. C'est à ce voyage insolite que nous invite l'auteur, le long d'un amphithéâtre, au cœur duquel s'égrènent les célèbres fleurons de LA GAUDE, VENCE, SAINT-JEANNET, GATTIÈRES, CARROS, LE BROC.

Passant tour à tour de la réalité des faits historiques, chargés de fabuleuses anecdotes, aux légendes, Edmond Rossi, auteur de divers ouvrages sur le passé et la mémoire des Alpes-Maritimes, a recueilli et réuni quelques moments singuliers de ces villages.

Le choix de La Gaude s'impose comme le centre de gravité de ce « triangle d'or» d'une richesse exceptionnelle. Aux limites de ce secteur, des vestiges témoignent également d'un passé où l'insolite nous interpelle pour mieux conforter la légende: chapelle oubliée de COURSEGOULES, fayard de BÉZAUDUN, tombeau mystérieux de TOURRETTES-­SUR-LOUP, ruines austères de VENCE ou cachées de ROQUEFORT-LES-PINS, sentinelle fortifiée de SAINT-PAUL et abbaye de LA COLLE, châteaux de VILLENEUVE-LOUBET et de CAGNES.

La Gaude, célèbre pour son vin sera aussi l'inspiratrice de Marcel Pagnol pour sa « Manon des Sources ». D'Hercule à d'Artagnan venu arrêter le marquis de Grimaldi à Cagnes, laissez-vous guider par les fantômes des personnages, pour parcourir les vivantes ruelles de ces villages et la riante campagne alentour. L'agréable découverte de ces bourgs authentiques aux limites de la Provence, vous révélera bien d'autres trésors, dignes de ceux cachés là par les Sarrasins et les Templiers, bien présents dans tout ce secteur.

Ouvrage illustré, de 160 pages,  au prix de 18 € dédicacé par l'auteur, en contactant: edmondrossi@wanadoo.fr 

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