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06/05/2006

L'ALCHIMISTE DE SAINT AUBAN

LE SECRET DU FAISEUR D’OR ( 2ème partie )

 L'alchimiste pouvait désormais compter sur un nouvel allié de poids: l'évêque de Senez, Monseigneur Soanen, qui suivait ses expériences depuis longtemps. Son intervention et celle de ses amis avaient suscité à la Cour un courant de curiosité à l'égard de De l'Isle. L'évêque écrivit à Pontchartrain le 18 octobre 1708: «L'intérêt que vous prenez pour l'examen de la vérité des opérations du sieur De l'Isle, notre faiseur d'or, m'a déjà obligé de vous en rendre compte. Il a travaillé sous mes yeux, je suis parfaitement convaincu de l'excellence de son art et de la droiture de ses intentions pour S.M.». De l'Isle avait fabriqué en 1707 pour Mgr Soanen un clou de la longueur d'un doigt, mi-argent mi-fer à tête d'or, «un prodige» ! Le Roi lui-même demanda à voir le clou...
 L'invasion de la Provence par les Austro-Sardes retarde à nouveau les recherches du faiseur d'or . En automne 1708, il se rend à Menton, où sa femme et sa fille sont établies. Se rend-il en Italie pour des contacts avec Denis ? Certains l'ont prétendu. De retour en novembre, De l'Isle demande à l'évêque de Senez si le sauf-conduit est enfin accordé. C'est le cas, il poursuit donc ses activités à Saint Auban, Senez et Castellane. Au printemps, l'alchimiste doit reconnaître qu'il ne sera pas prêt à se rendre à Paris dans les délais prévus
pour y travailler devant le Roi. Devant cette dérobade, ses ennemis et en particulier Lebret en profitent pour déclencher contre lui une nouvelle campagne de calomnies, faisant allusion à ses apparitions dans les lieux d'où sont sorties de fausses monnaies! L'évêque de Senez se fait à nouveau son avocat: «Son retard n ' est dû qu’à l’irruption du Duc de Savoie et des gardes de M. de Grignan. La conduite de notre alchimiste est irréprochable. De l'Isle souffre des soupçons que l’on fait peser sur lui, alors qu'il force ses propres juges, à l 'Hôtel des Monnaies,
à déclarer que ses lingots sont bons...».
Lebret ne désarme pas, dans une lettre du 24 août, il finit par reconnaître qu'après avoir fait surveiller le «faiseur d'or», on ne pouvait plus le soupçonner de billonnage et de fausse monnaie.
«1e crois plutôt que sous prétexte de la transmutation des métaux, il trouve des dupes dont il tire quelque utilité».
Les détracteurs aboutissent; sur la foi d'autres renseignements de M. de Grignan, de Pellas directeur de la Monnaie à Aix et du Comte d'Artagnan, pourchasseur de faux monnayeurs, installé à Grasse, le Contrôleur Général des Finances informe Lebret de son intention de faire arrêter De l'Isle. Puis, nouveau retournement de situation grâce à l 'habile intervention de l'évêque de Senez, le même Contrôleur Général revient sur sa décision et accorde un sauf -conduit à De l'Isle en décembre 1709.
Il faut dire que Mgr de Soanen, évêque de Senez, était convaincu par le savoir de l'alchimiste:

«Il changea en argent devant moi et six ou sept témoins, quelques clous que je lui avais remis, et M. Imbert orfèvre d'Aix m'assura que l'argent était bon... A Castellane, en ma présence et celle d'une dizaine d'autres témoins, il changea deux pièces en plomb en deux pièces d'or que M. de Pontchartrain montra aux meilleurs orfèvres de Paris. Cela m'ébranla d'autant plus que l'expérience fut renouvelée cinq à six fois. De l'Isle a même fait exécuter l'opération devant moi par des tiers, sans toucher personnellement quoi que ce soit. C'est ainsi que mon neveu le père Bérard, de l'Oratoire de Paris, fit lui-même la transmutation des métaux suivant ses ordres et aussi M. du Bourget, un autre neveu (capitaine de cavalerie). Et ce que j'ai vu, cent autres personnes de mon diocèse l'ont vu également. Mes préventions se sont alors évanouies».

 L'affaire prenant de l'ampleur, le Contrôleur Général des Finances la confie alors à un Conseiller d'Etat, M. de Nointel, qui rentre en relation avec l'évêque de Senez. Celui-ci réplique le 30 avril 1710:
«Deux cents personnes de cette province (la Provence) m'ont averti qu’elles étaient convaincues du secret, après avoir assisté à ses opérations... Les préparatifs de De l'Isle ne sont pas encore suffisamment au point pour que l’on puisse travailler devant le Roi. Il faudra du temps et de la chaleur. Dans les trois mois à venir, on pourra faire des progrès. «Notre artiste» aurait pu avancer son travail, s'il disposait de certains produits tirés de l'étranger».
 
Nouveau test en présence cette fois de M. de Saint Maurice commis à Cannes pour réprimer le faux monnayage. A Saint Auban, De l'Isle le fit collaborer à ses opérations sans rien lui cacher de ses secrets. Ebranlé, M. de Saint Maurice rendit compte le 21 mai au Ministre des Finances: «Rien n'est plus sûr, Monseigneur, que son secret pour faire de l'or et de l'argent». Il emporta le petit lingot d'or obtenu pour le présenter à la Cour. Cette nouvelle preuve confirma l'évêque de Senez dans sa conviction. Devant ces succès, la crainte s'installa que De l'Isle aille livrer le fruit de son savoir à la Cour de Turin, où on le signale dans cette ville en compagnie de l'abbé de Saint Auban. Il fallait donc hâter le voyage de De l'Isle à Paris. Mais le mauvais temps et le «manque de chaleur» retardaient encore la préparation des produits indispensables aux expériences. Deux ans de plus s'avéraient nécessaires.
Dans une lettre à M. de Nointel, chargé de l'affaire, De l'Isle précise :
 «1°) qu'il faut à mes poudres une partie de l'été prochain pour boire les huiles...
2°) qu'après cela il me faudra tirer le mercure de mois en mois, cinq à six fois avant de parvenir au degré de perfection nécessaire;
3°) que les bornes d'un an apposées au présent sauf-conduit de mesme qu'au précédent ont beaucoup préjudicié à mon travail».
 
Le témoignage d 'hommes de marque, conduits à expérimenter, révèle une partie des ingrédients utilisés par l'alchimiste. On y relève: «le suc des lunaires», produit de distillation de deux simples, la lunaria major et la lunaria minor, cueillies après le 14ème jour de la nouvelle lune, séchées à l'ombre, placées dans un pot dont on a distillé les résidus. «L'eau magistrale» est un produit de distillation d'un mélange de trois tas d'or calcinés et pilés combinés en part égales de salpêtre et de vitriol, le tout calciné. «La poudre métallique» s'élabore à partir d'un mâchefer d'or et autres métaux, pilé, tamisé, enfoui dans un linge et un panier, enterré quinze jours à compter du 7ème ou du Sème jour de la nouvelle lune. Retiré à la lune vieille, placé dans une bouteille bouchée et séché au soleil. Ensuite, recouvert de deux doigts d 'huile de soleil, ré exposé jusqu'à séchage au soleil. Enfin, recouvert encore de deux doigts «d'eau magistrale» et à nouveau séché au soleil. Cette poudre mélangée à un peu d'huile de soleil, puis distillée donnait un grain de «mercure philosophique». Ce mercure pilé donnait la «poudre de projection». Mais les opérations effectuées par les visiteurs de De l 'Isle restaient fragmentaires, son secret demeurant bien gardé.
 
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