Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/07/2014

L’ASSASSINAT D’HONORE LASCARIS COMTE DE TENDE

LASCARIS.jpg

Après la dédition du Comté de Nice à la Savoie en 1388, va se poser le problème d’une liaison sûre et commode à travers les Alpes pour relier les terres savoyardes du Piémont et de Nice.

Les seigneurs de Tende, véritables portiers, tiennent le passage le plus aisé, le célèbre col de Tende. En 1430, cette situation contraint le Duc de Savoie à tracer un chemin muletier conduisant de Nice à Cuneo par la vallée de Lantosque, Saint Martin de Vésubie et le col de Fenestre. Une stratégie habile avait conduit la Maison de Savoie à acquérir en 1425 une partie des droits sur La Brigue et d’entreprendre de la raccorder à Menton par Breil, avant de prolonger la voie jusqu’à Mondovi par Uperga et Carnino.

Mais en dépit de ces contournements, le comté de Tende restait toujours le noyau bloquant le passage naturel le plus commode.

Devant cet encerclement, se sentant menacé, le comte de Tende se place prudemment sous la tutelle du Roi de Provence, René d’Anjou, dès 1437. Cet hommage sera répété le 6 Août 1453 par Honoré Lascaris, comte de Tende, qui conclut également une alliance avec le Duc de Milan, Francesco Sforza.

Bientôt, la tension débouche sur une guerre en Piémont menée contre le Duc de Savoie, elle s’achève en 1458, sans altérer la puissance des seigneurs de Tende. Déterminée, la Maison de Savoie décide alors de se débarrasser du comte de Tende par un habile complot. Les conjurés se réunissent en Octobre 1472, y participent : le comte Lambert Grimaldi, seigneur de Monaco, Barthélemy Lascaris, seigneur de La Brigue et Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève, frère du Duc Amédée.

La stratégie militaire s’avère difficile dans cette vallée étroite où l’on pénètre par des routes plutôt destinées aux chamois qu’aux hommes, hérissée de redoutes, entourée de vastes forêts, habitée par des gens accoutumés à la lutte, au brigandage, où se réfugient les bandits ligures et piémontais guidés par des chefs rompus à la guerilla, soutenus de plus par d’immenses richesses accumulées pendant des siècles par de lentes et infatigables rapines.

A l’incertitude des batailles, on préfère l’arme plus sûre du poison.

Barthélemy Lascaris prend alors contact avec Pierre Parpaglia, vicomte de Rovigliasco et gouverneur pour le comte Honoré du château de Tende et l’invite à Turin, où les deux hommes rencontrent l’évêque de Genève, cerveau du complot, pour établir les détails du plan.

Le poison est confié à Parpaglia et la date de l’empoisonnement est fixée au 5 Février.

La nuit du 4, les bandes de Lambert Grimaldi descendront des bois et Parpaglia ouvrira les portes du château. Le poison sera administré au comte Honoré par son cuisinier dans la journée du 4.

La première phase de l’opération se déroulera comme prévue, le comte aura le temps de dicter son testament et cessera de vivre le 5 Février 1473. Ayant reçu confirmation de l’empoisonnement par le médecin, Marguerite del Carretto, veuve du comte Honoré, fait arrêter le cuisinier puis Parpaglia qui s’apprêtait à ouvrir les portes du château.

Barthélemy Lascaris de La Brigue avait reçu 200 ducats versés par l’évêque Jean-Louis de Savoie, pour le prix de sa traîtrise. Par ordre de la veuve Marguerite, le nom de Parpaglia, l’assassin, sera gravé sur la pierre tombale du comte Honoré Lascaris.

Voici sous forme de légende, rapportée par Euclide Milano, la conclusion morale de ce tragique épisode, toujours présent dans la mémoire des gens de Tende. “ Beaucoup de temps était déjà passé depuis ces tristes événements sur lesquels commençait déjà à s’étendre le voile de l’oubli quand, un soir, on vit entrer à Tende et gravir lentement les ruelles étroites et tortueuses, de son pas incertain et las, un humble pèlerin. Sa bure était déchirée, sa barbe longue et touffue, son visage émacié, mais ses yeux lançaient d’étranges éclairs et son corps était parcouru de frémissements fébriles. Il provoquait l’étonnement plutôt que la pitié. C’était Pietrino Parpaglia, celui qui avait empoisonné le comte. Pendant son long emprisonnement, une idée fixe, insistante, implacable, avait rendu plus angoissante sa solitude, ses insomnies plus tourmentées, son remords plus aigu ; l’idée que cette inscription placée sur ce sépulcre rendait son nom plus infâme pour l’éternité.

Alors que cette pensée, telle un parasite, lui rongeait l’âme et le corps, une ferme résolution avait mûri en lui, celle de rayer l’inscription, arrachant au sépulcre de son seigneur le témoignage du délit perpétré par lui. Et maintenant, il venait exécuter le projet qu’il avait préparé dans la dure prison, l’idée qui avait dévoré le sommeil de beaucoup de ses nuits, en lui apportant en même temps le tourment et le réconfort. Personne ne l’a reconnu. Alors que déjà les ombres de la nuit descendent et que les proches sommets escarpés qu’il connaît bien semblent devenir géants et plus effrayants, il entre furtivement dans l’église et il s’y cache. Peu après, il entend la porte se refermer, les dernières voix se taisent dans les rues environnantes, partout règne un profond silence.

La faible clarté de étoiles qui filtre des fenêtres lui suffit pour distinguer sur le sol la pierre portant les mots qui lui crient : “ Assassin ”, ces mots que pendant ses années de prison, il voyait lui apparaître, noirs, énormes, horribles, il les tâte convulsivement puis il tire d’une poche le marteau et un ciseau et il se dispose à détruire, une à une, les lettres en relief, son cœur éclate d’émotion.

Il va enfin obtenir le soulagement tant espéré ... Mais l’œuvre de Parpaglia vient de commencer et, fébrilement, il continue à donner sur le marbre de rapides coups de marteau qui résonnent dans le vaste silence, quand, soudain, il s’arrête comme pétrifié et un froid de mort parcourt toutes ses veines. La grande plaque de marbre se déplace sous sa main, elle se soulève, s’incline d’un côté, il s’arrête, horrifié, et il voit le spectre du comte se dresser peu à peu hors du sépulcre, menaçant et horrible, le fixant farouchement de ses orbites vides, levant un bras vengeur.

Il voudrait crier pitié mais sa voix s’étrangle dans sa gorge, il voudrait fuir, mais la terreur le cloue au sol, agenouillé, immobile. Et le spectre, les flancs enveloppés du linceul funèbre, continue à se lever et son regard poursuit l’ancien écuyer tranchant et courtisan comme pour lui demander raison de sa trahison ignoble ... Finalement, Parpaglia se secoue, se demande à lui-même un dernier effort et se met debout puis, vacillant, il tourne le dos au fantôme horrible. Il s’enfuit, courant au hasard, il délire, sa course est folle et sans destination dans la grande église obscure, il lui semble encore que le comte le menace, que le comte le suit, jusqu’à ce que sa tête heurtant avec violence une colonne en marbre, il tombe à terre, foudroyé ”.

Dans la chapelle St Louis de l’église de l’Annonciation, la dernière phrase de l’épitaphe gravée que porte la tombe d’Honoré Lascaris indique “ Venenatum per Petrinum Parpag ... ” (empoisonné par Pierre Parpaglia). On remarquera effectivement que les dernières syllabes on été curieusement détruites et effacées par un ciseau anonyme.

Pour connaître les belles histoires du riche passé des Alpes Maritimes consulter les livres d'Edmond ROSSI, information et commande en contactant edmondrossi@wanadoo.fr